Médecins de la Grande Guerre

Le Capitaine Deschamp.

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

CAPITAINE DESCHAMPS[1]

       Les sportsmen sont des hommes qui considèrent ordinairement la vie comme joyeuse, roulent les jours du bon Dieu avec le sourire, voyagent et courent comme si le plaisir et la joie sont toute la vie. On peut reconnaître ces types joyeux et nonchalants entre mille, leurs regards francs et courageux les trahissent tout de suite. Ils ne connaissent pas la peur et ce que la profession exige d'eux leur est donné par un corps d'acier formé par un entrainement sans repos. On vit aussi de pareils types au début chez les aviateurs. Essais téméraires d'aventures, les dangers de la vie les poussaient avec une force brutale, avides vers les étourdissements suprêmes que les aviateurs ressentent dans le firmament.

       Quand l'aviation s'était mieux dessinée et les avions approchaient de la perfection, on comprit immédiatement de quelle utilité extrême elle pourrait être dans la défense du pays.

       Les militaires s'en emparèrent et dès le premier appel du gouvernement de nombreux officiers vinrent s'inscrire. Leur type s'éloigna de celui du sportman... Quoique presque tous étaient poussés par la passion d'aventures, loin de l'air enfermé des casernes, ils semblaient animés de la grandeur de l'esprit de sacrifice. Des jeunes gens, hardis, courageux, généreux dans le service de la patrie.

       J'ai vu le capitaine Deschamps, lors des premiers vols du baron de Cater, Tyck, le comte d’Hespel, Monlens, Sarteel, Olieslagers et d'autres, tourner autour des avions et observer plein d'admiration les manœuvres des courageux dans leurs vols hauts  et lointains. Il y avait quelque chose qui l'attirait toujours, le poussait irrésistiblement vers les appareils fragiles et ronflants. Il sentit, tata, caressa les nerfs d'acier et les ailes dorées des oiseaux mécaniques.


Atelier de construction pour l’aviation.

       Un jour, – et je ne fus pas des plus étonnés – je vis le grand, frêle jeune homme, avec sa maigreur fatiguée, et ses moustaches blondes et pendantes monter dans un biplan et donner avec des gestes mesurés l'ordre du vol.

       Ce n'était pas chez lui une beauté élégante qui trahit l'artiste de profession, ce n'était pas le dégagement, cet entreprenant qui dégénère souvent en témérité. Non, calme, solennel, telle toute son apparence, il donna ses ordres et quand il leva le bras pour le « lâchez-tout » c'est comme s'il fit une croix pour bénir sa vocation. Oui, tel était cet homme sérieux ; l'amour de sa patrie lui donna un solennel religieux.

       Une grande âme était en lui. Demandez-le aux nombreux officiers sous ses ordres, à ses mécaniciens, à ses aides. Ils vous parleront de lui comme on parle d'un prêtre, qui a pris sa tache comme but à sa vie.

       Il vola et se sacrifia. C'était une consécration. Il savait que la patrie comptait surtout sur lui, et il a fait tout, tout pour ne pas rester en deçà de cette confiance... Il conduisit en quelques mois avec des moyens limités, notre aviation militaire vers sa grande tâche et la Belgique, je le voyais et je le sais, peut se vanter d'un corps d'élite, petit il est vrai, mais qui en noblesse ne doit s'effacer devant aucun de ceux des grandes. nations. Le capitaine Deschamps ne se borna pas à des vols de piste ou de forteresse. Il fil le tour de la Belgique. Quelques jours avant que l'ombre de la guerre s'étendait sur l'Europe, je le vis partir dès le lever du soleil, majestueux dans les airs. Ceux qui le connaissent et avaient suivi la façon de faire des autres dans les hauteurs des cieux disaient : « Ça c'est le capitaine Deschamps ! » tellement il allait fièrement dans la plus haute des hauteurs dans la clarté aveuglante du soleil. Le soir quand le crépuscule s'étendait sur la terre fatiguée et couvrait de gris les champs, les bois et les plaines, nous entendions son moteur battre comme un grand cœur.

       Dans le bleu léger du ciel pâle nous voyions un petit point ; presque imperceptible. Et à des hauteurs insondables, là où le soleil jetait encore quelques rayons, nous voyions tel un oiseau doré, l'aéroplane se diriger en un long vol plané vers Brasschaet. Spectacle superbe et fantastique ! Plusieurs jours l'un après l'autre, comme conscient du danger naissant, il les passa ainsi dans des courses et visita jusqu'aux plus petits coins de la Belgique.

       Les journaux en parlèrent à celle époque, et les citadins lisaient les nouvelles avec admiration, mais nous, nous le sentions et nous le voyions, le soleil l'embrassait le matin très tôt et le soir inondait de toute son essence dorée son front fatigué.

       Un fait brutal a arraché ce brave à la vie et au service de la patrie, et l'a transporté dans l'immortalité. Par un atterrissage inopportun dans un petit coin de la Flandre occidentale, quatre de ses aides accoururent et déchargèrent le biplan de ses bombes. Un mouvement imprudent fit tomber un des projectiles à terre. Un terrible coup retentit. Le capitaine et ses aides furent déchiquetés.

       C'est une grande, une immense perte pour nous.

       Le capitaine Deschamps aura une belle page dans notre livre de douleur.



[1] La Grande Guerre (deuxième)



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©