Médecins de la Grande Guerre

Le Dr Duwez Maurice alias Max Deauville (1881-1966)

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Relisez Max Deauville qui vient d’être réédité.

Quatre-vingts ans après la fin de la guerre 14-18, le spectre des guerres ne s'est pas encore définitivement éloigné de l'Europe. Le témoignage des "anciens combattants" reste donc toujours d'actualité pour nous rappeler la totale absurdité des guerres exécutées pour conquérir ou garder un pouvoir sur une autre nation ou sur une fraction de sa propre nation. Le Dr Duwez fut en Belgique un témoin privilégié de ce que fut la Grande Guerre pour le simple combattant. Engagé volontaire, il fit la campagne autour d'Anvers puis la retraite jusqu'à l'Yser. Le front stabilisé, il restera médecin de bataillon, et partagera jusqu'à la fin de la guerre la vie des poilus dans les tranchées. Son récit "Jusqu'à l'Yser" publié durant la guerre à Paris, chez Calmann-Levy, fut malgré la censure qui supprima de nombreux passages un très grand succès. Pour le Professeur Henri Bernard, qui enseigna longtemps l'histoire à l'École Royale Militaire, le Dr Duwez fut l'un des rares écrivains de guerre qui n'a pas succombé à l'ambiance de l'époque en décrivant une guerre irréelle et sur-idéalisée. Dans la préface que le Professeur Bernard écrivit en 1964 pour la réédition de "Jusqu'à l'Yser" on peut y lire ces phrases qui constitue le plus bel hommage que l'on puisse rendre à notre confrère:

"Les ouvrages de Max Dauville furent proscrits dans les bibliothèques militaires de la guerre 14-18, parce que considérés comme néfaste au moral! (...). Pour ma part, en tant que professeur d'histoire et en particulier d' Histoire militaire, j'estime que des ouvrages vécus comme "Jusqu'à l'Yser" , doivent être lus par tous les officiers - sans oublier les officiers-médecins - et sont autrement profitables que maints ouvrages, dits scientifiques, de haute stratégie, péremptoires souvent, pédants parfois, et dont les recettes risquent d'être un jour, à nouveau démentis par les faits.(...) La guerre romancée "avec "drapeaux déployés et flamberges au vent "est une fiction. La guerre, ce n'est pas seulement l'ennemi invisible et meurtrier, c'est aussi la vie pénible et monotone. C'est l'ennui, la malpropreté, les parasites. C'est l'angoisse de la mort. C'est l'angoisse de la vie: les ménages brisés, les soucis matériels, l'incertitude quant a son avenir et celui des enfants.(...) . A toutes les pages de "Jusqu'à l'Yser" , il (l'officier) puisera des leçon de choses."

Alors chers confrères, si vous avez l'occasion de lire ou de relire les oeuvres de ce grand témoin des misères de l'homme, n'hésitez pas car son message, toujours d'actualité, provient d'un récit vif et captivant....Max Deauville ne commente pas la guerre, il nous la fait revivre en peignant de multiples tableaux composés de phrases courtes, incisives et colorées. Un grand écrivain donc mais certainement aussi un homme sensible et fraternel qui eut le don de vibrer au diapason de ceux qui l'entouraient. Quel merveilleux hommage aux brancardiers que ces mots:

" Près de la ferme Dormael une équipe de brancardiers avance péniblement. Les hommes sont exténués. Celui qui n'a jamais porté un brancard ne peut se rendre compte du poids qui s'abat sur son épaule. Celle-ci se meurtrit au bout de peu de temps. Le poignet qui cherche à la soulager est bientôt vaincu par la fatigue. Le bois alors pèse de tout son poids sur l'os. Il faut s'arrêter, déposer le fardeau et changer de place avec le voisin pour se servir de l'autre épaule. Tout autour, les soldats sont couchés, tandis que, petit à petit les brancardiers avancent. Les balles sifflent à leurs oreilles..." (page 59)

Dans ce témoignage, le Dr Duwez s'apitoie sur le poids des civières que doivent supporter les brancardiers; dans un autre récit c'est le poids des misères supportées avec courage par les fantassins qui retient son attention :

"Pour les hommes le régime est éreintant. Leurs quatre nuits de piquet se passent à travailler. Chaque soir du demi-repos ils partent faire des terrassements en seconde ou en troisième ligne. Dix kilomètres pour revenir, en plus des heures passées à pied d'œuvre. Pendant les quatre jours de première ligne, tout le monde veille la nuit entière, les uns dans la tranchée, les autres aux petits postes. Là, les sentinelles restent pendant huit heures de faction, plantées dans la boue froide. Souvent, quand elles seront relevées, il faut les emporter, car elles ont les pieds gelés. Cela fait douze nuits consécutives sans sommeil. Les corvées se font toutes à deux km de la première ville. Les charrois ne peuvent aller plus loin. Les hommes doivent en outre assurer le service du Decauville, pousser les wagons, décharger les matériaux, reconstruire les abris démolis par le bombardement. Il faut remplir des sacs, refaire les parapets qui s'éboulent, creuser des boyaux, couper et entasser des gazons. C'est un travail de Pénélope. L'ennemi, l'inondation, la pluie, détruisent en un jour le travail de plusieurs nuits. Ajoutez à cela les relèves sac au dos, les exercices au cantonnement, en plus la misère, et vous aurez une idée du poids qui pèse sur un fantassin." (page 299)

Le Dr Duwez n'est pas seulement un écrivain à l'âme sensible, il est aussi un médecin dévoué qui, au front ne remet jamais en question son humble travail consistant à panser et à diriger l'évacuation des blessés. Il trouve les mots justes pour décrire son travail :

"Nous devons prêcher la patience, le calme, nous glisser à moitié cassé en deux, dans un équilibre instable, couper les vêtements, déchirer les linges et panser les plaies, toujours des plaies, les unes petites, rouges, avec un bord ecchymotique, d'autres profondes presque noires, avec des esquilles blanches comme des éclats d'ivoires dans le fond. Et par celles qui trouent les plèvres, l'air en bulles rouges glougloute à chaque inspiration. Mes mains sont rouges de sang. Dans la dernière des cabanes, plus grande que les autres, une sorte de petite étable, ils sont en rangs, alignés, et le dernier, un Allemand, le plus près du fond, s'accroche à moi avec terreur. Dans l'ombre se dressent deux grandes formes aux petits yeux luisants. Il y a là deux énormes cochons qui grognent et avancent le groin.

- Allons, du courage, voilà les brancardiers.

En effet, cinq équipes sont là qui cherchent le chemin. Les supplications se font plus pressantes. Chacun aura son tour. Les plus gravement atteints doivent partir d'abord. Il faut rentrer dans les gourbis, et arc-bouté empoigner l'un ou l'autre par le collet de la capote, à deux mains , pendant qu'un infirmier resté à l'extérieur tire l'homme par les pieds.(...) (page 117)

Qui fut en définitive le Dr Duwez ?
Sans doute un homme qui comme tant d'autres fit son devoir dans une guerre qu'il abhorrait :

"La boue a tout englouti et il n'est resté que des malheureux, des esclaves armés, trop incertains du succès d'une révolte pour oser la tenter. Malgré cela ils tiennent parce que dans le cœur de l'homme reste enracinée la certitude de son importance." (page 251)

"La guerre n'est que le suicide misérable d'une foule en folie. Ses remous sanglants ne servent que les intérêts de ceux qui la dirigent. Et même s'il faut qu'un jour pour sauver un pays ou l'honneur, de nouveaux soldats prennent les armes, pourquoi leur mentir, pourquoi faire miroiter devant leurs yeux le mirage de la gloire et de l'héroïsme?" (page 252)

Le Dr Duwez n'était cependant pas un défaitiste, interrogé par la Télévision belge peu avant son décès en 1966, il répondait au journaliste qui lui demandait avec une sorte d'espoir de scandale, si les hommes se plaignaient durant l'épreuve du feu : - " Non, ils étaient là pour faire la guerre , ils la faisaient." Et il ajoutait avec le regard du médecin qui a vu souffrir et mourir beaucoup de pauvres hommes dans une tranchée bombardée ou sur un lit mouillé de fièvre: - "C'est étonnant, vous savez, combien l'homme sait souffrir..."

Au cours de la Grande Guerre, 250 brancardiers perdirent la vie à vouloir sauver celle des autres. Les témoins qui restent en vie se comptent sur les doigts d'une main. Le 29 avril 1998 s'est éteinte à Uccle Olga de Hollogne, elle était le dernière survivante des infirmières militaires belges du front de la guerre 14-18.

Site officiel consacré à Max Deauville.

Site des Editions De Schorre.

Sources
1) Max Deauville, Jusqu'à l'Yser, « La boue des Flandres et autres récits de la Grande Guerre »

2) Max Deauville, La boue des Flandres, Pierre de Méyère Éditeur, Bruxelles

3) Robert Merguet, Max Deauville, écrivain-médecin, La revue matinale, février 1966



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