Médecins de la Grande Guerre

Histoire succincte des hôpitaux belges en France pendant la Grande Guerre

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Histoire succincte des hôpitaux belges en France pendant la Grande Guerre

       Durant la bataille de l’Yser, seule l’évacuation massive des blessés  par voie ferroviaire vers Dunkerke et Calais put pallier au manque d’infrastructures médicales de l’armée belge. Calais fut rapidement submergé par les réfugiés belges et par les soldats blessés. Les premiers réfugiés belges arrivèrent en auto  le 12 et 13 octobre précédant les piétons  arrivant avec leurs  charrettes et le 14.  Le 16 et 17 octobre, on pouvait compter trente mille réfugiés sur les pavés de Calais.  Les Calaisiens assistèrent à de multiples scènes déchirantes :


L'hôtel de ville de Calais 1914.

       Une femme de 33 ans qui marche depuis trois jours cherche désespérément trois enfants dont l'aîné a dix ans; elle a dû les quitter un bref instant pour courir après son quatrième âgé de quatre ans qui s'éloignait en demandant des biscuits. Une autre promène un enfant mort dans une brouette. Je l'ai apporté ici dit-elle pour savoir où il serait enterré. Rue Royale, des passants voient tout à coup une femme qui tenait avec précaution une couverture, se mettre à pousser des cris déchirants et à courir de tous les côtés: elle venait de s'apercevoir qu'elle avait perdu son bébé et qu'il ne lui restait plus que la couverture qu'elle avait continué à serrer dans ses bras sans s'apercevoir de la disparition de l'enfant. Près de l'octroi de la route de Dunkerke, deux vieillards tombèrent de privation et de fatigue et moururent  en peu d'instants tandis que les autres continuaient leur chemin. Le même jour, une femme belge met au monde un enfant sur le pavé de la place d'Armes. Un bateau de pêche d’ Ostende entra au port avec un enfant de six mois mort au cours de la traversée par manque de lait. Un autre franchit les jetées du port juste au moment où, à son bord, une femme de pêcheur belge met au monde deux petites filles[1].

       Immense défi, les autorités calaisiennes durent à la fois s’occuper des civils belges et des militaires blessés. Les réfugiés belges se virent accorder des indemnités d’indigents et des aides matérielles et beaucoup de Calaisiens les hébergèrent provisoirement dans leurs greniers.  Un certain nombre d’entre eux furent évacués en train vers l’intérieur de la France. A ce propos, rappelons ici la catastrophe supplémentaire qui affecta les Belges en exode quand le 18 octobre le train spécial évacuant 2000 réfugiés de Calais à Rouen tamponna  entre Marquise et Wacquinghem un train de ravitaillement. L’accident fit 200 blessés et 50 morts ! Beaucoup de réfugiés allèrent aussi trouver asile en Angleterre. Le transport maritime n’était pas toujours une sinécure ! Rappelons ici le naufrage de l‘ « Amiral Ganteaume » qui avait embarqué 2.144 réfugiés et qui fit naufrage peu après avoir quitté Calais. Au cours de l’évacuation des réfugiés sur le « Queen[2] » qui s’était porté au secours, une vague écarta les deux navires et 15 personnes tombèrent à l’eau et furent broyées quand les navires se rapprochèrent à nouveau.  Au cours de l’évacuation, des réfugiés se blessèrent et on dut amputer plusieurs d’entre eux.  Une certaine Madame Dubois dut notamment être amputée des deux jambes. Cette dame devint un exemple de courage pour les Belges ayant trouvé refuge à Folkestone.  En mai 1915, la princesse Clémentine, fille de Léopold II et son époux, le prince Victor Napoléon, firent honneur à cette cité  balnéaire.  Au cours de cette visite la princesse put s’entretenir avec de nombreux réfugiés belges dont Madame Dubois qui, malgré son grave handicap, avait réussi l’exploit de  retrouver du travail à Folkestone !

       Quant aux soldats belges blessés, il s’agissait pour la ville de Calais non seulement de les accueillir mais de leurs donner des soins.  On les débarquait du train après quatorze heures de trajet durant lesquels ils étaient quasi laissés à eux-mêmes. Certains à l’arrivée étaient décédés depuis plusieurs heures et d’autres déliraient sous l’effet de la déshydratation et de la fièvre. Epuisés, les militaires blessés sortis des wagons trouvaient enfin un relatif réconfort dans la salle des machines de la gare transformé en un « hôpital de passage » où l’on renouvelait leurs pansements et où ils pouvaient enfin bénéficier de boissons et de repas réconfortants.  Initiative bienvenue, les ouvrières de Calais créèrent l’ « Œuvre des petits rubans verts » qui distribua aux blessés belges nourriture et douceurs à leur arrivée en gare. Du 15 octobre au 30 octobre, Calais accueillit 700 officiers belges et 30.000 hommes de troupe !  Ensuite, les blessés étaient soit évacués par bateau vers l’Angleterre ou la Bretagne, soit étaient répartis en ville dans les ambulances ou sur les deux navires-hôpitaux mis à disposition par l’armée française, le « Paris » et le « Ella ».

       L’ évacuation des blessés par bateau ,comme celle des réfugiés, réservait des surprises ! La « Marie-Henriette » qui transportait de nombreux blessés, 480 soldats belges et une centaine de fusiliers-marins français qui avaient combattus sur l’Yser s’échoua en rade de Barfleur.  Le navire fut évacué et les blessés durent être  chargés sur les navires qui s’étaient portés au secours du Marie-Henriette. Les médecins belges Van Campenhout, Lenaers et Boiremans quittèrent le navire en dernier lieu ayant organisé de façon admirable l’évacuation les blessés et le matériel médical.

       L’évacuation des soldats blessés nécessitait une logistique à la mesure de l’afflux des blessés : du 1er novembre 1914 au 31 décembre 1915 arrivèrent à Calais 76.532 blessés débarqués de 527 convois ferroviaires !  Les navires-hôpitaux  prêtés par la France montrèrent vite leurs limites : les blessés souffraient d’absence d’air et de lumière et les rangées  composées de  3 brancards superposés  ne permettaient pas les soins.  La ville de  Calais se vit alors obligée de  mettre à disposition des Belges de nombreux bâtiments pour les transformer en ambulances. En outre, la municipalité  fit  appel à toutes les bonnes volontés pour soigner  les Belges. Il en résulta un immense élan de générosité qui, grâce à la presse, s’étendit jusqu’en Angleterre. De nombreuses infirmières anglaises comme  Miss Livingston,  s’offrent de venir soigner les soldats belges et 230 kg du précieux  chloroforme ont même été offert par la firme Burgoyne, Burbidges et Cie[3]. Parmi les infirmières  anglaises, le groupe de jeune filles de la First Aid Nursing Yeomanry , sous la direction de Mrs Grace Mc Dougalle,   soignera, dans l’ambulance  installée à l’école Lamarck , plus de 2000 soldats malades suite à l’épidémie de typhoïde parvenue dans Calais dans le sillage de l’exode des réfugiés et des soldats belges. 

       Malgré un transfert massif d’une partie de nos blessés  vers Cherbourg et l’Angleterre, on dut chaque jour ouvrir de nouvelles ambulances à Calais. Le 18 octobre fut inauguré l’ambulance des salons Richelieu. Le 19  octobre, deux ambulances furent créées chez les Sœurs Franciscaines. Puis la série continua : le 21, l’ambulance du Casino, le 22, l’ambulance à l’Ecole de la rue des Fleurs, et celle du pensionnat Saint-Pierre. Le 23, la maison Heymans et les usines Middleton, le 24, les ambulances situées dans  les deux temples évangéliques, la maison du commerce, l’école du fort Nieulay, l’école Michelet et l’école Plante. Le 25, c’est au tour des magasins du Bon Génie et deux maisons  de la rue des Soupirants d’accueillir nos blessés. Le 26 octobre, cinq ambulances supplémentaires sont créées.  Le 28, c’est le tour du pensionnat anglais Sophie Berthelot de recevoir nos blessés.  Le 1er novembre, deux écoles sont encore réquisitionnées et le trois novembre, une maison supplémentaire doit encore être est convertie en ambulance.

       La lecture de cette longue énumération permet au lecteur d’imaginer l’ambiance  régnant  à Calais durant la bataille de l’Yser ! A vrai dire, l’afflux considérable de soldats belges blessés mobilisa toutes les ressources matérielles et humaines de la ville. Dans chaque ambulance, un délégué de la municipalité fut chargé d’envoyer au maire un compte-rendu détaillé des activités qui y sont déployées. Ce fut souvent la directrice de l’école réquisitionnée qui exerça  cet office. Dans un  de ces rapports[4], la responsable de l’école du boulevard Lafayette signale que son ambulance n’héberge que 12 soldats mais comptent 8  femmes cuisinières alors qu’une seule suffirait amplement !

       Parfois un évènement excitait encore plus la curiosité des habitants comme, en ce 30 octobre, quand le général Foch, en présence du général belge Clooten qui commandait la place belge de Calais vint dans une ambulance de Calais remettre la Légion d’Honneur au Général Meiser, blessé gravement à la tête de sa brigade à Dixmude.


Les dirigeants de la base belge: le général d'Orjo de Marchovelette et le lieutenant-général Clooten.

       La création de nouvelles ambulances à Calais vit son rythme ralentir avec la fin de la bataille de l’Yser mais, néanmoins, le nombre d’ambulances continua à s’accroître pour atteindre le nombre de 42 au début de l’année 1915. Rappelons qu’une ambulance était, du point de vue médical, une structure permettant les soins de base à trois catégories de soldats, celle des malades, celle des blessés légers, et celle des blessés gravement atteints dont le transport n’était pas possible. Tous les soldats n’appartenant pas à ces catégories soit plus de  vingt mille soldats, furent évacués vers l’Angleterre ou vers les hôpitaux français situés pour la plupart en Normandie ou en Bretagne. Dans les ambulances de Calais, on ne pratiquait que de la petite chirurgie mais il est à signaler que le chirurgien de Calais, le docteur Guyot se déplaçait dans les ambulances belges pour opérer certains blessés qui ne pouvaient être transférés. Ce médecin français à force d’opérer dans de mauvaises conditions se coupa avec un scalpel souillé et s’infecta au point de devoir lui-même subir une intervention menée par le  docteur Depage qui, quelques semaine plus tard, fut chargé de diriger l’hôpital l’Océan à La Panne. Deux ambulances de Calais purent cependant en décembre 1914 se transformer en hôpitaux : l’ambulance de la rue du Fort Louis et l’ambulance Elisabeth. L’ambulance de  la rue du Fort Louis nous avait été donnée par le Service de Santé français. Madame Curie l’équipa d’une installation de radiographie tandis qu’un mécène américain qui appartenait à l’ambulance américaine de Paris, offrit l’équipement d’une salle d’opération. Un chirurgien militaire belge, le Dr Derache, y pratiqua 82 interventions mais l’hôpital, vu sa faible capacité (30 lits),  fut rapidement démantelé.

       Une deuxième ambulance belge de Calais, l’ambulance Elisabeth se transformera rapidement en un petit hôpital bien équipé  grâce au Duc de Vendôme, le beau-frère du Roi Albert qui offrit l’équipement d’un laboratoire, d’un service d’électro et de mécano-thérapie ainsi qu’un cabinet de radiologie. Cette ambulance aidée financièrement aussi par la Société Française de Secours aux Blessés Militaires s’installa le 14 décembre dans l’école de la rue des Moulins. Elle parvint rapidement à ouvrir une section chirurgicale où le chirurgien  Conrad, volontaire de guerre et ancien chef de l’hôpital civil d’Anvers  put exercer ses talents.

       En avril 1915, le lieutenant-général médecin Mélis réorganisa le service médical de Calais. Il ramena le nombre d’ambulances  à 25, cela, avec l’aide des autorités françaises qui  donnèrent l’autorisation à 32 hôpitaux complémentaires (H.C) de Bretagne  d’hospitaliser nos soldats pour traitement.

       Cette aide bienvenue  permit de désengorger Calais de ses innombrables blessés belges. Il s'avéra cependant assez vite que la gestion administrative des soldats  belges répartis dans tant d’hôpitaux français se révélait une tâche difficile, sinon impossible. D’autre part, et cela pourrait nous faire sourire aujourd’hui, on vint à considérer que la nourriture française n’était pas adaptée à nos soldats. Le docteur Mélis acta lui-même par écrit[5] le fait que, dans les hôpitaux militaires français, la fameuse pomme de terre faisait défaut ou se trouvait en quantité trop minime dans la ration ! De plus, souligne le docteur Mélis, le soldat belge ne peut s’habituer au pain fait au levain de l’armée française. Rapidement donc, les Belges  décidèrent de créer leurs propres formations hospitalières. Celles-ci s’implantèrent  principalement dans la Pas-de-Calais près de la base arrière de l’armée Belge et en Normandie et Bretagne, régions facilement atteignables de Calais par bateaux et où, de plus, se trouvaient  les hôpitaux français qui avaient accueillis nos soldats belges durant  la bataille de l’Yser.  Le lecteur sera surpris du nombre important des hôpitaux Belges crées en quelques mois. Que d’énergie, de débrouillardise ne fallut-il pas au Service de Santé belge ! Cette prouesse, comme en fait foi la liste suivante, vaut la peine d’être soulignée !

       Dans le Pas-de-Calais, outre l’Ambulance Elisabeth furent crées les importants  hôpitaux de Petit-Fort-Philippe, de Virval-lez-Calais, de la Porte de Gravelines. L’ambulance Elisabeth se vit adjoindre une lointaine succursale à Cannes. L'hôpital militaire belge de Cannes fonctionna de février 1915 à avril 1920 dans les villas Saint-Jean, Saint-Charles et Anastasie, grâce à la générosité de la Duchesse de Vendôme, sœur du Roi Albert[6] et de la Croix-Rouge française. A la fin de 1916, la direction médicale devint exclusivement belge (Dr Lagache) et fut dénommé Albert Premier. Cet hôpital hospitalisa 1500 malades, pratiquement tous provenant de l'ambulance Élisabeth de Calais offerte par le Duc de Vendôme.


Le Duc de Vendôme, lieutenant, avec le pharmacien principal Logeot de l'hôpital Élisabeth à Calais.

       En Normandie et en Bretagne, citons l'hôpital militaire de Mortain (Manche), Cherbourg et Saint-Lô (Manche), Villiers-le-Sec et Juhaye-Mondaye (Calvados) spécialisé pour les malades dits « nerveux » et les quatre hôtels de la fondation de Broqueville à Dinard : Saint-Lunaire, Saint-Jacut de la Mer (côtes du nord), Saint-Méen et Châteaugiron (Ile et Vilaines), spécialisé pour les malades dits « « mentaux » .

       Sur la Seine, l’hôpital anglo-belge qui deviendra l’hôpital de Bonsecours, hôpital polyvalent mais avec des services de kinésithérapie et de physiothérapie à la pointe du progrès.

       S'ouvrit encore à Ligugé (Vienne) un hôpital spécialisé pour les affections rénales et à Orival un hôpital spécialisé dans le traitement des maladies vénériennes et qui traita plus de 900 soldats dont 50% avaient été contaminés à Paris !  Paris qui, par ailleurs,  accueillit aussi  des blessés belges soit à l’hôpital Albert 1er qui  était en fait un quartier de l’'hôtel-Dieu de Paris réservé aux militaires belges, soit à l’ambulance belge du Lycée Carnot ou encore à  l’annexe de  Courbevoie.

       A ces hôpitaux il faut encore ajouter les quatre sanatoria réservés aux militaires  souffrant de tuberculose pulmonaire : Cap Ferrat (Alpes Maritimes), Montpellier (Hérault), Chambéry (Savoie), Faverges (Haute Savoie). On y admit environ deux mille tuberculeux dont 12% moururent. Certains d'entre eux, hospitalisés au château de Faverges, étaient des prisonniers transitant par la Suisse. Outre ces quatre établissements militaires, il est à noter que les réfugiés belges avaient leur propre sanatorium à Chanay.


Le sanatorium
de Chanay
en 1916.

       Enfin, pour les convalescents, incurables et invalides on créa des établissements  spécifiques. Les convalescents des affections psychiatriques étaient envoyés au camp d'Auvours près de Champegné (Sarthe), les incurables au camp du Ruchard (Indre et Loire) puis plus tard à Soligny-la-trappe (Orne). Pour les invalides, un institut de rééducation fut créé à Port-Villez et un dépôt d’invalides à Sainte-Adresse.

       L’histoire des hôpitaux belges en France pendant la guerre 14-18  mériterait certainement d’être approfondie. Malheureusement, il semble que nous ne possédions plus d’archives concernant ces hôpitaux. Il reste cependant deux  moyens  nous permettant d’en savoir un peu plus sur le vécu des soignants et des soignés dans les hôpitaux militaires belges créés en France. Le  premier moyen consiste à étudier les  témoignages des hospitalisés, témoignages que l’on retrouve nombreux dans les cahiers que tenaient les combattants au jour le jour, le deuxième moyen est l’étude des journaux locaux d’époque et des archives municipales qui souvent ont conservé d’émouvants témoignages sur la présence des Belges dans leur commune. Peu d’études de ce type ont été faites à ce jour, il reste donc là un grand champ d’investigation pour la recherche historique. Les quelques études partielles que j’ai pu mener sur certains hôpitaux belges de France sont riches d’enseignements sur la manière de soigner mais aussi sur le vécu des soignants et des soignés. Elles constituent aussi une façon de rendre hommage à nos soldats blessés, à leurs mécènes, et au personnel médical.  A titre d’exemples, je vous présente ci-dessous quelques faits parmi d’autres[7] liés à l’histoire de ces hôpitaux.

L’hôpital de Valloire  et l’initiative du Dr Detournay

       Situé dans la vallée de l’Authie, cette ancienne abbaye fut confiée aux Belges qui y installèrent un hôpital pour convalescents. Aujourd’hui le site de Valloire est accessible aux visiteurs. On y visite l’ancienne abbaye mais aussi un merveilleux jardin de roses, sans doute un des plus beaux d’Europe. Sur le mur ouest de l’abbatiale, je découvris en 2001 des inscriptions sculptées dans le calcaire friable par des soldats belge hospitalisés. Une inscription en particuliers était absolument bien conservée et mentionnait un nom : celui du sergent De Vrin, 3ème Chasseur à Pied, matricule 57697. Grâce à ces renseignements je pus retrouver son dossier militaire que j’examinai au Centre de documentation du Musée Royal de l’Armée et reconstituer l’histoire du sergent De Vrin. Blessé le 9 janvier 17 par un éclat d’obus, il est hospitalisé trois mois à l'hôpital l'Océan puis est autorisé à partir le 27 mars 17 en convalescence à l'abbaye de Valloire. En mai 1917 Gustave est décoré de la Croix de Guerre puis  muté au C. I. A. d' Eu d'où il rejoindra finalement Le Havre où il restera  jusqu'au 26 août 1919, date de sa mise en congé sans solde. Après la guerre, il se maria et eut deux enfants. Il décéda malheureusement d’une péritonite, âgé seulement de trente ans. Après  ma visite de l’abbaye en 2001, j’entrepris une petite enquête et j’eus la satisfaction de retrouver son fils octogénaire à Anvers. Je lui fis part de ma découverte qu’il s’empressa d’aller examiner sur place. On imagine son émotion ! Quelques années plus tard, je pus compléter l’historique de l’hôpital de Valloire par un témoignage absolument extraordinaire : une dame âgée me téléphonait de Mons me signalant que son papa avait été le médecin directeur de Valloire pendant la Grande Guerre et qu’elle possédait les carnets de celui-ci relatant, jour  après jour sa vie à Valloire ! La lecture de ces carnets fut passionnante et je pus retracer l’histoire de l’hôpital belge de Valloire : le Dr Detournay avait été un directeur d’hôpital exceptionnel. Il eut la merveilleuse idée d’occuper au maximum ses convalescents pour leur éviter le redoutable cafard. A cette fin, il créa un  petit élevage et  des cultures maraichères sur les terrains de l’abbaye. Sa thérapie occupationnelle apporta tant de bien-être aux blessés  convalescents que l’Etat-major le félicita. Le Dr Detournay fut malheureusement victime de son succès !  Ses chefs estimèrent en effet que cette thérapie serait encore plus utile pour la  catégorie des « nerveux », catégorie regroupant les soldats atteints de diverses pathologies  psychiatriques. Les « nerveux » débarquèrent donc en grand nombre en remplacement des  blessés en convalescence. L’ambiance à l’hôpital changea du jour au lendemain et le petit staff de brancardiers et de sous-officiers dut bientôt faire face à un évènement exceptionnel dans l’histoire du Service de Santé : une véritable mutinerie des hospitalisés (le point de départ fut l’enquête menée pour un pain volé) ! Le docteur Detournay fut contraint d’appeler  à l’aide une compagnie de la police militaire pour rétablir l’ordre !


Nom du soldat (De Vrin), son bataillon (le troisième chasseur à Pied) et son numéro de matricule (57 697). (Photo F. De Look)

L’hôpital du camp du Ruchard : Un camp de convalescent où l'on devient malade...

       Durant la guerre 14-18, la France a offert l’hospitalité à de nombreuses formations médicales belges. Parmi celles-ci, le camp pour convalescents du Ruchard en Indre et Loire. Peu de témoignages nous apprennent ce que fut la vie quotidienne des soldats dans ce camp perdu dans les landes qui fonctionna du 31-12-14 au 14-7-17, soit trente mois et demi et qu’il accueillit durant cette période 9.586 convalescents. Un soldat Ege Tilmns nous apporte cependant un témoignage inestimable sur ce camp : il consacra un chapitre entier de son livre[8] au séjour qu’il y effectua. Les informations qu’il nous donne nous fait entrevoir un univers extrêmement dur et souvent inhumain. Le camp vit au rythme des rixes, des punitions et des décès. Ceux-ci d’après l’auteur surviennent à raison de un par quinzaine. Quelle terrible mortalité dans les rangs des soldats pourtant considérés comme guéris et convalescents ! Mais Ege Tilmns n’exagère t-il pas ? Nous ne le croyons pas : les registres de l'état-civil de la commune d'Avon-les-Roches signalent le décès de 79 militaires belges ; 76 pierres tombales se dressent au cimetière communal. Certains corps furent rapatriés après la guerre ce qui fait qu'aujourd'hui il ne subsiste plus que 63 tombes de soldats belges. Il y eut donc plus d'un décès par quinzaine durant les trente mois de fonctionnement du camp. 79 jeunes hommes succombèrent au camp de Ruchard, soit un convalescent sur 121 : le camp méritait sans doute la très mauvaise réputation que lui donne Ege Tilmns.

L’Hôpital Militaire Belge de Bonsecours, hôpital avant-gardiste  construit par les Belges en 1916 existe toujours en 2013. 


Fig. 1 – Vue panoramique de l’Hôpital Militaire Belge de Bonsecours.

       Inauguré le 2 juin 1916, a été érigé à 2 kilomètres au Sud-est de Rouen, au sommet de la colline Blosseville–Bonsecours, sur le plateau des Aigles, à une altitude de 140 mètres, d’où l’on découvre le magnifique panorama de Rouen, et de la vallée environnante de la Seine que l’on domine presque à pic. La superficie totale occupée par l’hôpital était d’environ 10 hectares. L’air pur et vif contribuait largement à rendre cette formation particulièrement salubre. Cet hôpital a la particularité d’être toujours en fonctionnement en 2013 ! En effet, construit par les Belges sous la direction du docteur Deltenre et remis aux autorités françaises après la guerre, il ne fut pas démantelé et est devenu un centre universitaire. L’hôpital belge fut remarquable de par son grand service de mécano-thérapie et d’électrothérapie dus à l’initiative du Médecin de Régiment Waffelaert. Devant les difficultés à se procurer dans le commerce les appareils nécessaires, cet officier du Service de Santé eut l’ingénieuse idée de les faire fabriquer par les mutilés eux-mêmes et d’après ses indications. Son œuvre a été poursuivie et complétée en ce qui concerne la mécanothérapie par le Médecin de Régiment de Marneffe et en ce qui concerne l’électrothérapie par le Médecin de Bataillon Stouffs. Autre innovation de taille : un service de gymnastique médicale qui créait ainsi une nouvelle spécialité médicale la kinésithérapie. Cette  gymnastique n’était pas à l’époque enseignée chez nous. Elle fut donnée aux invalides par douze médecins gymnastes diplômées de l’Institut Central et Royal de Stockholm sous les directions successives de Miss Loveday et de Miss Alund. La section de gymnastique médicale disposait d’un pavillon bien aménagé et d’un matériel presque entièrement construit dans les ateliers de l’hôpital. 250 sujets environ passaient journellement en traitement pour 4 à 500 malades traités dans ce service au courant d’un mois, avec 5 à 6000 séances ou même d’avantage, chaque séance durant une moyenne de 20 minutes. Anecdote gaie, signalons que le docteur de Marneffe se maria avec Miss Loveday. Leur fils Robert né en 1919 devint aussi médecin et se distingua tout particulièrement dans la chirurgie orthopédiste.

L’hôpital de Mortain avait son despote

       Nous connaissons particulièrement bien la vie des hospitalisés de cet hôpital grâce au témoignage du sergent Gustave Groleau[9] qui y fut hospitalisé. La vie monotone et triste dans cet hôpital était heureusement entrecoupée par des excursions dans une nature superbe dans ce que l’on appelle aujourd’hui le Parc naturel régional Normandie-Maine. L’hôpital  était dirigé de main de fer par un médecin beaucoup plus militaire que thérapeute. En mars 18, cet hôpital, ancien séminaire, fut placé sous la dépendance de  l’hôpital chirurgical de l’Océan et donc du docteur Depage. Ce dernier fut horrifié de son état. Les salles d’hospitalisation avaient des sols composés de paillassons et tapis que l’on avait superposés d’année en année. En ce qui concernait les égouts et l’éclairage, tout était à refaire. La stérilisation était inexistante. Dirigeait ce bel établissement un médecin de carrière qui cumulait les fonctions de directeur de l’hôpital et de commandant de place. Il exigeait que pour que la discipline de l’hôpital soit maintenue qu’il y eût au moins chaque jour cinq blessés punis ! Le docteur Depage réagit à sa manière, c’est-à-dire de manière très efficace mais peu militaire, en refusant d’attendre les autorisations officielles de sa hiérarchie pour agir sur place. Il avait à sa disposition à La Panne 200 prisonniers allemands. Il en choisit 80 doués pour le travail manuel et les fit transporter  en une nuit par une dizaine d’ambulances à Mortain. En moins de trois semaines le séminaire de Mortain fut transformé en un véritable hôpital !

L’hôpital de Fomgaubault avait un ange gardien : le Français, père d’un poilu décédé au combat, Georges Bonjean

       Dans cet hôpital situé dans une ancienne abbaye rachetée après son abandon par la famille Bonjean, les soldats blessés furent, contrairement à Mortain très choyés. L’ouverture de l’hôpital eut lieu le 18 avril 1915, quelques jours après le départ des prisonniers allemands qui s’y trouvaient. Dans l’ancienne hôtellerie des moines, on installe les bureaux de l’hôpital et le logement des officiers ; la nef et le sanctuaire de l’église abbatiale longue de 80 mètres, servirent de dortoir pour les blessés, comme aussi les galeries du cloître ; on avait réservé la partie occidentale de la nef pour servir de réfectoire. Georges Bonjean avait destiné l’ancien réfectoire des moines, assez spacieux, à être la « salle des fêtes » des blessés.


Avenue de l'hôpital belge. (collection Jérôme Charraud)

       C’est qu’en effet Georges Bonjean qui restait sur les lieux, fut comme un père pour les blessés belges. Il était sans nouvelles de son fils soldat Louis dont il espéra vainement le retour. C’est sans doute l’immense amour filial envers son fils soldat qui rejaillit sur les soldats belges. Pendant les quatre années que dura l’hôpital, George Bonjean s’ingénie à procurer des divertissements à ses « hôtes », sous forme de matinées récréatives, de concerts ; il contribue à la formation d’un orchestre militaire belge ; on y célébrait aussi des festivités religieuses ; les fêtes en l’honneur de Saint-Nicolas avaient un grand succès ; les conférences qu’on y donnait étaient très suivies ; et le 20 octobre 1918, à la veille de la fermeture effective de l’hôpital qui eut lieu le 12 décembre 1918, c’est dans cette salle, puis à la Mairie que ce firent les adieux officiels, en présence du Sous-préfet et de beaucoup d’amis de l’hôpital. Cette fermeture qui s’imposait avec la fin de la guerre, fut très regrettée dans la région.

       Sur les 6.300 blessés soignés à l’hôpital de Fontgombault, une quarantaine ne survécut pas à leurs blessures. Le premier décès fut celui d’Albert Beckman, qui survint en mai 1915. Il suscita une vive émotion dans la région. Ses obsèques, qui eurent lieu le 24 mai, y attirèrent une affluence très touchante ; y prirent part plusieurs personnalités du département ; les habitants de Fontgombault avaient apporté de très nombreuses couronnes, et son cercueil se trouve tout fleuri et pavoisé par les drapeaux frères de Belgique et de France. On le plaça près de la porte d’entrée du cimetière communal, afin que le souvenir de ce valeureux combattant ne se perde pas.

       Aujourd’hui l’abbaye abrite à nouveau une communauté de moines et cela depuis 1948. La communauté nombreuse compte en son sein de très nombreuses nationalités différentes. L’abbatiale résonne des chants grégoriens mais tous les moines savent qu’il y a des années de cela, on y entendait les rires mais aussi les pleurs des soldats belges qui y séjournèrent !

Le dépôt de convalescent de Minihic possédait sa fidèle consolatrice

       Dès les premières heures du conflit, en août 1914, dans un même élan patriotique, les cinq fils du comte de Broqueville s’engagent dans l’armée belge, pour la durée du conflit. Robert, le second des six enfants de la famille est alors capitaine dans l’artillerie. Lors d’un voyage en Suisse en 1912, il fait la connaissance, sur les pistes de ski, de Thérèse Marie Laure Bourgeois de Jessaint, née à Paris le 10 décembre 1886. Elle se marie le 6 mai 1913 et devient alors la belle-fille du Premier ministre de Belgique. Elle conservera sa nationalité française.  Ils auront quatre enfants. Thérèse de Broqueville dès le début du conflit de 1914, s’est portée volontaire pour s’occuper des blessés, elle sera ambulancière. Ses capacités d’entreprise la porteront naturellement plus haut dans des fonctions de responsabilités. Elle administrera les centres d’accueil des convalescents dont celui du Minihic-sur-Rance où on trouve trace des marchés conclu avec les commerçants locaux et des proches environs pour les achats du pain et de la viande. Domiciliée à Dinard, elle venait visiter tous les jours les convalescents dont elle avait la charge. En juin 1915, il était recensé 48 militaires belges à l’hôpital complémentaire de Minihic-sur-Rance.


       À la fin de la guerre, en 1918, Thérèse de Broqueville sera récompensée des mains du Roi Albert 1er, qui lui remettra la haute distinction de Chevalier de l’Ordre de Léopold. La maladie aura raison d’elle, à Paris, le 8 novembre 1924, elle n’avait que 38 ans. Le Roi Albert 1er et son épouse manifesteront, à nouveau leur reconnaissance lorsqu’ils présenteront leurs condoléances à la famille.


Le Dépôt d’Invalides de Sainte-Adresse

       Le Dépôt d’invalides de Sainte-Adresse avait son bon génie : Monsieur François Schollaert

       Près du Havre à Sainte-Adresse, le président de la Chambre des Représentants, le député Schollaert se dévoua corps et âme pour soulager et rééduquer les invalides. Au lendemain de la bataille de l’Yser, des éclopés de l’armée belge, imparfaitement guéris de leurs blessures et ayant obtenu prématurément leur billet de sortie des hôpitaux dans le tohu-bohu de la mêlée, étaient venus frapper à la porte de Mr. Schollaert. Il fut si ému de leur détresse, qu’il demanda au Ministre de la guerre l’autorisation de les réunir à Sainte-Adresse, dans un dépôt où ils auraient le logement, le couvert et les soins médicaux... Le dépôt des Invalides se peupla rapidement. Mr. Schollaert se fit aider par le docteur Smets, un praticien bien connu de Schaerbeek connu pour son grand cœur. Ce dernier rapidement organisa de façon exemplaire la mécanothérapie, l’électrothérapie, l’hydrothérapie et la thermothérapie, et contribua pour une large part au succès de l’établissement pendant que Mr Schollaert créait des ateliers et des cours pour la rééducation professionnelle. Fait remarquable, cet homme politique était très proche des invalides et passait beaucoup de temps parmi eux, les interrogeant lui-même, se préoccupant de leurs besoins, s’intéressant à leurs progrès, promouvant des perfectionnements dans leurs formations. Mr. Schollaert paya sans doute de sa vie son dévouement sans limites. Il fut emporté par la maladie le 29 juin 1917 et ce fut Mère Saint-Charles, religieuse belge qui recueillit son dernier soupir dans l'ambulance de l'impasse Saint-Michel au Havre.



 

       La courte évocation de ces quelques formations hospitalières est évidemment insuffisante pour nous donner une idée générale de l’ensemble des hôpitaux militaires belges en France. Chacun avait sa spécialité, son mécène, chacun avait une réputation qui pouvait être bonne  ou mauvaise et qui dépendait surtout des médecins qui les commandaient. Aujourd’hui, même démantelés, ces hôpitaux belges qui parsemèrent la France laissent comme ultime preuve de leur existence leurs cimetières militaires[10]. La base arrière de Calais d’octobre 14 au premier janvier 18 inhuma 898 militaires qui pour la plupart blessés au combat ne purent survivre malgré les soins fournis à l’arrière. En ce qui concerne la Bretagne, les tombes belges  éparpillées sur tout son territoire furent rassemblées une vaste nécropole à Sainte d’Anne d’Aurey qui ne fut inaugurée  qu’en 1984.

Dr Loodts

 

 

 



[1] Témoignage cité par  Chatelle Albert et Tison G , « Calais pendant la guerre 14-18 »,  Edition Quillet, 1927, Calais.

[2] Grâce à l’aide rapide de la malle Boulogne-Folkestone S.S. Queen sous les ordres du capitaine Carey, de nombreux passagers furent sauvés. Les grands blessés, dont Madame Dubois furent hébergés et soignés au Royal Victoria Hospital de Folkestone.

[3] D’après les documents conservés aux archives municipales de Calais 

[4] Idem, ce rapport se trouve dans les documents conservés aux archives municipales de  Calais

[6] La princesse Henriette de Belgique (1870-1948), sœur d’Albert 1er, devint duchesse de Vendôme par son mariage en 1896 avec Emmanuel d’Orléans, duc de Vendôme.  Durant la première guerre mondiale, les ducs de Vendôme se partagent entre leur villa de Neuilly, Belmont House en Angleterre et le château Saint-Michel à Cannes. Ils rendent plusieurs fois visite au couple royal belge à La Panne, derrière les tranchées de l'Yser.

[7] Le lecteur intéressé trouvera  d’importants compléments d’information sur les hôpitaux belges en France sur ce site.  

[8] Ege Tilmns, « Calme sur le front belge », la renaissance du Livre, Bruxelles 1932

[9] Le carnet du Sergent Groleau  a été publié en 2009  par le Centre de Recherches et de Documentations régionales, 5 rue Sars-Longchamps, 7.100 La Louvière 

[10]  Voir ici le relevé des tombes militaires belges en France



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©