Médecins de la Grande Guerre

Les Convalescents Belges à l'abbaye de Fontgombault.

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Les Convalescents Belges à l'abbaye de Fontgombault.

L’abbaye de Fontgombault. (collection Jérôme Charraud)

Un groupe de convalescents. (collection Jérôme Charraud)

Cour ombragée de l’hôtellerie. (collection Jérôme Charraud)

Le cloître devenu chambrée de convalescents. (collection Jérôme Charraud)

Rencontre du corps médical et de ses amis. (collection Jérôme Charraud)

Jardin central, au fond l’hôtellerie. (collection Jérôme Charraud)

Dans la même cour, bain, hydrothérapie. (collection Jérôme Charraud)

Les rochers de la route vers l’abbaye. (collection Jérôme Charraud)

La pharmacie et la salle d’opération grave. (collection Jérôme Charraud)

Cour ensoleillée de l’hôtellerie. Autre stand. (collection Jérôme Charraud)

Cour ensoleillée de l’hôtellerie en 2010. (photo Dr Loodts)

Une autre vue du cloître . (collection Jérôme Charraud)

La nef convertie en salle d'hôpital

En entrant par la porte de gauche du porche, le parvis converti en réfectoire

Avenue de l'hôpital belge. (collection Jérôme Charraud)

Article du journal, du 7 mars 1984, concernant le transfert des corps de nos combattants vers le cimetière d’Auray

Discours par Mr Tissier, Maire de Fontgombault

Haie d’honneur devant les cercueils sur le camion.

L'entrée de l'abbaye en 2010. (photo Dr Loodts)

L’abbaye. (photo Dr Loodts)

Recueillement. (photo Dr Loodts)

Maisons d’hôtes autour de l’abbaye. (photo Dr Loodts)

Les moines de l’abbaye. (photo Dr Loodts)

La Creuse. (photo Dr Loodts)

Le moulin de l’abbaye. (photo Dr Loodts)

Réfectoire pour les hôtes. (photo Dr Loodts)

La Creuse et le moulin de l’abbaye sur la gauche. (photo Dr Loodts)

Les Convalescents Belges à l'abbaye de Fontgombault[1]

     C’est à Fontgombault, dans une vieille abbaye qui est un monument historique des plus curieux et des mieux restaurés – elle appartient à M. Bonjean, le magistrat et le philanthrope parisien bien connu – que le gouvernement belge a installé une de ses plus importantes stations de convalescents. Au bord de la Creuse et dans un étranglement de la vallée, entre le Blanc et Tournon-Saint-Martin, à côté d’une boutonnerie coopérative où l’on retrouvait une partie des grévistes de Méru, s’élève l’ancienne abbaye dont le Kirsch fut célèbre longtemps. Des premiers ermites du XI° siècle jusqu’aux convalescents belges d’aujourd’hui, le monastère a subi bien des vicissitudes.

     Les restaurations et réparations faites par M. Bonjean ont admirablement prédisposé le monastère à sa nouvelle destination. En effet, de vastes lavabos, des salles d’infirmerie, des dortoirs aérés et vastes, l’eau, l’électricité, la cité-jardin, les salles de fêtes, les cours, les cuisines, tout s’y trouve. Une installation de bains-douches a complété l’aménagement.

     Au début de la guerre, on avait logé à l’abbaye tout un bataillon de prisonniers boches. Le local était vraiment trop beau pour de pareils oiseaux et, d’ailleurs, il ne se prêtait peut-être pas à une surveillance de tous les instants.

     On les avait placés dans l’admirable chapelle aux stalles sculptées et aux hauts vitraux ; on avait protégé par des planches les sculptures. Aujourd’hui les chasseurs poméraniens et les fantassins hanovriens ont laissé la place à des blessés belges des batailles de l’Yser et à des malades atteints de bronchites graves, contractées dans les boues des tranchées, devant Ypres.

     Cinq cents soldats sont là, soignés par cinq médecins-majors sous la direction du médecin principal Glaudot, de la 1ère division de l’armée royale.

-           Ici, nous avons surtout pour but de rétablir des anémiés, de faire de la suralimentation pour des hommes très affaiblis.

     Par jour : 2 ou 3 œufs ou 2 œufs et une demi boite de sardine ; 2 ou 3 bols de riz au lait ; 700 grammes de viande ; 800 grammes à 1 kilo de pain ; 1 bouillon ; 1 kilo de légumes ; 1 à 3 litres de lait ; ½ litre de bordeaux vieux.

-           Vous le voyez, lorsque l’estomac est bon, l’homme est vite restauré et va rapidement reprendre sa place au front.

     Dans le vaste réfectoire où jadis les moines silencieusement mangeaient, ceux que le grand Verhaeren appelle :

Ceux dont l’esprit, sur les textes préceptoraux,

S’épand comme un reflet de lumière inclinée.

À présent, les gars flamands et wallons d’Ypres et d’Anvers et de Charleroi jouent des mâchoires avec beaucoup d’entrain. D’autres sont installés dans la chapelle même. Des lits sont alignés dans le chœur, au long de l’autel.

     Près le déjeuner, ils vont faire un somme de quelques heures, puis se promener à travers champs, pêchant, rêvant, musant. Dans les jardins et les cours, des jeux de croquet, de tennis et de tonneau sont installés.

     Un prêtre, décoré de la Croix de Guerre, la soutane relevée, joue avec les soldats comme un enfant.

     Ce que j’ai admiré le plus, c’est la sérénité, le calme et la force d’âmes de ces hommes qui, presque tous, ont leurs maisons occupées ou détruites par les Allemands, qui, la plupart, sont sans nouvelles de leurs familles, et qui, presque tous, ont vu de près les terribles atrocités de Louvain et Termonde.

     La phrase qui revient le plus souvent dans leur conversation est celle-ci :

-          Quand les Boches auront fui de chez nous.

     Ah ! ils ne sont pas pessimistes, ceux-là qui ont tout perdu et qui ont tout à reconquérir.




L’hôpital Militaire Belge de Fontgombault 1915-1918

     C’est en Berry, dans le département de l’Indre, entre Poitiers et Châteauroux, que fut créé en 1915 l’hôpital des blessés de l’armée belge ; il était un des plus importants en France : de 1915 à 1918, 6300 blessés belges y ont été soignés.

     Il s’installe dans l’ancienne abbaye de Fontgombault, successivement abbaye des Bénédictines (1091-1741), puis des Trappistes (1849-1905). Cette dernière Communauté, craignant d’en être expulsée par les forces révolutionnaires, s’exilèrent aux Etats-Unis en 1905.

     Les bâtiments et les terres de ce monastère furent rachetés cette même année par Louis Bonjean, qui appartenait à une famille de magistrats ; il était le fils de Georges, juge au Tribunal de la Seine et le petit-fils du Président Louis-Bertrand Bonjean, président du Conseil d’Etat et Ministre de Napoléon III, fusillé comme otage par les émeutiers de 1871.

     Cette famille Bonjean se montra par la suite particulièrement généreuse : dans son testament, le Président Bonjean avait prié son fils Georges de pardonner aux bourreaux qui le fusillèrent. Georges réalise généreusement ce souhait en prenant à ses frais dans son château d’Orgeville ‘Eure) les orphelins des émeutiers de 1871 ; puis renonçant à ses fonctions d’avocat, il crée d’autres œuvres sociales. C’est ainsi qu’en 1905, apprenant que l’abbaye de Fontgombault, dotée  de bâtiments propres à y installer une œuvre sociale importante, se trouvait libre, Georges la fit acheter par son fils Louis. Comme celui-ci était retenu à Paris pour faire son droit, ce fut Georges qui se chargea de la « peupler ». Il fonde d’abord à Fontgombault une école pour l’éducation de l’enfance coupable et abandonnée (1905-1908). Lorsque survint la première guerre mondiale en 1914, les autorités militaires réquisitionnèrent une partie des bâtiments de Fontgombault pour y placer les prisonniers allemands. Les premiers y arrivèrent dès octobres 1914 ; mais devant la vive émotion causée dans la région du Blanc pour savoir l’ancienne abbaye de Fontgombault récemment restaurée servir de prison pour les « ennemis de la France », les autorités les retirèrent en 1915. Dans le même temps, apprenant que les autorités militaires cherchaient un local important destiné à être un hôpital pour les blessés de l’armée belge, Georges Bonjean, avec l’assentiment de la veuve de son fils Louis (tué en 1914), leur propose « son »  abbaye de Fontgombault.


Louis Bonjean. Docteur en droit. Avocat à la Cour d’Appel de Paris. Propriétaire de l’abbaye de Fontgombault. Lieutenant au 119e R.I., blessé et prisonnier dans le combat des 28 et 29 octobre 1914. (Son père avait vraiment la conviction qu'il était blessé mais en réalité Louis avait été tué.)

     L’ouverture de l’hôpital eut lieu le 18 avril 1915, quelques jours après le départ des prisonniers allemands. Dans l’ancienne hôtellerie des moines, devenue le « manoir » des Bonjean, on installe les bureaux de l’hôpital et le logement des officiers ; la nef et le sanctuaire de l’église abbatiale longue de 80 mètres, servirent de dortoir pour les blessés, comme aussi les galeries du cloître ; on avait réservé la partie occidentale de la nef pour servir de réfectoire. Georges Bonjean avait destiné l’ancien réfectoire des moines, assez spacieux, à être la « salle des fêtes » des blessés.

     C’est qu’en effet Georges Bonjean qui restait sur les lieux, fut comme un père pour les blessés belges. Pendant les quatre années que dura l’hôpital, il s’ingénie à procurer des divertissements à ses « hôtes », sous forme de matinées récréatives, de concerts ; il contribue à la formation d’un orchestre militaire belge ; on y célébrait aussi des festivités religieuses ; les fêtes en l’honneur de Saint-Nicolas avaient un grand succès ; les conférences qu’on y donnait étaient très suivies ; et le 20 octobre 1918, à la veille de la fermeture effective de l’hôpital qui eut lieu le 12 décembre 1918, c’est dans cette salle, puis à la Mairie que ce firent les adieux officiels, en présence du Sous-préfet du Blanc et de beaucoup d’amis de l’hôpital. Cette fermeture qui s’imposait avec la fin de la guerre, fut très regrettée dans la région.

     Sur les 6.300 blessés soignés à l’hôpital de Fontgombault, une quarantaine ne survécut pas à leurs blessures. Le premier décès fut celui d’Albert Beckman, qui survint en mai 1915. Il suscita une vive émotion dans la région ; ses obsèques, qui eurent lieu le 24 mai, y attirèrent une affluence très touchante ; y prirent part plusieurs personnalités du département ; les habitants de Fontgombault avaient apporté de très nombreuses couronnes, et son cercueil se trouve tout fleuri et pavoisé par les drapeaux frères de Belgique et de France ; On le plaça près de la porte d’entrée du cimetière communal, afin que le souvenir de ce valeureux combattant ne se perde pas.

     Tous les autres combattants belges décédés à l’hôpital de Fontgombault prirent place dans son cimetière communal et y restèrent jusqu’en 1984, à l’exception de 13 d’entre eux que leurs familles firent exhumer et transporter à leurs frais en Belgique ; en 1984, il en restait 31. Dans les années 1980-84, il apparut que ce cimetière de dimension assez réduite devenait quasiment comble, et qu’il serait nécessaire de l’agrandir ; Mr Tissier et son Conseil municipal envisagèrent d’abord cette solution ; mais elle n’était pas réalisable dans l’immédiat, car le cimetière se trouvait entouré de plusieurs terres appartenant à divers propriétaires qui tenaient à leurs domaines. Il faudrait du temps pour les convaincre de céder. C’est alors que Mr Tissier, alors Maire, et son Conseil municipal envisagea le rapatriement en Belgique des 31 combattants belges qui restaient inhumés dans le cimetière. Le Consulat de Belgique consulté, déclara qu’en fait cela soulevait bien des problèmes, et qu’il vaudrait mieux trouver en France un lieu propre à regrouper ces trente tombes. Mr Tissier s’entendit avec les responsables du très célèbre Ossuaire de Sainte-Anne d’Auray en Bretagne, pour que furent reçus et laissés ensemble nos combattants belges ; ce qui fut accordé : On leur concéda à Auray un « carré Belge ». Une date fut choisie pour ce transfert et annoncée dans la presse : ce fut l’occasion d’une manifestation émouvante : nombres d’autorités locales et belges y prirent part ; on y remarquait le Chancelier du Consulat de Belgique, le Commandant des fusillers marins de Rosnay qui présentèrent les armes, une délégation de l’abbaye de Fontgombault autour de Dom Forgeot leur Père Abbé, etc... Avant le départ du fourgon chargé des cercueils, le Maire de Fontgombault énuméra et nomma les noms de ces 31 « partants » et leur adressa un chaleureux adieu. Des prières avaient été faites à leur intention et leurs furent faites dans la suite.      





Une touchante cérémonie


     Le mardi, 24 mai, à 10 heures, ont eu lieu à Fontgombault les funérailles du premier soldat mort à l’hôpital militaire belge, ouvert en avril 1915.

     La levée du corps, déposé depuis la veille dans une des maisonnettes de la Cité Bonjean, a été faite par M. le Curé de Pouligny-Saint-Pierre, au milieu d’une affluence très touchante de Berrichons, heureux de montrer ainsi la vive sympathie de la France pour la Belgique.

     Les habitants de Fontgombault avaient apporté de très nombreuses couronnes, qui ont été portées par les camarades du défunt, derrière son cercueil tout fleuri et pavoisé des drapeaux-frères de Belgique et de France.

     Une fanfare improvisée, avec un zèle touchant, par les convalescents belges, avec les instruments de l’Ecole pratique de Colonisation de Fontgombault, marchait en tête, et jouait des marches funèbres.

     Derrière les porteurs de couronnes s’avançait : M. le colonel Glaudot, médecin-principal de 1ère classe, directeur de l’hôpital, si aimé de tous pour son zèle inlassable et son intelligente bonté.

     Il était entouré de ses collaborateurs précieux : M. le capitaine Strivay ; MM. les lieutenants Labar, Lefébure, Nyssens, aides-majors, et Francotte, pharmacien.

     Il avait bien voulu appeler à ses côtés : M. le président Bonjean, père du lieutenant Louis Bonjean, maire de Fontgombault, créateur de l’admirable centre d’œuvres de l’Abbaye, disparu, blessé et prisonnier (c’est plus tard que l’on saura qu’il avait été tué), dans le combat héroïque des 28-29 octobre 1914 ; M. Simonet, directeur de la boutonnerie-ouvrière, choisi pour remplacer le maire absent, représentait la municipalité. Il avait eu la très délicate pensée de laisser la première place à M. le Président Bonjean, malgré la résistance de ce dernier, en disant que c’était au père à représenter le fils tombé pour la Patrie.

     Au cimetière, après les prières liturgiques, le brave soldat, mort pour le Belgique et la France, fut déposé dans sa dernière demeure, à côté de la porte d’entrée, afin que personne, dans l’avenir, n’oubliât la croisade héroïque du Droit, de la Justice et de la Liberté.

     Le caporal Suétens, en flamand, et le sergent-fourrier Marlier, en français, dirent en termes émouvants quelle courte et belle carrière avait été celle du premier Belge reposant en terre berrichonne.

     C’est alors que M. le colonel Glaudot donna la parole à M. le président Bonjean. Celui-ci compléta l’émotion de l’assistance, qui se retira vivement impressionnée.

     Voici le texte des trois allocutions :

Caporal Suétens

         Damen, Heeren, Strijdmakkers,

     Ondanks de goede zorgen onzer oversten, heeft den genadelooze dood ons onzen vriend Albrecht Beeckman ontrukt. Hij was geboren in 1894 en soldaat bij het 10e Linieregiment.

     Zonder achterdocht, doorbracht hij te midden der zijnen, zijne schoonste levensdagen.

     Eensklaps doorgalmde door gansch het vaderland een hreet van nood en eerzucht. Geen oogenblik twijfelde onzen vriend Beeckman, en hij rolde zich vrijwillig in onze legerskorpsen. Het snel en grof geschut spaarde hem, maar, door ziekte gedwongen, werd hij in een krijgsgasthuis overgebracht. Zijne lichaamskracht overwint nochthans, en hij gennot reeds de aantrekkelykheden van het ziekverlof, toen eensklaps eene ervalling hem hier in dees graf brengt, niettgenstaande de tallooze zorgen van onze verkleefde krijgsdoktors.

     Eene hoogverhevene en edelmoedige zaak kost Uhet leven zonder de overwinning te zien, en de vreugde en vruchten te genieten van de toekomende zegepraal.

     Maar, rust in vrede ! Uwe wapenbroeders en stijdmakkers zullen U wreken, en, uwe zelfopoffering zal niet nutteloos geweest zijn.

     En nu, durbare vriend Albrecht, zeg ik U, in naam uwer makkers, Vaarwel ! Altijd zal uwe gedachtenis, vurig in ons hart geplant blijven, en, het verlost vaderland, zal zich altijd kunnen roemen, met U in hare glorie te vereenigen.

     Vaarwel ! Albrecht ! Vaarwel !

Ignace Suétens

Kaporal bij het

4e Regiment jagers te voet

*     *

Sergent-Fourrier Marlier

                 Mesdames, Messieurs,

     Implacable dans ses ravages, la mort vient de nous ravir Albert Beckman, soldat du 10e régiment de ligne.

     Né à Onkerzeel en 1894, sa jeunesse s’écoule paisiblement au milieu des siens.

     La Patrie nous appelant sous les armes, le camarade Beekman n’hésite pas un instant, quoique bien jeune encore, à venir, comme ses aînés, se dresser devant le flot envahisseur.

     Engagé volontaire, il prend part à plusieurs combats ; la mitraille l’épargne, mais la maladie le cloue sur un lit d’hôpital.

     Sa constitution en triomphe pourtant ; déjà, il goûtait les charmes de la convalescence, lorsqu’une rechute l’amène au tombeau, malgré les soins dévoués de nos chers docteurs.

     Te voilà donc, cher Albert, mort pour une noble cause, sans avoir goûté les joies de la victoire finale. Mais dors en paix ; tes frères d’armes te vengeront, et ton sacrifice n’aura pas été inutile.

     Maintenant, cher Albert, au nom de tous, adieu ! Ta pensée restera toujours vivace dans nos cœurs, et la Patrie, enfin délivrée, conservera ton souvenir, en t’associant à sa gloire.

     Adieu ! Cher Albert ! Adieu !

.     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .     .      .     .

     Au nom de tous, il me reste à remercier la municipalité et les habitants de Fontgombault de leur amabilité et des honneurs qu’ils ont rendus à notre regretté défunt.

     La France notre seconde Patrie, a toujours été bonne et généreuse, et nous nous souviendrons toujours d’Elle.

H. Marlier

Sergent-Fourrier

4e Chasseurs à Pied

*     *

Président Bonjean

     Mon colonel, je vous remercie vivement de m’admettre dans votre belle famille militaire, en me donnant la parole.

     Mais que puis-je ajouter aux si belles pensées, qui viennent d’être formulées, dans le dernier adieu du sergent-fourrier Marlier et du caporal Suétens au jeune camarade, qui va dormir ici le dernier et lumineux sommeil de ceux qui sont morts pour la Patrie.

     Dans ce lieu du grand repos, qui nous attend tous, et moi plus vite sans doute qu’aucun de vous, je ne veux prononcer aucune parole de haine, mais j’ai le droit de parler de Justice.

     Or, il n’est pas juste que la Force prime le Droit ; que les engagements solennels soient audacieusement méconnus ; qu’on viole partout toutes les règles du Droit public et international ; bien plus, qu’on puisse impunément commettre les plus grands crimes de Droit commun !

     C’est de tout cela que, dans ma foi qui est la vôtre, j’en appelle, non aux vengeances humaines, mais aux justes châtiments divins !

     Depuis 44 ans la France souffrait des cruelles blessures par elles reçues, en présence de l’indifférence des grands Etats d’Europe, qui aujourd’hui paient leur dette, d’une façon bien dramatique.

     Vous subissez, vous, amis Belges, depuis quelques mois, les mêmes douleurs pour la première fois, avec et comme nous pour la deuxième.

     Notre sort est le même, mais nous avons le rang d’ancienneté !

     Quoiqu’il en soit, si nos douleurs sont identiques aujourd’hui, elles ne sont pas plus cruelles que les nôtres pendant plus d’un demi-siècle. Mais, comme les vôtres, les nôtres sont aujourd’hui pansées par l’Espérance !

     C’est ce qui émeut particulièrement mon âme, devant cet admirable paysage, dans cette campagne en fête, dont les fleurs symbolisent la vie éclatante et toujours renouvelée de la Nature.

     Il y a quelques semaines, à peine, tout apparaissait morne et triste. La terre, sans la parure des cultures verdissantes, les arbres, sans feuilles ni fleurs, semblaient des cadavres sans résurrection possible.

     Et cependant l’admirable ordre des choses, comme sous l’action d’une baguette magique, faisait, en quelques jours, le grand miracle traditionnel de la vie toute puissante sortant de toutes ces morts apparentes. Il en sera ainsi de la Belgique et de la France ! Celle-ci, pendant 44 ans, semblait morte, au moins aux espoirs des réparations imposées ; depuis dix mois, la Belgique a vu son territoire violé, les plus belles œuvres du génie humain et de ses traditions historiques, systématiquement détruites ; ses populations odieusement persécutées ou fugitives, son Gouvernement, obligé de chercher la sécurité de son action, sur le cœur de la France dont ce sera l’éternelle gloire !

     Pareille destinée crucifie neuf départements français. Mais la foi dans une puissance souveraine, – et dans le rôle providentiel de toute l’Europe, voulant rétablir le règne du Droit, de la Justice, de la Liberté, patrimoine d’une humanité normale, – cette foi, dis-je, verra l’accomplissement du Destin, la réalisation de nos chaudes espérances, et la résurrection de tout ce qui semblait mort.

     Ayez confiance Belgique et France !

     Déjà les prémisses des beaux fruits des victoires légitimes apparaissent sous le souffle enflammé de votre héroïsme, par cette succession d’actions admirables, qui couvriront de fruits et de fleurs tout ce qui semblait détruit sous des coups effroyables.

     Mais, j’en ai trop dit, et je termine, mes chers camarades, vous que j’ai le droit d’appeler ainsi, puisqu’il y a 44 ans le lieutenant Georges Bonjean versait son sang trois fois pour la Patrie, et recevait, à 22 ans, le plus jeune officier, dit-on, de l’armée française, le Croix de la Légion d’Honneur.

  Cependant, un mot encore : vous avez trouvé, à Fontgombault, les assises d’un admirable hôpital, mais vous ignorez peut-être, ce qu’est cette vieille abbaye, et il faut que vous le sachiez :

     C’est ici, que depuis bientôt dix ans mon bien-aimé fils Louis Bonjean, dont la femme et les deux fillettes sont au milieu de vous, dépense un dévouement admirable, parfois, je puis le dire, héroïque, pour doter cette région de toutes les œuvres charitables et sociales dont elle était privée.

     Il est parti le 2 août, comme lieutenant au 119e d’infanterie, et alla jusqu’à Nalinnes, chez vous, pour en revenir plein d’une foi inébranlable, malgré la retraite dramatique, qui se changea en une victoire que l’on pourrait dire miraculeuse. Qu’il serait heureux de vous ouvrir lui-même sa chère abbaye, et d’y voir vos convalescents, dans tous ces vastes espaces sauvés et restaurés par lui.

     Mais mon cher fils, après une première blessure, en septembre, a disparu blessé et prisonnier, dit-on, dans un héroïque combat, conduit par lui, avec 800 hommes, je crois, contre des forces allemandes considérables. Avec lui a disparu presque tout l’effectif dont, à ce moment, il était le plus vieil officier.

     Que Dieu me fasse la grâce de le revoir un jour dans ce village qu’il aime tant.

     Et c’est dans cette émotion, que je dis un paternel adieu à notre jeune camarade, qui va dormir dans la paix de ces grands souvenirs.

     Une pensée touchante a creusé sa tombe près de la porte de ce cimetière.

     C’est un symbole d’une haute valeur ; en effet, de même que la Belgique protégea notre frontière, le temps indispensable, de même, amis Belges, les habitants de Fontgombault semblent avoir choisi votre camarade pour garder le dernier repos des leurs.

     C’est une nouvelle forme de lien sacré, qui unira toujours Belgique et France, par l’intangible vertu du sang versé en commun pour la Justice.

     Et toi, vaillant factionnaire belge, au revoir de tout notre cœur, conformément à cette belle affirmation de l’antiquité :

     Ceux-là sont réputés vivre éternellement, qui sont tombés pour la Patrie. (In ǽternum vivere intellguntur, qui pro Patria ceci-dere.)  





Liste complète des blessés belges qui y moururent et qui furent tous inhumés dans le cimetière de Fontgombault

A la Mairie de Fontgombault, on a conservé les « permis d’inhumé » qui donne pour chacun le nom, le prénom, celui de ses parents, la date et le lieu de leur naissance, le grade militaire ou leurs fonctions, la date du décès et celle du permis d’inhumer.

Treize d’entre eux restèrent peu dans le cimetière de Fontgombault, leurs familles les ayant faits transportés à leurs frais en Belgique, les autres y restèrent jusqu’en 1984, année où ils furent transportés dans l’ossuaire d’Auray.

01 – Albert Beckman, décédé le 23 mai 1915.

02 – Guillaume Van Gusel, décédé le 26 août 1915.

03 – Charles Willocq, décédé le 4 novembre 1915

04 – Hector Sadones, décédé le 9 décembre 1915.

05 – Remi Eeckbaud, décédé le 28 décembre 1915.

06 – Bruno De Stert, décédé le 3 avril 1916.

07 – Jean Gay, décédé le 7 mai 1916.

08 – Georges De Meyer, décédé le 26 juin 1916.

09 – Fernand Tiberghien, décédé le 30 juin 1916.

10 – Vital Copenaud, décédé le 9 juillet 1916.

11 – Omer Goffioul, décédé le 5 août 1916.

12 – Raymond Bayot, décédé le 12 septembre 1916.

13 – Georges-Isidors Monsteurs, décédé le 13 octobre 1916.

14 – Alphonse Labba, décédé le 3 février 1917.

15 – Fernand Conard, décédé le 23 avril 1917.

16 – Octavien Quoilin, décédé le 6 mai 1917.

17 – François Clacs, décédé le 16 mai 1917.

18 – Oscar Vandist, décédé le 20 juillet 1917.

19 – Maurice Lambert, décédé le 28 juillet 1917.

20 – Aphonse Hapers, décédé le 29 juillet 1917.

21 – François Coulier, décédé le 18 octobre 1917.

22 – Achille Callwaert, décédé le 31 octobre 1917.

23 – Elie Van Dyck, décédé le 1 novembre 1917.

24 – Joseph Steenhout, décédé le 31 décembre 1917.

25 – Charles Dupont, décédé le 5 février 1918.

26 – Guillaume Paquot, décédé le 2 août 1918.

27 – Camille Van Goethem, décédé le 2 août 1918.

28 – Maurice Naert, décédé le 6 août 1918.

29 – Désiré Noël, décédé le 8 août 1918.

30 – Victor Condys, décédé le 27 septembre 1918.

31 – Jean Van der Lype, décédé le 29 septembre 1918.

32 – Alphonse Steytens, décédé le 3 octobre 1918.

33 – Maurice De Cac, décédé le 7 octobre 1918.

34 – Pierre Janssens, décédé le 8 octobre 1918.

35 – François Amant, décédé le 9 octobre 1918.

36 – Auguste Brauer, décédé le 18 octobre 1918.

37 – Mathieu Gilielien, décédé le 5 novembre 1918.

38 – Henri De Clercq, décédé le 20 novembre 1918.

39 – Arthur Dachelet, décédé le 20 novembre 1918.

 

 

 

 

 



[1] Extrait : Je sais tout (Paris). 1915.  15 juillet – 15 décembre



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