Médecins de la Grande Guerre
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De l’Yser au Congo : le
parcours remarquable d’Emilie Dardenne et de ses filles Emilie Dardenne surprise par la
guerre à Middelkerke Le 14 octobre 1914 Emilie Dardenne. (Archives Familiales P. et R. Devroey) En ce 14 octobre 1914, la
famille Dardenne espérait que Middelkerke allait rester libre. C’était là,
qu’en 1908, elle s’était établie ayant quitté Ixelles. Drôle de famille à vrai
dire : une jeune femme, Emilie Dardenne née Alvin et ses trois filles,
Jacqueline, 20 ans, Emilie surnommée Lily, 17 ans, et la cadette Jeanne, 16
ans. Une famille donc sans mari et père depuis longtemps puisque celui-ci avait
quitté le domicile familial en 1898. En avril 1898, Léon Dardenne[1]
s’était engagé comme artiste peintre
dans une expédition scientifique au Congo et cela sans demander l’avis de son épouse de 24 ans, enceinte de
quatre mois d’un troisième enfant. Malgré son retour du Congo en septembre 1900
après plus de deux ans d’absence, jamais le couple ne put se reconstituer. Léon Dardenne. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Léon
avait une mentalité d’artiste bohême qui ne s’alliait que trop peu avec les
responsabilités de chef de famille. Emilie Dardenne s’était donc retrouvée
seule, seulement âgée de 25 ans avec trois fillettes à élever ! Compte tenu de l’attitude « qu’en
dira-t-on » de l’époque, tous les jours n’ont pas été faciles ! Emilie Dardenne était une femme hors du
commun. Elle ne se désespéra pas et accepta le défi de gagner sa vie pour
élever dignement ses trois filles. Le moyen ? Elle rêva de devenir
directrice d’une pension de famille à l’attention surtout des enfants devant
recevoir pour raison de santé une cure d’air marin. Emilie Dardenne avait des
atouts pour diriger pareille institution. Elle avait reçu une très bonne
éducation, avait des qualités de gestionnaire et possédait aussi une autorité
naturelle. Pour couronner le tout, une élégance voulue très à la mode (elle se
teintait les cheveux et portait des hauts talons) la faisait remarquer comme
une femme moderne aux idées novatrices. Son rêve devint réalité en 1908 quand
elle occupa à Middelkerke la « villa Jacqueline », appelé ensuite
l’Institut Dardenne, qui pour une somme de 10 francs par jour (avec un
demi-prix pour les enfants) offrait toutes les commodités aux pensionnaires
avec en plus la possibilité de recevoir des leçons de harpe et d’italien. La villa « Jacqueline » en 1908 futur Institut Dardenne. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Grâce à ses revenus, elle parvint à
vivre honorablement et à payer les
études de ses filles ; c’est ainsi que Jacqueline, l’aînée, acheva des
études de régente à Thielt en 1912. Cette année-là,
mourut son mari, Léon Dardenne. Devenue veuve, elle possédait aussi un cœur
généreux qui lui fit oublier ses rancunes car elle prit grand soin de sa
belle-mère de 77 ans qui possédait une maison à Coxyde
et qui s’y était réfugiée. Emilie Dardenne en exode vers
l’Angleterre La guerre vint donc surprendre la
famille Dardenne dans leur pension de famille. Emilie, Léon et Jacqueline Dardenne vers 1895. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Elle espérait
jusqu’au dernier moment que Middelkerke restât dans la zone côtière défendue
par l’armée du roi Albert mais il fallut désenchanter ! Le 14 octobre
1914, Ostende tombait aux mains des Allemands après avoir été abandonnée par
les troupes belges obligés de se réfugier derrière l’Yser. Sans attendre que Middelkerke soit à son tour occupé
par l’ennemi, Emilie Dardenne se décida
à entamer l’exode vers la France. Elle fit ses bagages : une grande valise
pour elle, trois valises plus petites pour ses filles. Elle emmenait aussi avec
elle sa belle-mère malade qu’elle hébergeait à cette époque. Après avoir
distribué toutes les couvertures et réserves alimentaires aux soldats belges,
elle quitta sa chère pension de famille qui avait été son précieux gagne-pain
! La guerre n’empêcha cependant pas la
famille Dardenne d’avoir belle allure en quittant Middelkerke. Elle avait pris
un soin particulier à choisir ses vêtements de route ainsi que ceux de ses
trois filles. Dans la masse des réfugiés Belges qui fuyaient sur les routes
vers Nieuport, la famille Dardenne ne paraissait pas inaperçue : une femme
élégante suivie de trois charmantes jeunes filles et qui entouraient de leurs
attentions une vieille dame ! Un
colonel anglais eut pitié, ou, plus vraisemblablement, eut la curiosité d’en
savoir plus sur ces belles passantes. Il
arrêta son véhicule à leur hauteur en les priant de prendre place dans les camions de son convoi qui se dirigeait
vers Dunkerke. Emilie Dardenne, ses filles et la
grand-mère saisirent leur aubaine. Non
seulement elles furent déposées à Dunkerke mais elles reçurent de plus un cadeau
inespéré : le colonel anglais leur offrait l’hospitalité… dans sa propre
demeure le « Harsford
Manor » dans le Sussex à Wisborough !
Indiscutablement sa personnalité distinguée et énergique qui se manifestait
dans tous ses traits mais particulièrement dans son regard avait conquis
l’officier ! Il restait maintenant à trouver un moyen de quitter Dunkerke. Là-aussi, la générosité anglaise fit un miracle.
On leur proposa d’embarquer sur un navire militaire anglais mais qui n’était
pas encore certain de sa destination : le Colonel lui dit « Nous
retournons à Portsmouth ou bien nous irons au Cap (Afrique du Sud). Elle
répondit : « Que m’importe, mes filles sont avec moi ! ». Les Dardenne ne naviguèrent cependant
pas sous les tropiques. Une bonne étoile entraîna le navire jusqu’en Angleterre
où les cinq femmes débarquèrent ! La famille du colonel anglais respecta
la parole donnée et accueillit les cinq femmes avec la plus grande hospitalité.
Les mois passèrent donc au Harsford Manor de façon sereine. Bien évidemment, Emilie Dardenne
suivait les évènements en Belgique de façon très minutieuse. La bataille de l’Yser se
terminait et le front se stabilisant, on put à nouveau envisager un retour dans
la petite Belgique libre qui subsistait entre La Panne et Nieuport. Elle avait aussi un motif familial important
pour rentrer en Belgique. Sa propre mère, Jenny Alvin née Orts
se trouvait très malade à Coxyde. Au début de la
guerre, elle se trouvait dans la maison de campagne de sa fille Marguerite Massart (épouse du renommé botaniste bruxellois Jean Massart[2]
et, malade, n’avait pu rejoindre Bruxelles avant que l’ennemi n’arrive à
l’Yser. Elle était soignée par son ancienne servante Marie Lehouck
qui s’était marié avec un boulanger installé à Coxyde.
En janvier 1915, Marie Lehouck écrit : »Il
faut venir, Madame Alvin n’est pas bien. » Emilie Dardenne répond à cet
appel mais que d’aventures et de difficultés, fin janvier, elle était à Coxyde. Elle laissa sa belle-mère très malade qui n’avait
plus la force de voyager sous la garde de Jacqueline et de Lily qui
acceptaient de rester en Angleterre. Cela arrangeait Lily qui voulait devenir
infirmière et pouvait être formée à Londres où le médecin belge Jacob venait de
créer une école d’infirmière destinée aux jeunes filles belges dont les
familles s’étaient réfugiées en Angleterre. Emile Dardenne vers 1918. (Collection K. Schuiling) Emilie Dardenne de retour en
Belgique soigna puis enterra sa remarquable mère Jenny Alvin Quoique très présente auprès de sa
maman, son esprit d’entreprise reprit le dessus et elle vit rapidement comment
aider la famille Lehouck. Les soldats manquaient de friandises et de
biscuits. Emilie Dardenne poussa donc la famille Lehouck
à diversifier les produits vendus par leur boulangerie : pâtisseries,
gaufres et biscuits. Le succès fut au rendez-vous et le chiffre d’affaire de l’entreprise
familiale augmenta rapidement. A noter que la famille Lehouck
paya aussi son tribut à la guerre : une bombe allemande détruisit
complètement la maison de Marie Lehouck le dimanche 9
juillet 1916[3]. Marie était dans son lit à l’étage et se
retrouva comme par miracle indemne… à la cave ! Elle conserva cependant de
cet évènement et pour le reste de sa vie un tic nerveux à un œil ! En
1920, la maison fut reconstruite et devint la célèbre pâtisserie Verdonck célèbre encore aujourd’hui pour ses fameuses babeluttes. En juin 1915, deux de ses filles, Jacqueline
et Jeanne, rentrèrent en Belgique et s’installèrent à Coxyde.
Emilie était au chevet de sa maman dans la famille Lehouck
et celle-ci décéda le 21 juillet. Ce
fut une grande consolation pour Mme Dardenne d’avoir pu assister sa maman dans
ses dernières semaines. Il faut dire qu’elle avait hérité de sa mère de son
caractère courageux et entreprenant. Jenny Alvin était en effet une femme
exceptionnelle. Née sourde et muette, et ayant perdu sa maman à l’âge de 8 ans,
elle avait pu néanmoins surmonter son
handicap (elle séjourna dans une institution spécialisée à Paris, où
elle apprit à lire sur les lèvres, à lire, écrire et dessiner) et fonder une
famille. Son père, Auguste Orts était Bourgmestre de
Bruxelles mais hélas, sa maman, Narcisse Carion
décéda en 1854 des suites d’un refroidissement lors d’un bal donné par le Roi.
Les circonstances de ce décès ne lui enlevèrent pas son goût pour les
bals : elle en raffolait comme pour défier le sort ! Nullement gênée par son handicap, on
l’imagine gracieuse, attirant ses cavaliers par un regard qui perçait les
cœurs. C’est vraisemblablement au cours d’un bal, en Suisse, lors d’un voyage
en 1867, qu’elle rencontra celui qui allait devenir son futur mari, Louis
Alvin. Louis Alvin était ingénieur de formation et cumulait les fonctions de
Secrétaire du Ministre des chemins de Fer avec le métier de professeur de
métallurgie à l’ULB. Jenny Alvin eut encore un malheur de plus à supporter dans
sa vie : son cher mari, père de 3 enfants (Marguerite, Emilie et Jenny),
décéda en 1887, à l’âge de 42 ans d’une scarlatine. Emilie Dardenne ne pouvait s’empêcher de
penser aux tristes destinées de sa grand-mère, Narcisse Carion,
décédée si jeune et de sa propre mère Jenny Alvin dont le corps
était maintenant emporté par quatre hommes au cimetière de Coxyde :
deux générations de femmes si vite privées par le sort de la vie de famille à laquelle elles aspiraient tant. Même décédée, Jenny Alvin continuait à marquer
sa différence d’avec le commun des mortels. La marche des porteurs du cercueil
venait en effet d’être interrompue par une alerte aérienne et les quatre hommes
avaient trouvé tout naturel de s’asseoir sur son cercueil en attendant de
pouvoir quitter l’abri provisoire dans lequel le cortège s’était réfugié. Madame Dardenne chercha à se rendre
utile de façon plus patriotique. Elle se
mit en rapport avec la Comtesse Van den Steen de Jehay
qui, avec la Baronne Terlinden, avait fondé
« L’Aide Civile et Militaire », sous l’égide de la Reine Elisabeth. Sa
détermination joue encore une fois et la Comtesse lui propose de partir à Paris
pour organiser dans le cadre de cette fondation un bureau belge spécialisé dans
l’Aide aux Prisonniers de guerre, en Allemagne. Elle accepta évidemment ce beau
défi. Emilie Dardenne à Paris Elle quitta Coxyde
pour rejoindre Paris en août 1915. Elle parvient à trouver du travail pour sa
fille Jacqueline dans un bureau de courtage tandis que la plus jeune, Jeanne, entre
à l’école Schola Cantorum. Débrouillarde, elle avait
conservé l’adresse d’un officier français originaire de Paris et rencontré à Coxyde. Elle parvient à se faire héberger chez le papa de
cet homme, un riche homme d’affaire qui possédait une grande demeure près de la
porte Maillot. En mai 1916, soit 8 mois après son
arrivée, sa mission est remplie et elle qui ne supporte pas la routine désire
se rendre utile dans une autre tâche. Elle écrit à la comtesse Van den Steen et
lui demande de pouvoir la seconder avec sa fille Jacqueline dans son hôpital de Poperinghe. La comtesse lui répond : « On me dit que vous êtes disposée
à venir à Poperinghe et que vous désirez que votre
fille vous accompagne. Voulez-vous me
dire d’une façon définitive si vous avez bien pesé le pour et le contre et si
nous sommes bien d’accord. Comme je vous l’ai déjà fait dire, il serait plus
sage que vous veniez d’abord ici seule afin de juger de la situation et voir
s’il serait convenable d’y amener une jeune fille ». Emilie Dardenne de retour
derrière l’Yser dans les dentelles de Proven Camionnette la dentelle conduite par Leughe accompagné par Mme Dardenne 1916-17 (Collection K. Schuiling) Ordre de Marche à Mme Dardenne et sa fille Jacqueline de rejoindre l’Hôpital Elisabeth à Poperinghe (18 mai 1916). (Archives Familiales P. et R. Devroey) Décidée, elle ne tient pas compte de la
prudence préconisée par la comtesse.
Elle se rend donc sans avoir effectué de
voyage de reconnaissance à Poperinghe accompagnée de
sa fille Jacqueline âgée de 22 ans. Pour ce qui est des deux autres :
Jeanne continue ses études à Paris tandis que Lily étudie à l’école belge
d’infirmière de Londres. Le 23 mai, on la retrouve domiciliée à Proven, petit village situé à quelques km de Poperinghe. Elle
occupe une petite baraque à l’intérieur de l’hôpital de Couthoven.
Toujours sous le couvert de « L’aide civile Belge », elle reçoit
comme mission d’aider les dentellières de la région à survivre en continuant
leur artisanat. Elle va les approvisionner en matière première, coussins,
fuseaux, épingles, fil pour la dentelle d’Ypres, fil pour la dentelle de Cluny
et de Bruges. Les ouvrages terminés, elle les expédie aux USA, en Angleterre et
en France où elles trouvent acquéreurs. En soutien publicitaire, on publie une brochure dans laquelle Jacqueline
se trouve en photo en costume de dentellière au travail. Mme Dardenne apportant le matériel aux dentellières. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Jacqueline Dardenne posant habillée en dentellière pour la publicité aux USA. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Jacqueline Dardenne posant habillée en dentellière pour la publicité aux USA. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Liste des fournisseurs pour les dentellières. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Emilie et
Jacqueline sont constamment sur les routes pour visiter les dentellières. Elles
circulent dans une petite camionnette avec Monsieur Leughe, leur chauffeur dans une région parsemée des
bases arrières des soldats anglais qui combattent à Ypres ! Quand elles ont terminé leur tournée, elles
rejoignent l’hôpital où elles séjournent. Les quelques loisirs consistent à
établir des liens d’amitié avec les infirmières et les soldats
hospitalisés. Emilie Dardenne et Jacqueline seront marquées pour toute leur
vie par le spectacle des soldats mutilés ou gazés. Emilie Dardenne abandonne les dentelles pour s’occuper des enfants
belges placés dans la colonie du Glandier en France,
avec sa fille Jeanne. En octobre 17, Emilie Dardenne peut être
fière du travail accompli. Elle se plaît en compagnie de la Comtesse. La Reine
Elisabeth va cependant perturber sa routine. Elle a en effet entendu de la
bouche de la Comtesse les succès de ses missions et désire employer ses talents
autre part. La Reine venait de conclure avec la Croix-Rouge américaine un important accord pour créer en France une
institution capable de recueillir, d’éduquer et de soigner des enfants
souffrant de diverses carences en Belgique occupée. Des négociations avec
l’occupant avaient été menées et les Allemands finirent par accepter le départ
d’enfants belges malades via la Suisse pour rejoindre la Chartreuse du « Glandier » en Corrèze. Les Glandiers (Corrèze) en 1917. (Archives Familiales P. et R. Devroey) La Reine avait choisi le capitaine Graux pour mener à bien ce projet mais celui-ci voyageant
beaucoup, il lui fallait une collaboratrice sur place. La Reine choisit Emilie Dardenne
pour occuper cette charge. Obéissantes, Jeanne et elle, rejoignent leurs postes
en octobre 17. Devenue Directrice, elle s’occupe de
toutes les tâches pour organiser l’accueil de 500 enfants. Elle donnait la
contagion de l’enthousiasme et tout fut prêt à temps pour accueillir les
enfants. Le jour prévu, elle reçut un message : « Au lieu de 500
enfants, nous avons reçu un télégramme annonçant 625 et tout de suite après un
autre annonçant 660. J’espère cette fois que ce sera tout. Nous avons 627 lits
prêts plus ceux de l’infirmerie qui ne comptent pas nous en coucherons 150 sur
des matelas faute de lits. » 660 enfants rejoignirent la Chartreuse
du Glandier en même temps que 10 instituteurs, 10
prisonniers allemands, 20 soldats, 30 servantes, des 2 infirmières, 1 comptable
et un médecin belge, le docteur Neelemans avec sa
famille. Malgré tout il manqua du personnel et
la Croix-Rouge américaine fournit pour compléter celui-ci des quakers
anglais et américains pour animer les loisirs des enfants. Parmi ceux-ci Henry Streeter, Zavitz, Frank Morton.
Le Dr Wiggin, spécialiste de la gorge, le Dr Anett un
dentiste, le Dr La Bonte, deux infirmières
américaines, Martha Hower et Sarah Boyle furent
envoyés aussi en renfort. Jeanne était l’économe chargée de gérer
les énormes quantités de vivres nécessaires. Par jour la
colonie consommait 210 kg de pain, 500 kg de pommes de terre, 100 kg de légumes
secs, 60 kg de viande (trois fois par semaine) et une quantité impressionnante
de lait. La guerre battait son plein et c’était vraiment une prouesse pour
trouver les vivres capables de faire subsister les enfants. Pas seulement les
vivres, mais les habits : vêtir des enfants qui arrivaient avec comme
seuls habits ceux qu’ils portaient sur eux représentait un autre chalenge. Le
capitaine Graux était la plupart du temps à l’extérieur
de l’institution afin de trouver donateurs ou fournisseurs. Pour les chaussures
il dut même créer de toutes pièces un atelier de chaussures à Limoge qui put
fournir 80 paires par semaine ! Le travail de Mme Dardenne est harassant et sans aucune distraction.
Voici ce qu’elle écrivit : « Graux a vu la
reine, lui a parlé de moi, lui a expliqué comment je fus enlevé de Poperinghe. Je m’incline devant la volonté de la Reine
puisqu’en m’acceptant pour le Glandier, elle savait
qu’elle me retirait de Pop. Je suis vraiment privée de tout dans ce désert
immense où j’ai heureusement Jeanne pour me tenir compagnie. Ici point de messe
le dimanche, nous sommes loin de tout et j’attends Rosiers[4]
(l’aumônier) pour reprendre une vie plus chrétienne. » Elle écrit aussi longuement à ses filles
restées en Belgique, Lily à l’Hôpital de l’Océan et Jacqueline restée à Popeginghe. En plus de continuer les tournées de
« l’Aide Civile » auprès des dentellières, Jacqueline travaille de
plus en plus souvent, en tant qu’infirmière, à l’Hôpital Reine Elisabeth. Jacqueline Dardenne en 1919. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Mme Dardenne au Havre termine la
guerre au service des familles belges qui y sont réfugiées. Emilie Dardenne tiendra bon jusqu’en juin 1918. A
bout de force, elle rentre au Havre avec sa fille Jeanne et se domicilie à
Sainte adresse où se trouve le Gouvernement Belge. Elle va alors proposer son
aide à Madame Hymans, secrétaire de l’Œuvre
d’Assistance temporaire aux Belges au Havre. Madame Hymans
allait restée son amie très proche jusqu’à la fin de sa vie. Cet organisme traitait 1450 dossiers de familles de
soldats belges évacuées, qui s’étaient réfugiées à proximité du Havre. Mme
Dardenne va créer une unité de travail à domicile pour ces Belges ainsi qu’une
colonie de vacances pour enfant. Un subside du Ministère permit l’achat de
machines à coudre qui furent cédées aux ouvrières « contre remboursement
hebdomadaire de 2 francs au minimum ».
Le travail consistait dans la fabrication, à domicile, de pantalons de
toile pour l’intendance. Elles étaient payées 85 centimes par pantalon. En 5
semaines 110 femmes belges fabriquèrent 5.000 pantalons. Sa fille Jacqueline, continue les
tournées « Des Dentelières » et œuvre
pendant ce temps à l’hôpital Reine Elisabeth Régente de formation, Jacqueline a
appris aux côtés de sa mère et s’est formée par les circonstances. La famille Dardenne passa plusieurs
séjours chez les Massart, réfugiés à Antibes. Jeanne
en 1916, Mme Dardenne et Jacqueline pendant quelques semaines en 1917.
Jacqueline commença une correspondance
avec Egide Devroey. Il était en 1914 étudiant à
l’Ecole Polytechnique lorsqu’en décembre il quitta la Belgique pour, via la
Hollande, s’engager comme volontaire de guerre. Ils se connaissaient par leur
oncle commun Jean Massart. Egide Devroey
passait à Antibes ses permissions et ses congés de convalescences. Il y
envoyait d’innombrables lettres, presque journalières, écrites même sur des
déchets de papier, racontant, au jour le jour, les pieds dans l’eau, les amis
tués, le sang éclaboussé, les cadavres, les horreurs mais aussi après les poux,
les floraisons du printemps, le soleil dans les dunes, les espoirs. Mme Dardenne racontait souvent l’horreur
des cantonnements à l’arrière du front. Les premières attaques allemandes aux
gaz, les malheureux qui revenaient asphyxiés, aveugles, hurlant de douleur,
n’ayant comme seule protection contre ces gaz mortels qu’un mouchoir imbibé
d’urine, leur refus de retourner au front malgré les menaces, les distributions
d’abondantes rations d’alcool afin d’endormir les consciences. « Quand on
enverra les vieux se faire tuer, au lieu de tous ces jeunes « ils »
comprendront et il y aura moins de guerres » disait-elle En novembre 1917, Mme Dardenne
s’inquiète pour sa fille Jacqueline qui cumule deux tâches : « L’hôpital
est bien transformé tu m’annonces forces départs mais qui remplace tout le
monde et qu’en dit le docteur ? » Malheureusement, le courrier de
Jacqueline a disparu, il n’en reste que cette lettre émouvante, du 12/11/1918,
de son « Armistice » : « Nous voici enfin en temps de
paix, … Hier matin, vers 7 heures, c’est ce
brave Coulomb qui du bureau, ayant songé à nous, est venu nous tirer du sommeil
de l’innocence dans lequel, nous étions plongées toutes trois, Bomroy, Delphine et moi, en criant l’Armistice est
signé ! Des cris de fauves, c’est le cas de le dire nos crinières l’étant
toutes les trois, qui perdirent d’ailleurs parmi les rugissements des
brancardiers qui, accordéon en tête, arboraient des drapeaux aux baraques. Mme
T mère ayant trouvé qu’une série de réjouissances devaient signaler cet
évènement, elle nous promet de nous emmener voir le front et Roulers… La matinée se passe dans une agitation
folle et un énervement croissant, nous ne faisons rien. A midi Mme T distribue
aux hommes une bouteille de champagne et à chacun une pièce de 100 sous et une
demi- journée de congé, des hurrahs éclatent nombreux… Le départ s’organise.
Nous partons tout d’abord pour Ypres. C’est le switch road d’antan et la route
connue. Le Brandhoek, combien démoli, Vlamertighe rasé où l’église maintient par quel prodige
d’équilibre, une de ses ogives intacte. La route est labourée de trous d’obus.
Les camps et huit (baraquements) aujourd’hui abandonnés, sont sinistres sous la
pluie. Puis voici Ypres, Ypres qu’on
s’imaginait bombardée, traversée par des convois au galop, la voici aujourd’hui
sous la pluie, étalant ses ruines parmi lesquelles circulent les chinois
occupés au déblaiement. Mais voici l’auto qui tourne vers la grand’ place et
c’est brusquement la révélation de cette beauté des ruines dont on parlait
tant. La tour Saint-Martin et celle des halles ont un squelette merveilleux qui
se dresse au milieu du désert de la grand’ place. C’est une belle idée de nous
avoir emmenées ici le jour de la paix. Il eut fallu au moins l’évocation de ces
choses dans la joie des grandes villes de l’arrière pour que jamais elles ne
perdent de vue l’ennemi. Je t’assure que cette traversée d’Ypres
et celle du « no man’s land » nous ont enlevé toute envie de nous
montrer humanitaires quand nous croisons une compagnie de travailleurs boches.
Ils avaient bien l’air de vaincus cette fois et nous les avons toisés enfin
humiliés et battus, c’est féroce ce sentiment de vengeance. Des compagnies d’anglais acclament notre
voiture, nous agitons nos mouchoirs et nous penchant, nous répondons par le
même cri que celui dont ils nous saluaient : Peace
Peace. Ce mot sonne mal dans le décor qui nous
entoure. C’est au-dessus de toute description
humaine. Le chaos le plus complet, des entonnoirs énormes devenus lacs, des
montagnes, des prairies où les entonnoirs sont les uns à côté des autres, des
chemins de fer aux rails arrachés et les cadavres de forêts, des arbres qui
dressent sur le ciel leurs grands troncs entièrement nus. Jamais durant la
guerre je n’ai eu aussi intense cette impression d’absolue désolation, c’est
l’enfer que cette ligne de collines ondulées qui s’étendent au loin ; au
bord de la route, un cheval est resté, plus loin des tanks profilent leurs
masses parmi des débris de toutes sortent et ils vous ont des aspects de bêtes
apocalyptiques qui bien que mortellement atteintes pourraient se redresser
soudain et foncer encore vers un attaque de fantômes, puis les croix isolées
viennent rappeler que dans ce paysage de géants ce furent des êtres humains qui
combattirent. Nous traversons la ligne. Voici la
première infirmerie boche, les pancartes sont en allemand et nous nous
engageons vers le Vossemolen, d’après leurs
indications. Malgré que notre victoire n’ait pas conduit nos armées en
Allemagne, il nous faut être bien heureux qu’elles n’aient pas dû reconquérir
le terrain pied à pied. Roulers est désolé. Le bombardement n’a
pas tout atteint mais les boches ont dévalisé la ville et elle a l’air d’un
squelette. Les maisons sont vides et nous offrent de grandes pièces vides dans
les quelles rien ne reste. C’est affreux et malgré les français dans la ville,
malgré les quelques drapeaux, une dépression vous oppresse et nous regagnons
volontiers notre auto. Nous reprenons la même route, mais dans
la nuit cette fois et il fait assez clair pour que l’on frissonne un peu dans
ce paysage fantastique. Tout à coup des fusées se mettent à monter au ciel et
c’est un feu d’artifice que quelque compagnie anglaise organise qui vient nous
fournir un spectacle fantasmagorique, des étoiles montent au ciel, des feux de
Bengale éclairent l’horizon, puis brusquement dans Ypres, c’est un feu de
Bengale rouge qui sinistre, découpe les ruines de l’hôpital du Sacré Cœur sur
le reste du ciel. Cette randonnée fut véritablement une
chose unique et l’impression m’en restera comme un des souvenirs de guerre les
plus frappants… » En reconnaissance de ses services, elle
fut décorée de la Médaille de la Reine Elisabeth, de la Médaille de la Victoire
et de la Médaille Commémorative 1914-1918. En 1919, Jacqueline était domiciliée
chez les Massart 150 avenue de la Chasse à Etterbeek,
elle y demeura jusqu’au jour de son
mariage le 5 avril 1919, avec Egide Devroey. Groupe d'infirmières au repos dans les dunes de La Panne - Lily est la deuxième infirmière à gauche (Collection K. Schuiling) Sa fille Lily, infirmière
œuvre pendant ce temps à l’hôpital
L’Océan En juin 1916, Lily rentre comme
infirmière à l’hôpital l’Océan. Ce sera une grande aventure pour elle qui aura
une répercussion sur toute sa vie puisqu’elle y rencontrera l’homme de sa vie. Lily
n’a pas beaucoup d’expérience quand elle arrive dans cet immense hôpital qu’est
devenu l’hôtel Océan. A vrai dire elle n’avait jamais encore, comme elle le
raconta plus tard avec pudeur, vu « un homme légèrement habillé » !
De suite pourtant, elle est désignée pour une énorme salle où se trouvaient des
dizaines de jeunes hommes blessés et on lui donne pour première
instruction : « Vous voyez ces blessés ? Eh bien vous les
lavez et changez leurs pansements ! ». Lily n’oublia jamais ce
premier contact assez brutal avec le métier d’infirmière. Plus tard, elle aimait
rappeler à ses enfants et petits-enfants l’émotion qu’elle ressentit lors de
ses premières prestations d’infirmières au service des soldats. Lily
malheureusement n’écrivit pas de journalier et nous ne pouvons la suivre dans
sa vie quotidienne que par les souvenirs qu’elle raconta oralement à sa
famille. D’elle, on apprit que le Dr Depage était « un ours » et
qu’il fallait obéir à la matrone sans
jamais sourciller ! Même âgée, elle parlait de sa matrone avec la moue de
l’élève peureuse face à son maître d’école ! Par contre c’est avec un sourire toujours
émerveillé qu’elle racontait à sa petite-fille Katy sa rencontre inattendue
avec le Roi Albert qui se tenait au-dessus de la dune qu’elle et des amies
gravissaient tout en riant à qui mieux-mieux. A la fin de la guerre, lors de
l’offensive libératrice, Lily désignée en renfort pour l’hôpital de Vinckem[5].
Elle termina donc la guerre dans sa vision la plus affreuse ; en effet
c’était la première fois que les Belges sortaient en masse de leurs tranchées
en s’exposant si fortement aux tirs ennemis. Le prix payé par les Belges en fut
conséquent : plus de trois mille tués et plus de 26.000 blessés !
Lily raconta à ses enfants que la vision la plus terrible qu’elle ait eu de la
guerre fut un pauvre soldat, dont le pied chaussé, arraché à la jambe et ne
tenant plus que par quelques lambeaux, bougeait encore. C’est pourtant grâce à un autre pied de
soldat qu’elle se maria. En effet elle soignait un soldat nommé Etienne Becquet
qui venait d’être amputé du pied gauche quand vint s’asseoir au chevet du
blessé un visiteur militaire. En fait, il s’agissait de son frère Jacques, lui
aussi militaire comme six autres de ses frères ! Une conversation à trois
débuta et bientôt Jacques Becquet eût
une deuxième raison de se rendre en
visite à l’hôpital l’Océan. L’histoire se termina comme un conte de fée… par un beau mariage, le 15
juillet 1919 ! Mais revenons début avril 17,
quand Etienne est hospitalisé à l’Océan après avoir été blessé dans la nuit du
29 au 30 mars 1917 lors d’une reconnaissance d’un poste ennemi au-delà du canal
de l’Yperlée. Lily raconta sans doute à toutes ses collègues le fait
exceptionnel qu’elle soignait un soldat
dont les six frères étaient aussi sous les armes. La Reine Elisabeth pris la
mesure de cette nouvelle et vint s’enquérir auprès du blessé de l’incroyable
fratrie. Le Roi Albert suivit peu après et trouva au chevet d’Etienne Becquet
un beau vieillard qui n’était autre que le Père Becquet. Le Roi résolut de
décorer Etienne mais aussi… le père de cette famille exceptionnelle[6].
La suite de l’histoire d’Etienne Becquet vaut la peine d’être racontée. Amputé,
il voulut à tout prix rester en service. Les autorités militaires, sans doute
avec les recommandations du Roi, lui donnèrent satisfaction et Etienne acheva
la guerre comme observateur aérien !
Après la guerre, il resta aussi malgré son handicap très sportif et
continua même à jouer au hockey. Il était disputé par chaque équipe car il
frappait la balle non seulement avec la crosse mais aussi avec sa prothèse en
bois. Continuant l’aviation, il obtint même à l’aéroport de Gosselies le 5
novembre 1921, le record d’altitude en biplace de 7000 mètres. Quant à Jacques qui tombe amoureux de
Lily, c’était aussi un fameux gaillard. Avant la guerre, il avait tâté de la
marine en étant cadet sur le navire-école anglais « Milverton »,
puis il s’était engagé au Congo au service de l’Etat avant de passer à la
direction du comptoir des Exportations belges à Kinshasa. A la déclaration de la
guerre, il rejoint la Belgique et s’engage comme volontaire en septembre 1914.
Il gravira tous les échelons pour devenir officier en mai 1916. Le 20 juillet
1917, il est désigné pour rejoindre les troupes coloniales. Il quitte l’Yser
et… sa fiancée Lily pour prendre part à la deuxième campagne d’Afrique. Nommé lieutenant en novembre 1917, après les
opérations dans l’Est Africain, il rejoint la Belgique pour participer à la
dernière offensive avec le 4ème
régiment des Chasseurs à Pied. Des sept soldats qui étaient les futurs
beaux-frères soldats de Lily, deux perdirent la vie à cause de la guerre.
Gérard périt lors de l’offensive finale le 30 septembre 1918. Henry quant à lui
tomba malade durant des manœuvres au camp de Mailly
en décembre 1917. Les poumons fragilisés par les gaz respirés, il ne se
remettra jamais de son affection respiratoire. Germaine Becquet, sa sœur
dévouée s’occupa beaucoup de lui. Il
faut dire que Germaine remplaça très jeune la maman Becquet décédée en 1908…
Elle se dévoua sans compter pour ses frères et son père et resta de ce fait
célibataire. Elle mérite certainement une médaille ! Henry malgré les bons soins de sa sœur décéda
le 29 octobre 1924. Il avait un caractère exceptionnel et malgré ses
souffrances gardait la bonne humeur. Voici une lettre de son père adressée à
son fils Jacques et qui relate les derniers moments d’Henry. Un témoignage
émouvant mais surtout le plus bel hommage qui soit pour cette victime de
guerre. Lundi, 01-12-24 Mon bien cher Jacques Mes
dernières lettres t’avaient donné des détails sur l’état du cher Henry et tu
avais du te rendre compte que la maladie continuait ses ravages sans aucun
espoir. Aussi tu devais t’attendre à la triste nouvelle que Madame Dardenne
(Emilie) s’est chargée de te communiquer. Je suis sûr que tu comprendras et que
tu m’excuseras si je ne t’ai pas écrit immédiatement mais je suis certain que
tu as à cœur d’avoir des détails sur ces dernières semaines. Tu savais que nous
étions revenus au début de mai avec l’intention de retourner à Amélie le 10
septembre ; nous y avions retenu un appartement. Henry avait bien supporté
le voyage et les premiers temps après le retour son état était assez
convenable ; il descendait quelques heures par jour mais le temps a été
détestable – froid et pluie – ce qui l’empêchait d’être complètement en plein air. Nous
faisions cependant les préparatifs de départ lorsque vers la fin août, il a eu une crise des plus
violentes : fièvre-toux-oppression-cœur très pris. Cela a duré une grosse
semaine et a même été si mal un soir qu’il a fait tous ses grands préparatifs
de départ ! C’est l’abbé Nilis – un ancien de ST
Boniface – qui l’a assisté et qui a continué à venir le voir. Son état s’est
calmé. Le lendemain, il avait consultation (Tu sais ce que cela vaut quand
c’est la fin) et cependant il y a eu une accalmie – mais il n’a plus quitté son
lit que de temps en temps pendant 8 semaines. Cela a été un long martyr que le
cher Henry a supporté avec un courage et un héroïsme admirable sans une
plainte, ayant toujours la volonté de partir, il avait fixé le 4 novembre et
trois jours avant la fin il combinait encore les heures de train ! Tous
les derniers jours, il se mettait une ou deux heures dans son fauteuil pour
s’entraîner à partir du 4 ! Jusqu’au dernier jour il a eu son caractère
joyeux et je te dirai même le mot pour rire. Il espérait tant encore se guérir
et pouvoir vivre quelques années avec nous ! Pauvre Cher Henry, toute son
affection s’était encore affinée pendant cette maladie et il était heureux d’être
au milieu de nous. C’est la chère Germaine qui l’a soigné avec un soin et un
dévouement inlassable. Ces derniers mots ont été : Je m’en vais très
content et très tranquille. Il est mort en vrai chrétien et l’abbé lui-même
était édifié de cette fin, de son courage ! La chère maman aura
certainement intercédé pour lui, ainsi que la chère tante Jeanne et le brave
Gérard. Cette fin si chrétienne est notre seule consolation et ses souffrances sont aussi terminées.
Thomas et Baudouin seuls étaient près de lui. Etienne et André n’ont pu arriver
à temps. Les sympathies témoignées ne sont pas une consolation mais elles
prouvent cependant l’estime du monde pour celui qui n’est plus, et la foule
recueillie qui assistait au service prouvait toute la part prise à notre deuil.
L’enterrement avec honneurs militaires avait eu lieu le lundi après-midi. Le
service le mercredi. C’est la commune qui avait supporté les frais du
corbillard, le tout très convenable ! Si je te donne tous ces détails mon
cher Jacques, qui peuvent paraître insignifiants c’est que c’est vous les 7
braves qui avaient honoré la famille et dans certaines circonstances le monde
se rappelle encore des braves de 1914. Nous avons fait faire le portrait
d’Henri après sa mort. Je te l’enverrai à ma rentrée à Bruxelles. (…) Et
vous mes chers enfants, j’ai été heureux d’apprendre par madame Dardenne que
vos santés étaient bonnes, petites et grandes et que tout marchait selon vos
désirs – bonne installation – bon chez soi – bon bonheur à deux – c’est le seul
vrai ! J’espère cependant que malgré le soleil africain vous redeviendrez
bientôt des Européens. Au
revoir mon cher Jacques, ma chère Lily, je vous embrasse de tout cœur ainsi que
les petites chéries. Papa Sa fille Jeanne En 1914, Jeanne n’a que 16 ans. Cette jeune fille
sensible va accompagner sa mère et ses sœurs dans leur périple. En Angleterre, d’abord puis à nouveau en Belgique,
avant l’installation à Paris où elle reprend les cours à la « Scola Cantorum ». Elle y reste quand sa mère et Jacqueline
retourne à Proven. En octobre 1917, alors âgée de 19 ans, elle
accompagne sa mère et devient l’économe du Glandier.
Lourde tâche pour une jeune fille que de nourrir une colonie de 660 enfants et de
plus de 80 adultes et d’en assurer l’intendance. « Miss Jeanne » faisait partie
du personnel de la Commission Américaine de la Croix-Rouge. Jeanne ira ensuite au Havre où elle
accompagnera sa mère dans son travail. Elle revient à Bruxelles en janvier 1919. Jeanne épousa le ??? le Chirurgien
Paul Lorthioir (1896-1982), cofondateur de la Société
Internationale d’Orthopédie à Paris en octobre 1929. Ils eurent deux fils Jean
qui, comme son père devint chirurgien et se spécialise dans le domaine des
grands brûlés, et Michel qui fut ingénieur à Solvay. Après la guerre Madame Dardenne
resta plein d’initiatives. Elle accomplit une remarquable traversée du Congo. Avec Madame Hymans, elle
créera le « Nursing belge » à peine esquissé avant 1914 par Miss
Cavell. Elle devint aussi Secrétaire de « La Famille de
l’Infirmière » qui devint par la suite le « Club de l’infirmière »,
33 rue de la source. Avec
madame Hymans et Madame Brachet elle crée
« L’association des Infirmières visiteuses de Belgique ». Avec Madame Delange,
c’est un home de repos « pour institutrices » qui est créé à l’Espinette.
Elle participe à l’installation du « home des
étudiantes » de l’U.L.B. L’Afrique est dans la vie d’Emilie
Dardenne, un leitmotiv, une image éternellement présente. Tout commence lorsque
son mari Léon Dardenne rapporte une documentation foisonnante sur l’Art
Africain, en revenant de la Mission Lemaire au Katanga. Sans doute fut-il le
premier à éveiller l’intérêt de Madame Dardenne pour ce continent. Elle parvient à obtenir une « Mission d’étude
au Congo » subsidiée par le fonds spécial du Roi Albert afin de connaître
les conditions de vie des femmes indigènes et blanches. De juillet 1920 à juillet 21, Emilie Dardenne va visiter des dizaines d’hôpitaux et d’écoles
disséminés à travers tout le Congo. Partie d’Elisabethville elle va remonter à
pied, en pirogue, en train le Lualaba jusqu’à Kabalo
pour se diriger ensuite vers le lac Tanganyka qu’elle
va sillonner dans toutes les directions. Elle assistera même à Kigoma à un
évènement lié à la Grande Guerre : la remise de la gouvernance de la rive
est du lac aux Anglais. Libéré des Allemands par la Belgique au cours de la
campagne de Tabora, les Belges en eurent l’administration quelques mois jusqu’à
ce que les négociations entre alliés attribuent aux Anglais l’East Africain
Allemand. Emilie Dardenne décrira cette passation de pouvoir de façon détaillée
et ses souvenirs à ce propos constituent
un témoignage historique de grande valeur ! Durant tout son voyage, Mme Dardenne tiendra un
journalier qui détaillera ses inspections et les multiples conversations
qu’elle eut avec les colons, les administrateurs, les religieux et les
Congolais. Ce document me semble précieux car il nous livre une image inédite
de notre jeune colonie. On y découvre notamment le découragement important des
colons et administrateurs qui se sentent abandonnés par une métropole qui de
Bruxelles gouverne le Congo sans véritablement connaître les problèmes
rencontrés sur place. Partout, Emilie entend les Belges dire que la révolte des
coloniaux contre Bruxelles couve ! Il faillit sans doute de peu pour que
le Congo Belge proclame son indépendance comme le fit la Rhodésie ou l’Afrique du Sud. Concernant
les soins médicaux, elle s’apercevra que les religieuses qui s’occupent des
hôpitaux ne voient pas encore l’utilité des infirmières laïques. Si en Belgique
la guerre mit en évidence la nécessité des soins infirmiers par du personnel
formé, ce n’était pas le cas au Congo. Emilie insistera donc pour que le Congo
rattrape son retard dans ce domaine crucial pour le développement. L’autre domaine de prédilection d’Emilie fut
l’enseignement entièrement aux mains des missionnaires que ce soit pour les
congolais ou pour les colons. Emilie constatera les lacunes de cet enseignement
qui devrait selon elle être contrôlé par l’Etat. Développer l’enseignement
professionnel mais débuter aussi l’enseignement universitaire lui semblent des
points capitaux. Elle fut visionnaire
dans cette matière mais malheureusement non suivie pour l’enseignement
universitaire avec les conséquences que l’on sait et qui se manifestèrent dans
toute leur ampleur à l’Indépendance. Le lecteur intéressé trouvera ci-dessous[7]
un condensé du journalier d’Emilie Dardenne au Congo. J’ai repris les journées
marquantes de son carnet de route. Revenue en Belgique, elle fut plusieurs fois reçues
au Palais. La Reine Elisabeth encouragea, dès décembre 1921, son grand
projet : la création d’un service de Croix-Rouge du Congo. A son retour, Emilie travailla au Ministère de la
Justice comme « Inspectrice ». Elle s’occupait des enfants
délinquants ou abandonnés et à ce titre inspecta les institutions qui les
recueillaient dans toute la Belgique. En 1923, elle fut aussi la co-fondatrice de l’Union
des Femmes Coloniales dont elle en devint la
présidente. Cette association visait l’entente morale de toutes les
femmes et les enfants de la colonie. Son slogan : « du cœur et de
l’altruisme ». Elle s’intéressa également énormément à l’Art
Africain et prit ainsi part au mouvement pour la « Protection des Arts
Indigènes au Congo. Parallèlement à son travail, elle continua d’user
de son énergie pour créer une Croix-Rouge du Congo. En 1926, elle effectua avec le Docteur Dubois un
voyage aux U.S.A. Elle eut l’occasion de donner plusieurs conférences. Ce
voyage lui permit également de renforcée sa conviction de la nécessité d’une
éducation sociale au Congo. Finalement la « Croix-Rouge du
Congo », en abrégé C.R.C., vit le jour en 1925 et devint une section
officielle de le Croix-Rouge de Belgique.
L’arrêté royal du 14 mai 1926 lui accorda la personnalité civile et
approuva ses statuts. Un an après le Croix-Rouge du Congo acquit son autonomie
complète et devint indépendante de la Croix-Rouge de Belgique. Le premier président du C.R.C. en Europe fut Pierre
Orts[8],
le cousin d’Emilie Dardenne et cette dernière devint la première Directrice de
l’œuvre. Elle resta Directrice de la Croix-Rouge du Congo
jusqu’à sa retraite en 1938. La Reine la remercia de tous les services rendus au
cours d’une émouvante cérémonie dont témoigne une magnifique photo. De nombreux
discours furent prononcés dont celui de Monsieur Arnold : Discours de M Arnold (Administrateur Général
Honoraire de la Colonie) ... Pour
bien soulager, il faut soi-même avoir souffert. La douleur forge les âmes d'élite et la vie n’a pas
épargné votre Présidente. sous les blessures morales, parfois les difficultés
matérielles, elle ne se laissa jamais accabler, mais trouva toujours en elle la
force de surmonter les obstacles pour faire de ses filles des femmes dignes
d’elle et, plus tard, à la suite de circonstances particulièrement
douloureuses, pour se dévouer à l'éducation de ses petits enfants. Elle fut
mère dans tout ce que ce mot contient de grandeur et d’abnégation, et le secret
de sa réussite dans ses activités coloniales fut d’être maternelle.. Elle
connaît l'Afrique, notamment pour y avoir séjourné. Elle a compris là-bas cette
vérité que le Dr Firket résume dans cette formule
lapidaire: « En Afrique ce sont les forces morales qui triomphent ». Courage, générosité, optimisme, clairvoyance,
pionnière et confiance en soi l’amèneront tout au long de sa vie à mener des
projets perspicace. Distinctions :
Officier de l’Ordre de Léopold II, Chevalier de l’Ordre Royal du Lion, Chevalier
de l’Ordre de la Couronne, Médaille de la Reine Elisabeth 1914-1918, Médaille
de la Croix-Rouge avec barrette d’Argent Lily au Congo avec sa sœur
Jacqueline Lily mariée avec Jacques Becquet
eut une longue carrière coloniale. Jacques travaillait pour le compte du Chemin
de Fer Katangais. Il accueillit d’ailleurs sa belle-mère à Elisabethville quand
celle-ci entama sa mission d’étude. Le
couple eut deux enfants, Claire et Andrée. Notre ancienne infirmière de l’Océan
eut la chance d’avoir la présence de sa sœur Jacqueline à Elisabethville.
Jacqueline s’était en effet mariée avec cousin par alliance, Egide Devroey , qui travaillait comme ingénieur pour assainir la
capitale du Katanga. Jacqueline et Egide eurent deux enfants, Pierre et
Charles. Dès 1923, Jacqueline devint secrétaire de l’Union des Femmes
Coloniales et plus tard de la Croix-Rouge du Congo. Elle y mena de nombreuses
actions. Malheureusement le séjour conjoint des deux sœurs au Congo prit fin
tragiquement en octobre 1928 quand Jacqueline décéda à l’âge de 34 ans. Les deux enfants, Charles et
Pierre rejoignent alors la Belgique pour être pris en charge par leur
grand-mère Emilie Dardenne, qui n’aura cesse de veiller sur eux avec tout son
amour. Comme elle le fit également pour ses 6
petits-enfants : Andrée et Claire Becquet, Charles
et Pierre Devroey[9],
Jean et Michel Lorthioir notamment pendant ces
fameuses vacances au « Chalet » de Middelkerke. Mme Dardenne et ses petits-enfants au Chalet de Middelkerke en 1929. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Mme Dardenne et ses petits-enfants au Chalet de Middelkerke en 1929. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Mme Dardenne et ses petits-enfants au Chalet de Middelkerke en 1929. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Les « 6 as » à Ostende en septembre 1929 : de gauche à droite : Jean Lorthioir – Andrée Becquet – Charles Devroey – Pierre Devroey – Claire Becquet – Michel Lorthioir. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Mme Dardenne en balançoire avec ses petits-enfants en 1929. (Archives Familiales P. et R. Devroey) Lily pendant la deuxième guerre
mondiale La guerre éclate et Emilie se porte
volontaire. Elle est enrôlée pour l’hôpital militaire auxiliaire n°17 à
Cahors. Le 18 mai 40 elle se met en
route et traverse la France. On connaît la suite, après la campagne des 18
jours, c’est la reddition de l’armée. Emilie revient en Belgique occupée et
retrouve Bruxelles le 15 juin. Une retraite de courte durée … En septembre 1939, les évènements se
précipitent. La guerre est déclarée entre la France, l’Angleterre et les
Allemands. On rappelle les réservistes. Paul Lorthioir,
le mari de Jeanne et chirurgien, est rappelé comme Commandant. « Annonce du départ précipité des
trois Becquet, prévenues le 8 pour un départ le 16 novembre. La navigation
devient de plus en plus dangereuse et compliquée. Les allemands torpillent les
navires marchands dans la Manche et la mer du Nord. ». (carte du
10/11/1939) « Le temps passe et la situation
internationale ne change pas. Quel tour nous réserve ce fou d’Hitler… C’est
inouï d’imaginer à notre époque de soi-disant confort, que l’on doive vivre
dans l’inconfortable attente des évènements les plus graves, et cela, au
détriment de tout et dans l’appauvrissement général. » (22/11/1939) 10 Mai 1940 … La guerre rattrape Emilie
Dardenne dans son « ermitage » de Middelkerke. Les Allemands
envahissent la Belgique laissant derrière eux ruines et deuils. Comme beaucoup
de Belges, Emilie Dardenne quitte précipitamment le « Chalet » pour
partir en « exode », sans savoir où, pour fuir les boches, pour être
du bon côté du front qui allait certainement, comme en 1914, se stabiliser
quelque part, dans le nord de la France ! Que d’illusions ! Elle
finit à arriver, près de Bordeaux, à Andernos en Gironde,
chez les Orts. Elle revient à Middelkerke fin juillet
1940. Le 14 novembre 1940, elle est installée,
provisoirement pense-t-elle, au 15 avenu Bel Air, chez une vielle demoiselle,
Emma Delbecq. Emilie Dardenne pensionnée passa de nombreuses heures à
administrer bénévolement la Croix-Rouge Congolaise et l’union des Femmes
Congolaises. Elle essaie que ces deux œuvres survivent à la guerre en attende
de jours meilleurs. Voilà ce qu’elle
écrivait le 14 janvier 42 : « Il
fait si froid que je tiens avec peine ma plume… J’ai terminé mon interrègne à
la C. R. C. où j’allais toute la journée depuis trois semaines. Mlle Moguez était malade… De ce pas je vais à l'U.F.C. où ces
malheureuses travaillent dans un local non chauffé, c'est abominable et on a
subi la même épreuve au Club, où pendant 10 jours on fut sans charbon. Je
déteste ce froid et, par cette pénurie de charbon, c'est plus détestable que
jamais. Je ne puis réaliser ce que doivent être les souffrances en Russie, cela
doit être abominable. » Les pensées d’Emilie s’envolaient
régulièrement vers l’Afrique où se trouvaient Lily, son mari et leurs enfants
Claire et Andrée. Emilie noircissait régulièrement de nombreuses lettres à sa
petite-fille Claire, et qu’elle appelle avec tendresse « mon
Clairon ». Dans ces lettres pleines de tendresse,
on découvre la dureté de la vie en Belgique occupée et la souffrance d’une grand-mère de pouvoir
embrasser ses enfants et petits-enfants avant longtemps ! Il faudra en
effet attendre cinq ans avant que les Belges du Congo puissent regagner la
métropole ! 22 février 45 Il
faut avoir vécu sous l’occupation pour réaliser l’oppression qui pesait sur
nous tous ! On évitait telle ou telle rue lorsque le
quartier était traqué par la Gestapo. On avait une émotion chaque fois que l’on
arrêtait le tram ; tous les voyageurs obligés de descendre pour être
fouillés.(…) Je m’occupe de remettre en activité la Croix-Rouge congolaise.(…) L’alimentation est possible grâce aux
trafiquants ; il faudrait élever un monument au « Smoteleer »
inconnu ! (…) C’est par courrier qu’Emilie apprendra le mariage
en Afrique de ses deux petites-filles Claire et Andrée puis la naissance de ces
arrière-petits-enfants. Croix-Rouge du Congo Message à transmettre de Lily Becquet à Emilie
Dardenne 10 octobre 42 Reçu ton message. Réponse avril. Espère colis
arrivent. Regrette excès sardines. Denrées imposées. Tout très bien ici.
Préparatifs mariage Andrée probablement fin novembre. Baisers affectueux Croix-Rouge
du Congo Message à
transmettre de Claire Shuiling à Emilie Dardenne 11
novembre 41 Bonheur
complet-premier arrière-petits-enfants attendu fin mai 42-Pronostic :
fille Anne. Santé excellente. Vieux Noël meilleure nouvelle année. Qu’il est dur de ne pouvoir assister aux
joyeux évènements d’Afrique ! Rien n’est facile, le courrier classique est censuré. Pour être
certain qu’il parvienne à destination, les Belges et les Congolais s’écrivent
de petits mots par l’intermédiaire de la Croix-Rouge. Fait
historique oublié de nos jours, la Croix-Rouge Congolaise[10]
aida massivement la pauvre Belgique occupée.
Les colons du Congo aidèrent quant à eux directement leur famille en Belgique par l’envoi de colis
alimentaires. Quelle chance de recevoir de temps à autre des vivres provenant
de la colonie ! Le froid revient régulièrement dans les
plaintes des Belges sous l’occupation. Lily en Afrique, racontait que souvent
sa maman l’avait amusée par cette phrase qu’elle leur écrivit un jour de
Belgique : « Vous qui faites
aller vos locomotives au café, envoyez-nous un peu de votre charbon » Emilie ne cessait de se tracasser pour
la santé de sa famille au Congo. Mais enfin, elle put annoncer la nouvelle que tous
attendait : la fin de la guerre Ce six mai 45 Mon cher Clairon (…)
Tous les jours on me dit que c’est fini et puis… une déception amère…(…) A
l’assemblée générale de la C.R.B, c’est pierre Depage qui remplace le docteur Nolf ! (…) Ce 8 mai 45 Enfin voilà le jour V tant attendu.(…)
L’angoisse des V1 et V2 terminé, on va rééclairer les
rues. (…) Je me tourmente pour Anne,
mes médecins là-bas sont-ils assez au courant des enfants. Du lait, beaucoup de
lait chaud, iodé.(…) L’après-guerre Madame Dardenne a vécu encore trois
autres drames: la mort de son petit-fils Charles, résistant, décédé au camp de
concentration d'Ellrich le 18/12/1944, la perte
de sa fille Jeanne décédée le 14 janvier 1955, à l'âge de 56 ans et le décès de
sa sœur Jenny le 29 décembre 1960. Malgré qu’elle soit percluse de rhumatismes
au point et qu’elle puisse plus quitter son domicile, elle reçoit beaucoup de visites, des amis de la
guerre de 14 – 18, elle était très fidèle en amitié, des parents. Elle est très
au courant de l’actualité par la lecture des journaux et la T.S.F. Elle
continue à lire énormément et entretient une abondante correspondance. Elle reste très au courant des
évènements et fait partager avec humour sa vision des choses. Elle écrivait à
Pierre Van Rysselberghe le 10/09/1959 : » Voici donc les Etats-Unis sortis
de cette période préélectorale qui pour nous est un peu ébouriffante ! On
a vu à la T.V. ce carnaval échevelé des rues à New-York, l’un de ces derniers
jours. Je ne puis dire que Kennedy me rassure totalement mais Nixon lui était
assez inquiétant ! Mais je suis bien incompétente en la matière et pour le
moment, la Belgique politique est dans un tel état de si lamentable décadence
que le silence s’impose et nous empêche même d’oser regarder chez le voisin
… » Conclusions : Dans les années cinquante, Lily adorait
raconter à sa petite - fille Katy l’épopée familiale derrière l’Yser et au
Congo. La « sage » Lily
décéda le sept septembre
1978. Katy en 2013 convainquit le Dr
Loodts d’écrire cette épopée. Je lui suis reconnaissant de m’avoir fait
connaître les femmes valeureuses qui furent ses aïeules. Dès 1991, Pierre Devroey a écrit la vie de Madame Dardenne, sa grand-mère, à
partir de ses carnets, de sa correspondance et de la "Mémoire
Familiale". Ceci permit de compléter l'article, en 2017, par les archives
familiales de Pierre et Raymonde Devroey. Emilie Dardenne fit preuve d’une
incroyable énergie tout au long de sa vie pour aider ses proches et cela malgré
des coups du sort extrêmement douloureux. Progressiste, elle mit aussi toute
son énergie pour améliorer le statut de la femme au Congo. Fondatrice de la
Croix-Rouge du Congo, elle fut animée
d’un idéal que rien n’ébranla. Elle s’éteignit le 17 avril 1963 à l’âge de 89
ans. Madame Dardenne était
une visionnaire, une créatrice entreprenante et une organisatrice hors-pair ;
une grand-mère aimante, intuitive et clairvoyante. Dr Loodts P. Sources :
[1]
Léon
Dardenne (1865-1912) : peintre connu pour sa participation à la
Mission Scientifique Lemaire au Katanga d’où il ramena des régions qu'il avait
visitées plusieurs centaines de toiles, aquarelles, dessins et croquis,
constituant une méritoire et précieuse contribution à l'ethnographie et à l'histoire naturelle du
Katanga, Aucun paysage caractéristique, aucune scène pittoresque de la vie
indigène, aucune espèce végétale ou animale inconnue ou rarement rencontrée
n'avait échappé à une observation et à une activité recréatrice tellement Lettre de Léon Dardenne à sa fille Jacqueline pendant la mission « Lemaire » vers 1898. (Archives Familiales P. et R. Devroey) inlassables qu'à plusieurs, reprises, dans son Journal,
le Commandant Lemaire, conducteur d'hommes rarement satisfait, leur rend un
hommage sans réserve. http://www.kaowarsom.be/...I/Dardenne.Leon_Louis_Auguste_Edouard.pdf [2]
Jean Massart
(1865 – 1925 ) fit ses études dans un établissement religieux, ayant été refusé
pour son trop jeune âge dans l’enseignement officiel. Il s’inscrivit à 15 ans à
l’Université. Il avait été à 22 ans Docteur en Sciences Naturelles et trois ans
plus tard, docteur en Médecine, chaque fois avec la plus grande distinction. Il
avait succédé en 1905 à Léo Errera, comme Professeur de Botanique, à
l’Université de Bruxelles. Il était le beau-frère de Madame Dardenne, il avait
épousé Marguerite Alvin, il était également le beau-frère de Félix-Joseph Devroey qui avait épousé Angélique Massart,
la sœur de Jean. [3]
L’évènement ne passe pas
inaperçu car Jane de Launay dans son
livre « infirmière de guerre en Service commandé » le cite en page 131:
"Dimanche 9 (juillet 1916) : Grosses pièces en action , de et contre Coxyde .... A huit heures, un des derniers obus effondre à Coxyde la boulangerie Lehouck.
..." [4] L’aumônier Rosiers était
l’aumônier de Couthoven. Il avait promis à Emilie de
demander sa mutation pour Le Glandier. Voici ces états de service : Rosiers
François-Xavier , né à Malines le 21 février 1883. Dispensé du service
militaire en temps de paix le 20 février 1903. Brancardier-prêtre à l’hôpital
militaire d’Anvers le 1er août 1914. Commissionné en qualité d’aumônier adjoint
de 2ème classe le 4 octobre 1914. Attaché au centre d’instruction de Honfleur
le 9 octobre 1914, au 1er bataillon du 11ème de ligne le 19 novembre 1915, au
DC du cap Ferrat le 8 mars 1916, au C.T. du 7ème d’artillerie le 23 septembre
1916, au C.T. du 14ème d’artillerie le 10 décembre 1916 et, enfin à l’hôpital
Elisabeth à Poperinghe le 17 mai 1917. Détaché aux
écoles de la reine à Le Glandier (Pompadour en Correze) le 11 janvier 1918. En congé sans solde le 10 mars
1919. Pensionné le 1er août 1924 par arrêté du 14 décembre 1925. Deux chevrons
de front. [5]
Le départ en renfort de
Lily Dardenne pour l’hôpital de Vinckem est mentionné par Jane de Launay dans son
livre « infirmière de guerre en service
commandé » en page 255. [8]
Pierre Orts
(1872-1958), cousin d’Emilie Dardenne. Diplomate, il servit au Siam (Thaïlande)
puis entra dans l’administration, à Bruxelles, de l’Etat Indépendant du Congo
puis du Ministère des Colonies, s’y occupant de questions diplomatiques. Devenu
Secrétaire Général aux Affaires étrangères, il fut délégué à la conférence de
Paix et obtint le mandat belge sur le
Rwanda-Burundi conquis par les troupes coloniales belges. [9] Egide Devroey : (4/05/1894-23/08/1972) Volontaire de guerre durant la première Guerre Mondiale dans la compagnie des Pontonniers. Il reçut la Croix de Guerre avec Palme. Il reprit ses études universitaires et devint ingénieur civil en juillet 1920. Le couple arriva, en octobre 1920, à Elisabethville comme ingénieur civil au service de la colonie. Il gravira tous les échelons pour devenir en 1932 ingénieur en chef de la colonie. En 1927, il réalise en voiture la première traversée « Embouchure » du Congo-Elisabethville. En 1938, il rentre en Belgique où il deviendra conseillé technique au Ministère des Colonies. Il exerce pendant la Seconde Guerre Mondiale une action clandestine au profit de l’ULB et est emprisonné comme otage à la citadelle de Huy pendant trois mois. Après la guerre, il joua notamment un rôle important dans l’établissement du relevé de l’hydrographie du bassin du Congo. Il continua à être actif à l’U.L.B et à l’Académie Royale des Sciences d’Outre-Mer. voir sa biographie complète : http://www.kaowarsom.be/fr/notices_devroey_egide_jean [10]
D’après le Dr Dubois (« La Croix-Rouge du
Congo », A. Dubois, Académie royale des sciences d’Outre-mer, 1969), la
Croix-Rouge achemina plus de 200.000 messages familiaux vers la colonie. Le
Comité de Léopoldville soutenu par le Fonds colonial d’œuvres de guerre et
grâce à la générosité des milieux européens du Congo pu consacrer un budget de
38 millions pour l’aide à la Belgique occupée et aux prisonniers (144.000 colis
pour plus de 26 millions, 266.000 messages familiaux, parrainage d’enfants
nécessiteux en Belgique, soutien aux homes d’hébergements de Watermael. |