Médecins de la Grande Guerre

Des soldats belges écrivent sur Gaillon et les environs

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1914-1918 :

Gaillon et sa région aux côtés de la Belgique

Jean Baboux
Jean-Louis Breton
Patrick Loodts
Isabelle Masson-Loodts
France Poulain

Des soldats belges écrivent sur Gaillon et les environs

                                                                                                  Jean-Louis Breton

Si les murs du château ont conservé quelques traces du passage des soldats belges de 1915 à 1919, ces derniers ont-ils par ailleurs laissé des écrits dans lesquels ils parlent de la ville et de la région qui les ont accueillis ?

Cartes postales

       De nombreuses cartes postales renferment des informations souvent très courtes car ne constituant pas l'essentiel des correspondances surtout consacrées aux nouvelles d'ordre personnel. En voici quelques exemples: 26 janvier 1915 : « Je suis bien arrivé à Gaillon cette nuit à 11 heures, bien fatigué. Je vous envoie une vue de Gaillon, avec en haut le grand bâtiment, la caserne, où je suis logé. [... ] Le pays est très beau, et nous pouvons sortir de 6 à 9 heures tous les jours. Il fait très gai au village. On dirait qu'on est dans une ville », caporal I. Van Looy.



Carte envoyée par le caporal I. Van Looy.

       19 mars 1916 : « Me voici installé à Gaillon. [... ] Le pays est admirable, aussi cela compense les âpretés du métier », sergent Émile Alament.

       26 février 1917 : « Le patelin est fort joli, genre environs de Folkestone. Les habitants sont agréables avec nous mais nos occupations nous laissent peu de temps pour vraiment faire connaissance avec eux », sergent Ch. Wyspreyst.

       Effet de contraste avec les conditions de vie vécues sur le front ?  Volonté de rassurer leur famille ? Prise en compte de la censure militaire qu'ils savent réelle sur tous les courriers envoyés ? En tout cas, les auteurs de ces messages sont toujours très élogieux quand ils évoquent l'environnement du CISLA.

Lettres et carnets

       Dans les notes rapidement écrites sur son agenda et publiées après la guerre par son fils, Jacques Mechelynck-Masson[1] n'est pas beaucoup plus bavard :



Agenda de Jacques Mechelynck-Masson. Semaine du 4 au 10 juillet l915.

       Lundi 7 juin 1915 : « [...] La caserne est un ancien château des archevêques de Rouen. Le bâtiment d'entrée est du très beau François 1er.  Les environs sont très jolis. Montagnes boisées, vallée de la Seine, Vernon, Les Andelys. Petits villages montagnards : Saint-Aubin, Sainte-Barbe, le Roule .... ».

       Étonnant de voir les collines élevées au rang de montagnes ! Mais n'oublions pas que Jacques Brel parlait de la Belgique comme d'un « plat pays ».

       « Samedi 7 août 1915 – Discours final du commandant, sur la bataille de Waterloo. Puis proclamation des résultats. Je suis nommé adjudant à la date de demain. À la sortie de la caserne, le commandant nous serre la main à tous. Puis nous défilons en ville, clairons sonnants. On offre des bouquets... ».

       La lecture des lettres que René Glatigny envoie à sa marraine de guerre, Blanche Sarcey entre le 25 février 1918 et le 25 juillet de la même année, va-t-elle permettre d'en savoir plus sur la façon dont les soldats belges percevaient Gaillon et ses environs ?

       Dans sa première lettre René Glatigny écrit simplement : « Et me voici dans un nouveau coin de France, dans l'Eure à Gaillon. La première impression est très bonne, pourvu qu'elle dure ».

       Il faut attendre le 8 avril pour lire : « Hier le temps s'est assez bien maintenu tout l'après-midi. Avec quelques amis, nous en avons profité. C'est très joli, les rives de la Seine. Les coteaux sont couverts de gigantesques bouquets blancs. Seuls, les bocages sont encore silencieux. Néanmoins, on goûtait avec pour ainsi dire une sensualité ce retour de la vie. On goûtait cette vie, on se sentait soi-même renaître, mais le vide était quand même au cœur. Ce costume qu'on est fier de porter maintenant vous fait trop penser à cette étreinte, à cette soumission. Qu'on voudrait être libre pour jouir de cette nature, à sa guise. On a bien, certes, quelques bons camarades à qui on peut confier ses sensations. Mais la caserne n'est pas une suite de divertissements : c'est plutôt une suite de luttes et d'intrigues ». Le 13 avril, il termine par cette phrase : « Demain dimanche puisse le soleil se mettre de la partie car la Seine est belle pour le moment, les excursions très jolies, très goûtées surtout qu'elles rappellent un peu le chez-nous ».



Encadrés par le maire de Gaillon et la député-bourgmestre de Walcourt (Belgique), les descendants de René Glatigny ont assisté aux journées des 25 et 26 avril 2015. Ils n'ont pas manqué de poser devant la photo de ce dernier qui était en bonne place dans l'exposition présentée par l'ARC

       Le 27 avril, René Glatigny revient sur le lien au pays natal : « Hier, j'étais allé promener vers les Andelys dans la colline boisée. De là, on dominait toute la vallée. La Seine à nos pieds déroulait ses méandres à travers un fouillis de bouquets et de verdure. Cela me rappelait la Meuse à Namur et en cette saison elle est fort jolie. Et, à franchement parler, je restai longtemps à contempler ce paysage. Mais cette coïncidence de ressemblance ne me donnait pas satisfaction, il y manquait quelque chose.

       Depuis quelques années, j'ai assez bien voyagé et j'en suis venu à cette idée : tous les pays se ressemblent. Les bouleversements de la nature sont tous du même modèle : seuls les traits sont plus accentués ici que là, suivant la fantaisie du sculpteur : le temps. Ce qui donne le charme au pays et qui fait qu'on aime mieux sa mère quand on connaît celle de ses amis, c'est la couleur locale donné par les mœurs et la vie de « chez nous ». Et c'est ainsi que lorsqu'on retrouve un paysage analogue à son patelin, au lieu de se retrouver chez soi, on se sent étranger et dans le cœur chante la nostalgie ».

       Même si ces trois passages n'apportent pas des renseignements originaux sur Gaillon et ses environs, leur intérêt est de montrer que des « exilés » ne lisent et ressentent les paysages qu'à travers le filtre des images qu'ils gardent « du pays » et que cette vision contribue à leur état moral. Mise à part une courte allusion à un arrêt à Bonnières « village devenu belge » d'où il revient « le cœur joyeux » après avoir rencontré des ouvriers « du pays de Charleroi », René Glatigny ne fera plus aucun commentaire sur Gaillon et les environs.

       L'étude détaillée des deux textes ci-dessus montrent que pour beaucoup d'élèves du CISLA les préoccupations se centraient sur la famille restée en Belgique, le devenir de la patrie, le contenu des cours, la vie quotidienne au sein du château et la perspective de retourner au combat. Les liens avec l'environnement et le milieu local étaient assez anecdotiques. Ce constat mériterait d'être confronté à la lecture d'autres lettres, d'autres journaux personnels.



Le 7 avril 2015 un descendant de René Glatigny a pris cette photographie ; avant de regagner la Belgique, il a voulu aller à Château-Gaillard voir le paysage que son aïeul avait décrit dans sa lettre du 27 avril 1918 et qui avait aussi séduit, beaucoup d'élèves officiers venus à Gaillon.

Un document inédit[2]

       Le dimanche 19 novembre 1916, c'est la fête au CISLA. Les élèves officiers ont écrit une revue et ils la jouent devant un important public composé des notables gaillonnais tels le maire, de nombreux élus, le directeur de l'usine Rémy et... beaucoup de commerçants.

       Dans le prologue, dit devant le rideau fermé, un avertissement solennel est lancé :

« Mais il faut prévenir (il est des gens sensibles !)
Que, dans tous nos couplets, nous avons pris pour cibles
Vous tous qui remplissez notre salle aujourd'hui !
Bien peu échapperont aux traits bien réussis
Que nous leur décocherons ! Nous serons vifs parfois,
Et même un peu mordants, mais sachez, pour une fois,
Mesdames et Messieurs, que je viens avertir
Tous ceux qui sont grincheux, qu'il est temps de sortir !
S'il en est qui pourraient attraper quelque crise,
En se sentant touchés, le médecin de service
Me prie de faire savoir qu'il tient à rire aussi
Et qu'il ne s' dérangera que pour un cas subit ! »

       Au deuxième acte, tout commence bien. Un chanteur entonne l'air des Cloches de Corneville et proclame :

« Ce paysage
Qui là s'étage,
Fier et sauvage
Charme et ravit.
J'admir' la Seine
Calme et hautaine,
Comme la reine
De ce pays.
Beauté divine
Que les co' lines
Qui la dominent
De toutes parts,
C’est féerique !
Là-bas tragique,
Se dress’ l’antique Château Gaillard »

       Puis survient la scène annoncée dans le prologue. Sur des airs différents plusieurs comédiens-soldats jouent des commerçants qui s'émeuvent d'un bruit qui court dans Gaillon : le CISLA va partir !

       Parmi eux, le pâtissier se désole :

« Ainsi c'est décidé
L’ Cisla va nous quitter.
Qu'allons-nous d 'venir sans l'école ?
Les commerces, les petits profits,
Les bénefs, c'est fini.
Ah cette nouvelle m'affole.
Mes éclairs et mes choux,
Mes mokas à 8 sous,
Mes babas et tout' ma cochonn' rie
Vont m' rester sur les bras,
Car ceux d' Gaillon n' mangent pas
D' l'aussi chèr' pâtisserie.»

       Quand les protestations des Belges sont évoquées, le marchand de vélos semble les comprendre :

« Pourtant, ils n'ont pas tort,
Car nous les volons fort,
Eux qui pour nous s' mirent en guerre ;
Nous d' vrions, bien au contraire,
Tâcher d' les satisfaire
Et leur vendr' nos salop' ries moins cher. »

       La scène s'achève par le chœur des commerçants qui, c'est probable, n'a pas fait rire tout le monde...

« Depuis deux ans qu' dans cette école,
Brave petit Belge, nous t'avons,
Tout le monde à Gaillon rigole
Et ramass' rudement du pognon,
Tu n' regardes pas c' que tu dépenses ;
Tu penses si nous en profitons.
Aussi avant que tu n' quittes la France,
Tous nous voulons te chanter cett' chanson :
Au r' voir et merci !
Merci, merci !
Avec c' que tu nous laisses,
Nous vivons à l'aise !
Au r' voir et merci. »

       Avec ce texte nous sommes bien loin des commentaires lénifiants relevés dans les cartes postales. Comme toute satire, il contient à coup sûr une part de vérité…

Seule une étude rigoureuse et approfondie, à ce jour jamais entreprise et à peine effleurée dans cet article, permettrait d'approcher la réalité des liens que les soldats belges de passage à Gaillon avaient tissés avec la région et les habitants qui les accueillaient.



Couverture de la brochure qui contient l'intégralité des textes de la revue imaginée et écrite par les élèves du CISLA

 

 



[1] Jacques Mechelynck, Carnets de campagne, transcrits et édités par son fils André L. Meclrëlynck. Le texte est consultable sur Internet.

[2] Il peut être consulté sur le site de Klaus-Peter Pohland



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