Médecins de la Grande Guerre

L’odyssée des deux « Bolchéviks » de Rochefort.

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L’odyssée des deux « Bolchéviks » de Rochefort.

Saffer Albino arrivé à Rochefort en 1879. (collection Colette Jallet)

Carte d’identité de Saffer Albino. (collection Yvonne Saffer)

Léopold et sa femme Denise. (collection Gilbert Saffer)

Léopold. (collection Gilbert Saffer)

Léopold et Denise à Port Vendres. (collection Gilbert Saffer)

Denise, une nièce et Léopold. (collection Gilbert Saffer)

Léopold et Denise au Mont Saint-Michel. (collection Gilbert Saffer)

Denise et Léopold près de la « Zéphyr ». (collection Gilbert Saffer)

Gilbert, Denise et Léopold au sommet du Tourmalet. (collection Gilbert Saffer)

Léopold. (collection Gilbert Saffer)

Léopold. (collection Gilbert Saffer)

Léopold et debout son fils Gilbert. (collection Gilbert Saffer)

Léopold et sa belle-fille Marie-Thérèse. (collection Gilbert Saffer)

Léopold et ses petits enfants. Léopold est décédé le 27 mai 1983. (collection Gilbert Saffer)

Alfred Saffer en uniforme autrichien. (collection Yvonne Saffer)

Alfred Saffer dans son jardin. (collection Yvonne Saffer)

Alfred Saffer. (collection Yvonne Saffer)

François Saffer un autre fils. (collection Collette Jallet)

Joseph Saffer qui se mutila deux doigts. (collection Collette Jallet)

Joseph Saffer et sa famille. Sur cette photo, on voit la main mutilée. (collection Collette Jallet)

Au milieu, nous avons le fils de Joseph qui fut prisonnier en Allemagne en 1940. (collection Collette Jallet)

Ancien soldat allemand de la guerre 14-18 qui fut prisonnier en Belgique. Le fils de Joseph prisonnier en Allemagne était chez cet homme. En remerciement d’avoir été bien traité en Belgique il ne voulait que rien ne manque aux prisonniers qui travaillaient chez lui. (collection Collette Jallet)

L’odyssée des deux « Bolchéviks » de Rochefort[1]

 

 

     Vers 1879, de nombreux ouvriers italiens arrivaient dans la région de Rochefort pour y travailler à la construction de lignes de chemin de fer. Parmi eux se trouvait A. Saffer, maçon de son métier, originaire de Trembilino près de Roveretto, dans le Trentin (alors autrichien). Saffer s’éprit d’une Rochefortoise, l’épousa et se fixa dans la jolie cité qu’admirent les touristes. Il eut douze enfants, dont huit sont encore en vie (écrit en 1922) : sept garçons et une fille.

     Tous les fils – le père aussi, d’ailleurs – sont Belges de cœurs et d’âme. A l’âge fixé par la loi, ils optèrent pour la nationalité belge. Au moment où la guerre éclata, deux d’entre eux étaient sous les drapeaux, dans notre armée ; un troisième, qui travaillait en France, courut s’engager dans l’armée française.

     Deux des fils Saffer restés en Belgique, Léopold et Alfred, furent déportés comme chômeurs, le 7 décembre 1916. Ils refusèrent le travail et furent – comme bien l’on pense – ignominieusement brutalisés, affamés, battus par les tortionnaires allemands. Après quatre mois de ce supplice, ils furent ramenés en Belgique.

     Ils y étaient à peine rentrés que les Teutons, qui les avaient considérés comme Belges pour les envoyer travailler en Allemagne, les proclamèrent autrichiens et les firent incorporer dans l’armée de leurs alliés.

     Dénégations, protestations, démarches, réclamations, tout fut inutile et, le 27 juin 1917, sous escorte militaire, Léopold et Alfred Saffer étaient conduit en Autriche et versés au 1er régiment de Trente. Ils se juraient bien de se rendre aux Italiens dès qu’ils en auraient l’occasion. Mais cette occasion ne vint pas : ils furent envoyés en Galicie pour y garder la frontière, après la retraite des Russes.

     Un autre de leurs frères, Joseph, âgé de 29 ans, fut aussi déclaré apte à servir l’Autriche et incorporé dans la « landsturm ». On lui annonça qu’il serait appelé incessamment à prendre les armes. Alors, ne voulant point combattre contre les alliés de la Belgique, Joseph eut un geste beau comme l’antique : il plaça froidement sa main droite dans une machine et se fit broyer deux doigts. Quand ils le virent estropié, les bandits germains renoncèrent à l’emmener : il demeura à Rochefort.

     Léopold et Alfred Saffer portaient donc, en Galicie, l’uniforme autrichien. Ils n’avaient qu’une pensée, qu’un désir : déserter. Une nuit, c’était le 8 mars 1918, ils s’enfuirent, se cachèrent dans les tranchées abandonnées par les Russes, s’enfoncèrent dans les campagnes, jetèrent leurs uniformes et réussirent à se procurer des vêtements de paysans russes. A Kozin, près de Dubno, ils  s’embauchèrent comme ouvriers agricoles chez des campagnards. Quatorze mois durant, ils vécurent là, occupés au travail des champs.

     Ce n’est qu’en mai 1919 qu’ils apprirent que la guerre était finie. Ils se mirent en route pour regagner la Belgique et prirent la direction d’Odessa. Mais, dans une petite ville proche, à Ymérincka, ils furent faits prisonniers par les Bolchéviks, comme espions français. On les jeta dans un cachot et on les y laissa cinq jours sans manger.

     Interrogés par un officier bolchéviste, ils indiquèrent où ils avaient travaillé et supplièrent qu’on s’en informât, affirmant qu’on aurait ainsi la preuve qu’ils n’étaient point des espions. L’enquête fut faite, leur innocence reconnue et ... on les conduisit à Kiew où ... on les incorpora de force dans l’armée rouge.

     Cette armée étant composée d’un ramassis de bandits sans discipline et sans uniformes – le seul signe distinctif est une étoile rouge – les Saffer furent vite équipés. On les versa dans une formation hétéroclite parmi laquelle se trouvaient des gens de tous les pays, des Français notamment. Les Allemands y étaient les plus nombreux ; il y avait aussi des Autrichiens, tout ce que la Russie compte de voyous, de pillards et de vauriens, des Chinois, des Juifs, etc. Les grands chefs étaient un certain Rakowsky et le capitaine français Sadoul, le traître que le Conseil de guerre de Paris a condamné à la peine de mort.

     Au cours de leur « service », ils furent les témoins des pires atrocités commises par ces fous sanguinaires sur les paisibles bourgeois russes et les soldats du général antibolcheviste Denikine faits prisonniers.

     A la fin du mois d’août 1919, l’armée de Denikine mit le siège devant Kiew. Il y eut une grande bataille qui dura quinze jours, quinze jours durant lesquels la situation fut terrible dans la ville. Les vivres manquaient : on payait 200 roubles pour 400 grammes de pain noir et un poud de farine (16 kilos) se vendait 9000 roubles !

     Les Bolcheviks furent battus et se virent contraints d’évacuer la ville. Apprenant qu’ils allaient être dirigés sur Moscou, Léopold et Alfred Saffer s’échappèrent et coururent se réfugier dans un hôpital dirigé par un Espagnol, qui les mit au lit, les déclara gravement malades et les sauva ainsi jusqu’à ce que l’armée blanche eût pris possession de Kiew.

     Le calme rétabli, nos déserteurs se rendirent chez le consul de Belgique, M. Jacques Grether, qui leur donna des passeports, non sans les avoir fait attendre pendant des semaines durant lesquelles ils s’employèrent comme domestiques.

     Enfin, le 29 octobre, ils quittaient Kiew par chemin de fer, s’embarquaient à Novorossisk, traversaient la Mer Noire et, par Constantinople, Smyrne et Naples, arrivaient à Marseille, le 17 décembre.

     Le 18, ils étaient à Paris, et le 21, ils rentraient à Rochefort et tombaient dans les bras de leurs parents, après trois ans d’aventures invraisemblables.

     Vers l’Avenir.                                                                                                X.

 



[1] Hubert Depester « Nos Héros et nos Martyrs de la Grande Guerre » Tamines, Duculot, imprimeur-éditeur. 1922



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