Médecins de la Grande Guerre

L’aventure du mâtin belge, chien de mitrailleuse

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L’aventure du mâtin belge, chien de mitrailleuse.

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Attelage de chiens flamand

Attelage de chiens flamand

Attelage de chiens flamand

Laitiers flamands

Mitrailleuse belge et son attelage

Le mastiff chien de race belge

Le mastiff belge tractant les mitrilleuses

Carabiniers en service de campagne mitrailleuse

Régiment de Carabiniers mitrailleuse

Régiment de Carabiniers mitrailleuse

Attelage de chiens et mitrailleuses

Attelage de chiens et chariot de munitions

Après la bataille, chien ambulancier portant secours à un blessé

Les carabiniers et leurs chiens aux avant-postes.

A mon ami Francis

L’aventure  du  mâtin belge,  chien de mitrailleuse

     « Le chien ne nous aime pas seulement dans sa conscience et dans son intelligence, c’est l’instinct de sa race, l’inconscient tout entier de son espèce, semble-t-il, qui ne pense qu’à nous et ne songe qu’à nous être utile… »

(Maurice Maeterlinck, « Le double jardin »)

 

 

Le chien de trait : une longue tradition belge

     Le chien a toujours été à l’honneur dans les familles belges. Une longue tradition a toujours fait participer les chiens à la dure vie de travail de nos ancêtres. Dans la seconde moitié du 19ème siècle, les artisans et fermiers belges développèrent à son plus haut niveau l’attelage canin comme l’illustre à merveille cette description  effectuée dans le marché couvert de la rue Duquesnoy à Bruxelles.

     « Les plus remarquables étaient les grandes charrettes des marchands de volailles de Malines et autres endroits éloignés. A plusieurs de ces charrettes étaient attelés cinq grands chiens : un entre les brancards, et deux de chaque côté, parfois un sixième était sous la charrette avec ses traits accrochés à l’essieu. Ces marchands de volaille voyageaient la nuit (Malines était situé à 24 km de Bruxelles) afin d’être de bonne heure au marché, et fréquemment ils s’endormaient sur leur charrette laissant trotter les chiens sans les guider.

Il y avait encire des laitières et des blanchisseuses avec des charrettes comme celle de la mère Marie, traînées par un ou deux chiens. Il y avait des boulangers et des colporteurs de fruits et légumes, qui pour la plupart, avaient des charrettes hautes avec leurs chiens attelés dessous. Il y avait aussi de bruyants marchands de moules criant leur marchandise et poussant leurs brouettes devant eux avec un chien attelé en tête pour les aider. Parfois un pauvre homme passait avec un indescriptible véhicule chargé de bois à brûler, de vieux chiffons et l’on ne sait quoi, tiré par un chien de petite taille, bâtard et mal nourri, qui traînait sa charge avec peine ; mais pour la plupart les chiens étaient beaux, grands, bien bâtis, habitués à leur travail et paraissant s’en réjouir. »  (« Pierrot, chien de Belgique » Walter A. Dyer)

     Vers 1900, on recensait en Belgique plus de150.000 chiens de trait !  Bien sûr cette façon de faire partager aux chiens la vie de travail des hommes  rencontra parfois  la critique des âmes sensibles. Mais en fait, à condition que l’on utilisât des chiens d’une stature suffisante, la traction bien comprise était tout à fait  acceptée par le chien  qui y  mettait toute sa force et son enthousiasme !  Les Belges créèrent d’ailleurs en 1899 un club  pour l’amélioration et la protection du chien de trait. Le principal initiateur du  club furent les comtes de t’Serclaes, père et fils, aidés par le docteur Reul, professeur de zootechnie à l’Ecole Vétérinaire de l’Etat. Bientôt s’élabora un véritable standard du chien de trait belge qui devait répondre à de nombreux critères pour mériter son appellation de  « Mâtin » (en souvenir d’une race ancienne qui aurait peuplé la Gaule).  La fondation de ce club devenu peu après  « Société », fut suivie en 1908 de la publication d’un « Studbook du Mâtin de Trait belge » en même temps que l’on vit s’ouvrir quantité d’expositions canines et de concours s’adressant aux éleveurs belges. Au prix d’une sélection intense, les Belges développèrent donc une magnifique race de molosses de 70 à 80 cm au garrot qui, malgré leur stature, conservaient un caractère très doux et calme.

Les lieutenants Blancgarin et Van de Putte, créateurs des sections canimobiles de mitrailleuses

     Quelques années avant la guerre, des militaires belges eurent l’idée très originale d’utiliser les  Mâtins pour tirer les mitrailleuses Maximes. Fin 1911, 104 mitrailleuses Maxim furent commandées pour les régiments d’Infanterie de l’Armée de campagne. On créa trois sections de deux mitrailleuses par régiment, quatre sections aux Carabiniers. La mitrailleuse Maxim 1911 pesait 21 kg 650 lorsque la chemise d’eau était remplie. Le trépied, lui, pesait 20kg 850. La cadence de tir était de 400 coups à la minute.

     Ce furent les lieutenants Blancgarin et Van de Putte  qui  convainquirent  l’Etat-Major d’utiliser la traction canine pour les mitrailleuses.

     Le père du lieutenant était français et avait été fait prisonnier par les Allemands après la bataille de Sedan de 1870.  Après sa captivité, il était venu s’installer à Bruxelles pour y travailler comme artiste avec le peintre Portaels. Il épousa alors une jeune Belge, Mlle Van Beneden qui lui donna cinq enfants. Le peintre, outre son atelier, créa une école de peinture et ces deux endroits ne tardèrent pas à devenir le rendez-vous des artistes bruxellois dont Henry Evenepoel et le peintre Rathy qui plus tard furent à l’origine de l’Art Nouveau.  Henri Blancgarin choisit la carrière des armes ainsi que deux de ses frères. Après ses études à  l’Ecole royale militaire, il fut désigné pour le régiment des Carabiniers. C’est là qu’il rencontra et se prit d’amitié pour un autre officier de son âge, Max Van de Putte. Max s’était spécialisé dans la pratique du chien militaire  influencé sans doute par son père qui possédait un chenil modèle dans le parc de son château de Lederberg près de Gand. Des conversations des deux jeunes officiers naquit l’idée d’une voiture-mitrailleuse canimobile. Méthodiquement, ils se partagèrent la tâche en vue de sa réalisation. Blancgarin s’occupa de la voiture et Van de Putte des chiens et de leurs harnachements. Bientôt chacun rédigea un mémoire détaillé  en même temps que les premiers essais virent le jour  pour aboutirent à des prototypes. Ces derniers, dans le début de l’année 1912 convainquirent l’Etat-Major qui décida de la commande d’une  première série de voiturettes à la F.N. de Herstal. Les Grandes manœuvres de  l’été 1913  participèrent à la consécration définitive des chiens de mitrailleuses. La presse de l’époque rendit compte de ces manœuvres et particulièrement du comportement des chiens de mitrailleuses. Ces derniers accomplirent une marche de 30 km avec succès, traversèrent la Meuse en barque sans rechigner avant de gravir les coteaux de la rive gauche sans un  seul aboiement, sans une seule hésitation. L’auteur de l’article « Vilgum », pseudonyme d’un officier de la section canine des Carabiniers-mitrailleurs souligne dans son article que la grande qualité de la traction canine, c’est l’invisibilité presque complète jusqu’à des distances relativement petites…. Vilgum souligne aussi qu’il est arrivé que dans des positions de surveillance, les chiens et les mitrailleurs soient restés dix heures à la même place : pas un mouvement propre à déceler leur présence, pas un aboiement. Il termine son article par un vibrant hommage  aux officiers qui réalisèrent cette nouvelle arme en concevant une voiture extrêmement pratique et en ayant dressé des chiens de trait  à la perfection. C’est donc sans surprise que l’homologation définitive eut lieu fin de l’année 1913 et permit de débuter la répartition des  mitrailleuses et tractions dans les Régiments d’Infanterie.

     La dotation compète des mitrailleuses Maxim 1911 ne fut accordée aux Carabiniers qu’au mois de juin 1914. Le dédoublement des régiments d’Infanterie en Brigade Mixte posa de gros problèmes organisationnels. Il manqua de nombreux officiers et il n’y avait pas assez de chiens entraînés car la guerre fit rester à l’état de projet le vaste chenil qui avait été prévu au camp de Beverloo (Il y avait cependant un chenil dans la caserne prince Baudouin occupée par le premier régiment de Carabiniers).

L’Armée Belge possédait au début de la guerre 120 mitrailleuses tandis que l’Armée Allemande en disposait 12.750 !

La victoire de Haelen en grande partie grâce aux sections canimobiles

     Les sections canimobiles des Carabiniers, les seules qui soient vraiment bien entraînées,  prouvèrent leur efficacité dans les combats autour de Louvain, Malines, Lierre et lors des sorties de l’Armée hors d’Anvers. Le 12 août 14, à Haelen  les Belges durent une grande part de la victoire aux sections canimobiles des Carabiniers. Une d’entre elle, par un mouvement rapide se déplaça pour occuper la rue principale d’Haelen où tentaient  de pénétrer les escadrons ennemis. Rien n’y fit, l’ennemi ne passa pas et le carnage fut horrible !

     Dans les Brigades Mixtes dotées en dernière minute de sections canimobiles, le succès ne fut cependant  pas au rendez-vous car les cadres de ces sections n’avaient aucune expérience des chiens. Incapables de les soigner, de les diriger, les  mitrailleurs virent leurs chiens devenir batailleurs, aboyeurs ou peureux.

La mort héroïque du commandant  Blancgarin

     On connaît la suite de l’histoire : les Belges durent abandonner la place fortifiée d’Anvers pour se réfugier derrière l’Yser. La bataille de Drie-Grachten, le 8 avril 1915 causa la mort héroïque d’un des fondateurs des sections canimobiles, le commandant Blancgarin. En plein milieu du combat, une mitrailleuse s’enraye ; calmement il démonte l’engin et le répare. A 17 heures, le tir s’allonge sur les Belges et le poste est définitivement détruit. Le commandant Blancgarin, mortellement frappé, le corps couvert de poussière de briques, la face ensanglantée, reste étendu derrière la barricade qu’il veut défendre encore. Tombé aux mains de l’ennemi, il meurt le 29 avril à Roulers   (Récit du major Boucha et du capitaine Corvilain).

Hommage à l’Américain Walter Alden Dyer. Aux Etats-Unis, cet écrivain fit connaître le chien belge de mitrailleuse. La vente de son livre, « Pierrot, dog of Belgium » alimentera la Commission for Relief in Belgium

     L’Américain, Walter Alden Dyer (1878-1943) écrivit en 1915  « Pierrot, dog of Belgium ». Ce livre relate l’histoire d’un Mâtin travaillant  dans une ferme avant d’être réquisitionné par l’armée belge pour devenir chien de  mitrailleuse. Ce livre était vendu au profil du « Pierrot Fund » qui alimentait en dons la Commission of Reliev in Belgium. Cette Commission sous la présidence de  Herbert Hoover réussit à fournir une aide conséquente à la population de la Belgique occupée. C’est par bateaux entiers que fut acheminée en Belgique cette aide précieuse qui permit aux Belges de ne pas mourir de faim. A la fin de la guerre le surplus des fonds servit à financer la construction des bâtiments de l’université de Bruxelles et servit à créer l’œuvre Nationale de l’Enfance qui deviendra l’Office National de la Naissance et de l’Enfance.

     « Pierrot dog of Belgium » connut dès sa parution aux Etats-Unis un accueil triomphal et les éditions se succédèrent jusqu’en 1926.   

Dans les centres d’instruction en France

     Les  Belges possédaient des centres d’instruction en France. Le centre de Criel-sur-mer en Seine Maritime permettait l’étude de la mitrailleuse. Les armes utilisées pour le tir d’entraînement étaient à traction hippomobile. En revanche, Oye-Plage (Pas-de-Calais) abritait le centre d’instructions des mitrailleuses Maxim à traction canine. A défaut de Mâtins belges, on avait constitué un chenil hétéroclite par les perquisitions opérées parmi la population canine locale. Les voiturettes étaient hélas de primitives charrettes car on ne passa pas commande de véhicules nouveaux.

Le dernier combat des chiens de mitrailleuses

     Lors de l’offensive d’octobre 1918, les Belges sortirent de leurs tranchées pour chasser l’ennemi de leur patrie. Quelques voiturettes-mitrailleuses Blancgarin participèrent  à l’offensive finale lors des combats que dut mener le 2ème bataillon des Carabiniers le long du canal de dérivation de la Lys.                  

L’hommage aux chiens de mitrailleuses avec le Roi Albert aux Etats-Unis

     En septembre 1919, le Roi Albert et la Reine Elisabeth firent un voyage triomphal aux Etats-Unis. Quatre voiturettes Blancgarin, leurs chiens, leurs servants  les accompagnent ! 

Le chien Mâtin a disparu

     L’utilisation des chiens de trait disparut peu à peu entre les deux guerres. En 1957, la loi en proscrivit l’usage. Il semble bien que la race du chine Mâtin a complètement disparu. Il serait possible de la reconstituer. Les défendeurs du Mâtin espèrent qu’un jour la loi autorise à nouveau un jour des manifestations ou des épreuves sportives de traction dûment contrôlées. Quant à moi, j’espère que le Mâtin deviendra l’animal symbole de la Belgique et qu’il rassemblera les coqs et lions sous sa bannière !

 

Dr  Loodts P, juillet 2010

 

 

 

 

Source :

- Geoffroy de Beauffort, Henri Blancgarin, Max Van de Putte et Walter A. Dyer ;

  « Chiens à la guerre », ouvrages illustrés Orli, 1992

 Ce livre rassemble «  Pierrot chien de guerre », les travaux des lieutenants Blancgarin et Van de Putte ainsi que l’étude de Geoffroy de Beauffort sur les chiens de guerre. Ce livre magnifiquement illustré  par Jean-Marc Autem, est vendu au profil d’une œuvre canine.

 



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