Médecins de la Grande Guerre

Elizabeth L. Banks créa à Londres en 1914 le Christmas Belgian Fund puis fut oubliée...

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Elizabeth L. Banks créa à Londres en 1914 le Christmas Belgian Fund puis fut oubliée…



Elizabeth L. Banks

       Cette Américaine eut son heure de célébrité en pratiquant le « journalisme d’immersion » en se faisant passer pour domestique, cuisinière, marchande de fleurs, repasseuse. Ayant pratiqué ces métiers typiquement féminins, elle écrivait ensuite des articles relatant ses aventures mêlées de réflexions pour améliorer le vécu de ces catégories de travailleuses. A Londres, elle se procura le bonnet et le tablier pour « entrer en condition », comme on le disait jadis pour le personnel de maison. Cela lui procura une série d’articles qu’elle écrivit à la suite l’un de l’autre sous le titre « In Cap and Apron » (Avec bonnet et tablier) et qui parurent dans « The Weekly Sun ». Mais qui était cette journaliste surprenante et émancipée ?

       Elisabeth L. Banks était née dans le New Jersey vers 1872 et, orpheline très tôt, grandit dans une famille apparentée. Jeune fille, elle apprit la dactylographie avec l’espoir de devenir journaliste. En réalité, elle servit d’abord comme secrétaire d’un épicier en gros puis d’un journal « The St. Paul Globe » où elle finit par faire ses premières armes en écrivant dans la rubrique mondaine. Elle passa ensuite quelques mois à Lima en qualité d’assistante de l’ambassadeur américain au Pérou et fournit à cette époque quelques articles à la presse de Baltimore dont, notamment, une enquête sur les diseuses de bonne aventure. Elle finit à se résoudre en 1892 à se rendre en Angleterre, motivée par le fait que son père y avait vu le jour. Vers l’âge de 20 ans, elle débarqua donc à Londres avec pour tout bagage quatre cents dollars, un chien et sa machine à écrire. Le célèbre Kipling venait juste d’écrire un texte contre la frénésie indécente des Américains envers le « Baal des dollars ». La jeune fille, obtint de pouvoir lui répondre dans «The Times », en signant « The american girl in London ».

       Ce fut le début de sa carrière journalistique dans laquelle elle privilégia les enquêtes en immersion. Se faire passer pour une domestique et raconter sa propre histoire avec toutes ses péripéties convenait bien pour un feuilleton de journal. La plume d’Elizabeth séduisit les lecteurs anglais parce qu’elle usait d’humour qui distrayait mais qui en même temps révélait le ridicule de certaines injustices faites aux femmes anglaises qui, sur le plan social, étaient beaucoup moins émancipées que leurs homologues américaines. Elizabeth Banks parvint ainsi à renverser certaines idées reçues, celles des classes dominantes mais aussi celles des classes laborieuses. Ainsi, on affirmait que les balayeuses de rue étaient très riches, que les bouquetières étaient toutes des femmes malhonnêtes et que le linge lavé hors de chez soi pouvait transmettre des maladies graves… Souvent Elizabeth en voulant examiner un préjugé s’attirait les foudres des deux camps. En tout cas, le sujet du travail des femmes comme domestiques était d’actualité puisque selon le recensement de 1891, le personnel de maison en Angleterre atteignait deux millions d’individus dont les trois quarts étaient des femmes !  Elisabeth Banks n’avait pas sa langue en poche. « En bonnet et tablier » lui valut de nombreuses lettres de protestations. Elle critiquait à la fois le despotisme de certaines maîtresses de maison qui imposaient des conditions infernales de travail mais aussi l’exploitation de la naïveté d’une bonne patronne par ses servantes. Plus tard, elle se fit passer pour une riche héritière américaine, offrant une rémunération pour être présentée dans les cercles de la haute société londonienne. En jouant ce rôle, elle dénonçait certains aristocrates anglais vendant leur influence mais aussi les roturières américaines fortunées qui voulaient s’acheter un nom en Angleterre. Le phénomène n’était pas neuf. Il était de bon ton pour une riche héritière américaine de se marier avec un anglais appartenant à la noblesse. Ainsi, en 1874, Jennie Jerome, fille d’un célèbre homme d’affaire newyorkais parvint à épouser le 7ème duc de Malborough. Leur fils fut un certain…Winston Churchill !



Jennie Jerome et son fils Winston Churchill

       D’autres exemples ne manquent pas. En 1895, Consuelo Vanderbilt se mariait avec le 9ème duc de Marlborought et Mary Leiter avec Georges Kurzon, bientôt vice-roi des Indes….

       Elizabeth avec sa plume acérée écrivit pour de nombreux journaux anglais jusqu’en 1897, date à laquelle elle résolut de rentrer en Amérique. Elle travailla alors pour la presse à sensation et continua de nouvelles enquêtes en immersion dont une comme apprentie couturière dans un atelier de misère de l’East Side. Elizabeth fit nombre de reportages dans des endroits habituellement désertés par les journalistes comme les prisons, les hôpitaux et même une morgue.

       En 1911, on la retrouve à Londres où elle s’expatrie à nouveau. Elle vit alors dans un quartier D’Adelphi où elle voisine de nombreux écrivains. Cela lui sera bien utile en 1914 ! Elle travaillait dans l’équipe du journal « The Reference » qui soutenait les grandes causes quand la Grande Guerre éclata. Elizabeth crée alors le « Christmas Belgian Fund » en vue d’aider les milliers de réfugiés belges qui affluaient sur la fière et libre Albion. Notre journaliste avait une méthode inédite pour récolter de l’argent. Elle vendait des livres fournis gratuitement par leurs auteurs et signés par eux. Plusieurs grands écrivains, habitant près de chez elle, vinrent ainsi s’asseoir dans sa cuisine afin d’y apposer leur plus beau paraphe sur les livres qu’ils offraient à l’association. Parmi ceux-ci H.G Welles, Arthur conan Doyle et même, Rudyard Kipling, qui ne lui en voulait plus de lui avoir tenu tête 20 ans auparavant. Elizabeth récolta aussi d’autres fonds en contant les exploits d’un chien belge sur le front (Dick : a dog  of Belgium)



       Après la guerre, Elizabeth devint très critique envers la Grande-Bretagne qu’elle ne voulut cependant pas quitter. En 1928, elle publia aux Etats-Unis (elle ne trouva pas d’éditeur en Angleterre) un livre de réflexion sur son époque « The remaking of a American  1912-1927 ». Ensuite, Elizabeth ne rédigea plus rien. En 1929, elle perdit une chère amie, Mabel Spink avec qui elle avait défendu la cause animale. Elle-même mourut le 18 juillet 1938 au Surrey County Hospital près de Londres. Le certificat de décès parle d’artériosclérose cérébrale et de sénilité. Il se pourrait qu’elle ait donc perdu la mémoire dans les dernières années de sa vie, peut-être à cause d’une maladie d’Alzheimer. Quand elle disparut, personne en Angleterre ne se souvint de l’« American Girl in London » qui avait passionné de nombreux lecteurs de journaux dans les dernières années du règne de Victoria.

       A ma connaissance, elle sombra aussi dans l’oubli des Belges pour lesquels elle s’était dévouée pendant la Grande Guerre. Elle aurait bien mérité une petite décoration de notre patrie ! Puisse ce petit article l’honorer !



« Dans la peau d’une domestique anglaise » enquêtes en immersion d’Elisabeth L. Banks publié en français en 2018 par les éditions Payot (titre original Journalistic Adventures of an American Girl in London, 1894). Les reportages d’Elizabeth L. Banks restent de nos jours très passionnants à découvrir !

Dr Loodts P.

 

 



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