Médecins de la Grande Guerre

22 Août 1914, Le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France.

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22 Août 1914[1]

Le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France

       « 27.000 Français sont tués le 22 août 1914, le jour le plus sanglant de l’histoire de France. C’est quatre fois plus qu’à Waterloo, autant que durant les huit années de la guerre d’Algérie (de 1954 à 1962). Avant même la bataille de la Marne, Verdun ou le Chemin des Dames. Où donc ces hommes ont-ils disparu ?  Dans quelles circonstances ? »

       C’est ainsi que commence la synthèse à la fin du livre écrit par Jean-Michel Steg, paru aux Editions Fayard, en 2013… « ce livre consacré à l’une des cinq journées tragiques des 20 au 24 août 1914, au cours desquelles 40.000 soldats français environ perdirent la vie dans les combats.

       Pour être plus exact, il porte sur la plus meurtrière de toutes : celle du 22 août 1914, au cours de laquelle ils furent 27.000 à mourir. »

       Le présent article s’inspire en grande partie du livre cité ci-dessus, lui-même étant basé sur une bibliographie de plus de quarante ouvrages de référence.

1. Avant propos :

       Originaire de Gaume, je savais que de violents combats s’étaient déroulés dans cette région du sud de la Belgique lors de l’invasion allemande de 1914 ; j’en ignorais toutefois totalement l’ampleur, et encore moins les détails ou la chronologie des événements… jusqu’à la lecture de ce livre écrit par Jean-Michel STEG : « 22 aout 1914 Le jour le plus meurtrier de l’Histoire de France » paru chez Fayard ; un ouvrage que je vous conseille vivement, si ce sujet vous intéresse bien entendu.

Impressionné par la lecture de l’ouvrage ci-dessus, je me suis rendu dans les cimetières de la région de Rossignol : Virton, Ethe, Baranzy, et Rossignol bien entendu ; j’y ai pris quelques photos qui illustrent le présent article.

Comme cette année nous célébrons le centenaire de la Grande Guerre, je me suis dit qu’il serait peut-être intéressant pour les membres SBF de découvrir ce qui s’est passé en août 1914 dans cette petite région où je suis né.

Je vous donne donc ici un bref aperçu du livre de Jean-Michel Steg, ainsi que des photos prises lors de ma visite des cimetières de la région. Les quelques photos d’époque ont été reprises de l’ouvrage écrit par Nestor Outer : « Virton et la Gaume, Journal de Guerre de Nestor Outer, 1914-1916 » paru aux Editions La Vie Arlonaise, en 2007.

2. Introduction :

       Le livre de Jean-Michel Steg est consacré à l’une des cinq journées tragiques des 20 au 24 août 1914 au cours desquelles 40.000 soldats français environ perdirent la vie dans ces combats que l’on devait appeler par la suite « batailles des frontières ». Pour être plus exact, il porte sur la plus meurtrière de toutes : celle du 22 août 1914, au cours de laquelle ils furent 27.000 à mourir.

3. La tactique française début 1914 :

       « Dans leurs mains, il y avait déjà des mitrailleuses, mais dans leur tête, ils étaient encore à Austerlitz ».

La tactique française était basée sur l’attaque à outrance, et même si les états-majors prévoyaient de lourdes pertes, la guerre devait être très courte. En août 1914, ils étaient trop nombreux à être convaincus que la victoire passerait par l’acceptation de pertes sévères. Cette tactique allait se révéler catastrophique au début des hostilités, comme par la suite lorsque de vastes offensives furent ordonnées pour tenter de percer le front.



Peu d’initiatives étaient laissées aux commandements sur le terrain, et les lignes de communication étaient trop longues pour que les états-majors puissent prendre rapidement les mesures imposées par les circonstances. Faute d’instructions venues d’en haut, les officiers de contact payèrent de leur vie les assauts répétés vers les lignes allemandes ; leur devoir était de rester debout pour donner à leurs hommes l’exemple du courage et prévenir la panique. Aussi, peu d’officiers français prendront l’initiative d’ordonner un recul, le 22 août, même quand cela était absolument nécessaire.

Le service de santé des armées ne sera créé officiellement qu’en 1915. Lors des premiers combats, les services de santé furent rapidement débordés, et un nombre anormalement élevé de blessés succombèrent à leurs blessures.

L’uniforme français défavorise le fantassin de 1914 ; et même si la veste bleue devait se confondre avec le ciel lors des attaques, le pantalon rouge garance était beaucoup trop visible, surtout lors des combats dans les bois ; la gamelle fichée au sommet du sac sur laquelle se reflétait le soleil formait aussi une excellente cible.

4. Les leçons de l’histoire :

       Malgré le conflit des Boers (1899-1902), malgré la guerre russo-japonaise de 1904-1905 et les guerres balkaniques de 1912-1913, et surtout les énormes développements industriels de la période d’avant guerre, les stratèges français ne tinrent aucun compte des enseignements de ces conflits. « C’est comme si le hardware était du 20ème siècle, et le software du 19ème ! »

5. La tactique allemande :

       En aout 1914, il est évident que les troupes allemandes sont mieux préparées aux combats, mieux entrainées, mieux commandées sur place, plus rapides dans leur déploiement, plus autonomes et flexibles dans leur mouvement.

La chaine de commandement allemande est aussi moins rigide, ce qui permet beaucoup plus de souplesse et d’initiative aux échelons subalternes. A Rossignol, les Allemands adapteront très rapidement leur formation à la situation nouvelle en prenant une position défensive des plus efficaces face aux attaques répétées des troupes françaises.

6. L’armée allemande face aux civils :

       Lors de la guerre franco-prussienne de 1870, la France avait constitué des unités de francs tireurs chargés d’harceler les troupes ennemies afin de ralentir leur progression. Lors de l’invasion de 1914, les troupes allemandes craignaient de se retrouver confrontés à des francs tireurs, d’où les ordres formels de leurs états-majors de ne pas faire de quartier face aux civils aidant l’ennemi. Les civils de Rossignol (112) payèrent de leur vie l’aide apportée aux blessés français lors des combats du mois d’août 1914 ; à Tamines, ils furent 383 à être ainsi massacrés le 22 août 1914 ; à Dinant, 687 le 23 août ; à Louvain, 248 le 25 août.



Du 4 août au 25 octobre 1914, un total de 6.427 civils furent ainsi massacrés par les troupes allemandes en Belgique et en France, au cours de 500 incidents environ ; la période la plus sanglante restant celle des 22 et 23 août au cours de laquelle ils furent 2000 à être tués, hommes, femmes et enfants.

Quelques années plus tard, lors de l’invasion de la Belgique en mai 1940, c’est par crainte de tels agissements que de nombreux Belges s’enfuiront sur les routes de France dès l’approche des troupes allemandes.

7. La bataille de Rossignol :

       Le 21 août, les troupes françaises avaient marché près de 20 heures avant de cantonner vers minuit et de repartir à l’aube, sans petit-déjeuner ni repas chauds. Ce 21 août également, de violents orages d’été s’étaient abattus sur la région, rendant les terrains hors des routes difficilement praticables à des éléments de l’artillerie. A la suite des orages du 21, un épais brouillard couvrait toute la région le 22 au matin.

L’état-major français ne s’attendait pas non plus à des combats le matin du 22 ; de plus, par manque de reconnaissances, il avait très peu de renseignements sur les effectifs réels et les positions des unités allemandes qui se trouvaient en face ; le brouillard rendit également vaine toute tentative de reconnaissances et de mise à jour des renseignements.

Les Allemands, au contraire des Français, avaient une très bonne idée des effectifs déployés ; ils avaient rapidement mis en place une défense qui allait se montré terriblement efficaces lors des attaques françaises.

Les troupes françaises s’échelonnaient sur 10 kilomètres sur une route étroite dont les bas cotés étaient gorgés d’eau, voir même marécageux comme à Rossignol.

Le scénario était en place.

Aux premiers tirs allemands, les Français ripostèrent en se lançant à l’attaque. Rapidement, les premières vagues d’assaut furent taillées en pièces. Un sort identique fut réservé aux unités suivantes, avec d’importantes pertes parmi les jeunes officiers entrainant la troupe dans des assauts suicidaires.

Lorsque l’artillerie allemande se joignit aux tirs des mitrailleuses et de l’infanterie, la situation des unités françaises devint rapidement intenable. Cette situation était bien rapportée aux échelons supérieurs, mais ces derniers étaient loin d’imaginer la situation réelle sur le terrain, complètement dépassé par les événements, le commandement français continua à donner des ordres d’attaques, ce qui conduisit à l’hécatombe finale : des milliers de soldats périrent en quelques heures de combats.

8. Pourquoi tant de morts :

       Jamais autant d’hommes en même temps n’avaient été amenés à se battre qu’en ce 22 août 1914. Jamais non plus des unités n’avaient eu à affronter une telle densité de feu ; et par rapport aux guerres napoléoniennes, qui restent à l’époque une référence fondamentale de la culture de guerre française, le changement est total.

Une autre cause majeure du caractère massif des pertes est que trop peu d’officiers prendront l’initiative d’ordonner un recul le 22 août, même quand cela était absolument nécessaire.

De plus, à l’époque, rechercher des pertes minimales eut été considéré comme une faiblesse, une forme de lâcheté, surtout des chefs ; il ne fallait pas brider l’élan des soldats au combat, au contraire ; se montrer debout face au danger reflétait le courage, l’audace, voire la supériorité de la civilisation française !

9. 1ère conclusions :

       Il faudra attendre 1920 pour que les premières études paraissent à propos de la débâcle d’août 1914. Il est vrai qu’à ce moment-là, il était plus important d’arrêter la progression allemande (ce qui fut fait à la bataille de la Marne) que de compter les victimes du début de la guerre. A l’époque, les états-majors se préoccupaient plus des capacités de combat « sauvées » et indispensables à la poursuite des opérations, que des pertes encourues lors des premiers accrochages !

Il faut aussi admettre que les belligérants s’adaptèrent assez rapidement à ces combats d’un nouveau style et d’une ampleur jamais connue jusque là. La stabilisation du front et les quatre années de combats qui suivirent en sont la preuve.

Les pertes dues à la tactique des « attaques à outrance » provoqueront un changement radical entre les deux guerres et la construction de tout un ensemble de positions de défense.

10. Les photos des cimetières :

a. Cimetière militaire français de Rossignol :



b. Cimetière militaire franco-allemand de Virton :


c. Cimetière militaire français de Ethe :


d. Cimetière militaire franco-allemand de Baranzy :


e. Quelques commentaires à propos de ces endroits de recueillement :

       Il s’y trouve des tombes de soldats français ainsi que des tombes de soldats allemands. Vous serez sans doute étonnés du peu de croix , les raisons en sont multiples : certains corps identifiés furent rapatriés dans leur pays d’origine, après la guerre ; de plus, certaines croix comportent deux, parfois quatre soldats, parfois même jusqu’à 10 soldats inconnus ; autre motif, en 1914, les soldats ne possédaient pas sur eux une plaquette métallique d’identification, d’où la présence dans ces cimetières de fosses communes où reposent parfois jusqu’à plus de 2000 soldats inconnus (voir photo ci-dessous) ; enfin, suite à la retraite précipitée des troupes françaises, ce sont les civils de la région qui eurent la pénible tâche d’enterrer les victimes, qu’elles soient françaises ou allemandes, dans divers endroits de la région ; et tous ces corps n’ont jamais été regroupés dans un vaste et unique domaine.



Les communes sur le territoire desquelles se situent les cimetières sont responsables de leur entretien, ce qu’elles exécutent avec respect, reconnaissance et bienveillance.

Notons enfin que consuls ou ambassadeur de France en Belgique signent régulièrement le registre qui peut être consulté à l’entrée de chaque cimetière.

11. 2ème conclusions :

       Premiers combats entre troupes françaises et troupes allemandes, les « batailles des frontières » comme on les appellera plus tard n’ont pas laissé un vif souvenir dans la mémoire collective, et pour cause ; il est plus confortable de célébrer des victoires (comme la bataille de la Marne où l’invasion allemande fut stoppée ; il s’ensuivra une guerre des tranchées de quatre longues années !), que de se rappeler de douloureuses défaites. Et puis, à l’époque, après les combats, les états-majors se préoccupaient plus de la puissance de feu restante et de la reconstitution des forces, que des pertes encourues.

Néanmoins,

12. Un dernier commentaire :

Grande Guerre ou grande boucherie ?

Comment des « responsables » politiques et militaires de l’époque ont-ils pu envoyer au massacre des millions d’hommes ?

Comment des « scientifiques » ont-ils pu chercher à parfaire des armes toujours plus sophistiquées, toujours plus meurtrières ?

Comment des « industriels » ont-ils pu produire en millions d’exemplaires des munitions toujours plus dévastatrices, des munitions qui, aujourd’hui encore, tuent ?

Et tout cela sans en être le moins du monde inquiétés par la justice humaine ?

Et aujourd’hui, a-t-on vraiment retenu les erreurs du passé ?

Christian Paillot.

 

 

 



[1] Tiré, avec l’aimable autorisation de Christian Paillot, de la brochure de la Société Belge des Figuristes « La feuille de plomb » SBF ASBL, 15, Avenue Théo Verbeeck, 1070 Bruxelles.



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