Médecins de la Grande Guerre

Août 1914 dans les communes faisant maintenant l’entité d’Oupeye.

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Août 1914 dans les communes faisant maintenant l’entité d’Oupeye[1]

Hermée.


L’église de Hermée

       Une des premières localités qui fit la connaissance des procédés de la « Kultur » fut Hermée, située à une demi-lieue du fort de Pontisse, qui avait si magnifiquement entravé la traversée de la Meuse. Le soir du 5 août trois régiments, arrivés dans le plus grand silence, allaient tenter l'assaut du fort.

       Ils furent accueillis par une canonnade qui dura de 1 à 4 heures de la nuit. C'est à ce moment que les soldats du Kaiser commencèrent à se venger de leur échec sur les habitants de Hermée. Après avoir transporté leurs blessés dans l'église, ils mirent le feu à diverses grandes fermes et maisons, chassant les occupants et en fusillant une douzaine, parmi lesquels deux octogénaires.

       D'autres furent emmenés comme prisonniers par les troupes en retraite. Le curé, M. Paisse, qui avait passé la nuit et les jours suivants à soigner les blessés, fut arrêté comme otage avec le bourgmestre.

       Le 14, arrivèrent de nouvelles troupes.

       Après avoir rassemblé toute la population sur la place, le major lut une proclamation, écrite en français, où il était dit « que des soldats avaient été assassinés dans cette commune, ou dans celle de Vivegnis, que les maisons allaient être visitées et que là où on trouverait des armes, les propriétaires seraient fusillés et qu'ensuite tout le village serait détruit ». On trouva un fusil de chasse et un revolver dans des maisons, abandonnées depuis le 4 août. Les autres griefs mis à charge de la commune étant successivement réduits à néant par des preuves irréfutables, on vit le major énervé lever les bras en s'écriant: « Il est possible qu'il y ait malentendu, mais je dois exécuter l'ordre que j'ai reçu » ! Et le pillage commença, suivi de l'incendie auquel les habitants chassés purent assister de loin jusque dans la nuit. Cent quarante-six maisons, soit la moitié du village, furent détruites par les flammes. Ce fut l'œuvre des 89e, 90e, 31e et 36e régiments d'infanterie[2].

Vivegnis.


Le thier d’Oupeye

       Le supplice de Hermée ne devait d'ailleurs pas constituer la rançon de Vivegnis, village voisin situé au pied du fort de Pontisse. Puisqu'un crime avait été commis dans une des deux communes, c'était bien le moins qu'on les rasât toutes deux. Au demeurant, le jour même de la reddition du fort, le 13 août, un soldat allemand avait été abattu par un soldat belge et pour l'expiation de ce fait de guerre, la famille Bodéus-Cap, dont l'habitation se trouvait à proximité, fut massacrée par un peloton de casques à pointe survenu entretemps.

       Le lendemain, sur l'ordre de nouvelles troupes, toute la population fut brutalement rassemblée au lieu dit « Basse Campagne ».

       On y voyait de pauvres infirmes transportés sur des brouettes ou des charrettes à bras, des femmes en état de grossesse avancée, des petits vieux marchant sur des béquilles, tous encadrés de soldats-bourreaux qui leur criaient les seuls mots français qu'ils eussent employés jusque-là : « Vous autres, tous fusillés, tous kapout ! » Au moment où l'on croyait que la fusillade en masse allait commencer, le curé, M. Demarteau, et un notable de l'endroit, M. Michel, secrétaire de la Fabrique Nationale d'armes de guerre, qui s'exprimait en allemand, demandèrent à l'officier quels étaient les motifs de leur arrestation. L'officier voulut bien les faire connaître – c'étaient les éternelles rengaines de francs-tireurs et d'atrocités commises sur des blessés. – M. Michel n'eut aucune peine à démontrer l'inanité de toutes ces accusations. L'officier, gêné, lui répondit qu'il fallait tout au moins donner un semblant de satisfaction à la soldatesque et qu'il allait faire incendier quelques maisons.

       On lui montra le village en feu. Qui avait donné l'ordre d'incendier ? Un gros sergent à lunettes et un jeune sous-lieutenant prétendirent que c'étaient les habitants eux-mêmes qui avaient mis le feu à leurs habitations ! Des cyclistes furent envoyés pour circonscrire les foyers d'incendie. C'est ainsi qu'il n'y eut à Vivegnis qu'une bonne cinquantaine d'immeubles brûlés[3] et six civils tués. Tous les autres furent renvoyés chez eux et l'on vit alors se produire un phénomène, qui se répétera ailleurs plus tard et dont on mettra l'authenticité en  doute. Ces braves gens étaient tellement convaincus qu'on allait les fusiller que la brusque annonce de leur libération les mit dans une joie folle et leur fit pousser des bravos frénétiques[4].

Heure-le-Romain.


Intérieur de l’église

       Dans la journée du 15 août, de nombreuses troupes traversèrent la jolie commune, qui jusque-là n'avait pas eu à souffrir beaucoup du passage des Allemands. Des milliers de soldats s'y arrêtèrent pour y passer la nuit. Ils mangèrent énormément et burent encore davantage. A la tombée de l'obscurité, des coups de feu furent tirés. On accusa la population et les coups de crosse de pleuvoir sur les portes avec ordre d'ouvrir et d'éclairer les fenêtres. Deux frères furent fusillés stante pede, avec leurs deux fils et leurs maisons réduites en cendres. Deux vieillards furent ligotés sur leurs chaises, tandis que le feu était mis à leur habitation. Des voisins purent les sauver au péril de leur vie. Deux femmes, qui s'étaient réfugiées sur un toit, y furent impitoyablement abattues. Leurs corps roulèrent dans la gouttière. Entretemps une trentaine d'otages furent pris, parmi lesquels le curé Janssens et le frère du bourgmestre, M. Léonard, âgé de soixante-dix ans. On les enferma dans une cave, après leur avoir fait subir d'ignobles traitements.

       Le lendemain matin toute la population fut conduite à l'église, où elle passa vingt-quatre heures en proie aux affres de la faim et de la terreur. A chaque instant les soldats venaient annoncer qu'ils allaient être tous fusillés. Une mitrailleuse fut même chargée et braquée à l'entrée de l'église. Un soldat apporta un bidon d'essence dans la tour. Au cours de la journée, les Allemands apprirent qu'il existait dans le village une société de gymnastique catholique, qu'ils soupçonnèrent être un corps de francs-tireurs. Ils enjoignirent au curé de leur livrer la liste des membres pour leur permettre d'en choisir un certain nombre qui seraient fusillés. Et nous trouvons ici un exemple de ce magnifique esprit de sacrifice dont les Belges se montrèrent si prodigues au cours de la guerre. Malgré toutes les menaces et toutes les promesses, le curé Frans Janssens refusa de livrer aux bourreaux ses jeunes paroissiens innocents et il marcha lui-même crânement à la mort, s'offrant en holocauste pour sa paroisse, tandis qu'à ses côtés tombait le septuagénaire Antoine Léonard, qui, par un admirable subterfuge, s'était fait passer pour son frère, le bourgmestre, plus âgé que lui encore et, en plus, infirme et malade. Ah ! les sublimes sacrifices !

       On ouvrit ensuite les portes de l'église, et les habitants purent constater à l'aise que, pendant leur absence, leurs demeures avaient été abominablement saccagées et pillées.

       Le 18 août, le carnage recommença avec une véritable furie. Vingt-cinq personnes, hommes, femmes et enfants furent massacrés lâchement. Un plus grand nombre furent blessées. Près d'une centaine de maisons furent incendiées, après avoir été aspergées de naphte ou de pétrole. Les scènes de meurtre qui se déroulèrent alors dans le village défient toute description. Des paralytiques furent carbonisés dans leur fauteuil. Des mères furent assassinées avec leurs nourrissons. Des enfants furent tués à bout portant tandis qu'ils donnaient à boire aux chevaux de leurs bourreaux. Ce fut d'une sauvagerie sans nom !

       Quelques jours après, le docteur Walle, de l'ambulance de la Fabrique Nationale d'Armes de guerre à Herstal, ayant reçu la visite d'officiers supérieurs, ne put s'empêcher de leur raconter la tragédie d'Heure-le-Romain. Et comme les Teutons cherchaient à les justifier par l'éternelle excuse des francs-tireurs, le médecin leur répondit qu'il en avait un en traitement. Intrigués et curieux de voir un de ces phénomènes dont on leur avait tant parlé, mais qu'ils n'avaient pas encore réussi à découvrir, les officiers se firent conduire dans la chambre du patient. Alors le médecin leur apporta l'enfant Tasset, un bébé de cinq mois, qui se mourait d'une balle reçue dans le ventre[5] et qui alla rejoindre son père âgé de vingt-quatre ans et sa mère qui n'en avait que vingt !

       Non, Ramaekers n'a pas exagéré.....

Haccourt - Hallembaye .


Haccourt, rue des Ecoles

       Pas plus qu'à Heure-le-Romain, l'attitude des troupes qui défilèrent à Haccourt et Hallembaye, dans les premiers jours de la guerre, ne permit pas de prévoir les atrocités dont se rendraient coupables celles qui les suivraient. Un jeune homme pendu le 6, deux maisons brûlées le 8, un petit vacher de quatorze ans blessé et maltraité, quelques civils brutalisés, voilà les seuls crimes qu'on pût mettre à leur charge dans la première quinzaine du mois.

       Dans la soirée du 16, on rassemble les habitants de Hallembaye pour leur montrer le terrifiant spectacle de l'incendie de Visé, qui devait servir d'avertissement à tous ceux qui auraient des velléités de braver l'autorité allemande. Le lendemain, de nouvelles troupes se répandirent en menaces contre les habitants, parce qu'elles avaient vu un cheval allemand tué, sans se demander si la vieille haridelle n'avait pas été abattue – comme c'était le cas – par leurs propres frères d'armes.

       Mais on n'en resta pas aux menaces. Les soldats se répandirent bientôt dans le hameau et, après avoir mis à sac la plupart des maisons, ils en incendièrent un grand nombre et tirèrent sur les malheureux habitants qui fuyaient : dix-sept d'entre eux furent abattus parmi lesquels cinq femmes. Une cinquantaine de villageois, y compris le bourgmestre, le docteur Donnay, furent emmenés comme prisonniers de guerre. Le curé, M. Edmond Tielen, fut tué, en même temps qu'un garçonnet de quinze ans, au moment où il allait pénétrer dans la chapelle.

       Voulez-vous connaître maintenant la version allemande de ces assassinats ? Écoutez M. le professeur docteur Bickel dans le Berliner Tageblatt (10 septembre 1914), c'est-à-dire un personnage considérable écrivant dans un des journaux les plus pondérés de l'Allemagne :

       « En traversant Haccourt - Hallembaye, sur la rive gauche de la Meuse, je songe comment – c'était le 18 août – par  une des belles journées d'été dont nous jouissions en règle générale à cette époque, nous fûmes brusquement exposés au feu dirigé sur nous, d'une paisible place gazonnée non loin de l'église, par une bande d'habitants : il ne servit de rien qu'une partie de ces gens fût mise à mort par nos fantassins et qu'une autre fût faite prisonnière. Bientôt des Coups de fusil partaient de l'église même, si bien que notre artillerie dut intervenir. Le toit de la nef flamba aussitôt ; à l'intérieur du chœur, nos soldats, qui avaient pénétré dans l'église, trouvèrent le curé tué par un éclat d'obus et d'autres habitants blessés. Ces derniers furent emmenés avec les autres. C'est le curé qui aurait organisé la résistance des gens, qui les aurait fait entrer dans l'église et qui aurait machiné le complot contre nos troupes. »



Vue de Hallembaye

       Le lecteur, neutre jusqu'au bout, placé entre ma version et celle de M. le professeur Bickel, hésitera malgré tout, les deux relations émanant de parties intéressées. Aussi vais-je m'empresser de le tirer d'embarras en lui communiquant l'opinion du ministère prussien de la guerre sur le récit de M. Bickel[6] :

       « L'enquête a donné le résultat ci-après :

       » Le curé de la commune d'Haccourt n'a pas organisé la résistance des habitants ; il ne les a pas fait entrer dans l'église et il n'a pas machiné le complot contre nos troupes. Il n'a pas été tué par un éclat d'obus dans l'église de l'endroit. Il n'y a eu absolument aucun combat en ce lieu. Par contre, nos troupes ont essuyé des coups de feu pendant leur traversée d'Hallembaye, qui est situé à un kilomètre au nord de Haccourt. Hallembaye fut incendié par nos troupes. Le curé de Haccourt, qui, accompagné d'un garçon de quinze ans, marchait à côté d'une colonne de voitures à laquelle il montrait le chemin, entendit les détonations d'Hallembaye et vit le village brûler. Il s'empressa de gagner avec son jeune compagnon une chapelle qu'il y avait là ; c'est à cet endroit qu'une balle perdue l'atteignit, ainsi que le garçon à ses côtés. »

       Le ministère prussien aurait au moins dû dire : « deux balles perdues (?) » Car il est peu probable que la même balle ait tué le curé et son jeune ami !

       Divers autres villages de la rive gauche de la Meuse ou des environs immédiats de Liège, Herstal, Lixhe, Fexhe-Slins[7], Hermalle-sous-Argenteau, Cheratte, Flémalle-Grande, etc., eurent à souffrir cruellement de l'invasion, tant pendant l'attaque des forts qu'à la suite de leur reddition. Mais la relation deviendrait banale, à force de se répéter, car les procédés de la soldatesque étaient partout les mêmes et pourraient se résumer en quatre mots : vols, destructions, incendies, assassinats.

 



[1] Tiré de : La Belgique et la Guerre. I La vie matérielle de la Belgique durant la Guerre Mondiale.

[2] Fr. Olyff, op. cit., et de Thier et Gilbart, t. II, p. 78.

[3] Fr. Olyff,  La Belgique sous le joug, p. 95.

[4] Voir le récit de M. Michel dans de Thier et Gilbart, t. II, p. 223

[5] Fr. Olyff, op. cit., p. 83. de Thier et Gilbart, t. II, p. 104.

[6] La réponse datée du 13 février 1915 est adressée au bureau d'informations Pax et reproduite par Van Langenhove.

[7] Trois assassinats et tortures morales épouvantables infligées au bourgmestre, M. Martin Sauveur, et à la plupart des autres habitants.



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©