Médecins de la Grande Guerre

La comtesse van den Steen de Jehay

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La comtesse van den Steen de Jehay.

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La Comtesse van den Steen de Jehay en 1907.

La comtesse Van den Steen de Jehay dans l’ambulance du château d’Hondt. Cette ambulance devint l’hôpital Elisabeth après la visite de la Reine en juin 1915.

La comtesse Van den Steen au travail dans un camp de réfugiés à Poperingue en 1916.

La comtesse Van den Steen de Jehay distribuant des médicaments dans un camp de réfugiés.

Personnel médical de l’hôpital « in het Couthof » à Proven.On reconnaît au centre la comtesse Van den Steen.In het Couthof constituait en fait une extension de l’hôpital militaire Elisabeth situé au château d’Hondt à Poperinghe.

L’hôpital het Couthof à Proven (photo extraite de « De oorlog achter het front » Ch. Depoorter Poperinghe

La comtesse en compagnie du Roi Albert à l’issue du conflit.

La comtesse en compagnie du Roi Albert à l’issue du conflit. La comtesse Van den Steen de Jehay devint après la guerre citoyenne d’honneur de Poperinghe

Château de Chevetogne (Photo extraite de la revue du cercle culturel Ciney n° 97)

Mémorial élevé à la mémoire de la comtesse Van den Steen de Jehay dans le parc du château de Reux (Photo extraite de la revue du cercle culturel Ciney n° 101)

La photo montre la réunion des anciens combattants du 7/13 BFA à Bailleul le 15/06/1958 avec au front Monsieur Tytgat (jeune homme en costume gris et avec des lunettes), derrière lui (avec le drapeau) le président de l’association Monsieur Tuyaerts et à sa droite Monsieur Hauman.

Photo et cadre dédicacés par la Reine Elisabeth en remerciement au "Major" de Poperinge.

La comtesse dans son uniforme d'infirmière "Sainte Camille".

Le château de Louvignies où la comtesse passa toute son enfance. (Photo Dr Loodts)

Le château de Louvignies où la comtesse passa toute son enfance. (Photo Dr Loodts)

La comtesse Van den Steen. (collection B. de Moreau)

La chapelle de Couthoven. (collection B. de Moreau)

Couthoven – La salle Albert, le Cdt fait son tour. Dr Alexander, Mesdemoiselles Montoisy et Claes. (collection B. de Moreau)

Abri de la ferme De Ryck – La comtesse Van den Steen. (collection B. de Moreau)

Les civils à la salle Charles – Cdt Loriers, Dr Alexander, sœur Suzanne et Mlle Claes. (collection B. de Moreau)

Le long des passerelles à Couthoven – Mesdemoiselles Montoisy, Kaekenbeeck, Annaert, Dr Alexander, Cdt Loriers, comtesse Van den Steen, mesdemoiselles Haest et Claes. (collection B. de Moreau)

Les soeurs. (collection B. de Moreau)

Salle des pansements. (collection B. de Moreau)

Poperinghe : Le premier staff en 1915. (collection B. de Moreau)

Le réfectoire. (collection B. de Moreau)

Couthoven – Le Cdt Loriers, Dr Alexander et Melle Claes. (collection B. de Moreau)

Couthoven – Le Cdt Loriers et la comtesse Van den Steen. (collection B. de Moreau)

Sixter Macfie conduit une sortante à l’auto. (collection B. de Moreau)

Arrivée d’un blessé. (collection B. de Moreau)

Le long des passerelles à Couthoven. (collection B. de Moreau)

La comtesse Van den Steen, son fil Jehan et l’abbé Delaere. (collection B. de Moreau)

Le staff médical. (collection B. de Moreau)

Le staff à Poperinghe au Kasteel D’Hondt. (collection B. de Moreau)

Kasteel D’Hondt : soins aux blessés. (collection B. de Moreau)

Le Château d’Hondt (collection Jozef Deruyck)

On reconnaît les signatures de, la Comtesse, de Mme Terlinden, Réginald de Croy et de Lannoy (collection Jozef Deruyck)

La moto BSA de la guerre 14-18 et Henri Colin ordonnance de la Comtesse van den Steen de Jehay dame de Compagnie de sa Majesté la Reine Elisabeth. (Collection Famille Detilleux)

Introduction

Infirmière issue de l'école St Camille, la comtesse van den Steen connut son heure de gloire pendant la guerre 14-18. Dès le mois d'août 1914, elle transforma  son château de Chevetogne en ambulance. Une soixantaine de soldats français et allemands y furent soignés. Par ailleurs, clandestinement, elle apporta un appréciable soutien  aux 120 soldats français qui  coupés  de leur  division lors de la bataille des frontières n'avaient pu entamer la retraite prescrite à toutes les unités françaises et se cachaient avec armes et bagages dans les bois aux alentours. La comtesse publia en 1937 le récit de ses premiers mois de guerre dans le château de Chevetogne dont je vous livre ci-dessous de larges extraits. Le lecteur désireux de connaître  plus de détails sur l'aventure peu banale des 120 soldats français isolés dans nos forêts sera comblé car il trouvera aussi ici l'important travail de recherche publié par Monsieur Descy membre du Cercle d'histoire et d'archéologie de la ville de Cinez. En novembre 1914, la comtesse décide de fermer l'ambulance et de rejoindre le front. Elle parviendra à Calais et travaillera trois semaines comme lingère dans l'hôpital "Duc de Vendôme"( du nom de son bienfaiteur, beau-frère du roi Albert) avant d'être chargée, en janvier 15, par l'Inspecteur Général du Service de Santé, le Général médecin Mélis d'aller seconder les Quakers qui secouraient la population civile d'Ypres. La Comtesse prendra la relève des Quakers qui avait établi une ambulance  dans le château du juge de Paix D'hondt à Poperinghe. Après l'évacuation des civils malades, cette ambulance devint l' hôpital militaire "Elisabeth" auquel on joignit quelques baraquements supplémentaires situés à quelques Km de là  dans la propriété "Het Couthof" à Prouven. Pendant les années de guerre qui vont suivre, l'hôpital Elisabeth va devenir le seul point de ralliement  des militaires belges qui se trouvent en mission dans la zone d' Ypres totalement sous tutelle de l'armée britannique. La comtesse de Jehay  à de très nombreuses reprises quitta son hôpital pour informer le roi de ce qui se passait dans ce petit coin de Belgique... Elle était  à Poperinghe l'oeil du Roi Albert....La Reine par ailleurs s'entendait très bien avec la comtesse  et lui donna  en raison de sa forte personnalité le surnom  bien parlant de " major de Poperinghe", surnom qui lui allait comme un gant et qui ne devait plus la quitter. L'hôpital Elisabeth joua un rôle important  dans les soins que durent recevoir les soldats de la 13th Belgian Field Artillery. L'histoire de cette unité belge est exceptionnelle  car elle fut la seule unité belge  directement aux ordres de l'état-major anglais. Chargée de renforcer l'artillerie anglaise insuffisante dans le secteur d'Ypres, cette unité  complètement isolée de l'armée belge  était de plus  dépendante de l'armée anglaise pour quasi tout ses ravitaillements et même pour la discipline, ce qui d'ailleurs n'alla pas sans problèmes... Les soldats belges du 13 th Belgian Field Artillery furent particulièrement reconnaissant envers la comtesse van den Steeen de Jehay  d'avoir maintenu un havre belge où les soldats pouvaient retrouver un  personnel médical qui comprenait leur mentalité. Le lecteur trouvera  ci-dessous l'histoire de cette unité d'artillerie particulièrement bien étudiée en 1988 par Monsieur Depoorter de Poperinghe. Nous avons signalé que la comtesse van den Steen eut la chance d'approcher de très près la famille royale tout au long de la guerre. Après la guerre elle mit par écrit les nombreux souvenirs ayant trait au Roi et à  la Reine pendant la grande Guerre. Ces souvenirs  révèlent bien mieux que de longs discours les personnalités  très attachantes d' Albert et d'Elisabeth, c'est pourquoi il m'a parut intéressant de retranscrire  les principaux dans cet article. 

Reste le mystère de la comtesse van den Steen, car il existe un mystère concernant cette petite dame si courageuse! Pourquoi ne parle t-elle pas plus de son mari et de son fils?  Un mari qui fut avant la guerre attaché de cabinet du Roi... Un fils qui s'engagea dans l'armée et dont nous ne savons  comment il termina la guerre! 

Que sont devenus toutes les archives, albums photos, correspondance, médailles de la comtesse? Comment vécut la comtesse après la guerre?  Pourquoi la comtesse n'écrivit-elle pas l'histoire des trois années de l'hôpital Elisabeth alors qu'elle écrivit minutieusement ses  premiers mois de guerre à Chevetogne? 

 D'autres questions me viennent encore à l'esprit et reste à ce jour sans réponses. Quand décéda  la comtesse de Jehay. La Reine Elisabeth fut-elle présente aux funérailles?  Seul reste un mémorial dans le parc du château de Reux où la comtesse fut inhumée.   

Les témoignages 

1) La vie à l'ambulance du château de Chevetogne

2) L'aventure des 120 soldats français qui tinrent le maquis dans les bois de Chevetogne

3) Une  vieille baraque près de Ciergnon témoignait encore en 1946 de l'aventure des 120 soldats français

4) Le 7/13th field Belgian Field Artillery

5) La comtesse de Jehay raconte ses souvenirs concernant le couple royal


Personnel médical de l’hôpital « in het Couthof » à Proven.On reconnaît au centre la comtesse Van den Steen.In het Couthof constituait en fait une extension de l’hôpital militaire Elisabeth situé au château d’Hondt à Poperinghe.

1) La vie à l'ambulance de Chevetogne

d'après " Mon journal d'infirmière", comtesse van den Steen de Jehay, Office de Publicité, Bruxelles, 1937

Dès le trois août 14, la comtesse est à  Bruxelles afin d'obtenir les autorisations utiles  pour transformer son château de Ciergnon en ambulance. Elle rencontre en cette occasion le général-médecin Mélis. Le 4 août , on aménage le château: trente paillasses dans le grand salon tandis que le petit salon est transformé en salle d'opération. deux infirmières arrivent pour aider la comtesse: il s'agit de Mlles Ramy et Ramdonck et d'une amie de Mlle Ramy: Mlle Lemaire. Le 10 août c'est un voisin du château, Monsieur Roger de Beaudignies qui arrive du château de Skeuvre avec sa précieuse torpédo de quatre places pour se mettre au service de l'ambulance. Le 13 août, arrive un premier blessé; il s'agit d'un dragon français dans son bel uniforme. Une balle en séton lui a traversé l'épaule. Le 14 août, les Allemands visitent l'ambulance et ramènent l'après-midi deux dragons français: Parmentier et Roland, puis le uhlan Lemberg et le capitaine français Paul Vergne. 

La mort héroïque du dragon Roland au château de Chevetogne

Roland  est très gravement blessé , une balle doum-doum a traversé l'abdomen et la péritonite s'est déclarée. Au ventre la blessure est petite, dans le dos la plaie est énorme à la sortie de la balle. Roland a vingt ans. La comtesse est émue : Et que ses yeux brillent en parlant de la maman qui l'attend à Panam! Je lui dis que la fête de la vierge a lieu demain. Je lui demande s'il a confiance en elle. Il sourit. "Ah ma bonne dame, je crois bien que j'ai confiance! " Brusquement l'hémorragie, que rien ne peut entraver, jaillit par la plaie du dos. Roland se retourne, recueille et élève dans sa main le sang qui s'écoule entre ses doigts et dit d'une voix forte : "Que Dieu prenne tout mon sang, mais que la France soit victorieuse!" Puis ses cris rauques décroissent et à l'aube de l'assomption, Roland est mort.

Les dragons du capitaine Vergne: massacrés sans avoir tiré un seul coup de fusil

Quand au capitaine français, on lui recoud trois blessures à la tête et le docteur lui retire une balle du pied. On le transporte ensuite dans une chambre du premier étage et là il se met à pleurer en disant "Ah! mes hommes, mes pauvres hommes. C'est moi qui les ai fait tuer!"

C'est près de la ferme de la Grigoulle , à Conjoux que l'escadron du capitaine Vergne, arrivant de Beauraing en reconnaissance, a été surpris par des fantassins allemands qui occupaient les bois de chaque côté de la route et qui ont laissé passer les premiers éclaireurs pour fusiller facilement le gros de la troupe. Les dragons n'ont pas tiré un coup de fusil. Ils ne voyaient pas leurs ennemis. Après la première fusillade, ils se sont retirés vers la ferme. C'est là que la capitaine, qui s'était jeté devant Rolland blessé, qu'on voulait achever, a été fait prisonnier. Les allemands croyant que l'ambulance de Chevetogne était allemande, y ont fait porter les blessés.

Le major K,  un blessé allemand  qui rendit des services précieux à la comtesse 

Le 20 août est un autre jour mémorable pour le château de Chevetogne. Un capitaine d'Etat-Major allemand: K..., blessé au mollet est amené à l'ambulance. Des bruits lancés à tort où à raison par ses lieutenants font croire que sa blessure avait été causée par un coup de revolver qu' il se serait  donné lui-même pour ne pas aller au front.

Le 22 août, on apprend au château que dans le village proche d' Haversin un fil téléphonique allemand a été coupé. On a aussitôt arrêté le docteur Jadot Père, le baron de Bonhome, le chef de gare. On menace de les fusiller. Camille Jadot, le jeune docteur sanglote: "Sauvez notre papa, mon cher papa!" Le seul espoir est notre major allemand. L'intéresser à l'aventure, le faire lever, l'habiller, le mettre en auto et nous voilà en route pour Haversin. Le docteur a été accusé par une horrible mégère allemande, nommée Callenbach. Elle se dit infirmière de la Croix-Rouge et habite le village. C'est elle qu'on a vu cracher à la figure des prisonniers, espionner et se saouler. (...) 

Le major parle à qui de droit, obtient droit de cause. Nous expliquons que le docteur soigne les blessés allemands: demain il aura un "schein" qui le mettra à l'abri de nouvelles mésaventures. Ouf!

Bientôt toute la communauté de l'ambulance apprend le massacre de Dinant. Le major K.. qui revient de Rochefort tout fier de rapporter de la farine allemande s'exclame

-Tout cela est faux, s'écria-t-il, rouge d'indignation. L'Allemagne est une noble nation (...)! 

On décide de se rendre compte sur place et le 26 août, la comtesse entreprend la visite de Dinant! La terrible vérité éclate au grand jour! le massacre des civils se révèle une atroce  réalité.  Sur les joues du major K... des larmes roulent: "C'est affreux ce que les miens ont fait ici. Après cela je ne peux plus retourner chez vous."
Plus tard le major K... rendra encore service à la comtesse. Grâce à lui, en 1915 elle pourra obtenir l'autorisation de revoir durant deux mois son mari  qui se trouvait en Suisse.

La générosité du capitaine français Vergne envers les soldats belges

Le 28 août, la comtesse et ses infirmières vont à la rencontre d' une colonne de prisonniers belges sur la route de Corbion. Le capitaine Vergne a décousu une ceinture qu'il portait serré sous ses vêtements et qui contenaient des louis...Il en donne une poignée à la comtesse: " Pour mes frères belges", dit-il.

  Lourdement chargés d'oeufs durs, de tartines fourrées, de chocolat, répartis dans des paniers à linge, nous allons sur la route de Corbion où déambule la misérable caravane. Les infirmières passent entre les rangs, distribuent les vivres et récoltent un grand nombre de messages écrits pour les familles. Nos paniers en débordent.  Henri d'Huart est dans cette caravane. Nous l'engageons à s'échapper, à se cacher à Chevetogne. Il refuse. Le commandant de la colonne a prévenu que si un seul homme disparaissait, dix de ses compagnons seraient fusillés sur le champ. (...) 

La courageuse  famille Radiguès

Rencontré M. Radigués (châtelain de Coneux). Quel vaillant! il parcourt le pays pour prodiguer des encouragements et, entre les semelles de ses souliers , il porte les dernières nouvelles, vraies ou fausses, mais toujours réconfortantes. Son exemple est suivi dans sa famille. Aujourd'hui il est avec Lalique, un homme du 16° dragon, caché à Conneux. (Un jour les souliers ont été explorés par les Allemands, ils y ont découvert que toute la famille Radigués faisait de l'espionnage. On n'a pas inquiété les courageuses filles et leur mère, mais M. de Radigués et sont fils ont été envoyés en Allemagne)

Le 30 août, un message parvient à la comtesse: Raoul de Lévignen, châtelain et bourgmestre de Houx, près de Dinant a été fait prisonnier et est gardé à la gare de Cinez depuis dix jours... La comtesse se rend chez les autorités allemandes à Leignon. Elle explique que "Lévignen est un peu égaré depuis le jour où il a fait une chute de ballon et s'est cassé les deux jambes".

Au château arrive quatre médecins allemands pour examiner les blessés. Les Allemands seront évacués  le lendemain, les français un peu plus tard. Le soir divisés en deux groupes sur le perron, les soldats chantent "en reconnaissance, Mesdames". Le premier septembre, les allemands viennent enlever avec un grand chariot leurs blessés au château et puis, ordonnent au personnel de l'ambulance d'aller chercher 15 blessés français qui se trouvent à Leignon (au Couvent des soeurs de la Providence) dans un état déplorable.  Dans une salle nue, pavée, sur de la paille jamais renouvelée, les soldats gisaient. Aucun n'était déshabillé. Pas d'eau, pas de bassin, pas de verres ni de carafes, pas de vases de nuit. Pour les impotents, tout se faisait là, soit sur la paille, soit sur leurs vêtements... Ils fumaient et c'est un miracle qu'il n'y ait pas eu d'incendies. L'odeur était affreuse. Ils étaient sales, déguenillés, mangés de vermine, tremblants de fièvre et se plaignant de faim. 

On s'attache a ses malades et blessés. Aussi la comtesse a beaucoup de mal en voyant le 9 septembre le capitaine Vergne emporté par l'ennemi vers un camp d'Allemagne. Le 11 septembre elle a cependant la satisfaction d'apprendre que Raoul de Lévignen a été libéré. Elle apprend aussi au même moment  que le chanoine Carton de Wiart et ses infirmières anglaises, prisonniers des Allemands, sont en danger à Hastières. Le lendemain, muni d'un fanion de la Croix-Rouge qui flotte au pare-brise de la voiture et d'un sauf conduit établi par le médecin allemand Weber, la comtesse file vers Hastières. Elle arrive bientôt au couvent des Soeurs de la Tillière. Devant la grille se tient un homme en uniforme gris fort sale.(...) L'accueil est grossier. La comtesse de Jehay parvient cependant à délivrer Monseigneur Carton et ses infirmières en se faisant passer pour la duchesse de Westminster. Pour ce faire, elle doit faire deux aller-retour vers Chevetogne.  

L'histoire curieuse de Monseigneur Carton de Wiart, chanoine belge de Westminster et de ses quatre infirmières anglaises 

L'histoire de ce Monseigneur vaut la peine d'être racontée. A la déclaration de la guerre, il a quitté son poste de Londres (chanoine de Westminster) en emmenant quatre infirmières catholiques (de St-andrews Hospital, je crois) et une importante provision de remèdes pharmaceutiques et de pansements. Son intention était d'établir un poste de secours dans la petite maison qu'il possède à Hastières, à côté de la grande demeure familiale et d'y soigner les belligérants, quels qu'ils fussent. Le 25 août, à la demande d'un officier allemand, Monseigneur Carton et deux infirmières vont chercher une femme blessée dans une maison. Ils sont arrêtés devant la grosse maison familiale des Carton de Wiart. Les soldats les mettent en joue et veulent faire rentrer le prêtre dans la maison sans doute pour l' enfermer et le faire brûler vif avec la maison qu'il comptent incendier. Monseigneur se défend, se débat et finalement est fouillé. Cela lui sauve sans doute la vie car on ne découvre  découvre sur lui qu' une boîte contenant des hosties consacrées... Finalement on leur permet d'enlever la femme blessée. Après leur départ la maison familiale est cependant brûlée.  Le sac d'Hastière eut lieu le 28 août. Les Allemands invoquèrent des franc-tireurs. Le Dr Halloy s'est réfugié dans sa cave, les soldats le font monter au rez-de-chaussée et le tue. Ils vont ensuite chez le boucher Auguste Aigret et devant sa maison le tue ainsi que son fils aîné. Le fermier Jules Riffon est tué de la même façon ainsi que le fermier Bodson, tué avec ses deux fils. Le curé d'Hastières et dix autre habitants subiront  le même sort...   

Voilà donc Chevetogne avec quatre infirmières et un Monseigneur en renfort... Un Monseigneur qui a besoin de se changer les idées car le soir du 14 septembre il émit un curieux souhait: "Si l'on dansait?" Et, la table d'opération et la table des pansements écartées, il préside au tour de valse des infirmières. 

Une belle épopée , celle des 120 soldats français qui  se cachent avec armes et bagages dans les bois de Chevetogne

Le 15 septembre on signale à la comtesse la présence de 120 soldats français qui se cachent dans les bois avec armes et bagages. C'est le début d'une histoire incroyable car la plupart de ses soldats parviendront à rejoindre le front... Mais n'anticipons pas! aussitôt la nouvelle connue, tout est fait pour secourir les soldats transformés en véritables "hommes des bois" depuis trois semaines! Le 18 septembre dans une clairière, les Français avec à leur tête le maréchal des logis Taborelli communient à la messe célébrée à leur intention par Mgr Carton. Par  après, le 22 septembre, une infirmière Mlle Ramdonck rejoindra leur campement pour y soigner leurs malades. Les jours se suivent très mouvementés, le 25 septembre les Allemands viennent chercher les nurses anglaises et Mgr Carton. Ceux-ci seront dirigés vers l'Allemagne mais finalement par un long circuit via la suède, ils parviendront à rejoindre l'Angleterre. La comtesse quant à elle connaît bientôt la peur de sa vie quand les Allemands ayant appris la présence de soldats en armes cachés dans les environs fouillent le château après lui avoir dit -"Vous cachez des soldats français, vous avez des munitions. Pendant que nous cherchons, vous resterez là sur le perron, et si nous trouvons, les soldats tireront." Heureusement les fouilleurs reviennent bredouille. Les soldats partis,  la comtesse  descend  dare-dare à la cuisine embrasser sa pauvre  cuisinière Marie qui s'attendant à l'exécution de sa patronne... 

Depuis le 27 septembre, il y a un nouvel hôte au château: la comtesse a offert l'hospitalité au pauvre curé de Sorinnes.. C'est un homme de plus de soixante ans, perclus de rhumatismes et une jambe autrefois cassée en a fait un infirme. Il trésaille au moindre bruit. Ses mains sont douloureuses et lourdes. Il les pose sur la table. On voit alors, autour des poignets, trois lignes rouges profondément creusées. Ce sont les traces des cordes qui, si longtemps lui ont lié les mains .

-Et maintenant, Monsieur le curé, racontez-moi bien toute votre histoire. Et n'allez pas trop vite, pour que je puisse écrie sous votre dictée. 

Le calvaire du curé de Sorrines

Et le pauvre curé raconte son histoire, le 14 août, des hussards lui ordonnent d'enlever le drapeau belge de l'église, de ne plus sonner les cloches... On l'accuse aussi d'être monté au clocher et d'avoir tiré... Finalement les Hussards quittent le village mais sont remplaçés le 16 par des cuirassiers puis par des soldats saxons. Ces derniers conduisent le vendredi 21, tous les habitants du village dans la ferme de Morhet... Le soir on lie les mains du vieux curé derrière le dos et c'est un de paroissien qui lui met de la nourriture dans la bouche. Vers 10 heures on emmène tous le monde vers Leignon. Tous les habitants doivent marcher les mains levées au-dessus de la tête. A Leignon, on enferme les habitants de Sorinnes dans l'église. Le lendemain matin, on conduit le pauvre curé dans un confessionnal dans lequel  les soldats se moquent de lui en mimant une confession. Le curé restera dans son confessionnal jusqu'au lendemain vers six heures du soir, moment où les soldats le déplacent vers le choeur. Il va y rester toute la nuit. Alors, à 6 heures du matin, des soldats l'emmènent pour un simulacre d'exécution. Le pauvre curé demande à une de ses paroissiennes de lui laver le visage, de le brosser afin d' être propre pour mourir. Sorti de l'église, le curé découvre au cimetière la fosse creusée et à côté un prie-Dieu sur lequel il s' agenouille pour une dernière prière. Les soldats l'interrompent vite pour lui demander s'il ne veut pas parler encore une fois à ses paroissiens... Reconduit à l'église, il entame un mot d'adieu avant d'être à nouveau  interrompu par les soldats qui en riant le remette de force dans le confessionnal... A partir du mardi après-midi, le pauvre prêtre a l'occasion de sortir de l'église trois fois par jour. Le jeudi, on le bat à coups de fouet, et on lui crache au visage... Le vendredi les femmes sont libérées et les hommes sont enmenés à Hogne où on fait coucher tout le monde dans le grenier du château. Le lendemain, la longue colonne se remet en marche... arrivés à 1 Km de la ville de Marche, on sépare les prêtres des civils... Les prêtres sont conduits chez les Carmes où ils doivent rester prisonniers sur parole. Enfin après six semaines de captivité, il est libéré puis est venu demandé l'hospitalité à Chevetogne car Sorinnes avait été entièrement brûlé par les soldats : seuls l'église et le château restaient debouts mais en piteux état...      

La comtesse apprendra plus tard  que le martyre  du curé de Sorinnes n'était hélas pas un événement isolé. Plus de 38 prêtres de  l' évêché subirent des traitements inhumains comme par exemple l'abbé Servais, curé de Dorinnes.

L'abbé Servais, curé de Dorinnes

 On accuse l'abbé Servais, curé de Dorinnes d'avoir cloué un uhlan à la porte de son église, d'avoir promis 20 francs par tête de uhlan, d'avoir un dépôt d'armes, d'avoir empoisonné l'armée allemande. On examine ses comtes, on lui reproche devant ses paroissiens de les exploiter, d'être un fils dénaturé, et on déterre dans sa cave une somme de 21 mille francs. On lui fait gravir avec un groupe d'habitants, au pas de course, la pente de Dinant. Puis, les mains liées derrière le dois, on l'attache à la queue d'un chariot et on le promène ainsi pendant plusieurs jours. Il se retrouve à Rosée où on le juge, sur une accusation signée de quatre de ses paroissiens, pour avoir excité sa paroisse contre les Allemands. Reconnu innocent, il est reversé avec les autres prisonniers. Puis, ligoté, on le jette dans un tombereau avec un cochon tué. A chaque cahot, les pattes du porc lui heurtent la tête. On le libère enfin à Marche. 

Soirée d'adieu au camp des 120

Dans l'ambulance du Château de Chevetogne la vie se poursuit entrecoupée pour la comtesse de visite aux soldats français cachés dans les bois." Mlle Ramy et moi, avec de bonnes cannes et accompagnées de Gustave, le jeune garde, partons à travers bois. Le campement est tout à fait romantique. On dirait une scène de Cyrano de Bergerac. Tableau d'épopée dans un décor automnal: détaille mis en page par Coro. Sur un terrain  en pente, en plein taillis, des feux. Devant l'un tourne une broche que le cuisinier du régiment arrose. Aux arbres sont accrochées les capotes. Plus loin, les fusils en faisceaux. Groupés par groupe de 20, les hommes sont en uniforme d'un bleu et rouge déteints, képi en bataille. Accroupis autour de la flamme, ils ont des rires et des mots étouffés. L"accent" du midi, relevé d'une gousse d'ail, ajoute à la saveur du tableau.

C'était en vérité la dernière soirée que les soldats passaient ensemble  car le lendemain, ils avaient décidé de s'éparpiller  pour essayer par petits groupes de rejoindre les lignes françaises! La plupart des soldats réussiront mais certains resteront encore de longs mois cachés en Belgique, recevant de l'aide de la Comtesse comme ce fut par exemple le cas le 7 novembre:

Je vais dans le bois de Reux avec le R. P Godet, vêtu en cycliste et couvert d'un caban, qui cache des provisions et des remèdes. On dirait un gamin en maraude. Je ne dois pas avoir un air plus élégant. Et de rire... Deux soldats français nous attendent à l'endroit convenu. L'un d'eux vient de Houx. Il est asthmatique. L'autre est un des "120". Combien de temps pourront-ils tenir dans cette hutte de bûcherons, par ce froid et cette humidité?

Novembre 1914 :  le front s'est stabilisé et condamne les belligérants à une longue guerre de position. La comtesse décide alors de mettre fin à l'ambulance de Chevetogne et de rejoindre Bruxelles. Après avoir effectué dans cette ville une visite à l'aumônier de la Cour, Monseigneur Pieraerts, elle décide de rejoindre l'armée belge et les Souverains  derrière l'Yser.

Le lieutenant Terlinden

 La comtesse essaie d' emmener avec elle Valentine Terlinden, une infirmière qui avait été sa collaboratrice de  longue date dans la fondation de l'école d'infirmière Saint-Camille. Le fils de cette infirmière venait de se faire tué en octobre 14 sur la frontière de l' Est-Africain allemand. Il était le premier officier belge mort au Congo en territoire conquis. Valentine Terlinden ne partira finalement pas avec la comtesse de Jehay mais elle finira par la rejoindre à Poperinghe en février 1915. 

Le général allemand  von Longchamp est  un  admirateur  de la reine des Belges

Pour rejoindre les lignes belges la comtesse va user d'un subterfuge: elle  rencontre à Namur le général allemand von Longchamp qui avait bien connu  la  Reine des Belges pour avoir  galopé à ses côtés alors qu'elle n'était encore qu'une jeune  princesse de  Bavière dans le château paternel de  Possenhofen. Ce général écrivit alors au crayon un message pour la Reine des Belges qu'il signa et remit à la comtesse...  toute heureuse de posséder  un document  qui, avec un peu d'astuce, pouvait servir de laisser-passer!

 A Bruxelles, ayant entendu dans la rue le nom du chef de la kommandantur, au lieu de suivre la queue, j'avisai le planton et lui remettant ma carte sur laquelle j'avais écrit: "de la part du général von Longchamp", je lui dis: "c'est urgent, faites-moi passer tout de suite."

Cinq minutes après, j'expliquai à un fonctionnaire un peu ahuri qu'il me fallait une permission de voyager en auto, que je devais passer en Hollande et de là porter un message (dont je lui confiais le secret à la Reine des Belges. Il répondait: 

- Mais on ne donne plus permission auto. C'est contre règles (sic).

- Parfait, dis-je. Je suis enchantée de votre refus. Je n'avais pas du tout envie de partir. Au-revoir, je vais dire au gouverneur que vous n'avez pas voulu.

- Mein Gott, ne dites pas cela. Revenez ici. 

J'eus toutes les autorisations et, le lendemain... J'étais en Hollande. (Quand un mois plus tard, je remis fidèlement le message de l'ancien lieutenant de Possenhofen, elle en fut indignée, mais rit de l'aventure)         

L'aventure de Louis, frère de la comtesse, vaillant défenseur d'Anvers

Arrivée en Hollande la comtesse a le plaisir de retrouver son frère Louis  qui avait été engagé dés les premiers jours comme canonnier dans un fort d'Anvers. Le commandant du fort avait dit à ses hommes: "Voici les ordres que je reçois: Personne ne sortira du fort. Vous le ferai sauter dans une heure avec sa garnison.  Allez, mes amis, préparez-vous. Soyez ici dans une heure. nous mourrons ensemble." Et Louis , seul dans le couloir, pendant une heure s'était préparé à la mort. Or quand au bout d'une heure, il s'était trouvé au point de réunion, il n'y avait point de réunion; chacun, y compris le commandant s'était défilé, le fort était vide, les obus allemands tombaient dessus et Louis avec Ferain, s'en fut vers Anvers en escaladant des murs où il s'arracha les jambes. Avec la foule qui se sauvait dans le plus affreux désordre, il gagna la frontière hollandaise à pied, puis le château d'Eysen, où, comme un mendiant, il vint frapper un soir. Mme de Geloes le coucha, le soigna. Rétabli, il gagna le Havre pour reprendre son service. Mais déclaré inapte, il fut renvoyé à Maestricht comme consul.

Ensuite, après de brèves retrouvailles, la comtesse se remit en route et traversa la Manche. A Folkestone , elle rencontre Mlle van Hemelryck, une des meilleures infirmières de Saint-Camille qui revient très déçue de Calais où le Dr Depage n'a pas accepté sa candidature à un poste d'infirmière et qui lui dira:

- On m'a renvoyée. D'ailleurs le Dr Depage renvoie tout le monde. Si vous réussissez à y rester, je vous en prie, Madame, rappelez-moi. Je veux servir."

Une entrevue difficile avec le Dr Depage

La Comtesse retraverse la Manche pour découvrir cette fois la ville de Calais, ville désorganisée, suintante de pluie sale, de neige fondue, de rouspétance, de vantardises, hantée d'hommes pâles aux pansements défaits, et qui toussent, de femmes (Vlüchtelingen) entourées de marmots transis qui mendient à l'entrée des cafés bruyants où l'on critique le dernier communiqué, de ces traînards en haillons et en chaussures éculées dont les silhouettes se confondent dans la brume et forment un soc à ces longs et maigres  "Bourgeois de Calais", si nus et si honteux dans leur chemise de bronze déteint. Tous traînent sous la pluie une mentalité de gens en chemise et ce groupe de "Speculaus" mouillés comme disent nos pauvres "jass", symbolise tout ce qui grouille, en cette terre d'exil, de malsain, de fatal, d'inactif, de dépressivement ennuyeux. La ville entière parle belge. Essai de pénétrer dans un hôpital de typhiques, dont une odeur atroce et un infirmier sordide défendent la porte contaminée: "Nous ne voulons pas d'infirmières ici... Le Dr Depage?... C'est à côté." 

J'affronte le monstre, le génial toubib brusselaire. Il est là en train de passer son manteau bleu d'uniforme, lourd de pluie. Et comme, sans parler, je lui donne un coup de main:

- Qu'est-ce que vous veneïe(sic) faire ici?

- Je viens comme infirmière de la Croix-Rouge et de Saint-Camille pour soigner les blessés. On a fait dire en Belgique qu'il manquait d'infirmières et de médecins.

- Pourquoi êtes-vous venue?

- Parce que j'ai signé il y a des années, comme les autres infirmières, une promesse de suivre l'armée en cas de guerre.

- Cà est vrai çà? Et alors les autres, qu'est-ce qu'elles fichent?

- Elles ne tiennent pas leurs engagements, ou on les empêche de les tenir, voilà tout. Je tiens les miens. Je n'ai pas pu voir le Dr Mélis. On m'a dit que vous étiez dans les autorités. Avez-vous de l'ouvrage pour moi?

De l'ouvrache (sic)? Un conseil, ouïe. Retourne seulement à Bruxelles, comme les autres.

- J'ai une lettre de M. Duprez, de la Croix-Rouge de Bruxelles qui m'envoie auprès de la Croix-Rouge du front.

- Ouïe! Nous avons supprimé tous ces imbéciles là. Alleïe (sic), adieu Madame?

- Au revoir, Docteur et à bientôt. 

- Au revoir... Quand est-ce que vous partez?

- Moi?...Je  ne pars pas

- Vous parteïe(sic)  pas? Eh bien, vous en êtes une!

Refusée par le Dr Depage, la comtesse va devoir se satisfaire d'un travail de lingère à l'hôpital du Duc de Vendôme. Elle va y rester six semaines. La comtesse trépigne  cependant  d'impatience : elle veut se rendre plus utile!  Dans Calais, il y a encore tant à faire!

29 décembre, il y a un  refuge, rue verte. J'y vais avec le commissaire général. C'est je crois une ancienne école. L'institutrice: Mlle Pollet est très dévouée. Les salles sont absolument nues. On a jeté de la paille sur le plancher. Dans certaines salles, fume un poêle. L'odeur est affreuse. Les gens sont couchés sur la paille ou assis par terre. Ordinairement parqués par famille, serrés l'un contre l'autre, immobiles, hébétés, ils  tiennent leurs ballots de vêtements comme un trésor. Il y a une pompe dans la cour. Ceux qui se lavent dans cette eau glacée sont rares.

La comtesse devra cependant encore patienter. Son boulot de "lingère" sera heureusement  entrecoupé  par un séjour instructif au Havre qui héberge le gouvernement belge en exil. Logée à l "Hôtellerie" de Sainte-Adresse, la comtesse se distrait en assistant à un événement peu banal : la réception offerte à  l'originale  Mrs. Asquith, la célèbre épouse du Ministre anglais Asquith. 

Mrs Asquith et le capitaine Lancksweert, devenu le "Kissed officer"

Dans le hall, elles sont toutes rangées en rond, les dames des ministres. elles ont leur robe de soie noire et des gants blancs. elles veulent bien me confier: 

- Nous attendons Mrs Asquith. (...) Ne vous mettez pas près de nous, nous, nous devons la recevoir, nous sommes les "Dames" des Ministres." 

Avec la petite Hélène, je reste dans un coin. 

Grondement d'auto.

Valets de pied, portes qui s'ouvrent, révérences des dames, salamalecs des messieurs. 

Et une créature étrange  et pleine de chic fait son entrée à la Sarah Bernhardt, languissante et cadencée. Elle a une jupe très courte en drap d'uniforme kaki, des bas à jour, des souliers à talon,s excessifs et sur sa tête racée, posé de côté, un pinnemouche(sic) de soldat belge, à floche.(...)

Le lendemain, toujours avec Hélène, elle a visité la ville, les hôpitaux. Elle est entrée dans la salle à manger quand les hôtes, exacts y étaient depuis une demi-heure. sans saluer personne, elle s'est assise à la table des Davignon, y a déjeuné les coudes à table, en fumant des cigarettes. Le lendemain la grande Lady allait à La Panne, se rendait à une audience de la Reine et était pilotée par les officiers de la maison militaire, qui n'ont jamais oublié sa visite, et pour cause:

Parmi eux, le capitaine Lancksweert était jeune marié. Sa femme restée en Belgique occupée, avait prié  toutes ses "amies" "de l'autre côté" de veiller sur la vertu de son mari. Le bien-gardé n'obtint pas un jour de congé pendant toute la durée de la guerre. Mais le jour où Mrs Asquith vint visite rendre aux souverains belges, elle fut invitée à déjeuner dans la villa où habitaient les officiers, et s'y rendit avec son chevalier servant, major Gordon. 

- Oh ! le beau garçon! s'écria-t-elle à la vue de Lancksweert. Je veux embrasser  en sa personne l'armée belge toute entière !

Et depuis lors, le capitaine ne fut plus connu à l'armée britannique que sous le vovable de "the kissed officer".

Le mythomane Benay

La comtesse avait côtoyé au Havre une personnalité très cocasse, Mrs Asquith. Elle en retrouva une autre à l'hôpital du duc de Vendôme: le mythomane Benay, petit bonhomme de 16 ans qui portait sur son pyjama l'Ordre de Léopold qui à cette époque n'était donné à personne. Ce galopin était, disait-on, le fils d'un ministre belge et d'une Liégeoise, et le filleul de Gaby Deslys, l'actrice aux parures de plumes d'autruche. Le plus bel exploit de Benay fut aussitôt après l'armistice, son arrivée en Allemagne occupée. Se disant envoyé du Roi Albert sur le front des troupes, il décora de l'Ordre de Léopold le général américain Allen. Les Américains ravis le comblèrent de réceptions et de festins. Et la fraude ne fut connue que plus tard.   

L' Inspecteur Général du Service de Santé de l'Armée Belge, le docteur Mélis  visite  l'hôpital du duc de Vendôme et confie une mission la comtesse... 

Dès potron-Minet, un branle-bas général avait secoué l'hôpital. Comme il ne faisait pas froid, les feux furent éteints, et savez-vous où furent cachées toutes les pantoufles éculées des malades?... dans les poêles! Et savez-vous que tous ces blessés légers, sauf de rares exceptions tous debout, comme on n'avait pas de vêtements d'hôpital convenables, on les a tous couchés? Et savez-vous ce qu'il y avait avec eux sous les couvertures? ...tout ce qui traînait dans les salles: et les godillots, et les brosses, et les pipes, et les nippes, et les vases et les Jules à l'oreille cassée, cela sous le pavois du beau couvre-lit (don du S. A. R. le duc de Vendôme) bien propre et bien tendu. Et le général Mélis, magnifique et approbateur a passé l'inspection. (...)

Et comme pour rire plus à son aise, la lingère s'est réfugiée dans sa lingerie, la porte s'ouvre, et le Général Inspecteur etc... entre seul. Mais il n'est plus l'officiel. C'est le bon Mélis, le médecin de notre famille. 

- Que faites-vous ici ? dit-il. Je viens vous chercher. Un sacré typhus règne en flandre, décime la population civile, menace les armées française et britannique. Il faut établir immédiatement un hôpital à Poperinghe. Je vous en nomme directrice. Partez. Et à la muette interrogation de ma figure ahurie, il répond par cette expression, en usage à l'armée belge où on faisait tout avec rien:

- Tirez votre plan. 

Et voilà comment le 14 janvier 1915, nous sommes à Poperinghe. (...)

2) L'histoire  des  12O soldats français qui tinrent le maquis  les bois de Chevetogne.

Nous devons à Monsieur  J. Descy  le texte suivant  paru en février 2.003 dans le N°103 de la revue d'histoire locale et archéologie du Cercle Culturel de Cinez (Siège: hôtel de Ville de et à 5.590 Cinez).     

En 1924 dans son édition du 26/10, n°43, le "Journal du Canton de Cinez" reprendra sur deux colonnes entières un extrait de la revue "L'Echo de Paris" qui avait consacré un numéro spécial au rôle qu'avaient joué en Belgique, les congrégations religieuses françaises expulsées en 1901 par la loi Combes. C'est dans le texte concernant les RR.PP. Bénédictins de Liguré que l'essentiel de l'aventure des 120 soldats français est divulguée. 

L'épopée de ces braves

Les deux reporters de l "Echo de Paris", reçus au parloir du couvent de Liguré, écoutent sans interruption, le récit de deux pères ayant séjourné à Chevetogne de 1901 à 1923.

"Chevetogne, en Belgique, province de Namur, est un petit village tranquille dans les bois de l'ardenne entre Cinez et Rochefort. A la déclaration de la guerre, la communauté comptait 52 pères, 49 de nationalité française et respectivement  un Suisse, un Espagnol et un Hollandais. 31 sont mobilisables, et par les gares de Jemelle et de Cinez, via Namur et Charleroi, ils gagnent Jeumont où ils sont envoyés comme aumôniers ou brancardiers dans différente détachements de l'armée française. 

A Chevetogne, avec l'aide de la châtelaine tout proche, la comtesse van den Steen de Jehay, un hôpital de campagne est ouvert au Monastère comme au château. Dès le 14 août y affluent soldats français et allemands, malades ou blessés. 

Début septembre, un de nos vieux pères, herboriste dans l'âme, se rend dans les bois tout proches à la recherche de plantes médicinales et y découvre 120 soldats français privés d'officiers, coupés du gros de l'armée, commandés par un sergent-major Laurent Taborelli, bivouaquant dans le dénouement et l'isolement le plus atroce.(N.D.R.L ,sur base des écrits de l'abbé Renauld, il s'agissait d'une troupe ayant participé à la bataille de Saint-Hubert qui fut isolée du gros de son contingent lors de la retraite vers la Meuse). La comtesse, en accord avec le Père Dalidet, supérieur du monastère, décide de ravitailler et soigner ces malheureux avant d'envisager leur évacuation ou leur rapatriement. Les premiers soirs, par des chemins toujours différents, le garde du château, Joseph Liégeois, le jardinier du Monastère, Laurent Culot et le père Godet, réformé, grand spécialiste du vélo, tantôt en habits civils, tantôt en ouvrier agricole, vont nourrir ces hommes. Les infirmières de l'hôpital de campagne du château, Mesdemoiselles Van Ramdonck et Ramy, les accompagnent régulièrement pour dispenser les soins nécessaires. Bientôt, ces soldats en habits militaires, plus rarement en civils, commencent à sillonner les chemins par groupes de 2 ou 3 pour aller chercher de la nourriture dans les fermes. Ces allées et venues n'échappent pas à l'observation des Allemands. Le 16 septembre, grâce à une information d'un R.P. capucin de Cinez connaissant l'allemand, la comtesse et le R.P . Dalidet sont avertis de l'imminence d'une fouille des bois de Chevetogne et de Montgauthier. Aussi, pour parer au pire, il est décidé de disperser ces 120 militaires dans différents châteaux, fermes et couvents de la région. Le lendemain, 18 septembre au petit matin, le père Dalidet, accompagné d'un évêque belge parlant parfaitement l'anglais, dont j'ai oublié le nom célèbrent, au milieu des bois, une messe où pratiquement les 120 militaires communient. Le prône est consacré essentiellement aux recommandations avant dissolution de la troupe (port de vêtements civils, respect du bien d'autrui, hébergement dans différentes fermes et châteaux de la région avec mise en service des propriétaires et fermiers en attendant la mise sur pied d'une filière d'évasion via la Hollande.

Le moment de la séparation constitue une scène poignante d'émotion où chacun, les larmes aux yeux,  s'étreint longuement. Par petits groupes de respectivement 2 à 4 personnes, on se disperse dans les fermes et les châteaux de Chevetogne, Haversin, Montgauthier, Reux, Conneux, Corbion, Ychippe, Cinez et même Queuvre(N.D.R.L., il faut lire Skeuvre) sur la route nationale Arlon-Namur. Le 24 septembre, des troupes allemandes, spécialement venues d ecinez et d eNamur, fouillent les bois de Chevetogne, Montgauthier et Haversin. Celles-ci sont particulièrement mal intentionnées à l'égard de la population civile car lors de la fouille d'un bois en bordure d'une carrière, sur le tronc d'un arbre, le sergent-major Taborelli avait écrit de sa main, sur un panier à en tête de la compagnie: "Venez nous chercher!" avec l'estampille réglementaire. Ceci ne constituait pas un acte à mettre les Allemands de bonne humeur. 

Aussi les 24 et 25 septembre, Chevetogne sera véritablement investi. Chaque maison, ferme et surtout le château , le Monastère, le presbytère, et l'église seront fouillés de fond en comble. Mais la providence est avec nous; aucun soldat français ne sera capturé bien qu'une bonne dizaine étaient respectivement au château et au Monastère déguisés en ouvriers agricoles, cuisinier, jardinier, maître d'hôtel et même jeune fille ayant dû côtoyer les militaires teutons durant plusieurs minutes.

La filière d'évasion vers Cinez-Havelange-Andenne-Liège et Maseijck, grâce à des connaissances transfrontalières de notre père hollandais,  Bruno Van Reyneghem commence à fonctionner en octobre 14. Par groupe de 2 à 4 personnes, accompagnés d'un ou plusieurs guides recrutés aux différentes étapes de l'itinéraire d'évasion, ils seront soixante dix sept- pardon septante sept pour parler belge- qui pourront jusqu'au mois de mars-avril 1916 traverser la frontière hollandaise et rejoindre, parfois après 1 ou 2 semaines d'internement en Hollande, les lignes françaises.  Chaque voyage n'était pas une mince affaire, il fallait de faux papiers, des habits civils de fermier, ouvrier, mineur, ecclésiastique, homme d'affaires voire même de femmes. De plus il était demandé aux partants de s'entraîner à perdre leur accent régional, à parler le wallon (dialecte de la région) et surtout d'abandonner les expressions "soixante-dix" ou "quatre-vingt-dix" au profil de septante et nonante qui les trahiraient immanquablement dans un dialogue avec les autorités allemandes.

Grâce à Dieu, les pertes furent minimes car sur 96 ayant tenté l'évasion, on compte seulement un disparu, 7 tués lors du passage de la frontière et 11 arrestations en Belgique avec déportation en Allemagne dans un camp de travail après un jugement sommaire.

A partie de mars-avril 1916, la filière d'évasion mise en place se disloque pour différentes raisons (arrestations ou passage à la clandestinité des passeurs, renforcement des contrôles aux abords de la Meuse, intensification de l'électrification de la frontière hollandaise), si bien qu'ils resteront 26, dont le sergent-major Lambert Taborelli, nommé entre-temps lieutenant, à passer toute la guerre au Monastère, châteaux et fermes des alentours, sans être trop inquiétés par les Allemands. 

De ce travail à l'ombre à l'arrière des lignes, il me faut, pour terminer, rapporter trois faits malheureux et heureux qui ont marqué tous les membres de la communauté de Chevetogne pendant la guerre 1914-1918.

D'abord, événement malheureux, l'arrestation et la condamnation aux travaux  dans un camp de travail du père portier du couvent. Un jour d'avril 1915, se présente à la porte d'entrée du monastère un homme civil parlant avec un accent auvergnat caractéristique, se disant prisonnier français échappé d'un camp, désireux de rejoindre le front et donc de s'insérer dans une filière d'évasion. Après interrogation, il s'avère que les informations fournies su rla région de Longwy dont il se dit originaire, sont peu viables. Néanmoins, après l'avoir hébergé et nourri un jour, il lui sera signifié qu'on ne peut rien faire d'autre pour lui. Revenant à la charge 2 à 3 fois de suite à plusieurs jours d'intervalle, le R.P.  portier, en accord avec le R.P.  Dalider le dépose à la gare de Namur dans l'espoir de trouver à partir de cette ville une filière d'évasion. Le lendemain, la kommandantur allemande de Namur vient arrêter le père portier pour avoir aidé un prisonnier français évadé à regagner le front. Malgré ses dénégations, invoquant son bon droit, la pratique de la charité, et son statut espagnol, rien n'y fera, il sera déporté en Allemagne sans avoir révélé la moindre information sur notre filière d'évasion et la présence de soldats français dans la région.

Autre événement malheureux, lors d'une perquisition, toujours fréquentes dans les fermes, en novembre 17, un soldat français employé comme ouvrier agricole à la ferme de Grijoulle sera arrêté après découverte sous la paillasse de son lit de son uniforme de caporal de l'armée française. Interrogé à Cinez, Dinant et ensuite Namur, il n'avouera rien et passera la dernière année de guerre en Allemagne. 

L'événement heureux concerne la fin des hostilités. Ayant appris par la radio et aussi, à la vue de la retraite précipitée des troupes allemandes que la signature de l'armistice a eu lieu dans la forêt de Compiègne, à la onzième heure du onzième jour du onzième mois, le lieutenant Taborelli décide, en accord avec le R. Père Prieur de rassembler au Monastère les 26 hommes restants en vue de leur rapatriement légal. Le 24 novembre 1918, en fin d'après-midi, sous un pâle mais beau soleil d'automne, ces soldats, rasés de près, ayant revêtus leurs uniformes de 14, quelque peu délavés et rétrécis, avec leurs armes rapidement récurées, décident de constituer, sur le perron du Monastère une haie d'honneur avec présentation d'armes pour accueillir nos alliés anglais. Le colonel Jermy Haid, commandant d ela troupe, mis au courant de la petite réception qui l'attendait ne pourra dire que "Famous!" et au moment de passer entre cette haie  de valeureux soldats français, il ne pourra pas retenir ses larmes et aller embrasser le lieutenant Taborelli. 

Soldats français et anglais, tous aussi émus, sans en avoir reçu l'ordre, rompent les rangs pour aller s'étreindre les uns les autres. Ce fut une soirée et même une nuit inoubliable où gin, whisky, vin et bière coulèrent à flots. De toute une vie de moine, ce sera le premier et unique jour où nous n'avons pas accompli nos offices du soir et de la nuit.

Le second moine, resté silencieux jusqu'à ce moment, se contentera de dire que tout ce que son collègue vient de raconter est rigoureusement exacte. Il ajoutera, néanmoins, que tout ce qui a pu être réalisé par les Moines restés à Chevetogne, n'aurait pas été possible sans l'aide et le dévouement de nombreux habitants de la région. Aussi je vous demande de citer dans votre article les noms de :

  • comte et comtesse van den Steen, de Villermont, de Bonhomme, Derdyn et roger de Beaudignies

  • les infirmières Van Ramdonck et Ramy

  • les maires et secrétaires des mairies de Chevetogne, Haversin, Buissonville, Montgauthier et Cinez

  • le personnel du château et du Monastère de Chevetogne et plus particulièrement Monsieur Liègeois Joseph et Laurent Culot

  • les couvents des RR.PP .  ; Capucins, des Religieuses Dominicaines et Clarisses françaises de Cinez

  • les docteurs Jadot(Haversin) et Gatti (Cinez)

  • les familles Pirlot, Dardenne, Lecomte, Pierrard, Collard, et Deskeuvre

  • les maîtres et religieuses des écoles de Chevetogne, Haversin, Buissonville et Montgauthier

  • et surtout les nombreux fermiers des environs et notamment de Chevetogne, Haversin, Conneux, Reux, Leignon, Buissonville et Montgauthier"

Dans les papiers laissés par l'abbé Renauld (Vicaire à Cinez, aumônier 14-18,quitta Cinez en 1921 pour devenir aumônier des oeuvres sociales à Arlon), il y a pour une large part confirmation des événements et de faits s'y rapportant

"A Chevetogne et dans les communes environnantes, des soldats français rescapés de la bataille de Maissin, seront recueillis, nourris et soignés avant d'être rapatriés en secret. La filière d'évasion sera mise au point par la comtesse van den steen de Jehay et le Père Abbé du Monastère de Chevetogne. Pareille entreprise, osée et risquée, nécessitera le concours désintéressé de nombreux compatriotes  comme les seigneurs de Barcenal: de Villermont, Sovet: baron d'Huart et de Skeuvre: de Beaudignies. Ce sont les religieuses françaises de nos deux Couvents de Cinez qui confectionneront des habits civils avec des tissus recueillis chez les commerçants de Cinez et des particuliers des alentours .Notre bourgmestre, Adolphe Delooz et le secrétaire communal Adrien Tillieux viendront en aide à leurs collègues de Chevetogne et Haversin pour confectionner de fausses cartes d'identité. Les capucins de la gare ne seront pas en reste puisqu'ils hébergeront durant toute la guerre trois soldats français qui, aux yeux des Allemands, seront trois frères du couvent. Les réfugiés de La Ferté, en 1917 et 1918, participeront aussi, en fonction de leurs ressources et capacités à l'entretien de ceux qui n'auront pas pu rejoindre le front."

Dans un autre papier daté du 28/12/1919, l'abbé Renauld rapporte une récente entrevue avec le comte van den Steen qui lui relate en substance ceci:

"En novembre dernier, par courrier spécial de l'Ambassade de France à Bruxelles, mon épouse, le Père abbé du couvent et moi-même sommes invités à participer, au Palais Royal, à une réception à l'occasion de la visite du Maréchal Foch. Peu disposés à nous y rendre, une personne influente du Palais que mon épouse avait connue pendant la guerre, insistera pour qu'on honore cette invitation. Aussi, au jour décidé fin novembre, accompagnés du Père abbé du couvent, nous nous rendons à Bruxelles en voiture, moi-même remplissant le rôle de chauffeur. Après les discours de bienvenue du Roi, du Premier Ministre et du Maréchal Foch, l'Ambassadeur de France invite une centaine de personnes à s'approcher du Maréchal pour recevoir une décoration en reconnaissance de services rendus pendant la guerre aux armées françaises. La comtesse et le Révérend Père Abbé du Monastère seront faits "Officiers de la légion d'honneur" avec comme citation: "Au péril de leurs vies, malgré de multiples dangers, ont secouru, hébergé, soigné 120 soldats français rescapés de la batailles des Ardennes belges. Grâce à leurs initiative, audace et tenacité, à partir de Chevetogne, ils ont permis à 80 d'entre eux de rejoindre nos lignes en continuant, toute la guerre, à cacher dans le Condroz plus de vingt de nos hommes qui n'avaient pu regagner le front."

Au cours de la réception qui s'en suivra, le Maréchal Foch, entouré par une trentaine de religieux expulsés de France en 1901 et ayant trouvé refuge en Belgique- dont le père Dalidet de Chevetogne- leur dira:

"Aujourd'hui, je comprends toute l'abnégation, le sacrifice et le patriotisme que vous avez manifesté à l'égard d'une france qui, au début du siècle vous a honteusement chassé. Dès mon retour à Paris, je vais demander au gouvernement de faire voter à l'Assemblée Nationale une loi vous autorisant à rentrer et à récupérer les biens qui vous ont été enlevés." (NDRL: la loi Combes de 1901 sera révoquée en 1920 par l'Assemblée Nationale française avec pour conséquences la dissolution du couvent des Dominicaines du château de Pervenne (1920), des Bénédictins de Linciaux( 1921), le départ des Carmélites de la rue du commerce (1922), des Bénédictins de Chevetogne (1924), et des Clarisses de la rue de Namur (1925)

3) Une baraque tout près de Ciergnon, témoignait encore en 1946 de l'aventure des 120 soldats français

Extrait du journal "La Libre Belgique " du 19/04/46

Dans les domaines royaux: les baraques

A peu de distance du château royal de Ciergnon, se trouvent deux modestes constructions, l'une en briques et assez confortable, dissimulée dans la forêt, entre Ciergnon et Montgauthier, et que l'on appelle dan sla région "la baraque des Français". Fin août 14, elle donna asile à 120 soldats français de Mangin, coupés de leurs corps lors des combats de Maissin. Les fantassins en culottes rouges et capote bleue tinrent le maquis d'alors pendant un mois. Ils étaient ravitaillés par la population civile et l'abbaye bénédictine de Chevetogne. von Longchamps, gouverneur de Namur, envoya contre la troupe intrépide un millier d'hommes de toutes armes. Les oiseaux s'étaient envolés. Ils avaient passé en hollande, par Liège, guidés par une femme, Mme Malicet. Les Allemands, dépités incendièrent le pavillon, qui fut reconstruit en 1928 et qui servit, dès le début de 1944, d'hôpital aux maquisards blessés ou malades des camps environnants. Jamais les Boches ne soupçonnèrent ce qui se passait dans les profondeurs des grands bois où se glissaient journellement des médecins civils réquisitionnés par les patriotes. La seconde baraque est dénommée la "baraque des princes" et se trouve à 3 Km de la première, à 40 minutes de marche du château royal. Elle abritait les aviateurs alliés égarés. Fin juillet 1944, neuf américains s'y trouvaient réunis. Les agents des services de renseignements les y avaient amenés de différentes directions. Les aviateurs furent bientôt délivrés par les armées de Montgoméry. Les maquisards, des hors-la-loi, traqués y trouvèrent aussi un refuge sûr. Maquisards et aviateurs y furent fraternellement unis dans les mêmes dangers et l'accomplissement de leur devoir. 

4) Le 7/13th Belgian Field Artillery

source:  Chr. Depoorter, Poperinghe, "Het 7/13th Belgian Field Artillery", uit "Aan de Schreve", 18° jaarg-1988, n° 1.

Après la première bataille de l'Yser, les Anglais demandèrent aux Belges un renfort d'artillerie pour les aider à tenir leur secteur. C'est pourquoi la Haut Quartier Général décida de la création d'un  "Régiment provisoire d'Artillerie" (R. A. P. ) destiné au saillant d'Ypres. Les six batteries du groupe Dujardin de la R.A.P eurent vite fait d'acquérir une réputation de bravoure de mars 1915 à Mai 1915 et particulièrement durant la première attaque de gaz le 22 avril 1915. entre-temps, le " mars 1915 fut créé un nouveau régiment d'artillerie de campagne de deux groupes , chacun de 3 batteries avec par batterie 4 pièces, 153 hommes, 13 cheveux de selle, 88 chevaux de traits légers et  6 chevaux de traits lourds. Avec cela, fut créé un corps de transport avec deux colonnes à munitions, l'une motorisée et l'autre tirée par les chevaux ,une ambulance et une colonne d'approvisionnement. Le cadre et l'équipage provenaient de différents régiments d'artillerie et de dépôts divisionnaires. Les chevaux, le charroi provenant eux du corps britannique "Advanced Remounts Depot" (Abbeville). Les camions du corps de transport venaient du Parc automobile de réserve de l'armée belge situé à Marck (Calais). Les pièces de 75 mm T.R Schneider, model 1904 avaient été commandé par le Portugal en 1905 chez Creusot et avaient été cédés par le Portugal comme aide de guerre à l'Angleterre. Ces canons arrivèrent directement du Portugal à Calais et furent réceptionnés  dans "le Grand Parc de Campagne Belge". La formation du régiment commença dans les environs du cap Gris Nez, où après une courte période d'instruction le régiment reçut son nom : 7° régiment d'Artillerie de Campagne belge". Comme le régiment fut pendant toute son existence sous commandement anglais, il fut vite appelé le 7th Belgian Field Artillery (7 B.F.A). Le 12 mai le régiment se trouvait à pied d'oeuvres à Poperinghe et quelques heures après il occupait ses positions. Le premier groupe au sud et le deuxième au nord de Vlamertinge. A son arrivée au front, la deuxième bataille d'Ypres n'était pas encore terminée. C'est ainsi que le deuxième groupe eut à subir la deuxième attaque de gaz sur la route de Menin. En 24 heures, deux batteries belges tirèrent 1.900 grenades dans les lignes ennemies et arrêtèrent ainsi l'offensive allemande. En juin les deux groupes reçurent chacun à leur tour 10 jours de repos complet à Boeschepe à la Vleminckhof et dans les fermes aux alentours. Le 4 juillet le régiment était de nouveau au complet sur le front mais cette fois à Dikkebus. Pendant deux ans entrecoupé seulement par de petites périodes de repos, les Belges prirent ainsi part aux opérations de l'armée anglaise. A partir du 2 février 1916 jusqu'au 10 mars1916, le régiment alla en cantonnement de repos à Marquise, où il reçut la visite de Douglas Haig, commandant en chef de l'armée britannique, qui félicita le régiment pour ses prestations. Le 13 mars le 7th B.F.A est de retour eau front où il est attendu avec impatience "car l'on dit que les Ecossais ne veulent plus attaquer sans l'aide des canons belges. Particulièrement la 3ème division tient à leur aide parce les Belges ont la réputation de viser juste.
Il s'est déjà passé que plus de 27 coups partent en une minute" (dagboek van A.van Walleghem)  

A partir de juillet 1916, l'armée Belge réorganisa son artillerie et doubla les régiments d'artillerie. A cause de cette réorganisation, le 7 th B.F.A. reçut le nom de 13 th B.F.A.

 Les Anglais fournissaient tout l'approvisionnement aux Belges du Régiment qui durent aussi accepter la dure discipline anglaise. C'est ainsi que quatre soldats belges furent condamnés à 10 ans  de prison pour avoir refusé de nettoyer les rênes de leurs chevaux. Un de ces hommes était cependant au début de la guerre comporté comme un véritable héros. En 1917, les canons usés et fondus , le régiment alla prendre réception de ses nouveaux 105 mm au centre d'Instruction d'Artillerie Belge" à Eu (Seine Inférieure). Les Anglais espèrent le retour prompt des Belges mais le Commandement Belge vit là une chance de renforcer ses  propres régiments d' artillerie avec des hommes expérimentés. Le 9 mars 17, le II° groupe alla en repos dans des fermes du Godewaertsveldesteeenvoorde : la 1° et 5° batterie à la ferme Deschilder (maintenant Vanrenterghem), la 6° chez Decouvelaere, l'état-major  chez Madame Meaux (maintenant Gillebaert) et la 4° chez Staelens. C'est à la ferme Staelens que tombèrent les dernières victimes du 7/13 B.F.A. Les allemands furent au courant de la présence d'un staf anglais au château Delebeau à Steenvoorde et essayèrent de bombarder le château au moyen de l'artillerie de longue portée. Avec ce bombardement furent touchés les fermes Staelens et 14 soldats Belges qui y tenaient quartier furent tués.

Certains Belges avaient espéré que le repos se tiendrait à nouveau à Boeschepe mais les Anglais ne voulurent pas des Belges en repos  si près de Poperinghe. Lors des précédents séjours de repos à Boeschepe, les bagarres étaient fréquentes entre les "jampotten" et les "jassen" car les premiers disposaient d'une solde de trois schilling par jour pour  pour attirer  les beautés féminines de Pop! Les soldats belges n'ayant que quelques sous, il fallait donc faire parler les poings pour rétablir une certaine égalité devant la gent féminine.

Le premier groupe resta dans le secteur du front jusqu'au 14 mai 17, date à laquelle ils furent relayés par les anglais. Le 19 mai la 13 th B. F. A. fut dissout officillement et les batteries réparties dans les unités belges.

Après la guerre, les anciens se retrouvèrent avec joie dans la Fraternelle du 7/13 th Belgian field Artillery". Ils choisirent la dénomination anglaise pour éviter toute confusion avec le 7° régiment (de 1917) et le 13 (en 1918). Pour leurs retrouvailles annuelles, ils convirent de choisir Ypres. En 1928, la comtesse van den Steen de Jehay et  la Baronne Terlinden , membres d'honneur de leur association leur offrit un drapeau. Ces dames avaient dirigé l'hôpital Elisabeth où les malades et blessés  du B. F. A. étaient soignés.  En 1973, pour la dernière fois, les six derniers survivants de cette épopée se réunirent à Ypres pour offrir leur drapeau à la ville.    

5) La comtesse van der steen de Jehay raconte ses souvenirs concernant le couple royal

Source: 

1) van den Steen de Jehay, Mon journal d'infirmière. Avec la Reine Elisabeth de Belgique,Revue des deux mondes; 1oct 1938, 618-630

2) van den Steen de Jehay, Mon journal d'infirmière. Nos souverains à La Panne,  Revue Belge; 15 mars 1939, 481-500,et 1 avril1939, 27-43

Remarque: Pour plus de clarté des titres ont été rajoutés par le Dr Loodts

La Reine décide vite et bien et reçoit soixante mille paires de godillots

Le bouleversement de 1914 posait le problème de la Charité devant des bonnes volontés absolument inexpérimentées. Aucun de ces bienfaiteurs en intention n'avait vu de guerre. Donnez? Evidemment. Mais donner à qui? donner quoi? Et comment? La question n' embarrassa pas longtemps la fée secourable de La Panne: le 25 novembre 1914, elle était à Londres. Le 3 décembre, on débarquait à Dunkerke 350 ballots et caisses de vêtements et de cigarettes. Et quelles monstrueuses caisses, et quels ballots éléphantesques! Le Ministre de la Guerre anglais avait eu l'imprudence de demander à la Reine ce qu'elle désirait pour ses petits soldats belges. Elle avait répondu avec candeur: "Soixante mille paires de chaussures, s'il vous plaît." Et les 120.000 godillots s'alignèrent avec exactitude

Un  Noël anglais pour les soldats Belges

Les Anglais avaient envoyé une quantité d'objets pour fêter au front le premier Noël de la guerre, et les soldats belges célébrèrent le christmas à la manière des Britanniques, bien mieux, pour la plupart, qu'ils ne l'avaient jamais fait chez eux. Ils connurent "le Christmas-pudding, le plum-pudding, le mince pie, le plum and apple jam, la marmelade, les bellywormers" et d'extraordinaires vêtements tricotés. Le 19 janvier eut lieu la distribution aux troupes des cadeaux de Lord Ashton: 15 millions de cigarettes, 10 mille kilos de chocolat, 5 mille kilos de tabac.

Le jour de morts 1915

Ou le jour des morts peut-il être plus émouvant que sur le front? Tous les coeurs sont serrés. On évoque ceux qui sont tombés. La Reine a fait déposer des fleurs sur les tombes des soldats dans tous les cimetières: Adinkerke, Hoogstade, Lampernisse, Avecapelle. Elle-même va déposer une couronne sur la tombe de Madame Depage. 

Le 23 avril 1915: la Reine à l'hôpital de Poperinghe

Plusieurs fois, la reine vint à l'hôpital de Poperinghe. Le charme de ces visites était grand et l'impression que sa présence produisait sur les blessés extraordinaire.

Elle prit du thé un jour (23 avril 15). Au bout de la longue table, où tout le personnel goûtait. a cette époque, médecins et infirmiers étaient des Quakers anglais. Ce jour-là elle parla à chaque malade et alla au fond du jardin, à ce sinistre hangar plein de civils atteints d'une typhoïde si violente, que les médecins anglais, venus des Indes, assuraient que c'était la peste "the plague"! Leur aspect était affreux, l'odeur terrible. Vers chacun la Reine se penchait et souriait.

Les soldats français l'avaient surnommée "la fauvette". C'était cela, en vérité. Menue, gracieuse, sans poids. Elle s'asseyait sur le lit même, se penchait, la tête inclinée vers le malade. Une intimité naissait entre elle et lui, tout de suite. On parlait bas. elle questionnait, les yeux dans les yeux de l'homme, souvent prenant ses mains dans les siennes, et l'homme répondait, ému, mais surmontant vite sa timidité et glissant souvent aux confidences. Le personnel de l'hôpital se tenait à l'écart, n'intervenant pas dans ce colloque. Et les promesses que la Reine faisait là, n'étaient pas les mots d'une pitié d'étiquette. Qui dira la quantité de faveurs, d'attentions délicates dont elle a comblé les pauvres "jass"?  souvent elle apportait des cadeaux aux soldats. Il y en avait de personnels avec le nom du bénéficiaire. C'était quand, à une visite précédente, tel homme lui avait demandé un livre dont il avait indiqué le titre; tel autre avait réclamé un jeu de cartes, un gilet en laine ou la récente photo du prince Léopold près de sa maman. aux grandes fêtes, les paquets étaient expédiés, merveilleusement ficelés d'un ruban tricolore.

Et c'est un de ces jours-là que cette histoire arriva. Le temps était beau et sec. Il gelait. Elle devait venir en cette veille de Noël. Les salles étaient en effervescence: le plancher, récuré et poudré de de sable pour cacher les trous; ce qui restait des vitres, fourbi et recollé avec des bandes de papier, les malades astiqués, les "pannes" et les crachoirs disparus, les draps bien tirés, les infirmières en toile blanche immaculée, les médecins étrillés, et l'un des interprètes, dont on n'obtenait pas qu'il enlevât ses pantoufles et qu'il boutonnât ses chausses, avait été enfermé à double tour. Mais elle ne vint pas. La journée se traîna, se passa. A six heures du soir, un lourd camion entra avec fracas dans la cour. Un gendarme du  Palais apportait une lettre. Elle donnait les raisons de l'impossibilité de la visite royale et elle expliquait qu'il y avait 47 paquets pour les 47 blessés et que chacun contenait une boîte de cigarettes, deux oranges,une écharpe en laine, une livre de chocolat, et, -ce qui avait mis le camion en retard,- maintenus par un ruban tricolore: des fleurs, des fleurs, arrivées de Nice à l'heure même et que la reine avait tenu à arranger de ses propres mains.  Des fleurs! Cinq gros oeillets, un bouton de rose et, -merveille!- quatre longs brins de mimosa, frissonnant de toutes leurs petites boules d'or, formaient un bouquet.

Des fleurs ! Ceux qui n'ont point passé quatre hivers de leur jeunesse dans la boue des flandres, ne comprendront pas. Ces hommes-là, la plupart artilleurs du 13th Belgian Field Artillery, attaché à l'armée britannique,-vivaient terrés aux confins d'Ypres. Devant leurs yeux s'étendait depuis des mois le "no man's land" désert de boue. Un été les anglais ont aperçu quelques coquelicots, vestiges de ce qui avait dû être un champ de blé. Leur sentimentalité aidant, ils ont vu des acres de coquelicots germant sur ce sol nourri de cadavres et , plus tard, le sanglant poppy est devenu leur emblème de la guerre des flandres. Pour le paysan belge, le coquelicot , c'est de l'ivraie, de la mauvaise herbe:"preuve que la terre, elle n'a pas été bien soignée". Mais la fleur, la vraie fleur, depuis combien de temps nos gars n'en avaient-ils pas vu, pas respiré! et dans ce bouquet, frais émoulu du soleil, la rose sentait la rose, les oeillets exhalaient le poivre fin et les grains dorés répandaient un arôme chatouillant et inconnu.

- Ces fleurs qu'elle a fait venir tout exprès pour nous!

Sur leur joie, le soir tomba. La lune parut, luisante et presque ronde. Un Wallon dit:

- La v'là, astiquée comme une culasse! ça va être ducasse.

A onze heures, on entendit le bourdonnement d'une guêpe, une guêpe à Noël!

- Zij heeft de bloemen geroken, dit un gros flamand. et de rire.

 Dix minutes plus tard, on ne riait plus. Un commandement bref : 

- Lights out! Tout le monde à la cave !

En cinq minutes, les salles sont évacuées, les grands blessés sur des brancards, les petits clopins-clopant, l'un épaulant l'autre ou soutenu par une infirmière. Dans la cave fétide, aux soupiraux bouchés par des sacs de terre, l'obscurité est profonde.. Seule brille comme un ver luisant la torche électrique de l'aumônier irlandais. Il va de l'une à l'autre de ces formes roulées dans une couverture brune, sur le sol nu. Il se penche, distribuant du réconfort, de l'humour et ponctuant une oraison de quelques énergiques: Dammn' the moon !

Un avion puis deux, puis trois, ronronnent en cercle et l'on entend l'éclatement sec des bombes dans le jardin. Sur la ville proche, un fracas d'explosions. "Le Hun est en train de "strafer Pop", remarque un artilleur dans ce sabir savoureux qui fut, pendant quatre ans, le langage du secteur britannico-franco-flamand. Un sifflement furieux, un choc, un éclatement. Aux étages, les vitres volent en éclats et, du toit, les ardoises dégringolent comme des grelons... Schrapnell !! Le sol a tremblé. De son brancard, un blessé a glissé. Pauvre petit! Il a le teint mat, les cheveux et les cils sombres de ceux qui habitent la forêt d'Houthulst et le pansement de son front est rouge. Il gémit d'une voix enfantine:

- Noël napou!...sommeil napou...! Nix gedoen!...Moi kapout!!

L'infirmière en chef est sortie pour se rendre compte des dégâts. Elle revient doucement et sa voix est apaisante:

- Dormez, mes amis! Un gros nuage cache la lune. Ils sont partis!

Au moment de l'alerte, ces déshérités de la vie n'ont rien emporté, ni vêtements, ni pécule, ni des cigarettes, ni le chocolat de Noël, rien; rien que le bouquet de leur Reine. Ils se sont endormis, serrant des fleurs dans leurs rudes poings. Et le sommeil, ouvrant ces mains confiantes, a semé sur leurs corps douloureux des pétales de roses, des oeillets et les flocons dorés du mimosa.

Le Roi n'aime pas que la Reine s'attarde dans la zone d'Ypres

Le Roi, par principe ne pénétrait jamais dans la "british area". Il n'aimait pas les excursions de sa femme dans la zone du secteur d'Ypres, irrégulièrement et violemment bombardé par obus et par avions. Quand la Reine s'y attardait- ce qui était son habitude- un appel téléphonique partait de La Panne:

-"Le Roi fait dire à la Reine qu'il est temps de rentrer"

Mais partout on l'attirait, on l'appelait; partout  la retenait une douleur nouvelle. elle voulait retourner dans le fond du jardin, à cet affreux baraquement empesté, où sur des grabats de fortune agonisent les typhiques par familles entières. Puis, en contournant les trous d'obus de la prairie, elle pénétrait dans le petit château délabré, qui servait d'ambulance militaire. elle était adorée des soldats. Ses actes de courage, sa présence fréquente dans les tranchées, son travail d'infirmière leur était connus. Il est certain que, dans les visites qu'elle faisait aux blessés, un véritable fluide émanait d'elle. C'était dans ces salles où se condensait une atmosphère de dénuement, de souffrance, de désespérance, de fièvre et de mort, aggravée par la propreté clinique et la nudité de l'hôpital, c'était une apparition. La porte s'ouvrait et elle rentrait, se tenait un instant sur le seuil, comme effarouchée. Dans son frêle visage, un peu tendu, les yeux tristes prenaient possession de tous ces regards qui convergeaient vers les siens. Puis elle faisait quelques pas vers le premier lit. Alors tout ce qui pouvait rester en elle de protocolaire s'évanouissait.

L'aumônier irlandais de l'hôpital de Pop: l'abbé Wynch

La Reine est intervenue pour faire décorer l'aumônier irlandais, l'abbé Wynch. La dernière anecdote de l'abbé l'avait fait rire. Elle venait après bien des récits héroïques:

- Poperinghe sous une tourmente d'obus; à l'hôpital tous les blessés dans les caves. La maison tremble. On va mourir. Où est l'abbé?

- Curé Napoo (sic) !

- fichu le camp!

- Oh! no, pas fichou le camp, dit l'aumônier en rentrant dans la cave, chargé d'un gros paquet de journaux. Dans bombardement, d'abord relever le moral! Kiosque à journaux: "ganz plat". Ai ramassé toutes les "Vie Parisienne"!!! Partagez-les mes amis.

Le 18 novembre 16: grand émoi à la Cour: le prince Charles a avalé une aiguille!

Je déjeune à la Maison Militaire. Le Major Gordon (factotum et courrier de la Cour) qui fait la navette entre La Panne et l'Angleterre est venu apporter la nouvelle que le prince Charles, au collège en Angleterre a avalé" une épingle. Branle-bas! On a convoqué le Dr Depage, le Dr Vandervelde. Ghylaine de Caraman-Chimay emballe en grande hâte, et tout ce monde, piloté par Gordon, et composant la suite de la Reine très inquiète, part en grand émoi pour l'Angleterre. Le lendemain les nouvelles de l'épingle sont satisfaisantes. Le protocole ne donne aucun  autre détail. Monsieur Hymans, alors Ministre à Londres m'a raconté depuis, qu'il était allé recevoir la Reine à la gare en redingote et chapeau haut de forme. Il s'était incliné devant elle et lui avait dit à voix basse:

- Madame, l'épingle est passée. 

Quand la Reine surprend le Major de Poperinghe dans son hôpital 

Il y eut aussi une visite mémorable, un soir vers onze heures. (11 avril 17). J'allais me coucher, quand j'entends ouvrir la porte d'entrée et marcher dans le vestibule .L'hôpital avait été évacué. J'étais seule, ou presque, dans cette maison sans clef, où pas une porte, pas une fenêtre ne fermait. Plusieurs fois déjà, des français et des britanniques, officiers ou soldats, s'étaient introduits, surtout étant ivres. Aussi la colère me monta-t-elle au cerveau quand, ouvrant ma porte et dardant sur l'intrus ma torche électrique, j'aperçus un grand diable d'Anglais, au képi rouge d'état-major (Redtape).

- What are you doing here? Go away at once. Get out!

- Listen to me, let me speak. We come for supper.

Et furieuse je répétais:

- Get out, you rascal!

et lui de crier:

- I am with the queen! She is under the staircase.

Et voilà que, de dessous la cage d'escalier, sortent en riant la reine et le Prince Léopold. Coup de théâtre, rires, explications. Et la Reine dit:

- Nous venons d'une représentation britannique à  Renninghelst. Cela a fini très tard. Nous avons faim. nous nous sommes dit: faisons une farce au major de Poperinghe, demandons-lui à souper. Quelle chance si elle était couchée!

La baronne de La Grange en difficulté devant la Reine

La baronne de La grange ("clé" pour les intimes) est une femme exquise, d'une bonté spirituelle et pratique. Elle m'a soignée avec dévouement quand j'ai eu un abcès près de la carotide contracté dans mon service et m'a sauvé la vie. Un jour, je lui ai ménagé un grand plaisir: celui de recevoir la Reine au château de La Motte.

Le 11 juin 1916, un dimanche, me sentant mourir, j'avais fait dire à la Reine que j'aimerais la voir avant de partir. Elle était venue aussitôt avec le docteur Widmer, le médecin suisse de Valmont, en visite à La Panne. Madame de La Grange, qui s'était fatiguée à me soigner, dormait encore dans le fumoir, quand vers trois heures de l'après-midi, on lui annonce que la Reine des Belges est là dans le hall.

Pour Elisabeth de Belgique, ma bonne hôtesse a un culte. Mal réveillée, elle se précipite, s'empresse, s'excuse d'être en retard pour la recevoir, s'embrouille et dit:

- J'étais à la messe.

En montant l'escalier, la Reine qui a eu le temps de réfléchir, se retourne sur la plus haute marche:

- Dites-moi , chère Baronne, fait-elle gentiment en se penchant vers son hôtesse, à La Motte, dit-on la messe l'après-midi?

La Reine dans sa cabane de La Panne

Le 12 juillet 1916, je vais à la Panne. La Reine m'entraîne derrière la villa, au creux de la dune, dans une cabane, - don d'une dame américaine- coquettement aménagée. Devant la maisonnette dans le sable, des chaises de paille.

- On apporte le thé, les cigarettes, et longuement, là puis en nous promenant à travers le taillis bruissant d'oiseaux qui forme un petit bois dans le sable, nous causons. La Reine a un jugement sûr, rapide et original des individus et des faits. Ses idées religieuses sont larges et d'un esprit élevé: elle parle avec vénération de Mgr Pieraerts, l'aumônier de la Cour,-elle regrette son absence- et de l'abbé Delaere, curé de Saint-Pierre, dont le courage a fait des miracles dans la ville bombardée (Ypres):

- Ceux-là, dit-elle sont des prêtres de Dieu.

Dans le sentier, où je la suis, elle s'interrompt parfois, écoute, la tête inclinée et, écartant une branche, d'une main souple, découvre  un nid où des oiseaux pépient:

- Des pinsons.. .et ici des fauvettes. Ne les dérangeons pas, la mère anxieuse est là sur cet arbuste, un vermisseau dans le bec.

Quand le Roi fait de l'humour...

Les potins sur les ministres faisaient la joie de la petite cour de la Panne .Un jour que le roi me vit après un voyage au Havre, il m'envoya un de ses officiers:

- Demandez à la comtesse si elle raconte quelque chose de neuf.

- Elle dit qu'un des ministres est insupportable.

- J'ai demandé du neuf, remarqua le roi très sérieusement.

Et quand  la Reine s'amuse d'un bon mot !

Un jour la Reine me dit:

- Nous avons volé hier, Albert et moi. Mais au lieu de prendre deux avions différents, nous sommes allés dans le même, très près de lignes ennemies. Pourquoi faites-vous cette drôle de figure ?

- Parce que c'est inadmissible. On ne met pas tous ses oeufs dans le même panier.

Elle éclata de rire et appelant son mari:

- Ecoute Albert, le major est de mauvaise humeur et nous traite d'omelette !

La Reine fait partir la peur  dans la boulangerie d'Adinkerke le 22 mars 18

Que fit-elle une fois que la gare d'Adinkerke à côté de la boulangerie fut bombardée (22 mars 18). Cette boulangerie procurait du pain à toute l'armée belge et aux hôpitaux du front. L'arrêt de travail signifiait le manque de pain pour tout l'organisme militaire. Devant les obus, un bon nombre de soldats boulangers avaient fui. La Reine, mise au courant monte seule en auto, arrive à la boulangerie, entre dans la salle des fours, s'assied sur une caisse et dit aux deux ou trois hommes qui travaillaient encore, mais qui épouvantés étaient sur le point de partir:

- Je ne comprends pas bien comment vous cuisez le pain. Voulez-vous me le montrer?

Et de sa voix calme et lente, elle demande des détails et suit attentivement les manipulations. La maison tremble tout entière. La jeune femme, tranquillement va de l'un à l'autre des ouvriers, se fait donner les plus minutieuses explications. Au bout d'une heure et demie, le bombardement cesse. Et sans y avoir fait la moindre des allusion, la Reine sourit aux hommes et s'en va. L'armée eut son pain ce jour là.

 Les visites à La Panne de Loïe Fuller et de Loti 

Au début de la guerre, Loïe Fuller avait pris avec véhémence le parti des Alliés. (...) On la vit, un jour d'hiver, arriver en Belgique libre, apportant en cadeau pour les hôpitaux, de l'argent et des tonnes de marchandises. Son amie, Mlle Gabrielle Bloch, l'avait précédée avec un train de quatre voitures d'ambulance, destinée à l'hôpital militaire de Poperinghe. La Loïe Fuller désirait voir la Reine des Belges... La Reine l'invita à venir la voir à la Panne. Voilà le secteur belge alerté. Une voiture de la Cour allait chercher une danseuse! Une danseuse allait passer par Poperinghe! Une danseuse! Il y en avait des uniformes kaki sur la route ce jour là, et des moustaches conquérantes et des prétextes pour demander ses papiers à la voyageuse! Et au fond d'une limousine grise, les curieux trouvaient une petite dame replète, qui n'évoquait ni tutus ni entrechats, une petite dame, plus très jeune, pas fort jolie, emmitouflée dans plusieurs bournous, le tête enveloppée de voiles variés, qui les recevait avec le sourire de ses grands yeux d'enfants et de sa denture saine, et une volubilité affectueuse et américaine.

- Je vous aime. Je donne vous, cigarettes, chocolat, prenez, prenez tout pour vous. A bas les huns! vous verrez, l'Amérique va entrer aussi!

Et elle envoyait des baisers de ses doigts souples, aux colonels et aux plantons. Ainsi arriva-t-elle à la villa de La Panne. Elle attendit un peu .Une porte s' entrouvrit. La Reine traversa le salon de ce pas qui glisse. Miss Fuller s'était levée. Tout ce qu'on lui avait inculqué du protocole et de la révérence avait quitté son esprit. Un étonnement profond contractait son visage; des larmes coulaient entre ses yeux clairs!

-Est-ce vous, petite fille, si frêle et si jolie, dear little thing, est-ce vraiment vous une Reine,...

Et la Reine l'embrassa. Et en contraste le 3 juin arriva Loti .On l'avait fait prendre à Dunkerke dans une auto militaire portant comme toutes les autres les lettres S. M.  (service militaire). Dans un récit dithyrambique Loti devait s'émouvoir à la pensée que le roi lui avait envoyé sa propre voiture marquée "Sa Majesté".  Prié de faire patienter le grand écrivain, j'allai lui tenir compagnie dans la petite chambre où se tenait le gendarme de service. C'était un homme petit, en uniforme horizon, au visage maquillé, aux yeux glauques. Hélas, il a l'air d'un vieux cabot. Son langage est hésitant et ses gestes nerveux et inachevés. Mais il est ému et très touchant.

Deux maladroits

9 novembre 17. Invitation à déjeuner aux Moëres. Sur la grand route détrempée la Reine se promène avec le major Prudhomme. Côte à côte, nous barbotons dans la boue. Elle parle de ses cousins, les princes Sixte et Xavier de Bourbon (ils font partie du 13th Belgian Field artillery, le merveilleux régiment belge attaché à l'armée britannique dont nous soignons blessés et malades; nous voyons souvent les deux lieutenants arriver à l'hôpital pour causer et demander un repas. Le Reine les aime beaucoup. Je lui dis qu'à l'occasion de la Sainte-Barbe, patronnes des artilleurs, nous ferons un festin à Lampernisse, où ils sont cantonnés à présent avec le général Moraine.

- Alors dit-elle en riant, il faudra inviter Mme X..., c'est aussi une sainte barbe!

Déjeuner cordial, frugal et rapide. Le Roi boit du cidre. Moi j'ai le luxe d'une bouteille d'eau de Vittel. Mais le Roi en attrapant les mouches, renverse la bouteille et casse les verres:

- Je suis très maladroit, dit-il. Pour l'aider à les ramasser, je tombe à quatre pattes en même temps que lui. Nos fronts se heurtent au point que j'en reste étourdie.

- Deux maladroits ! remarque la Reine en souriant.

22 mars 18: la Reine préfère les gens simples  

Adinkerke et la Panne ont été aujourd'hui bombardés de mer. A la Panne on est fort nerveux. Le plus rapidement possible, on évacue les blessés qui arrivent nombreux. Un gotha est tombé sur la plage avec ses trois aviateurs allemands. De la Panne je vais à la villa Sainte-Flora le soir. (...)

La reine m'attend (...). Je monte dans sa chambre. Elle est au lit :

- Pour vous, dit-elle, je ne dois pas faire de chignon. Ses cheveux, toison merveilleuse que jamais le fer n'a touchée, flottent en nappe sur les oreillers. Son visage de petite fille est bien fatigué, ses yeux sont tristes .Très affectueusement, elle me reçoit. La chambre est encombrée de malles et d'objets hétéroclites :

- Voyez dit-elle, nous sommes prêts à partir à la première alarme. On apporte tout dans cette unique chambre. Bientôt, vous verre, on y mettre la cuisine.

A sa gauche est posée, sur le lit, une caisse débordante de papiers.

- La Reine est comme un ministre, dans le bon sens du terme, lui dis-je.

Elle sourit de cette réflexion, mais aussitôt son visage prend une expression d'amertume :

- Si vous saviez tout ce qu'il y a dedans de vilain! C'est comme une caisse plein d'insectes. Toujours, il faut les repousser, les empêcher de grimper. Il faut sans cesse, fermer le couvercle.. On se demande parfois pourquoi je suis mal à l'aise avec certaines personnes, pourquoi, dans le monde, cela semble parfois "ne pas aller". C'est que j'aime que les simples. Avec les soldats et les enfants, je sui heureuse!

Je lui demande si je ne puis pas l'assister dans son travail.

- Personne ne peut m'assister. Il faut que je lise cela,moi-même, que j'y pense, que j'y réponde,que je vienne en aide. Mon devoir, mon métier est d'aider. Je regarde cette frêle femme-enfant. Son corps menu plie aujourd'hui sous les misères physiques communes à l'humanité. Cependant, une âme sans faiblesse, peut-être un peu désabusée, mais d'une maîtrise absolue en son originalité même, règne  en ses prunelles profondes. Et sous cette chevelure qui évoque celle que Lorlei, pour captiver les nautoniers peignait d'un peigne d'or, est un cerveau qu'il serait vraiment trop flatteur pour la généralité des hommes de qualifier de masculin!

Le fameux restaurant Cyril's à Pop

Un obus a démoli le fameux restaurant Cyril's, rue du nors à Poperinghe. Il a tué les patrons et leurs deux petites servantes. C'était un couple de vieux cupides, anciens domestiques d'un château voisin. Leur restaurant était en concurrence avec celui de "Skindel's" (Cyril's et Skindel's sont deux surnoms donnés par les Britanniques, à l'instar de deux restaurants élégants de Londres). Malgré tous les conseils, ni l'un ni l'autre ne voulait fermer boutique, par crainte de voir le voisin rester et faire fortune en monopolisant les clients. En effet, dans cette ville abandonnée et bombardée, l'officier et le soldat, enchantés de trouver à manger, à boire surtout (car le champagne coulait dans les verres à bière!) payaient sans compter. Skindel's a gagna la partie aujourd'hui. El les héritiers du Cyril's n'ont pas à se plaindre... Nous avion perdu la tête de la femme; on l'a retrouvée le lendemain collée à la porte de la maison d'en face. Mais nous avons vite retrouvé la jambe de l'homme, "la bonne jambe", puisque la poche du pantalon, servant de coffre-fort contenait dix billets de mille francs. Au cimetière, au petit jour, le soleil tamisant la brume légère et créant ces teintes douces, particulières à la flandre, nous avons enterré les deux "profiteurs de la guerre". Sur les cercueils des petites servantes, les parents pleuraient... pleuraient sur leurs enfants que la cupidité avait tuées.

Quand la  frousse  surprend  la comtesse

Avouerai-je que j'ai eu, une nuit, une frousse intense, la terreur qui brise les jambes, étouffe la voix et fait claquer les dents, C'était pendant l'affaire du Kemmel. Ah! ce 18 avril, que de blessés, que de morts! ... Sans me déshabiller je m'étais étendue sur mon lit, exténuée. Le Lieutenant Joe de Pret était arrivé, ivre de fatigue, s'était couché dans ma maisonnette sur le divan, avait dormi toute l'après-midi et continuait à dormir la nuit. Il ronflait. Les gothas passaient, repassaient, bombardaient; le ciel était zébré des lueurs sinistres des search-lights, et le roulement du canon grondait comme un orage qui dure. Soudain, j'entends le vrombissement d'un avion, non pas d'un avion qui passe, mais d'un avion qui tourne en cercle, tout proche, juste au-dessus  de ma cabane de papier. Et l'avion ronfle comme s'il était dans la chambre. Et à côté Pret ronfle comme l'avion. Puis tac...tac...tac... les balles claquent sur les arbres voisins. Me voilà comme un pigeon survolé par un épervier; il sait qu'il n'y échappera pas. Mes poumons pèsent mille kilos. toute ma volonté se tend pour vaincre la peur... il m'est impossible de bouger. Je suis folle de honte, de rage contre moi-même. Et en même temps une colère me monte au cerveau contre cet imbécile qui ronfle à côté. Je me laisse glisser de mon lit, je rampe jusqu'à celui de l'officier, je le secoue, je crie:

- Nous allons mourir!

Il me répond:

- N...de D...fichez-moi la paix!

Et il se redort...

Du coup, je suis guérie. Assisse par terre, je me mets à rire de tout mon saoul. L'imprévu a vaincu la frousse.

La myopie du roi

Lentement le roi parle.

A cause de sa myopie (qui est de 11 dioptries) à peine dévisage-t-il son interlocuteur. Enlèverait-il ses lunettes qu'il ne verrait pas à 15 cm devant lui. Et l'idée est obsédante de songer qu'une personnalité aussi puissante serait subitement suspendue, ankylosée, si une cause infime, coup de vent ou menue branche, lui enlevait, avec la vision, ces deux morceaux de verre !

La découverte de la Permanente parvint un jour derrière l'Yser...

Deux belles arrivent de New-york. Elles apportent des cigarettes et viennent chercher des émotions. Habillées à la dernière mode du front pour civils, leurs manteaux de "Fleece" sont des merveilles. Elles n'ont pas encore donné le baptême de la boue à leurs as à jour couleur clair et à leurs escarpins vernis. Tout de suite on devient intimes.

- Alors, disons-nous, donnez-nous des nouvelles. Ici, dans ce trou, nous ne savons, rien rien.

- Comment, vous ne connaissez pas la grande découverte ? L'Amérique est révolutionnée!

- ?? Dites vite ? La guerre va finir ?

- S'agit pas de ça. Un coiffeur a trouvé le moyen de donner aux cheveux une ondulation qui dure toujours; entendez-vous, toujours ! Elle ne se défait jamais, jamais !

- Quelle blague ! L'Amérique ferait mieux d'entrer dans la guerre de de venir tirer ici les cheveux aux Boches !

- Et cette merveille s'appelle... la "Permanente" ! Formidable n'est-ce pas?

Les Ecoles de la Reine

Au début de1915, les villages du front étant fréquemment bombardés, leurs habitants furent évacués en france. Cette mesure ne fut pas appliquée aux fermes isolées. Les fermiers obtinrent l'autorisation de rester chez eux, à leurs risques et périls, sous réserve de ne pas exposer leurs enfants. Ceux-ci étaient envoyés en Suisse, par les soins de la Croix-Rouge. Mais cette précaution était un sacrifice auquel bien des familles ne se résignaient pas .Aussi, quand la voiture de la Croix-Rouge était signalée, vivement les enfants étaient cachés et on assurait ne pas en avoir. Et chaque jour on comptait de nouvelles petites victimes blessées ou tuées. La Reine, émue de cet état de choses, résolut en juillet 1915, de créer un refuge à Vinckem pour recueillir ces enfants et pour permettre aux parents d'aller les voir. Aussitôt, les demandes d'admission affluèrent. Les premiers baraquements durent être multipliés, et des quarante enfants du début, le nombre ne tarda guère à dépasser les six cents. Bientôt deux écoles furent crées à Vinckem: l'école "Marie-José" pour les petits et l'école "Charles-Théodore" pour les grands. Entre ces deux pavillons fut érigée une chapelle (c'est là que Marie-josé fit sa première communion en août 17).

A 12 km du front entre Furnes et Ypres, dans une vaste prairie, reliés entre eux par des passerelles en lattis de bois se sont élevés, avec une rapidité féerique les pavillons des écoles de Vinckem, à côté de ceux qui servent de logement et où des centaines de petits lits blancs s'alignent en double rangée.  La Reine a commenté et décidé des plans. A présent, Vinckem reçoit presque chaque jour sa visite. Elle tient à contrôler les moindres détails, ouvrant les armoires où sont rangés lingeries et jouets, examinant literies et ustensiles, s'assurant que les fourchettes ne sont pas trop piquantes pour les bouches des bébés, et que l'infirmerie est préparée avec soin. Toutes ces activités au service de l'enfance ne relèvent pas du budget de l'Etat .C'est la bourse personnelle de la Reine qui en fait les frais. Elle-même désigne les directeurs de ces maisons, tient à ce qu'une éducation religieuse y soit donnée, à ce que le flamand y soit parlé et à ce que l'hygiène la plus stricte doit observée. Elle a combattu les préjugés des orphelinats du pays, qui habillent de vêtements noirs les mioches, sous prétexte "qu'ils sont en deuils". C'est un régal de voir ces petits rescapés, vêtus de coton ou de lainages clairs, le cou dégagé, bras et jambes nues, s'ébattre sur leurs terrains de récréation.

La nouvelle pelisse de la Reine, le 9 novembre 1918

Les parlementaires allemands se sont présentés samedi 9 novembre au général Foch. Il sont demandé une suspension d'armes qui a été refusée. On leur a remis les termes de l'armistice et on leur donne 75 heures pour accepter. C'estr la joie mais une joie ahurie!

Les souverains sont en route depuis le matin, en auto ouverte. La Reine n'a qu'un léger manteau. Il fait froid. Ils ne seront pas rentrés avant trois heures du matin.  Le général White, un Australien, apporte pour la reine une pelisse de son pays. Je la fais chauffer devant le maire feu de bois du salon. Et, seule un instant, le regard errant sur les bûches qui fument, la reine de l'Yser, assisse sur un siège bas, reste muette, immobile...

En grand fracas, la grosse auto démarre et file dans l'obscurité qui, jamais, n'a été aussi obscure que dans cette ville d Lille, où les envahisseurs ont supprimés toute espèce d'éclairage. L'auto disparaît dans la nuit humide, sombre et glacée; elle passera par des chemins plein d'embûches, et roulera pendant cinq heures avant d'atteindre la petite maison de La Panne. Mais elle y ramènera des victorieux!

Le bon général White est frappé de l'excessive minceur de la reine:

- When my fur-coat went away,  I thought it went alone and there was nothing in it !

Dr Loodts, Août 2003



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