Médecins de la Grande Guerre

Un témoignage exceptionnel sur la famille Royale par Mary Widmer-Curtat.

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Un témoignage exceptionnel sur la famille Royale par Mary Widmer-Curtat



I

Les Souverains belges et Val-Mont

       En avril ou au commencement de mai l913, la Direction de Val-Mont reçut de la Maison Royale de Belgique la demande de prospectus et des conditions éventuelles qui seraient faites à Sa Majesté la Reine, si cette Souveraine se décidait a faire un séjour chez nous.



Val-Mont sur Territet

       Peu après ces démarches préliminaires, un ou deux messieurs du palais vinrent visiter Val-Mont. Ils exprimèrent le désir que la Reine, décidée à faire une cure chez nous, eut à son entière disposition tout le troisième étage. Mon frère, Henri Curtat, alors Directeur de la maison, répondit qu'on ne pouvait songer à libérer tout cet étage, occupé par des malades en traitement et qu'il y avait là une question d'humanité. Il dit qu'on pourrait disposer de la moitié des chambres, midi, et couchant et qu'une paroi mobile serait placée au milieu du corridor, ce qui assurerait à la Reine la parfaite tranquillité et toute son indépendance dans son appartement.

       Peu après cette visite, nous étions informés que 1a Reine allait arriver quelques jours plus tard. Il fallut se hâter de déloger les habitants des chambres choisies et leur en trouver d'autres. Ils acceptèrent tous de bon cœur ces changements à l'exception toutefois d'une belle dame qui préféra quitter Val-Mont, persuadée que lorsqu'il y aurait une Reine dans la maison, elle serait négligée et ne recevrait plus les égards qui lui étaient dus. En revanche, d'autres hôtes commandèrent de belles fleurs et Mlle Defise, une Belge de Bruxelles, fit venir une corbeille de fleurs superbes pour souhaiter la bienvenue à sa Souveraine.

       La cloison mobile fut placée et chacun fut occupé à préparer l'appartement de la Reine. Je dus aller à Lausanne pour y acheter des meubles de salle à manger et de salon et je fus désolée de ne pas trouver dans le magasin Babaing les belles choses qui me paraissaient nécessaires pour une Reine. Comme M. B. m'offrait de me faire venir pour la fin du mois tout ce que je souhaitais, je fus obligée de lui dire qu'il me fallait ces meubles tout de suite pour la Reine des Belges qui arrivait au premier jour. Et comme je me tourmentais de l'insuccès de mes recherches, M. Bobaing eut un mot qui me rassura. Il me dit : « Oh ! alors si la Reine des Belges vient à Val-Mont, ce n'est pas pour y admirer des meubles, je vais vous envoyer quelque chose de simple et de convenable, de quoi faire un modeste salon. » Et ainsi fut fait.

       L'arrivée de la Reine nous fut annoncée pour le 20 mai 1913. Sa Majesté viendrait incognito sous le nom de Comtesse de Réthy et l'on nous priait d'envoyer une automobile l'attendre à la gare de Lausanne.

       Mon mari, ayant beaucoup de malades à voir, ne pouvait pas se rendre à neuf ou dix heures du matin à Lausanne, pour accueillir la noble cliente. Après de longues hésitations, il fut décidé que j'aurais l'honneur d'aller à sa rencontre.

       Arrivée à la gare un peu avant l'heure du train qui amenait la Reine, j'étais allée voir si l'automobile commandée à Montreux, était bien à son poste. Je descendais l'escalier pour me rendre sur le perron d'arrivée, lorsqu'un officier de l'Armée du Salut me dit en passant : « Dépêchez-vous Madame, si vous voulez voir le Roi et la Reine des Belges, ils viennent de descendre d'un beau wagon royal ». Je ne fis qu'un saut sur le quai où je vis d'abord deux messieurs, l'un très grand, l'autre avec une barbe, puis deux dames, suivies de deux autres dames et de trois ou quatre messieurs. Sur le quai, les gens faisaient la haie pour voir passer les Souverains.

       Nous ne les connaissions pas même par photographie et c'est avec hésitation que je m'approchai des deux premières dames et que je demandai aussi poliment que je pus : « La Comtesse de Rhéty ? » L'une de ces dames se détourna en disant : « Non ».

       Très interloquée, je me tournai alors vers les deux messieurs qui revenaient sur leurs pas. Je dis alors très haut au monsieur qui avait une barbe et que je prenais pour le Roi : « Mon mari, le Dr Widmer, de Val-Mont, m'a envoyée pour recevoir la Comtesse de Réthy et la conduire à l'automobile qui l'attend à la sortie de la gare ». Alors le monsieur à la belle barbe me dit en me présentant à son compagnon : « Sa Majesté le Roi ». Et les dames s'étant rapprochées, on me présenta en bonne et due forme à la Reine et à sa dame d'honneur, puis tout le groupe descendit les escaliers et se rendit à la sortie où attendait l'automobile. Je sus alors que le monsieur qui accompagnait le Roi, était le Dr Le Bœuf, médecin du Roi. La Reine était accompagnée de la Comtesse Ghislaine de Caraman-Chimay. La dame d'atours, Mlle Süsnick, la femme de chambre, Marguerite Feck, suivaient avec les hommes de confiance belges qui s'occupaient des bagages.

       La Reine et Mlle de Caraman-Chimay s'installèrent dans l'auto, la Reine redevenue parfaitement gracieuse. Le Docteur s’assit en face d'elle, le Roi prit le volant à côté du chauffeur et bientôt les nobles voyageurs disparurent aux yeux des badaux qui entouraient l’automobile.

       Val-Mont n'avait pas préparé de chambre pour le Roi, venu sans s'être annonce. Mais on eut tôt fait de changer les choses et d’installer le Souverain dans une chambre au midi. La Reine occupait 1a grande chambre d'angle au couchant. Cette chambre était très simple. Ce n’est que plusieurs années plus tard que le Dr Widmer fit construire des salles de bain, avec tout le confort dit moderne, dans les six chambres d'angle de Val-Mont.

       La Reine se soumit tout de suite au règlement de la maison, au régime et au traitement indiqués par le médecin. Le Roi ne fit pas un long séjour et, avant son départ, il pria mon mari de prendre toutes les mesures nécessaires pour la sécurité de la Reine, nièce et filleule de l'Impératrice Elisabeth d'Autriche. Le Docteur n'avait pas attendu ces directions pour organiser une discrète surveillance par la police. Mais quand la Reine fut assez bien pour faire des promenades, elle prit un malin plaisir à dépister le gardien qui veillait sur Elle, et à courir seule dans les sentiers et les chemins solitaires.

       Peu de jours après son arrivée, elle voulut bien me faire demander à quelle heure je pourrais 1a recevoir. Quel émoi pour moi, d'autant plus que mon mari me dit que je devrais certainement parler plus que la Reine qui était plutôt silencieuse.

       Un an ou deux auparavant, j’avais eu l'occasion de recevoir Mme Jules Cambon qui revenait de Berlin où elle avait donné avec M. Cambon Ministre de France, une très grande réception à l'Ambassade et reçu la plus haute société allemande et impériale. J'avais demandé alors à Mme Cambon comment on s'adressait à des hôtes royaux et elle m'avait répondu que, pour elle qui était Française, c'était tout simple. Elle disait aux dames : Madame, puisqu'elle ne parlait pas l'allemand, ce qui l'aurait obligée à employer les difficiles formules de politesse exigées par le protocole.

       Je reçus donc en tremblant un peu, la visite de notre noble cliente. Je l'appelai : Madame et je ne sus pas lui parler à la troisième personne, tandis que la dame d'honneur qui l'accompagnait demandait : « La Reine désire-t-elle que je lui dise quelle heure il est ?, etc. ».

       La Reine fut exquise, simple et bonne, dès cette première visite, le 12 juin 1913 ; et je l'ai toujours retrouvée ainsi. Elle revint me voir le 30 juin, à une heure de l'après-midi, et le soir à huit heures et demie, pour me dire adieu, avant de quitter Val-Mont, le 1er juillet 1913.

       Le Roi Albert l'avait rejointe et les Souverains quittèrent Montreux le mardi soir, par l'express de cinq heures vingt-neuf, auquel fut attelée la voiture spéciale de la Cour, arrivée depuis deux jours.



Docteur Widmer

       Voici ce que dit, au sujet de ce départ, la Feuille d'Avis de Montreux : « Le Roi Albert est venu chercher la Reine et, avant de monter dans son wagon, il s'est entretenu le plus simplement du monde avec le chef de gare, M. Bieri, auquel il a vanté les beautés de notre contrée, ainsi que la bonne organisation de nos chemins de fer ».

       Un autre journal local écrit : « Après un séjour de six semaines à Val-Mont, la Reine des Belges a quitté Montreux hier soir, à cinq heures trente. Le Roi, qui fit de fréquentes visites à Val-Mont, était venu à la rencontre de la Reine. Il descendait à midi à Territet. A cinq heures dix, l'auto qui transportait Leurs Majestés à la gare, fut arrêtée au passage à niveau de Vernex, fermé pour le service du premier direct de cinq heures quatorze. Le Roi descendit de voiture et gagna le perron de la gare, une serviette noire sous le bras. Façon très ingénieuse d'un Roi ne voulant point être dévisagé par la foule inévitable des curieux qui, apercevant sur une voie ferrée un wagon salon, entouré de fonctionnaires galonnés, ne manqua point de stationner aux alentours pour voir qui monterait.

       Avant le départ du train, la Reine s'entretint dans le salon avec le Dr Widmer-Curtat, tandis que le Roi, après avoir fait les cent pas sur le perron, dans le plus parfait incognito, s' approchait du Chef de gare, M. Bieri le complimentait sur 1es chemins de fer suisses et leur personne1 et lui donnait une cordiale poignée de main. A son tour, 1a Reine faisait appeler M. Bieri et le remercia de sa complaisance.

       Le wagon fut attelé à l'express de cinq heures vingt-neuf et nos hôtes royaux regagnèrent leur capitale par Bâle, Strasbourg et le Luxembourg. »

       Les Souverains Belges emportaient nos cœurs. Le Dr Widmer avait trouvé chez sa noble cliente, fille du Duc Charles-Théodore en Bavière, médecin-oculiste distingué, un vif intérêt pour la médecine, pour tout ce qui est œuvre sociale, humanitaire, pour la science, la philosophie et les arts. Elle parlait au Docteur de ses enfants, de leur éducation, de leurs aptitudes, de leurs goûts et le Docteur s'entretenait librement avec elle de tout ce qui les intéressait tous deux. Ils causaient de leurs voyages et entr' autres de l'Egypte, où la Reine avait séjourné et que nous avions visitée en 1912.

       C'est même, chose assez curieuse, ce voyage qui nous valut l'honneur de soigner la Reine. Nous avions remonté le Nil sur un bateau de la compagnie Cook et, durant ces belles journées, passées entre le ciel et l'eau, nous avions fait la connaissance de plusieurs aimables Belges qui sont devenus des amis pour nous. L'un de ces Belges était le Professeur Dr Bayet un grand savant et égyptologue distingué. Visiter avec lui les splendides monuments égyptiens fut un plaisir rare qui nous laisse un souvenir ineffaçable. Nous avons appris plus tard que le Professeur Bayet avait eu l’occasion de recommander son ami le Dr Widmer et Val-Mont, alors que des clients venus de Belgique, étaient rentrés chez eux mécontents de leur cure et du Docteur qu'ils avaient trouvé fort peu sociable. A quoi tiennent les choses ! La recommandation du Dr Bayet nous a valu l'honneur et la joie d'apprendre à connaître les Souverains belges.

       En souvenir de son séjour et de ses conversations sur l'Egypte, la Reine fit cadeau au Dr Widmer d'un bronze ancien égyptien. Quand Sa Majesté recevait de Laeken un envoi de fleurs, de belles orchidées, elle m'en envoyait de quoi fleurir mon salon qui n'avait jamais été à pareille fête. Du reste, notre cliente royale était gracieuse et bienveillante envers tous, aussi après son départ, tout notre personnel disait : « On s'ennuie de la Reine ! »

       C'est avec une bien grande joie que nous avons reçu de nouveau les Souverains belges, le 27 mai 1914. Cette fois le Roi devait passer quelques jours à Val-Mont, faire des courses de montagne : Il se rendit à Berne, le 7 juillet, au Tir fédéral. Nos autorités 1e reçurent officiellement ; et de beaux discours furent échangés Le Roi revint à Va1-Mont avec un bouquet d'œillets, donné par la Reine et que celle-ci voulut partager avec moi. J’ai encore ces œillets du bouquet fédéra1 que la Reine m'a donnés le mercredi 8 juillet 1914. Le Roi avait envoyé , à mon mari la décoration de l’Ordre de Léopold, qui nous est parvenue à Rome où nous étions en séjour en février 1914.

       La Reine était plus forte que l'année précédente et elle eut du plaisir a monter à Caux, a' faire quelques petites courses dans nos sentiers de montagne. Je crois même me souvenir qu'elle y perdis un jour l'un des talons de ses chaussures ! Les rapports avec notre charmante malade devinrent plus simples, sa bienveillance me mettait à l'aise et j'oubliais parfois que je parlais à une Reine.

       C'est en mai 19I4 que furent données à Mézières, les représentations de Tell, la pièce admirable de nos éminents artistes nationaux : René Morax l'écrivain, Doret le musicien, et Morax le peintre.

       Les Souverains qui nous entendirent parler de ce théâtre rustique, exprimèrent le désir de se rendre à Mézières. Je pus retenir par téléphone de bonnes places pour le 1er juin, au nom du Dr Widmer. Une auto fut commandée pour nous conduire à Mézières ; elle dut nous attendre au bas du chemin qui mène à La Colline, Je ne sais plus pour quelle raison ne voulut pas que cette auto vint le prendre à Val-Mont. Il se mit à côté du chauffeur, la Reine me fit asseoir à côte d’elle et devant nous s’assirent la dame d’honneur, Comtesse Henriette van den Steen de Jehay et mon mari. Notre auto prit la belle route de la Corniche. Le temps était superbe, la vue de toute beauté et les Souverains témoignèrent une admiration qui me rendit toujours plus fière d’être dans ce pays. Il fut convenu. que nous traiterions nos hôtes sans aucune cérémonie, que nous passerions devant eux, les traitant en camarades et qu’ainsi nous les aiderions a garder leur incognito. Arrivés dans la rustique salle de Mézières au moment où le spectacle allait commencer, il fallut se hâter de nous asseoir. Nos places étaient excellentes, quatre ou cinq bancs nous séparaient de la scène vers laquelle tous les regards étaient dirigés. Mais au premier entr'acte, la Comtesse van den Steen me souffla : « Nous sommes repérés ». Un monsieur s'était retourné : c'était un diplomate étranger. Il avait reconnu le Roi ; il dit un mot à sa femme et sortit de la salle pour dire la nouvelle qui se répandit comme une traînée de poudre. Un pauvre être, un peu idiot, passa et repassa au bas de la rangée des bancs en regardant assez effrontément les Souverains et riant d'un rire stupide. La femme du diplomate, qui était assise devant le Roi prit des airs très détachés et, pour bien marquer qu'elle ignorait qui étaient les personnes placée derrière elle, se mit à coiffer longuement ses beaux cheveux ! La dame d'honneur était bouleversée et me dit avec horreur : « Oh ! cette dame qui se coiffe devant le Roi ! » Celui-ci souriait et il 1ui est arrivé plusieurs fois, quand je l'ai revu plus tard, de me demander avec un peu d'ironie. « Que devient la dame qui se coiffe au théâtre? »

       Les Souverains eurent un vif plaisir de la représentation qui fut vraiment remarquable, Ils regrettèrent seulement que le rôle de Tell fut tenu par un artiste de profession, un très grand artiste, venu de Paris, et qui jouait avec beaucoup d'art mais les Souverains auraient vu volontiers ce rôle de Tell tenu par un paysan suisse.

       Après cette belle course à Mézières et notre heureux retour à Val-Mont, mon mari reçut la carte suivante de M. René Morax :

 

Théâtre du Jorat, Mézières, 1er juin 1914

Cher Monsieur,

       C'est à vous que je dois le très grand honneur d'avoir eu des hôtes royaux dans notre Théâtre de Mézières. Je regrette que mon père ne soit plus là car cette rare distinction, due à votre amitié, l’eut comblé de joie.



Mary Widmer-Curtat

       Nous avons tenu à respecter l’incognito de nos illustres spectateurs et j’espère qu’ils auront trouvé quelque plaisir à notre drame républicain.

       Veillez croire à ma très vive reconnaissance.

Votre dévoué.

René Morax.

       Pensez-vous que je puisse faire à Leurs Majestés l'hommage de la brochure ?

       De son côté, M. Gustave Doret, écrivit en date du 8 juin 1914 :

 

Lausanne, 24 rue Beau-Séjour.

Monsieur,

       René Morax me dit que Sa Majesté la Reine des Belges veut bien accepter l'hommage d'un exemplaire de notre œuvre « Tell ».

       Je me permets donc de vous adresser l'exemplaire de la partition qui lui est destiné et je vous prie, ainsi que Mme Widmer, de bien vouloir accepter celui que je joins à l'envoi, en témoignage de très vive reconnaissance.

       Vous avez su témoigner de façon si évidente l’intérêt que vous portiez à notre tentative, que je tiens à vous en remercier très cordialement et très respectueusement.

       Veuillez croire, je vous prie , à mes sentiments de vive reconnaissance.

G. Doret

 

       La Reine, ayant dit qu'elle serait contente de faire la connaissance des auteurs de Tell, nous avons invité ces trois messieurs à déjeuner à Val-Mont, le mardi 23 juin 1914.

       Monsieur Doret nous écrivit de Lausanne, en date du 13 juin :

 

Madame,

       Je vous remercie pour votre aimable lettre. J'en suis très touché et, comme mes amis Morax, j'accepte avec grand plaisir pour mardi 23 courant, votre invitation.

       Je pars ce soir même pour Paris, mais je serai sûrement de retour à la fin de cette semaine.

       Veuillez croire, Madame, à mes sentiments très respectueux et reconnaissants.

G. Doret.

 

       De son côté, M. René Morax écrit de Mézières, le 18 juin :

 

Chère Madame,

       Mon ami Doret me transmet votre aimable invitation pour mardi prochain. Nous viendrons avec plaisir, mon frère et moi, vous remercier encore et Monsieur Widmer.

       J'ai été très sensible à la marque d'intérêt et de sympathie que sa Majesté la Reine a bien voulu nous donner.

       Je vous prie de vouloir accepter ce modeste témoignage de notre gratitude et de croire, ainsi que Monsieur Widmer, à nos sentiments très dévoués.

René Morax.

 

       Cette lettre était accompagné du texte de la pièce de Tell.

       Le 23 juin, les aimables jeunes auteurs vinrent déjeuner à Val-Mont et, peu après le café, on annonça Sa Majesté la Reine. Elle vint gracieuse, simple et bonne et trouva tout de suite des mots charmants pour féliciter les artistes. La Reine est une musicienne distinguée et elle a toujours encouragé tous les artistes de Belgique. Une photographie ancienne la montre, donnant une leçon de violon à son petit garçon, le Roi Léopold maintenant. Elle parla art, littérature, théâtre et musique avec nos trois invités qui trouvèrent en elle une véritable compréhension de leurs efforts artistiques.

       La Reine voulut bien les engager avec insistance à venir la voir à Bruxelles. Ces messieurs se retirèrent enchantés et la Reine nous dit combien elle avait été contente de les voir et avait été intéressée par leur conversation.

       Le 25 juin 1920, M. Doret m'écrivait de Paris :

 

Chère Madame,

       La diplomatie féminine est la meilleure, la plus fine et la plus bienfaisante, surtout quand elle est exercée par une femme comme vous dont le cœur sait parler ! Voici ce qui m'amène à vous écrire :

       Grâce à votre amicale intervention vous vous rappelez qu'en 1914, Sa Majesté la Reine des Belges avait bien voulu me dire que la scène du Théâtre Royal de la Monnaie serait à ma disposition pour y faire représenter un ouvrage de moi, à mon choix, et Sa Majesté m'avait même offert l'hospitalité royale au Palais.

       L'affreuse guerre est venue. Je n'aurais jamais repensé à cette invitation pour en profiter si Kufferath (le Directeur du Théâtre de la Monnaie) n'était pas mort, car lui-même en repartant pour Bruxelles en 1918, m'avait donné rendez-vous pour l'hiver 1919-1920 à son Théâtre. Dès lors les nouveaux Directeurs ont oublié toutes les promesses de leur prédécesseur, comme il est d'usage en pareil cas ! Et je ne les leur rappellerai pas.

       Or, je me demande si, par votre intermédiaire, Je ne pourrais pas arriver à un résultat. Voici : Je désirerais beaucoup que l'œuvre que j’ai écrite avec Morax : La Tisseuse d'Orties, drame lyrique en quatre actes fut représentée à Bruxelles. Bien plus, je serais heureux si nous pouvions dédier cette partition à Sa Majesté la Reine en témoignage d’une très profonde admiration. Je désirerais même qu'elle fût représentée, à Bruxelles, avant Paris, où elle est reçue à 1'Opéra Comique, car je suis convaincu que le cadre de la Monnaie, comme les moyens d'exécution, y seraient plus favorables.

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       Je serais donc prêt à me rendre à Bruxelles pour soumettre à Sa Majesté la Reine, cette partition. Est-ce possible à votre avis ?

       Je puis vous dire que c'est l'œuvre la plus considérable que nous ayons écrite avec Morax et dont le titre pourrait être :

       Bienheureux ceux qui pleurent, ils seront consolés. C'est vous dire qu'il ne s'agit pas d'une opérette.

       Voilà, chère Madame, vous voyez que je me confie à vous sans détours ! Je sais quelle affection et confiance vous témoignent les deux héros de notre époque. Vous saurez me conseiller. Ne voyez pas en ma façon d'agir une simple ambition personnelle. Il ya mieux, je vous assure, dans ma pensée.

       Mais je comprendrais très bien que vous me disiez que tout cela n'a aucune chance d'aboutir et de toutes façons, soyez sûre que je vous garde toujours ma très fidèle reconnaissance.

       Veuillez croire, chère Madame, à mes sentiments respectueux et bien sympathiques.

G. DORET.

 

       Comme toujours, quand j’avais à présenter une requête à Sa Majesté la Reine je lui écrivis directement et tout simplement. Le 8 juillet 1920, Doret m'écrivit de Paris :

 

Chère Madame,

       Je savais bien que vous seriez le meilleur des ambassadeurs !! Ce matin j'ai reçu la réponse du secrétaire de la Reine, dont voici copie :

 

Monsieur,

       La Reine a appris par une lettre de Mme Widmer que vous avez exprimé le désir d'être autorisé à dédier à Sa Majesté votre nouvelle œuvre musicale. Je suis chargé par notre Souveraine de vous faire connaître qu'elle a été vivement touchée de cette attention et sera très heureuse d'accepter votre hommage, de même que la Reine écoutera très volontiers la lecture de votre partition que vous proposez aimablement de faire pour Sa Majesté.

       Entre-t-il dans vos projets de venir à Bruxelles sous peu ? Vous m'obligeriez, dans l'affirmative, en me faisant connaître vers quelle date vous feriez le voyage. Veuillez agréer, etc ...

Le secrétaire de la Reine :

(Signature illisible)

       8 juillet, Palais, Bruxelles.



La Reine Elisabeth de Belgique

       Voilà, chère Madame, le résultat de votre aimable intervention. J'ai répondu que je partirai, pour être à Bruxelles, le jour qui conviendra à Sa Majesté. Je vous tiendrai au courant. Nous gardons le silence sur ce petit complot.

       Merci encore, très en hâte aujourd'hui, excusez-moi. Le temps de vous prouver que j'essaye de n'être pas ingrat à votre égard... et que je ne le serai pas.

       Mes souvenirs les meilleurs au Docteur et, croyez, chère Madame, à mes sentiments bien respectueux et reconnaissants.

G. DORET.

 

       En date du 17 juillet 1920, Doret m'écrit :

 

Chère Madame,

       Je pars pour Bruxelles (et Laeken) demain matin sur l'aimable convocation de Sa Majesté.

Voilà le rapport.

       En hâte. Votre très cordialement dévoué.

G. DORET.

 

       De Bruxelles, Palace-Hôtel, 19 juillet 1920, Doret m'écrit :

 

Chère Madame,

       Vite un petit mot de nouvelles :

       J’ai été cet après-midi au Château de Laeken. L’admirable petite Reine m'a retenu si bien que finalement, je suis resté trois heures à faire de la musique avec elle... et l'entrevue a fini sur ces mots :  Tous mes meilleurs souvenirs à Mme Widmer, quand vous la verrez.

       Je ne pouvais pas souhaiter accueil plus cordial, je sais que c'est à vous que je le dois.

       Je rentre à Paris et dans quelques jours en Suisse où, je vous verrai.

       Très en hâte, votre très reconnaissant.

G. DORET.

 

       Après cet intermède… musical, qu'il m'a semblé intéressant de donner comme suite au récit de la belle représentation de Tell à Mézières, je reprends mes souvenirs au moment où va s'achever le séjour de la Reine à Val-Mont. Plus les jours passaient et plus Sa Majesté était bienveillante,et bonne, vis-à-vis de tous et en particulier pour mon mari et pour moi. Des fleurs des serres de Laeken, d'aimables visites, une course en voiture à Caux, le 7 juillet 1914, avec la Reine, sa dame d'honneur, sa dame d'atours qui fit emplette là-haut de petits vêtements pour la jeune princesse et le 9 juillet, visite charmante du Roi,que de souvenirs. précieux pour nous !

       Le 10 juillet, les chers Souverains nous quitteraient et tout tristes, mon mari et moi, nous les accompagnions jusqu’au bout de la passerelle, vers l'automobile qui les emmenait à 1a gare. Le docteur marchait devant avec 1e Reine ; je venais ensuite avec le Roi, qui me dit : « On a fait un miracle ici pour la santé de ma femme ».

       Ils partirent, emportant de nouveau tous nos regrets et tous nos vœux. De la gare de Lausanne, ils nous adressèrent une carte que nous gardons précieusement et qui nous dit :

       Regrets de quitter Val-Mont et encore mille souvenirs affectueux.

ELISABETH, ALBERT.

Lausanne, 10 juillet 1914.

 

       Peu de jours après, la guerre éclatait et nos cœurs suivaient avec effroi le drame qui se déroulait en Belgique et frappait les nobles Souverains que nous aimions tant.

 

Furnes, 19 décembre 1914.

Cher Docteur Widmer,

       Plusieurs fois j'avais commencé à vous écrire, mais les événements et nos continuels déplacements m'ont empêchée de les finir. Enfin je me vois aussi devant une occasion sûre pour vous faire parvenir cette lettre. Tout d'abord je veux vous remercier de tout mon cœur pour votre si généreux don que vous avez envoyé pour ceux qui souffrent. Nous avons tous deux été profondément touchés de votre sympathie. Nous parlons si souvent de vous et ce serait un tel plaisir de vous revoir ! Si jamais vous veniez à Paris – ce serait un peu 1ong, mais pas difficile de venir ici.

       Nous pourrions vous faire chercher en automobile à Rouen ou Boulogne ou Calais. Il y a beaucoup de choses intéressantes à se dire, mais plus difficile à écrire. Qui aurait pensé à tout ce qui se passe depuis quatre mois et demi, quand nous étions si tranquilles et heureux à Val-Mont ! On a p1us la notion du temps, les événements se sont succédé avec trop d'intensité . Et maintenant nous sommes devant un grand ? qu'est-ce qui va se passer.

       Les nouvelles des enfants sont bonnes. J'ai été il y a quatorze jours les voir en Angleterre, après plus de trois mois de séparation. Depuis un mois nous avons du très mauvais temps, continuelles tempêtes et beaucoup de pluie, ce qui est très éprouvant pour les troupes.

       Mon mari continue toujours le régime que vous lui aviez conseillé au mois de mai et il s'en trouve très bien, surtout en ces moments où on a besoin de toutes ses forces et de bons nerfs. Il vous envoie ses très affectueux souvenirs auxquels je me joins de tout cœur. J'espère que Mme Widmer va bien, dites lui toutes nos meilleures amitiés.

Votre affectionnée.

ELISABETH.

 

II

Réfugiés belges

       C'est fin septembre ou commencement d’octobre 1914 que parurent presque simultanément dans les journaux de la Suisse romane, des appels en faveur des malheureux Belges.

       M. Bauty, dans la 'Tribune de Genève, Mlle Alice et LiIa Nyffenegger et M. Amiet, pasteur, dans la Gazette de Lausanne, M. Bettex, dans la Feuille d'Avis de Montreux, disaient dans des lettres éloquentes, toutes les raisons qu'avaient les Suisses d'admirer l'héroïque conduite du Roi Albert et du peuple belge. Ils insistaient sur la destinée tragique de cette Belgique neutre, livrée aux horreurs de la guerre pour défendre son indépendance et demandaient si personne en Suisse ne prendrait l’initiative d'une œuvre de secours en faveur des Belges malheureux.

       Un soir, en octobre 1914, je revenais de Genève avec Mme Arthur Robert-Couvreu. Nous avions eu, au Lycéum notre réunion mensuelle. Au départ , nous avions acheté la Gazette de Lauzanne et avions lu avec émotion la lettre de M. Amiet, ancien pasteur en Belgique et celle de Mlle Lila Nyffenegger. Ces lettres publiées le même jour, écrites par deux personnes qui ne se connaissaient pas, nous intéressèrent vivement. Je dis alors à Mme Robert : « Je me demande si mon mari trouvera que c'est à moi de prendre cette initiative puisque nous connaissons les Souverains Belges ». Mme Robert m’engagea vivement à 1e faire ajoutant que tout pays m'aiderait.

       Rentrée à Val-Mont, je parlai de la chose à mon mari qui me dit : « Je n'aime pas beaucoup que tu te mettes en avant mais dans le cas particulier, c’est différent puisque nous connaissons le Roi et la Reine ». Le lendemain, je me rendis à Lausanne pour voir Mlle Lila N, que je ne connaissais pas. Je lui dis que je venais lui offrir ma collaboration pour l'œuvre de secours dont parlait sa lettre admirable. Malheureusement des circonstances de famille ne lui permettait pas de disposer de tout son temps: sa mère et sa sœur étaient malades. Elle me donna le conseil de commencer moi-même cette œuvre et me promit son aide. On sait ce que devint cette initiative qui répondait si bien au désir des Suisses de témoigner leur sympathie au peuple, au pays malheureux.

       Très intéressée par notre travail, Sa Majesté la Reine, qui était alors à La Panne, se mit en rapport avec notre Comité et il y eut, pendant toute la guerre, un échange continu de lettres, de télégrammes, entre Sa Majesté et notre Comité. La Reine nous envoyait des groupes d'enfants, parfois des bébés, même des enfants blessés et de grands écoliers.

       Le Dr Widmer, qui se rendit neuf fois à La Panne pour voir les Souverains, logeait chez eux et partageait leur vie, ne pouvait assez admirer leur magnifique vaillance, leur détachement de tout confort royal, leur foi dans le succès final et leur activité incessante, chacun dans sa sphère. La Reine allait tous les matins à l'ambulance et, pendant plusieurs heures, y soignait les blessés. Elle s'occupait des enfants exposés à tous les dangers et avait créé dans une localité voisine, dont j'ai oublié le nom, un grand refuge qui abritait plusieurs centaines d'enfants que les parents venaient voir une fois par semaine. Il y avait des pavillons pour les grands garçons, d'autres pour les fillettes, d'autres pour les tout petits. Des maîtres s'occupaient des élèves qui devaient suivre un programme scolaire.

       Le Roi, que mon mari appelait le « Grand réfléchi », faisait son métier de Roi et de Chef d'Armée avec une conscience scrupuleuse, une égalité d'humeur, un courage au-dessus de tout ce qu'on peut imaginer. Il parlait peu, mais chaque parole de lui avait une valeur, un sens profond qui dénotait tant de réflexion, de connaissance de la nature humaine, de hauteur de vue, de philosophie indulgente d’une force de caractère que les événements ont prouvé, que le Docteur suisse était pénétré d’admiration.

       La vie à La Panne était parfaitement ordonnée. La famille royale disposait de deux villas contiguës, bâtie tout près du rivage et en plein midi. Les repas étaient simples. Les denrées venaient de loin. Les jeunes Princes étaient en Angleterre, mais mon mari eut l’occasion de voir plusieurs à La Panne, le Prince Léopold, Duc de Brabant, à qui, même une fois, il offrit son couteau d’officier suisse. Ce cadeau, fit si plaisir au jeune Prince que lors des visites suivantes du Docteur à La Panne, le Prince lui montrait son couteau pour lui prouver qu’il le possédait encore.

       Le Docteur avait abonné le Prince Léopold au journal suisse : La Guerre Mondiale. En date du 16 septembre 1915, le Commandant Preudhomme écrivit a mon mari :

       Je suis venu à Londres avec Son Altesse Royale le Duc de Brabant et il m'a chargé de vous demander ce qui suit : Avoir l'obligeance de lui faire envoyer les articles périodiques de la Guerre Mondiale à sa nouvelle adresse, c'est-à-dire: Prince Léopold de Belgique, Collège d'Eton, England. Son Altesse m'a prié de vous exprimer ses sincères sentiments de profonde gratitude.

       Veuillez  agréer, je vous prie, Monsieur Widmer, les assurances de ma considération très distinguée.

Commandant PREUDHOMM

 

       Un journal suisse publié un très intéressant article sur les Souverains à La Panne, l’emploi de leur temps, etc… Il donnait des détails précis sur l’emplacement de la maison qu’ils habitaient et la désignait si clairement qu’il n’aurait pu faire mieux s’il avait eu l’intention de la signaler aux bombes ennemies. Mon mari fut extrêmement fâché de cet article imprudent, si inconscient des dangers qu'il pouvait provoquer. Et, comme la rédaction annonçait d'autres détails, mon mari demanda des directions aux Souverains qui répondirent par télégramme en mai 1915 :

       « Cet article serait regrettable, nous serions reconnaissants de votre intervention. Bons souvenirs.

 ELISABETH. »

 

       Une autre fois, le journal : La Semaine littéraire écrivit au Dr Widmer :

Genève, 13 mars 1915.

Monsieur,

       Des amis de la Semaine me disent que vous connaissez personnellement le Roi Albert de Belgique et que vous auriez bien des choses intéressantes soit du Roi lui-même, soit de son entourage. Je me permets, Monsieur, de venir vous demander, au cas où ce que l’on me dit est exact, si vous consentiriez à nous donner quelques pages sur cet homme que les événements et son courage personnel ont mis au premier plan et vers lequel vont toutes les sympathies des peuples civilisés.

       Je vous aurais une vraie gratitude de vouloir accueillir favorablement ma demande, dont je vous prie d’excuser la liberté et vous présente Monsieur, l’expression de ma considération la plus distinguée.

L. DEBARGE.

 

       Naturellement, mon mari refusa tout en regrettant de ne pouvoir renseigner les lecteurs suisses qui portaient un vif intérêt, je dirai même une sollicitude passionnée aux Souverains luttant avec leur magnifique vaillance sur le dernier lambeau de leur patrie.

       Au début des hostilités, mon mari avait télégraphié aux Souverains un message de respectueuse sympathie. Le 11 août 1914, la Reine répondit télégraphiquement de Bruxelles :

       Profondément touchés. Merci de tout cœur.

ELISABETH.

 

       Le Dr Le Bœuf à Bruxelles, à qui mon mari avait demandé des nouvelles de la Reine, répondit par dépêche, le 13 août 1914 :

       Va très bien. Courageuse, très touchée attention.

LE BŒUF

 

       Le 6 janvier 1915, du Grand Quartier Général de l'Armée Belge, la Comtesse de Caraman-Chimay, dame d'honneur de 1a Reine, m’écrivait :

 

Chère Madame,

       J'ai reçu vos jolis vers si bien appropriés à la circonstance et qui sont venus jusqu’ici sur notre dernier petit coin de territoire, nous apporter un rayon de soleil de Val-Mont ! Etions-nous assez loin de nous douter de ce qui nous attendait au sortir de la paix délicieuse de Val-Mont ! Quel saut brusque dans le drame ! Heureusement que., grâce au Dr Widmer, la Reine avait fait des provisions de forces et amassé quelques kilos qui sont en train de s'en aller, hélas ! mais Sa Majesté va pourtant bien. Elle est très active, va tous les jours aux ambulances et supporte étonnamment cette vie de fatigue, mais j'ai été bien heureuse en recevant la lettre du Docteur disant qu'il songeait à venir nous voir ; ce sera une bien grande joie et une sécurité de savoir qu'il viendra voir ce qu'il en est du régime, etc., etc. Et quel bonheur de le voir, de parler avec lui des événements, etc. Malgré notre situation pénible, nous sommes pleins d'espoir, nous avons le bon droit pour nous et Dieu nous sauvera.

       Au revoir, chère Madame, merci encore de vos charmants vers, partagez avec le Dr Widmer, mes vœux et pensées les plus affectueuses du fond du cœur.

Comtesse G. de Caraman-Chimay.

       Le 3 janvier I9I5, nous recevons un télégramme disant :

       Nous vous adressons, ainsi qu’à Mme Widmer, nos plus sincères vœux de bonheur.

ALBERT.

       Dès lors les télégrammes se succèdent. Ils fixent les détails du voyage du Docteur à La Panne. Cette première visite eut lieu en janvier 1915 et dura trois jours. On télégraphie au Docteur :

       Automobile sera mardi, heure indiquée Boulogne. Sommes très heureux de vous revoir.

ELISABETH.

 

       Et la Reine me télégraphie à Lausanne :

       Le Docteur est bien arrivé hier. Nous sommes heureux de l'avoir ici. Vous envoyons affectueux souvenirs.

ELISABETH

       A son retour à Val-Mont, mon mari reçut le télégramme suivant :

       Remercions de votre si aimable dépêche. Avons été très heureux de vous revoir. Bien affectueux souvenirs.

ALBERT, ELISABETH.

       J’avais reçu avant son retour, un télégramme daté du 14 janvier 1915, disant :

       Docteur par demain. Arrivera Lausanne dimanche matin. Regrettons vivement son départ.

ELISABETH.

       En mars 1915, le Dr Widmer retourne à La Panne et me télégraphie qu'il est forcé d'y rester un jour de plus.

       Le 9 avril 1915, le Roi télégraphie à mon mari :

       Nous vous remercions de tout cœur de vos voeux chaleureux.

ALBERT.

       Le 3 juin 1915, la Reine me télégraphia :

       Docteur bien arrivé hier soir. Meilleurs souvenirs de nous tous.

ELISABETH.

 

       Par un télégramme du mois de mai 1915,la Reine remercie le Docteur qui lui avait envoyé des journaux médicaux (Münchener Medizinische Wochenschrift). La Reine écrit :   

       Très reconnaissante. Lisons avec intérêt articles journaux vous envoyez. Souvenirs affectueux.

ELISABETH.

 

       Un télégramme de La Panne, date incertaine :

       Veillez apporter jaquettes et bonnets soie blanche si possible, pour choisir, et bonne montre argent pour homme. Compliments et reconnaissance

SUSNIK

(La dame d'atours de la Reine),

 

       Le 4 juillet 1915 : Dr Widmer, Val-Mont.

       Très reconnaissante nouvelles. Enfants bien arrivés. Merci beaucoup livres, revues et journaux si intéressants. Baraque ambulance brûlée, presque reconstruite. Allons tous bien. Envoyons souvenirs affectueux.

ELISABETH.

       Le 14 août 1915 : Dr Widmer, Hôtel Margna, Sils (Engadine).

       Serions heureux de vous voir après le 20 août comme vous le proposez.

ELISABETH.

 

       Autre télégramme le 17 juillet 1915 :

       Enchantés de vous revoir le 25.

ELISABETH.

 

       Le 27 juillet 1915 : Mme Widmer, Lausanne.

       Docteur bien arrivé hier. Grande joie de le revoir. Souvenirs affectueux de nous tous.

ELISABETH.

 

       Le 17 août 1915, un télégramme à Sils (Engadine) :

       26 août convient très bien, souvenirs affectueux.

ELISABETH.

 

       Un télégramme du 28 août 1915, me dit :

       Puis vous envoyer encore quatre-vingt-dix enfants. Prie télégraphier quand pouvez recevoir quarante-cinq enfants, frais de voyage à notre charge.

ELISABETH.

 

       Ce télégramme répondait à un message que mon mari avait porté de ma part à la Reine.

 

       Une dépêche, date incertaine :

Dr Widmer, Val-Mont,

       Jumelles arrivées ainsi que votre objet et journaux, excepté livres. Merci de tout cœur. Souvenirs affectueux.

ELISABETH.

 

(L'objet en question était un manteau en poil de chèvre comme mon mari porte toujours en hiver.)

       Autre télégramme :

Dr Widmer, Hôtel Edouard VII, Paris

Circonstance tout à fait imprévue. Sommes très tristes. Impossible vous recevoir en ce moment. Mille bons souvenirs.

ELISABETH.

 

       Un télégramme de La Panne, 16 octobre 1915 :

Mme Widmer, Lausanne.

       Merci télégramme. Reconnaissante de vouloir prendre encore des enfants. Les enverrons plus tard comme indiqué. Remercie beaucoup Docteur de tous ses aimables envois. Nos meilleurs souvenirs.

ELISABETH.

 

       Télégramme fin novembre 1915 : Dr Widmer.

       Serais très heureuse de vous revoir à date proposée. Vous nous feriez grand plaisir de venir avec Mme Widmer. Meilleurs souvenirs.

ELISABETH.

 

       Second télégramme, fin novembre 1915 :

Dr Widmer.

       D'accord. Très heureux tous deux. Au revoir. Affectueux souvenirs.

ELISABETH.

 

       Télégramme : Dr Widmer, en novembre 1915.

       Tous nos remerciements pour les magnifiques poires. Si aimable de penser à nous. Souvenirs affectueux à vous deux.

ELISABETH.

       Ces télégrammes, choisis parmi beaucoup d'autres, suffisent pour montrer les relations fréquentes des Souverains avec le Dr Widmer.

 

III

La Panne

       Je crois devoir compléter les dépêches reçues par de brefs commentaires, quoiqu'elles soient pour la plupart suffisamment explicites: invitations, vœux, remerciements, commissions, messages, etc.

       Chaque fois que mon mari s'est rendu à La Panne, il a eu l'occasion de se rendre un peu utile, soit en apportant des livres, des instruments de chirurgie et même des vêtements. Il eut une fois à apporter en Suisse, pour le réparer, un chronomètre or, répétition, N° 27318, pour être remis en parfait état, ce qui fut fait chez MM. Bornand & Cie à Montreux, qui reçurent des mains du Docteur cette belle pièce, le 1er août 1916. Lorsque mon mari revit le Roi et put lui remettre sa montre or, Sa Majesté avait une montre en argent dont le verre était brisé. Le Docteur se chargea de la faire réparer et il la rapporta au Roi, lors du voyage suivant. Mon mari eut alors l'indiscrétion de demander au Roi de lui donner cette montre d'argent si précieuse qui avait fait la campagne de l'Yser. Le Roi voulut bien y consentir et mon mari eu une grand joie de ce précieux cadeau, mais après réflexion, bourrelé de remords de son indiscrétion, il se dit que cette montre historique devait être conservée dans les trésors de la Belgique.

       Lors du voyage de mon mari à La Panne en mars 1915, le numéro de L'Illustration du 27 mars 1915 donne deux photographies et un article intitulé « Visite Royale à Ypres ». Le journal écrit : La Reine Elisabeth vient de visiter Ypres ou plus exactement les malheureux d'Ypres les malades des hôpitaux, les pauvres sans feu, ni lieu, les orphelins, tous ceux qui vivent là dans la misère et dans l'inquiétude.

       Le ciel même ce jour-là, s'était mis en deuil ; il faisait un temps gris, maussade, dolent. On entendait au loin les voix des canons, pareilles aux grondements menaçants de l'orage.

       Accompagnée d'un médecin, ami fidèle, courtisan du malheur, et d'un aide de camp en tenue de campagne, qui portait le très modeste appareil photographique à l'aide duquel la « petite Reine » souhaitait de garder quelques souvenirs de cette mélancolique excursion, la Souveraine parcourut, pour se rendre aux asiles de misères qu'elle venait voir, les rues de la pauvre ville mutilée mais non morte. Elle put contempler à chaque pas les toits effondrés, les murs éventrés des maisons que dans la brume légère de cette journée de fin d’hiver, dominaient les squelettes des deux tours voisines, celle de la Cathédrale de Saint Martin et celle des Halles. Sur le passage de la Reine, des curieux s’arrêtaient et saluaient le front incliné, silencieusement ; un peu plus tard sonnera l’heure des vivats. Au milieux de ces discrets hommages à sa vaillance et à sa bonté, elle se hâtait vers son but charitable.

       Tour à tour, elle sourit aux blessés recueillis dans les ambulances et apporta un rayon de bonté et d'espoir en de misérables taudis où l'on tremble et souffre depuis des mois. Partout elle laissait avec de généreux secours matériels, le réconfort de son exemplaire constance devant 1’adversité. Et la ville entière, transfigurée par cette auguste présence, semblait avoir oublié les canons allemands.

       Cette visite à Ypres est restée un des plus beaux souvenirs de mon mari, bien fier d'être appelé « ami fidèle, courtisan du malheur »,

       C'est pendant un des séjours de mon mari à La Panne que la Reine lui remit pour moi la décoration, créée par elle, pour les femmes ayant bien mérité de la Patrie. Elle dit, en la donnant au Docteur : « Dites à Mme Widmer qu'elle est la première à qui je la donne ».

       Je fus reçue à La Panne, chez les Souverains du 1er au 6 décembre 1915.

       Lorsque la Reine eut la bonté de m’inviter à accompagner mon mari, elle désirait avoir des détails sur l'hospitalisation de ses protégés. Quel bonheur pour moi de me rendre auprès des Souverains, de les voir dans ces maisons placée au bord du rivage, tout près des bateaux de guerre anglais et de tout le mouvement de vie maritime et guerrière qui animait la plage.

       Déjà mon mari m'avait décrit cette grève, laquelle se promenait avec les Souverains, en écoutant les sages propos du Roi , les charmantes et amicales paroles de la Reine. En l' accompagnant il se baissait parfois pour ramasser un joli coquillage et Il s’excusait en disant : « C’est pour ma femme qui les aime ». La Reine se souvint du propos et lorsque mon mari fit une nouvelle visite à La Panne, la Reine lui remit une petite boîte qui avait contenu des allumettes, remplie de jolies coquillages que Sa Majesté avait recueillis pour moi.

       Le voyage de Paris à La Panne était fort intéressant. Le train déposait les visiteurs à Boulogne. Une automobile les attendait. Un officier, ou parfois un gendarme, était assis à côté du chauffeur et l'on s'en allait du côté de la guerre, l'âme angoissée, le cœur palpitant d'un intérêt passionné. Souvent l'automobile était arrêtée, l'officier devait dire son mot de passe et expliquer qui était les voyageurs. On dépassait des groupes de soldats, entre autres des Anglais qui riaient et plaisantaient avec les infirmières anglaises. Je me souviens de mon émoi, quand mon mari me dit : Depuis ici, nous sommes sous la ligne de feu ». Quel effet étrange, de se sentir ainsi en plein drame ! Après plusieurs heures (je ne sais plus exactement combien), nous sommes arrivés à La Panne. On nous conduisit directement dans la seconde des maisons, dans une grande, belle chambre où bien vite, je dus m'asseoir, prise d'un étourdissement, causé par l’émotion et 1e 1ong trajet en auto.

       A peine étions-nous assis que la porte s'ouvrit et qu'on annonça : le Roi ! Le Roi et la Reine venaient nous souhaiter la bienvenue avec une bonté, une grâce, une amitié qui achevèrent de me bouleverser. On nous apporta du thé, du lait pour mon mari et les Souverains nous quittèrent en nous disant : « Au revoir, pour le dîner un peu plus tard ». J'étais si émue, si fatiguée, que je n'ai pas ouvert nos valises, ni mis en ordre nos objets de toilette. Après le dîner, en tête à tête avec les Souverains et Mlle de Caraman-Chimay, mon mari demanda au Roi de me permettre de lui dire, dans le livre de Benjamin Vallotton :

Ce qu’en pense Potterat, qui venait de paraître, les dernières pages de ce livre et, en particulier, la page 367, la lettre de Potterat, adressée à Albert I er , Roi des Belges.

Voici cette lettre :

A Albert I er, Roi des Belges

Très honoré Souverain,

       Salut au Roi démocrate. On vous suit de près en Suisse. Vous y obtenez la grande majorité des suffrages. Vous voilà Roi pour l’éternité, alors que les autres ne le sont que pour la durée de leur vie. Vous n’avez trafiqué d’aucune manière. Dès la première minute, vous vous êtes mis debout sur l’honneur. C’est la bonne place. Personnellement je vous prédis un bel avenir. Républicain par essence, je crie « Vive le Roi de la Belgique ! »

       Un Suisse qui proteste contre les avale-royaumes et qui a eut tout l’hiver deux Belges à sa table.

(Dommage du peu.)

                                                                                                       David Potterat,
                                                                                       Commissaire de Police en retraite
                                                                                         5, Avenue des Roses, Lausanne.

 

       Les Souverains manifestèrent vraiment du plaisir de cette lecture et un vif intérêt pour l'auteur du livre.

       Puis mon mari voulut absolument que je lise à leurs Majestés les vers que j'avais écrits en l'honneur du Roi, pour une matinée, offerte par les Réfugiés belges, au Casino-Théâtre de Lausanne, à l’occasion de la fête de Sa Majesté Albert I er, Roi des Belges, le 13 novembre 1915.



La Roi Albert Ier

Voici ces vers :

LE ROI ALBERT

Quand i1montait là-bas, sur les plus hautes cimes,
Les pics neigeux de nos grands monts,
Il aimait se pencher se pencher sur le bord des abîmes,
Les gouffres sombres et profonds.

Il écoutait rouler les lourdes avalanches
Et bouillonner l’eau des torrents
Il allait, calme et fier, jusques aux crêtes blanches
Et jusqu’aux glaciers attirants.

Il sentait sous ses pieds la roche qui s'effrite
Ou le sol durci par le gel,
Et sondait du regard l'horizon sans limite
Qui va se perdre dans le ciel.

Il n'avait peur de rien ; sa tranquille vaillance
Charmait les rudes montagnards ;
Il savait que pour vaincre, il faut de l'endurance
Dans le monde ... et dans les brouillards.

Mais il savait goûter la majesté sereine,
Le charme attendri des forêts,
Et songeant que là-bas l'attendait une Reine,
Il lui cueillait de frais bouquets.

Quand Il avait cent fois franchi les précipices
Par des élans audacieux,
Foulé d'un pied vainqueur les dangereux caprices
De nos glaciers mystérieux...

Quand il avait cent fois, simplement et sans crainte,
Risqué sa vie en jouant,
Asservi la montagne et laissé son empreinte
Sur le sol du sommet géant…

Lorsque les montagnards qui lui faisaient escorte
L'avaient traité comme un ami
Qui passait, simple et bon, l'humble seuil de leur porte
Et qui près d'eux avait dormi ...

Il prenait à regret le chemin de la plaine
En jetant un dernier regard
A la cime neigeuse, à la cime lointaine
Qui brillait comme un étendard.

Il retrouvait alors les soucis, les affaires
Qui sont l'apanage des Rois,
Et, ressaisi bientôt par les devoirs austères
Il n'écoutait plus que leurs voix.

Hélas ! Le temps n'est plus des joyeuses prouesses
Sur l'Alpe suisse au fier sommet !
La Belgique et son Roi, le peuple et les Altesses
Passent au feu lent du creuset.

Pour l'honneur outragé tout un peuple se lève
Et répond à l'appel du Roi,
Et son généreux sang comme une ardente sève
Féconde et relève la foi.

Et malgré le martyre et malgré la torture
Le pays ne se rendra pas ;
Plus la douleur est grande et plus le malheur dure,
Plus valeureux sont les soldats.

Et le Roi qui jadis affrontait les abîmes
Et les côtoyait sans frayeur,
Voit le cortège affreux des trahisons, des crimes,
Et maintient haut son cœur !

Il a les yeux levés vers les sommités pures
De l'honneur sacré, du devoir,
Ni son pays, ni lui, ne seront des parjures,
Le monde entier doit le savoir!

O ! Noble Souverain, Roi si digne de l'être,
Combien vos sujets sont heureux !
Heureux de posséder un tel héros pour maître
A qui donner leur sang s'il le réclame d'eux.

Heureux dans le malheur et dans le sacrifice,
Dans le deuil pour la Vérité ;
Attendant avec vous le jour de la justice
Et marchant avec vous à l'immortalité !

MARY WIDMER-CURTAT.

 

       15 novembre 1915.

       Après la lecture de ces vers, bien peu dignes de celui qui les avait inspirés , le Roi me dit de sa voix un peu lente : « C'est beaucoup trop beau, Madame Widmer, vous avez une trop bonne opinion de moi. Je vous remercie de ces vers et tout ce que vous faites pour nos réfugiés ».

       J’eus l’occasion, pendant ce séjour, de demander au Roi son avis au sujet de certains de nos réfugiés. Nous avions, par exemple, à Château d’Oex, la famille Humblet, composée du père, instituteur en Belgique, de sa femme et de ses deux enfants. Les instituteurs du canton de Vaud assumaient l'entretien. de leur collègue belge. Celui-ci se tourmentait de son inaction, voulait rentrer en Belgique, reprendre son travail à Jemappes. Notre Comité trouvait la chose imprudente et s’opposait a ce départ. Le Roi, sans aucune hésitation, me dit : « Cet instituteur a raison. Son devoir est de rentrer dans son pays, de reprendre son travail, de donner l'exemple de la fidélité à son poste ». Quelle joie de pouvoir rapporter ces paroles à la famille Humblet et de la voir heureuse, repartir aussitôt pour sa patrie mais reconnaissante de l'accueil reçu en Suisse, lorsqu'elle s'y était réfugiée dans le désarroi et la panique, au moment de l'arrivée des ennemis à Liège.

       En rentrant dans notre chambre, après cette première soirée à La Panne, je constatai qu'une femme de chambre avait déballé nos vêtements et nos objet de toilette. J'en fus un peu confuse et le 1endemain matin, quand la Reine vint voir si nous avions bien dormi et qu'elle me demanda si on avait bien dormi et qu’elle me demanda si on avait bien fait notre service, je lui dit en riant que j’avais été surprise de trouver qu’on avait déballé le contenu de nos valises et que, si j’avais pu le prévoir, j’aurais apporté mon beau service de toilette en argent, plutôt que les objets si modestes que je prends toujours en voyage. Sa Majesté me dit alors qu’elle aussi emportait rarement en voyage son service de toilette en argent, qu’elle trouvait trop lourd et elle s’excusa qu’on eut déballé nos valises puisque cela m’avait été désagréable. Elle voulut bien m’engager à l’accompagner à neuf heures à l’ambulance, située tout près des maisons occupées par les Souverains. A l’heure fixée, je rejoignis la Reine. Mon mari nous accompagnait.  Nous entrâmes dans une salle pleine de blessés, non seulement des soldats, mais des civils blessés lors du bombardement de 1’église de La Panne, bombardement qui avait eu lieu le dimanche précédent, au moment où le Roi, la Reine et leur suite, sortaient de la messe. Il y avait eu une centaine de blessés. A l'entrée de la salle, mon mari me présenta le Dr Depage, le grand médecin-chef, qui a joué un rôle si admirable de premier plan dans toute cette œuvre humanitaire de La Panne et du service médical sur l'Yser. La Reine s'était tout de suite mise au travail, vêtue de son costume d'infirmière. Elle se penchait avec tendresse sur le blessé qui occupait le premier lit. L'émotion de me trouver là de voir cette scène si émouvante, 1'odeur des médicaments, la vue des blessés, tout cela me donna paraît-il, une figure de malaise, qui inquiéta mon mari. Il me dit vivement : « Tu ne vas pas prendre mal, j’espère ». Le Dr Depage qui entendit le propos, me dit : « Venez, Madame, ne restez pas ici, rien ne vous y oblige. Je vais vous faire visiter l'ambu1ance ». Je répondis que je ne voulais pas1e déranger et que ses malades avaient besoin de lui. Il me dit alors, en me montrant la Reine, déjà occupée à faire un pansement : « Mais non, Madame, vous comprenez que ces gaillards-là quand 1a Reine les soigne, n ont absolument pas besoin de moi. ! »

       Nous sortîmes alors de la salle et Depage me fit visiter l'admirable installation qu'il dirigeait. A midi, la Reine nous rejoignit et nous rentrâmes, la Reine, mon mari et moi par la plage, en regardant les vaisseaux de guerre amarrés à peu de distance.

       Je ne sais plus si c'est ce samedi après-midi ou le lundi que la Reine eut la bonté de m'envoyer en automobile à Coxide pour y voir Miss Fyfe, l'infirmière anglaise qui, à plusieurs reprises, était venue en Suisse pour nous amener des enfants. Elle habitait une maisonnette accueillante, avait adopté un petit orphelin qu'elle appelait Gaspard et sauf erreur, avait auprès d'elle une ou deux infirmières occupées, comme elle, à secourir les malheureux habitants de cette contrée dévastée.

       La Reine eut l’amabilité de m’informer que, le dimanche matin il y avait un culte protestant célébré dans le salon de l’hôtel de La Panne et Mme Hanssens-Bouvier de Bruxelles, qui est protestante, vint me chercher pour m’y accompagner

       Peu de temps auparavant, j’avais fait la connaissance de Mme Hanssens à Paris, où elle m’avait amené une grande bande de petits Flamands, 1es garçons les plus indisciplinés que j’aie vus ! Et pas moyen de leur faire entendre raison, puisqu’i1s ne parlaient pas le français. Mes collègues du comité de secours et moi, les avions conduits à leur arrivée, à la salle Wagram, où ils furent reçus avec beaucoup de bonté mais, dès le premier jour, ils firent mille sottises, brisant des voiturettes d'enfants, les vitres d'un photographe du voisinage, défonçant les meubles et les lits et se sauvant à tout moment en ville pour acheter des cigarettes ! De vrais petits diables ! Pour comble de difficultés, après avoir assuré à la Directrice de la Salle Wagram que nous emmènerions, le soir même, la moitié de ces enfants en Suisse et l'autre moitié le lendemain, il arriva qu'au moment du départ du second convoi, alors que nous étions déjà a la gare de Lyon où on avait fait souper les garçons, le trafic pour la Suisse fut brusquement et absolument interrompu et toute communication télégraphique interdite. Quel désarroi !

       Mais je m'oublie à raconter cet épisode et je reviens à la charmante Mme Hanssens devenue infirmière à La Panne, tandis que son mari s’occupait du ravitaillement de l’ambulance. Mme Hanssens est la tante d'un prisonnier belge a1ors interné a Montreux, puis aux Avants et qui, depuis ce temps m'appelle Tante Mary et sa tante est une amie pour moi.,

       Pendant notre séjour chez les Souverains, la Reine fit plusieurs photographies de nous et surtout de mon mari. La Reine me montra un jour une quantité, de photographies faites par elle au commencement de la guerre. Je me souviens entre autres des photographies montrant les Souverains au moment de quitter Anvers et les gros ballots contenant les vêtements et le linge qu’on n'avait pas eu le temps d'emballer et qui étaient serrés dans de gros paquets blancs.

       C'est le 4 décembre 1915 que mon mari a reçu les belles photographies du Roi et de la Reine avec ces mots : « Souvenir de La Panne » et les autographes de Leurs Majestés.

       Quand la Reine se promenait sur la plage, elle portait un manteau blanc en tissu laineux. Sa Majesté me dit qu'elle n'en possédait pas d autres qu'il était fort commode, on n’avait qu’a le laver quand il n'était plus propre. C'est ce manteau qui m'a inspiré les vers intitulés « Blancheurs » et que j'ai dédiés à la Reine en évoquant la merveilleuse blancheur des dunes, de la plage, de tout le pays sous l’éclat magnifique de la pleine lune que nous avions alors.

 

« BLANCHEURS »

Souvenir de La Panne du 1er  au 6 décembre I9I5.

 

Sur le sable alourdi de la grève qui dort
La mer, en se jouant, pose une écume blanche,
Le soleil fait briller aux rayons de son or
Le mica blanc, surpris par 1’humide ava1anche.

Les bords, frôlés un jour par le flot remontant,
Ont des festons tout blancs de nacres irisées
Coquillages entiers semés par l'ouragan,
Et fragiles débris de coquilles brisées.

La dune est blanche aussi, l'hiver sous les roseaux,
Elle est plus blanche encor quand le vent la balaie
Et quand la nuit étend son ombre sur les eaux
La dune a des contours et des pâleurs de craie.

Les goélands craintifs gui jettent sur la mer
L'effleurement léger de leur aile argentée .
Viennent dans leur grand vol victorieux de l'air
Se poser sur le sable autour de la jetée.

A l'horizon lointain les vaisseaux de combat
Font monter vers le ciel et flotter dans l'espace
Un nuage attardé, flocon blanc qui s'ébat
Dans l'azur assombri, puis s’évapore et passe.

Parmi tant de blancheurs, coquillages, roseaux,
Cailloux étincelants sous la caresse humide,
Nuages dans le ciel, blanches ailes d'oiseau,
Passe une autre blancheur, élégante et rapide.

Elle vient, elle va, légère et côtoyant
Le flot qui va l'atteindre et pourtant se retire,
Le vent humide et froid la frôle en s'enfuyant,
Et le soleil d'hiver la caresse et l'attire.

Elle apparaît de loin, comme une grande fleur,
Comme un nénuphar blanc jeté sur le rivage,
Elle a des goélands la grâce et la blancheur,
Et le charme attirant de la, dune sauvage .

Elle passe et revient tout au bord de la mer
Et glissant sur le sol comme un vivant mystère,
Dans le jour qui s'en va, raccourci par l'hiver,
Elle passe, elle vient, furtive et solitaire.

.  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .  .

 

Mais les soldats flamands qui ne sont pas très loin
Suivent d'un long regard cette blancheur sereine
Prêts à la secourir s'il en était besoin...

 

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Comme il est doux et blanc, le manteau de leur Reine.

 

       Le dimanche après-midi, j'ai trouvé dans une grande salle de la seconde maison, la dame d’atours et quelques autres dames qui préparaient des friandises dans de petites corbeilles en carton blanc et qu’on destinait aux enfants recueillis près de Furnes par les soins de la Reine. J’offris mes services qui furent acceptés car il y avait beaucoup de besogne ; il fallait garnir plusieurs centaines de ces petits paniers pour la Saint-Nicolas qui était le lendemain. Quel plaisir de mettre des pommes, des oranges du chaco1at et des autres friandises dans ces cartons que 1’on plaçait ensuite soigneusement sur de longues p1anches dans le camion-automobile qui les emmenait au refuge des enfants !

       La Reine eut la bonté de me conduire, une après-midi à ce refuge, organisé par elle à Wincken pour les enfants des 1oca1ités bombardées. Quand nous y sommes arrivées, la dame directrice, une femme grande et forte, d'âge mûr, en costume d'infirmière, nous accueillit dès l'entrée du vaste enclos sur lequel donnaient les différents pavillons qu'elle nous fit visiter en grand détail. Nous avons vu de jolis lapins et la Reine fut désolée en apprenant qu'ils n'étaient pas là pour le plaisir des enfants, mais pour être mangés, un jour ou l'autre. Nous avons vu aussi un superbe porc dont les jours étaient comptés et Sa Majesté demanda innocemment s'il serait bon, étant si gros. La Reine croyait que, pour être bon, un porc devait se manger tout petit. Une Reine n'est pas forcément au courant de tous les mystères d'une porcherie !

       En revanche, elle apprit un autre mystère durant cette visite : une mignonne fillette avait saisi la robe de la noble visiteuse et la suivait en criant, d’une suraigüe et en flamand, quelque chose qui faisait rire la Reine. Sa Majesté me demanda : Vous ne savez pas ce que me dit cette petite fille ? Elle me dit qu’elle a été très sage. Cette belle communication valait bien le chocolat que reçut la fillette et dont nous avions une grande provision dans un panier. Chaque enfant eut sa part. Quelle visite émouvante que celle que je fis ce jour là en accompagnant la généreuse initiatrice de cette œuvre de secours pour les enfants.

       Les jours passaient trop vite pour nous dans cette ambiance de grandeur, d’énergie, de vaillance, sans cesse en éveil. Les bruits de guerre venaient de la terre et de la mer, j'étais effrayée de les entendre, mais les Souverains semblaient défier tous les dangers. Ils donnaient l'impression d'envisager les plus affreuses possibilités avec une sorte de repos dans la fatalité. Pourtant, lorsque mon mari, pendant ses séjours à La Panne, s'en allait seul ou avec la Reine, dans les endroits menacés, dangereux, le Roi n'était pas content et disait au Docteur qu'il n'avait pas le droit de risquer ainsi sa vie. Mon mari répondait alors, en suppliant le Roi de ne pas risquer la sienne, ce qu’il faisait constamment ce qu'il a toujours fait, avant, pendant et après la guerre, sur la montagne, avec son automobile, avec son avion, avec tout ce qui demandait du courage et de l’audace. Il n’avait peur de rien et que de fois mon mari lui a dit : « Sire, vous n’avez pas le droit de vous exposer ainsi ». Le Roi excusait cette liberté de langage, y voyant l’ardente affection, presque paternelle que lui portait le Docteur. La Reine était à La Panne aussi courageuse que le Roi et elle était enchantée de conduire mon mari dans les villes et les campagnes menacées par le feu de l’ennemi !

       Un après-midi, la Reine me conduisit dans un pavillon où un médecin de l’armée donnait une conférence sur de nouveaux membres artificiels. Un soldat, qui avait subi l’amputation d’une jambe, portait une jambe du modèle qu’on présentait aux médecins et officiers réunis, à la Reine, qui fut extrêmement intéressée par tout ce qu’elle vit et entendit. Pendant la grande heure que dura la conférence, elle ne fit pas un mouvement. Assise très droite sur la chaise qu'on avait réservée pour elle au premier rang, ses mains posées sur ses genoux, elle resta parfaitement immobile, écoutant avec un intérêt intense les paroles du conférencier. Quand celui-ci eut achevé son exposé et démontré le fonctionnement perfectionné du membre artificiel, la Reine s'approcha de lui, le remercia, fit des question, des remarques, je crois, très judicieuses et examina de près la jambe artificielle exposée. Elle parla au soldat qui en portait une semblable et s'informa des avantage et des inconvénients de ce nouvel appareil. Tout ce qui touchait à la chirurgie et à la médecine et qui pouvait être uti1e à ses chers soldats, l'intéressait passionnément.

       Un des premiers jours que nous étions à La Panne, J’avais demandé en riant à la Reine à qui je devais faire la cour pour obtenir quelques cheveux du Roi, Mlle Nyffenegger, du Comité de secours aux Réfugiés Belges, avait comme nous tous, une ardente admiration pour le Roi et quand elle sut que j'allais à La Panne, elle me supplia de lui rapporter quelque objet ayant appartenu à son héros, par exemple, quelques cheveux ou un bouton touché par lui, etc. Je racontai cela à la Reine qui me dit : « Oh ! quel dommage, il s'est fait couper les cheveux il y a deux jours ! mais je vous donnerai un bouton.»

       Le matin de notre départ, la Reine me fit appeler dans une chambre, qui était, je crois, celle du Roi. Je l'y trouvai occupée à découdre les boutons d'un uniforme pour me les donner. Et ensemble, nous avons enlevé de nombreux boutons en nous dépêchant beaucoup car c'était l’heure du départ. Je craignais que le Roi ne fut mécontent car je savais qu'à La Panne, il n'était pas toujours facile de se procurer les choses. Je disais à la Reine : « Mais si le Roi veut mettre cet uniforme, que dira-t-il ? Il sera très fâché de voir qu'on a enlevé tous ces boutons ! » Elle me rassura tout en continuant à découdre et me montra ensuite une culotte, garnie de cuir, comme en portent les cava1iers et me dit : « Voulez-vous aussi ces bandes de cuir ? » J'acceptai avec joie et c'est munie de ces trésors que je revins à Lausanne, je pus ainsi donner un bouton de l'uniforme du Roi à chacun des membres de notre Comité.

       Après le repas du soir, nous passions une heure avec les Souverains et je voudrais me souvenir des choses si intéressantes, si justes, si remarquables, que disait le Roi. Mon mari estimait que chacune de ses paroles avait une valeur profonde, était un axiome irréfutable. Le Roi avait aussi une manière malicieuse de répondre aux questions, parfois indiscrètes du Docteur. Un jour que celui-ci demandait : « Sire, que pensez-vous de la démocratie? » Le Roi répondit : « Et vous, Docteur ? »  Et la conversation s'aiguilla sur la démocratie. Les Souverains ne veillaient pas tard. Le Roi se levait très tôt et était fatigué le soir. Nous nous retirions à neuf heures, au plus tard, dans la belle chambre que nous occupions dans la villa, à côté de celle où étaient les Souverains.

       Nous avons toujours regretté que la Belgique n'eut pas acheté plus tard ces villas, pour en faire un monument national, un lieu de pèlerinage. Mais 1e pays avait, après la guerre bien des ruines à relever, beaucoup de dépenses urgentes et les propriétaires des villas en demandaient et un prix si é1evé, qu’i1 fallut renoncer à cet achat. C’est bien dommage, ces maisons auraient dû être conservées comme un trésor national sacré.

       Le 6 décembre, il fallut quitter nos hôtes royaux, si simp1es, si bienveillants qu'on oubliait 1eur royauté pour les admirer et les aimer tout simplement aussi. Malgré leur exil, ils avaient souvent la visite de chefs d'états étrangers, de grands personnages, d'hommes célèbres, qui apportaient leur témoignage de respectueuse admiration.

       L'auto qui devait nous conduire à Boulogne était devant la porte, les Souverains nous serraient les mains et, le cœur tremblant d'émotion et de reconnaissance, nous prenions congé des grands héros. Au dernier moment, la Reine me fit apporter un panier de provisions pour le voyage : des sandwichs, du fruit, des raisins superbes. L'auto s'ébranla, les derniers adieux, les derniers regards amis se croisèrent à la hâte... Il était fini, ce merveilleux séjour.

       Le retour à Boulogne et de Boulogne à Paris, se fit sans incidents. Des soldats, tout le long de la route et, même une fois, la vision intéressante d’un escadron de soldats indous, vêtus de somptueux costumes aux couleurs vivent, montés sur de superbes chevaux qui défilait dans un étroit sentier. Nous vîmes aussi des camps de soldats anglais merveilleusement installés, comme s’ils devaient être occupés pendant des années ! Maisonnettes ravissantes, petits jardins fleuris, avec des allées bien ratissées. Quelle chose étonnante, comparée aux dévastations que nous avions vues autour de La Panne !

       Pendant les arrêts dans les gares, beaucoup de soldats, des infirmières, à qui nous donnâmes un peu de nos provisions et de nos raisins, en disant qu'ils venaient de la Reine Elisabeth, ce qui, naturellement, les faisait doublement apprécier. J'avais emporté le panier de provisions qui n'était pas entièrement vidé mais j'en eus des remords et, pensant que la Reine en aurait peut-être besoin, je lui écrivis pour m'excuser. Je reçus, en réponse, de Mlle Susnik, la dame d’atours, une lettre me disant :

La Panne, 3 janvier 1916.

       En réponse à votre lettre, je suis si heureuse de pouvoir vous dire, de la part de Sa Majesté la Reine, que tranquillement vous pouvez conserver le souvenir royal que vous emportiez avec tant de joie de La Panne. Il n'y avait aucune indiscrétion de l'avoir demandé. »

 

La Panne, 3 janvier 1916.

Cher Docteur Widmer,

       Mon mari et moi nous vous envoyons, ainsi qu’à Mme Widmer, nos vœux les plus affectueux et cha1eureux pour la nouvelle année.

       Nous voudrions aussi que vous sachiez tous les deux combien nous sommes profondément touchés de votre dévouement et bonté que vous nous avez montrés plus que jamais en ces circonstances tragiques.

       Soyez, assuré, cher Docteur, que nous garderons, toujours pour vous la plus grande et sincère amitié.

       J'ai été très sensible à vos deux si charmantes lettres et je vous en remercie tous deux de tout cœur .

       Merci aussi des renseignements intéressants et utiles que vous avez bien voulu me donner.

       Nous allons tous très bien, comme le Dr Vandevelde pourra vous le confirmer.

       J'ai passé quelques jours en Angleterre, du 16 au 22 décembre. La Comtesse de Caraman qui m'y accompagnait est revenue avec moi ici. Elle va très bien et nous sommes tous très contents de la revoir après sept mois.

       Le temps est extraordinairement doux pour la saison, le vent du sud souffle avec force.

       Un jour, il n'y a pas longtemps, nous avons vu un avion allemand, qui jetait des bombes sur des bateaux anglais devant La Panne, descendu par un hydroplane anglais. C'était très impressionnant à voir. Il tombait comme un grand oiseau blessé – brusquement il a pris feu – une grande flamme – puis il a disparu dans la mer. Malgré les recherches immédiates par les barques anglaises, on n’a pu retrouver les hommes.

       Aujourd'hui il brille un soleil radieux et on pourrait presque oublier la guerre – même le canon s’est tu.

       Mille bons souvenirs de nous tous, les enfants sont avec nous, et croyez, cher Docteur, a tous les sentiments d’amitié que je vous ai exprimés.

Votre affectionnée

ELISABETH.

 

       Après l'armistice, mon mari reçut une toile du peintre Bastiens, représentant l'église en ruines de Newport, avec sur le bord du cadre, cette inscription : Au Docteur Widmer. Albert, Elisabeth.

       Le temps a passé... Mon mari se rendit neuf fois sur le front, à intervalles irréguliers. Les Souverains continuèrent à faire face à l'orage. La Reine se tenait en contact régulier avec le Comité de secours aux Réfugiés Belges, par l'intermédiaire de son secrétaire, M. Charles Graux, qui vint plusieurs fois à Lausanne de la part de Sa Souveraine.

       Sa Majesté continuait a suivre de tout son cœur ce que nous faisions pour Ses protégés. Elle m’écrivit le 25 novembre 1916.

Chère Madame Widmer,

       J'ajoute quelques mots à la lettre du Major Doutrepont pour vous dire tous mes remerciements de votre aimable lettre et pour vous renouveler ma reconnaissance de tout ce que vous faites pour nos petits Réfugiés.

       Je vous envoie, ainsi qu'au cher Docteur, mes souvenirs les plus affectueux.

ELISABETH.

 

       En décembre 1915, j'avais envoyé à Leurs Majestés un petit sapin des forêts de Val-Mont que J’avais garni de mon mieux. Leurs Majestés m'écrivirent de La Panne, le 4 janvier 19I6, Ce qui suit :
« Votre beau petit arbre de Noël est arrivé hier et je ne puis vous dire notre émotion en voyant ce charmant souvenir des bois de Val-Mont. Le joli petit sapin, habillé en fête et lumières, nous a tout dit de la part de nos chers amis à Val-Mont, auxquels nous envoyons un merci des plus affectueux.

ALBERT, ELISABETH.

 

La Panne, 7 janvier 1917.

Cher Docteur Widmer,

       C’était vraiment trop gentil à vous et Mme Widmer de penser encore à nous à l’occasion de la Noël. Le beau petit sapin nous a fait tant de plaisir. Il était si joli avec toutes les bougies allumées et les ravissants petits objets qui y pendaient et qui ont fait une joie immense aux enfants – et leurs parents.

       Nous avons été bien tristes du contretemps qui nous a privés de votre visite, mais nous espérons à une autre fois.

       Les belles photographies des chers alpinistes nous ont fait grand plaisir, nous avons passé une soirée pleine de souvenirs, avec vous dans les montagnes.

       Recevez, cher Docteur, tous nos meilleurs remerciements pour tant d’amabilités que vous nous témoignez, ainsi que le renouvellement de nos vœux les plus sincères.

Votre affectionnée.

ELISABETH.

 

La Panne, le 27 février 1917.

       J’ai été très sensible, cher Docteur, à votre télégramme de Saint-Moritz, il me faudra beaucoup monter encore pour m’élever à la hauteur dont vous m’attribuez si aimablement la possession.

       Ici cela va bien, nous avons eu assez souvent des « O ». Le temps continue à être rigoureux. J’espère que votre santé est bonne, je présente mes respect à Mme Widmer et me dit toujours

Votre très affectionné

ALBERT.

 

(Carte postale illustrée)

La Panne, 9 mai 1917.

Cher Docteur Widmer,

       Puis-je vous demander de me faire envoyer ces deux objets scientifiques qu'on ne trouve plus qu’en Suisse, (indiqués sur le papier inclus). Je vous serais très reconnaissante d'avoir la bonté de vous en occuper. Nous allons tous bien et pensons souvent à vous.

       Avec nos meilleurs souvenirs pour vous et Mme Widmer, je reste toujours

Votre affectionnée

ELISABETH.

 

La Panne, 18 juin 1917.

Cher Docteur Widmer,

       M. Graux part pour la Suisse – dans cinq minutes ! Je veux lui donner un mot pour vous. Mille souvenirs affectueux pour vous et Mme Widmer, remerciements et reconnaissance pour toutes vos amabilités, envois, souvenirs, pensées, qui nous touchent toujours profondément. Merci aussi de votre gentil télégramme que je viens de recevoir.

       Nous attendons notre cher Dr Le Bœuf avec impatience et émotion après deux ans et demi de séparation.

       Encore mille bons souvenirs de

Votre affectionnée

ELISABETH.

 

Le 24 juin 1917.

Cher Docteur et Madame Widmer,

       Un petit mot que le Dr Le Bœuf, que nous étions si heureux de revoir enfin, vous apportera.

       Un grand merci pour tout et souvenirs des plus affectueux de nous deux.

ELISABETH.

 

       En 1918, la Reine m’a télégraphié pour me demander de m'occuper d’une jeune femme, Vaudoise d'origine mais mariée à un Be1ge. Le jeune mari était gravement blessé et se tourmentait au sujet de sa femme qui avait rejoint ses parents à Lausanne. J'allai voir cette jeune femme et sa mère qui me promit de me donner des nouvelles dès que le bébé que sa fille attendait, serait arrivé. La Reine Elisabeth m'écrivit, le 17 juin 1918 :

 

Chère Madame Widmer,

       Je viens vous remercier de tout cœur d'avoir eu la grande bonté de vous occuper de Mme M. ainsi que des nouvelles que vous m'avez données. Son mari a été gravement blessé et, malgré tous les soins qu'il a reçus, il a fallu lui couper la jambe au-dessus du pied. Il est très courageux et en bonne voie de guérison maintenant.

       Il a été si heureux et ému de recevoir la nouvelle de la naissance de son premier enfant. Je lui ai laissé votre télégramme comme souvenir.

       Je joins une lettre qu'il m'a donnée pour sa femme. Je ne sais pas s’il lui parle déjà de son amputation dans sa lettre. Je vous serais encore très reconnaissante si vous vouliez m’écrire si Mme M. est dans le besoin et ce que vous croyez que je pourrais lui envoyer.

       Nous pensons et parlons tellement souvent de vous et du cher Docteur que nous voudrions tant revoir !

       Je vous envoie à tous deux nos plus affectueux souvenirs et amitiés. Votre affectionnée

ELISABETH

 

       Je fus heureuse de pouvoir donner à Sa Majesté de bonnes nouvelles de la jeune femme dont il était question. Elle ne manquait de rien dans sa famille et était bien fière et reconnaissante de la sollicitude de la Reine pour son mari blessé.

       Le 2 juillet 1917, la Rein Elisabeth m'écrivit de La Panne :

 

Chère Madame Widmer,

       Je vous serais très reconnaissante si vous pouviez me faire uns liste des dames suisses qui se sont dévouées à l’œuvre des enfants belges et auxquelles je pourrais donner la médaille qui porte mon nom, (femmes du peuple y comprises naturellement). Puis-je vous demander encore de me faire envoyer ces livres, (j’ajoute la liste) de Suisse.

       Recevez, chère Mme Widmer, ainsi que le Docteur, mes plus affectueux souvenirs.

ELISABETH.

 

       Les livres en question étaient destinés aux blessés, prisonniers allemands, pour lesque1s 1a Reine témoignait une bienveillante pitié, comme à tous les blessés des ambulances.

       La Reine recevait quelquefois de nos petits protégés des lettres qui commençaient généralement par ces mots :

       Chère Madame la Reine !... La Souveraine me dit un jour que c'était gentil de lui écrire ainsi et, par la suite, il m'est souvent arrivé d'employer cette même appellation : chère Madame la Reine... ce qui nous rappelait un monde de souvenirs !

       Enfin sonna l'heure de la victoire et les Souverains quittèrent La Panne pour entrer à Ostende, le 17 octobre 1918.

       Mon mari et moi étions transportés de joie et leur avons naturellement télégraphié à cette occasion. Pour cé1ébrer cet heureux événement mon mari me fit faire un presse-papier en argent où sont inscrites les dates mémorables : Ostende, l8 octobre – Bruxelles, 22 novembre – Liège, 2 décembre – Libération de la Belgique, 1918.

       Le 17 octobre 1918, il m’offrit une très modeste petite broche de fantaisie, en souvenir de l’entrée des Souverains à Ostende.

       Le 5 décembre 1918, je reçus de Bruxelles, cette lettre :

 

Madame,

       Le Roi et la Reine ont été fort sensibles aux bons vœux et aux chaleureuses félicitations exprimés dans le gracieux télégramme que vous leur avez adressé à l’occasion de leur rentrée à Bruxelles et de la fête du Roi. 

       Me conformant aux ordres de Leurs Majesté, j’ai l’honneur de vous transmettre, ainsi qu'à tous ceux dont vous avez interprété 1es sentiments de patriotisme et de loyalisme, 1eurs sincères remerciements.

       Veuillez agréer, Madame, l’assurance de ma respectueuse considération.

                                                                                                         Le chef de Cabinet du Roi :

                                                                                                                 Comte d’Arschot.

 

IV

Le Prince
Charles-Théodore de Belgique
Comte de Flandres



Le Prince Charles-Théodore de Belgique

       Le 19 août 1919, les Souverains nous ont fait télégraphier par M. Graux, Secrétaire de la Reine : Suis chargé vous demander si pourriez recevoir Val-Mont jeune Charles pour minimum trois semaines tenant compte que pour reprendre études en Angleterre, il doit être de retour à Bruxelles le 23 septembre. Télégraphier date qui vous convient pour son arrivée. Je vous écris supplément d’informations.

       Le 29 août 1919, le jeune Prince arrivait à Val-Mont, sous le nom de M. de Réthy. Nous l'avons installé dans notre appartement, dans notre chambre d'amis. Il était alors âgé de seize ans. Il était plutôt petit et maigre et n'avait aucun appétit. A sa grande horreur, je crois, mon mari voulut l'avoir à notre table, à côté de lui, pour surveiller cet appétit récalcitrant.

       Le pauvre garçon regardait piteusement les doubles rations de macaronis, de puddings, de légumes, que le Docteur le forçait à manger. Vis-à-vis de lui, à table, nous avions une amie américaine, Miss Morris, qui détestait aussi tous ces mets de régime, et qui, remplie de pitié pour 1e martyre de jeune Prince, disait parfois à mi-voix : « Poor boy ». Cette sympathie lui valut l’amitié du Prince qui lui écrivit plus tard à plusieurs reprises. Le Docteur disait à son jeune client pour le stimuler qu’il devait-être grand comme l’étaient son frère et sa sœur, mais il assurait que ceux-ci avaient une taille au-dessus de la normale !

       Ce jeune Comte avait hérité de son père l’amour de 1a mécanique et il employait ses loisirs à faire marcher à1'é1ectricitè, dans sa chambre , tout un lot de wagons, de locomotives et de machines qu'il poursuivait jusque sous son lit.

       Afin de lui rendre son séjour plus agréable et plus instructif, nous avons prié le Roi de nous permettre de lui donner un jeune précepteur. Celui-ci fut M. Pierre Secretan, fils d'un avocat de Lausanne. Cet aimable et charmant compagnon, gai, instruit, de bonne compagnie, fut très apprécié par nous et par son élève avec lequel il fit de jolies promenades et des lectures intéressantes. Le jeune Prince nous quitta le 24 septembre 1919, et depuis lors il voulut bien nous témoigner par de gentilles 1ettres et cartes, qu'il nous gardait malgré tout un bon souvenir.

       Voici la lettre qu’il m’écrivait le 3 octobre 1919, datée du Royal Naval College, Dartmouth, S. Devon :

 

Chère Madame Widmer,

       J'ai beaucoup regretté au moment de mon départ de ne pouvoir vous dire au revoir et de vous remercier. encore une fois de tout ce que vous avez fait pour moi pendant mon séjour à Val-Mont.

       Je garde des quelques semaines passées là-bas, un excellent souvenir, et tiens à vous assurer, chère Madame Widmer, de l'expression de mes sentiments les plus reconnaissants et distingués.

CHARLES-THEODORE.

 

       Une lettre au Dr Widmer, portant la même adresse et datée du 2 octobre 1919 :

 

Cher Docteur Widmer,

       Je suis bien arrivé à Londres, après un voyage assez long et une mer agitée.

       Je vais très bien et profite des bons soins que vous m'avez donnés à Val-Mont. Je tiens à vous remercier encore de toutes les bontés que vous avez eues pour moi et garderai un excellent souvenir du temps passé auprès de Mme Widmer et vous.

       J'espère que vous allez très bien et croyez à mes sentiments dévoués.

CHARLES-THEODORE.

 

       De la Maison Militaire du Roi, une lettre datée du 3 octobre 1919 :

 

Monsieur le Docteur,

       Je m'excuse de ne pas vous avoir écrit plus tôt, ayant du partir pour la campagne aussitôt mon retour en Belgique.

       Vous avez demandé que je vous donne des nouvelles du voyage du Prince. Je suis heureux de vous informer que tout s'est très bien passé et que nous sommes arrivés sans incident à Londres.

       Nous avions retrouvé à Lausanne l'aimable M. Secretan, et j’ai pu constater que sa venue avait fait un sensible plaisir au Prince. A Bâle, le commandant de la place a fait passer au Prince une après-midi très intéressante et grâce à lui nous nous sommes embarqués sans fatigue, pour Bruxelles, à cinq heures. La nuit s'est fort bien passée, et l'arrivée à Bruxelles a eu lieu à l'heure prévue : nous avons pris un repos de trois heures au Palais, puis sommes repartis pour Londres où nous sommes arrivés à neuf heures du soir. La mer avait été très mauvaise, mais le Prince s'est montré bon marin. Il n'était pas trop fatigué de son long voyage et a parlé fréquemment de son séjour à Val-Mont qui, je m'en suis aperçu, lui a laissé de bons souvenirs. Je ne sais s'il vous a déjà écrit, mais il vous est très reconnaissant des bons soins dont vous l’avez entouré.

       Je suis heureux de saisir cette occasion pour vous remercier personnellement de l’amabilité que vous lui avez témoignée et vous prie, Monsieur le Docteur, d’agréer l’expression de ma haute considération.

Major R. de Hennin…

 

       Depuis lors, le Prince Charles-Théodore est devenu un grand, beau garçon, aussi grand que ses aînés. Qui sait si les puddings de Val-Mont n’y sont pas pour quelque chose ? Il ne manque jamais de m’envoyer d’aimables cartes et des vœux au commencement de chaque année, en réponse à ceux que Val-Mont lui adresse. Voici ce qu’il m’écrit le 15 janvier 1933 :     

 

Chère Madame Widmer,

       Rentré d'un séjour à l'étranger, je reçois votre très aimable message du 1er janvier, porteur de voeux auxquels je suis très sensible. Je vous prie de trouver ici les miens pour que l'année 1933 vous garde une précieuse santé et réalise vos plus chers désirs.

       Croyez, chère Madame Widrner, à l'expression de mes sentiments les meilleurs.

C. de Réthy.

 

       Pendant un séjour que le Prince faisait à Berne en 1924, il m’écrivit le 17 septembre :

 

Chère Madame Widmer,

       J'ai bien reçu votre aimable et longue lettre et si je n y ai pas répondu plus tôt c’est que j’espérais toujours passer par Val-Mont et pouvoir ainsi vous en remercier de vive voix et vous rendre la gentillesse que vous m'aviez faite à Berne. Malheureusement jusqu'à présent, je n’en ai pas eu l’occasion, malgré que j'ai eu le plaisir de voir le Docteur en passant l'autre jour une après-midi avec M. Secretan.

       J'en viens à ceci, c'est que heureusement comme vous me donnez la date de votre départ 20 septembre, je serai ce jour à Lausanne, à partir de neuf heures et demie (train de Berne 7 h.20 – 9 h16) et pourrai par suite vous voir si cela vous convenait, Soit au train ou à votre appartement près du Square du Théologien Alexandre Vinet, ou en tout autre endroit que vous désireriez.

       Le temps ici est superbe et je regrette beaucoup de devoir le perdre à me soigner au lieu de pouvoir en jouir en Belgique auprès de mes parents.

       Alors je terminerai à présent, chère Madame Widmer, en attendant peut-être le plaisir de vous voir samedi.

       Veuillez croire à mes meilleurs sentiments et me rappeler aux bons souvenirs. du Dr Widmer.

CHARLES-THEODORE

 

       Lorsque j’ai revu le Prince Charles-Théodore au Château de Laeken, j’ai été enchantée de voir qu’il était devenu un grand jeune homme qui ne rappelait plus du tout le petit client de Val-Mont. Mais cela me parut bien étrange de lui dire solennellement : « Bonsoir Monseigneur ».

       Voici encore une aimable carte du Prince Charles-Théodore, du 31 décembre 1919 :

 

Cher Docteur,

       Je vous souhaite une heureuse année et que Dieu vous accorde tout ce que vous désirez et que l'année 1920 soit pleine de bonheur pour vous.

       J'espère de tout cœur que votre santé est toujours bonne et que vous ne vous fatiguez pas trop avec vos malades comme vous le faisiez pendant mon séjour à Val-Mont.

Je reste votre tout dévoué

CHARLES-THEODORE.

 

Laeken, le 14 février 1920.

Mon cher Docteur,

       La Reine et moi avons pris connaissance avec le plus vif intérêt de la lettre où vous nous donniez tant de renseignements concernant la santé physique et morale de notre fils Charles.

       Nous vous exprimons notre plus vive gratitude pour les soins que vous avez pris de lui et pour l'étude que vous avez faite de son état et de ses dispositions ; nous avons été très frappés de l’exactitude de ce que vous avez constaté de son caractère.

       Je puis vous donner de bonnes nouvelle de la Reine, dont l'état général est vraiment satisfaisant et vous savez que je ne suis pas précisément ce qu’on appelle un optimiste. Nous avons eut Charles à la période des vacances de Noël, Nouvelle an et il était en progrès, ce dont nous avons reporté une bonne part sur l'influence de Val-Mont et de votre action sur lui.

       J'espère, cher Docteur, que vous viendrez nous voir avec Mme Widmer, que vous voudrez bien remercier en notre nom pour les peines qu'elle s'est données pour Charles.

       La Reine vous envoi (sic) ses messages de sincère amitié et je vous prie, cher Docteur, de croire toujours à mes sentiments les plus dévoués.

ALBERT.

 

Laeken, le 20 août 1920.

Mon cher Docteur,

       C'était bien gentil à vous de m'envoyer ce beau livre de Guido Rey sur l'Alpinisme acrobatique. Je l’ai déjà lu, car j’en ai commencé la lecture aussitôt que je l’ai reçu, et c’est vous dire que vous m’avez fait plaisir, ce dont je vous remercie bien sincèrement.

       Un éminent physiologiste comme vous pénètre à fond la mentalité de ses clients ou amis et vous connaissez la mienne a merveille.

       J’espère que nous aurons le plaisir de vous revoir au courant des mois prochains, nous partons le 1er septembre pour le Brésil, dont nous reviendrons vers le 1er novembre.

       Ma femme va bien ainsi que 1es enfants. En vous priant, cher Docteur, de présenter mes respects à Madame Widmer, je reste

Votre très dévoué

ALBERT.

 

V

La Princesse Marie-José de Belgique.



Le Princesse Marie-José de Belgique

       La Comtesse H. van den Steen de Jehay, dame d'honneur de la Reine, écrit au Dr Widmer le 18 août 1921, du Château de Laeken :

 

Mon cher Docteur,

       La Reine me charge de vous demander s'il vous serait possible de recevoir la Princesse Marie-José dans la première moitié de septembre ? A cette époque Leurs Majestés partiront en voyage et Elles ont pensé que leur fille ne pourrait se rendre en un endroit plus sûr que chez vous. L'air des montagnes ferait grand bien a la Princesse et elle séjournerait à Val-Mont jusqu'à la fin de ses vacances. Je l'y accompagnerai, ainsi qu'une femme de chambre.

       Puis-je vous prier de me répondre au Château de Laeken. Je serai heureuse de vous revoir, mon cher Docteur. Quel changement s'est fait dans ma vie depuis la fin de la guerre et la visite que vous avez faite à La Panne quand mon pauvre mari vivait encore.

       Veillez agréer l'expression de mes sentiments très distingués et les meilleurs.

 

 

       Seconde lettre, datée de l’Hôtel Villa Régina, Lido, 2 septembre 1921 :

 

Chère Madame,

       J'ai voulu attendre que les projets de la Reine soit définitivement arrêtés, pour répondre à votre aimable lettre du 23 août. Ceux-ci en effet ont été modifiés en ce sens qu’Elle devra quitter l’Italie, en route pour Marseille, deux jours plus tôt qu’elle ne pensait. Sa Majesté désire que nous voyagions avec elle jusqu'à Milan et que nous continuions le même soir jusqu'à Montreux. Le train arrive, je crois, vers onze heures et demie (23 h.10). Puis-je vous demander de m'écrire tout franchement s'il vous serait possible de nous recevoir dès le 8 ? La Reine désire que vous ne vous mettiez nullement en peine à ce sujet, car il serait tout simple que nous logions pendant deux nuits à 1’hôtel à Glion, en attendant que vous puissiez nous recevoir à Val-Mont. La seule chose dont nous vous serions fort reconnaissantes, c’est si vous vouliez bien vous charger de retenir trois chambres à l'hôtel et de nous assurer un moyen de transport de la gare à Glion. Et si vous jugez, chère Madame, que l’heure est trop tardive pour faire l’ascension, Sa Majesté approuve complètement que nous passions la première nuit à Montreux dans un hôtel que vous voudrez bien nous recommander spécialement pour sa tranquillité. Je regrette bien de vous donner toute cette peine, mais étant si loin, il nous serait difficile de juger de ce qu’il y a de mieux à faire pour bien faire !

       Je vous écris ceci fort à la hâte au moment de partir en excursion. Aussi je vous prie d’excuser les répétitions et mon style peu élégant.

 

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        Je vous prie d’agréer, chère Madame, l’expression de mes sentiments les meilleurs et les plus distingués.

Shoy, van den Steen de Jehay.

 

       Nous aurons avec nous six malles cabines et des petits colis.

 

       La jeune Princesse Marie-José de Belgique arriva à Val-Mont le 8 septembre 1921. La Princesse avait quinze ans. C'était une belle jeune fille, florissante de santé ; elle avait des cheveux magnifiques, deux longues boucles encadraient son visage. Elle regrettait vivement d'avoir dû quitter Le Lido où elle s'amusait beaucoup avec ses frères et les jeunes princes italiens, elle trouvait bien dur d'être emprisonnée à Val-Mont. Elle s'y en ennuyait terriblement et avait soif de liberté. Heureusement elle était très musicienne et pouvait jouer pendant des heures sur le piano que nous avions loué et installé dans notre salle à manger, afin que nos malades ne fussent pas dérangés par trop de musique. La Princesse allait une ou deux fois par semaine prendre une leçon de piano à Villeneuve, et nous avions engagé Mlle Gaiser, de Glion, pour jouer au tennis avec elle, à Glion, sur le  court du Righi-Vaudois. La Princesse était fort adroite à tous les jeux et vivacité, sa passion de mouvements étaient à une rude épreuve chez nous, d’autant plus que sa dame d’honneur, la Comtesse van den Steen souffrait de violent maux de dents et avait une fluxion douloureuse. La Comtesse van den Steen était d'autant plus ennuyée de cette malencontreuse souffrance qu'elle aurait souhaité distraire la jeune Princesse et lui rendre son séjour agréable. Je fis de mon mieux pour la remplacer, mais la jeune fille me faisait l'effet d'un beau petit cheval échappé.

       Elle vit avec grand intérêt mon costume vaudois que je le lui prête pour une photographie qui la montre auprès d'un rouet et plus ou moins bien attifée dans des vêtement trop larges pour elle.

       Je lui avais raconté que l'Impératrice Elisabeth d’Autriche, lorsqu’elle était en séjour au Palace de Territet, montait tous les jours dans les sentiers forts raides qui mènent à Mont-Fleuri, s’arrêtait à l’Orphelinat de Cotterd, fondé et entretenu par Mlle Chessex, s’asseyait au jardin, causait avec des petites orphelines, puis après s’être reposée, continuait à monter jusqu’à la maison qu’on appelle le Prey-Monnet. Là, la belle étrangère s’asseyait sur le grand tilleul, près de la maison, demandait une tasse de lait, se rafraîchissait et causait avec bonté et très familièrement avec le fermier et sa femme, M. et Mme Monnet. Ceux-ci n’en finissait pas de parler de ces visites et de leurs conversations avec l’Impératrice.

       La Princesse Marie-José fut vivement intéressée par ce que le lui en avait dit et exprima le désir d’aller à l’Orphelinat Chessex et chez la fermière Mme Monnet qui habitait alors Tavel, au-dessus de Clarens.

       Nous sommes donc partie un jour, la Princesse, sa dame d’honneur et moi, la Princesse emportant son Kodak et m’ayant fait promettre de ne pas dire qui elle était. Mlle Chessex était sur sa terrasse et nous reçus avec sa bonté accoutumée. Elle nous permit de choisir quelques grappes mûres à sa treille, et, à ma demande, elle se mit très volontiers à parler de l’impératrice Elisabeth, à raconter de charmants traits de bonté, de simplicité, de la noble dame. La jeune Princesse, après l'avoir écoutée avec grand intérêt, la pria de poser pour une photographie, ce qui fut fait. Après quoi, 1a Princesse me permit de dire qui elle était. La chère vieille demoiselle était si bouleversée que son tout premier mouvement fut d'appeler sa collaboratrice afin qu’elle vit aussi la jolie visiteuse. Elle ne savait comment exprimer sa joie, elle était toute tremblante d’émotion.

       Après lui avoir dit adieu, nous sommes allées à Tavel, voir Mme Monnet. Celle-ci tricotait devant sa porte et nous reçut avec sa rustique et charmante cordialité. Elle fut enchantée de raconter tout ce qu’elle se rappe1ait des visites de l'Impératrice, puis 1a Princesse vou1ut 1a photographier, après quoi je dus dire que cette demoiselle était la fille du Roi des Belges. Alors, chose amusante sans se déconcerter en aucune façon, Mme Monnet s'écria dans son savoureux parler vaudois : « Eh ! monteh ! que je suis contente ! Oh ! j'ai bien connu le papa et la maman, quand ils étaient à Val-Mont. Le papa venait par Glion pour aller à la poste ou pour acheter des journaux. Alors vous êtes leur fille ! Oh ! ça me fait bien plaisir de vous connaître ! » Nous sommes rentrées enchantées de nos visites.

       Le lendemain, j'ai reçu de Mlle Chessex une lettre si belle si touchante, que je l'ai envoyée à la Reine. Voici la lettre que j’ai reçue en retour :

 

Service de la Reine

Laeken, 21 février 1922.

Chère Madame,

       Le Baron de Traux m'a prié de mettre sous les yeux de la Reine, l'aimable lettre que vous lui avez écrite et celle de Mlle Chessex qui y était jointe. Sa Majesté a été très touchée de votre pensée et a admiré 1e tact et 1a délicatesse avec lesquels cette femme supérieure a agi vis-à-vis de 1a princesse, et dans quels termes charmants elle exprime les sentiments qui l'animaient, lors de la visite qu'elle lui a faite.

       Le monde serait trop beau si chacun comprenait que c'est le plus mauvais service qu'on puisse rendre à ses semblables, que de les flatter et, à plus forte raison, lorsqu'il s'agit de têtes couronnées !

       Vous aurez peut-être lu dans les journaux que la Reine est partie subitement pour Paris, samedi, appelée auprès de sa tante, la Reine de Naples (quatre-vingts ans), dont la santé donnait de sérieuses inquiétudes. Heureusement que la forte constitution de cette Princesse a pris le dessus et nous sommes rentrés hier pour assister au dîner que Leurs Majestés offraient au Maréchal Fayolle. etc.

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HENRIETTE VAN DE STEEN DE JEHAY.

 

       Un matin, nous sommes allées, la Princesse, Mme van den Steen et moi, pique-niquer au Château de Chillon. Nous avons mangé nos provisions dans 1a salle des Chevaliers, mais notre jeune compagne galopait de salle en salle et grignotait en passant les sandwiches et les fruits de son déjeuner.

       Le 27 septembre, je la conduisis à Lausanne, et lui fis 1e grand plaisir de la faire voyager en troisième classe. Je crois qu'elle se figurait qu’il s’y passerait des choses extraordinaires. Mais 1e voyage se fit sans encombre. La Princesse attendait avec impatience l’heure d'ouverture du cinéma où je devais la conduire. Je fis l'emplette d’une grosse boite de chocolat Kohler, et la lui offris. Deux heures plus tard, en sortant du cinéma, je vis qu'elle y avait oublié la boîte de chocolat mais elle me dit très tranquillement qu'elle avait tout mangé ! Heureusement il n'y eut pas d'indigestion ! Le 2 octobre, nous avons fait une jolie excursion aux Avants. Puis un jour, une course en bateau, à Genève, par un temps radieux. Mon mari avait exigé une visite à la Société des Nations et que nous demandions à M. Hymans, alors à Genève, de nous y conduire. Mais à la grande joie de la Princesse, M. Hymans n'était pas encore rentré pour le déjeuner, à l'Hôtel des Bergues, et nous en sortions quand nous l'avons rencontré devant la porte. Il était avec Mme Hymans et son secrétaire. Il vint aimablement à moi, me demanda des nouvelles du Docteur et de Va1-Mont, et ne pris pas garde à mes compagnes. A la fin, la Princesse me souffla :

       « Il ne me reconnaît pas ! » Je dis alors :

       « Je crois Monsieur, que vous ne reconnaissez pas la Comtesse de Réthy ».

       Il répéta deux ou trois fois : « La Comtesse de Réthy », « La Comtesse de Réthy », puis subitement il reconnut la jeune Princesse : « Altesse, toutes mes excuses, je suis confus, etc. »

      Mme Hymans s'avança alors avec beaucoup de grâce et il y eut quelques minutes de conversation sur le trottoir.

       La Princesse fut enchantée d'apprendre qu'il n'y avait pas de séance, cet après-midi-là, à la société des Nations. Elle rêvait d'aller tout de suite dans un cinéma. Mais c'était trop tôt et elle dut subir l'ennui d'aller voir la Cathédrale et une exposition des Beaux-Arts, au Musée Rath. Il était midi, nous nous y trouvions seules et, tandis que Mme van den Steen et moi regardions consciencieusement les tableaux, la Princesse, qui avait faim, galopait de salle en salle avec un peu d'impatience.

       Enfin ce fut l'heure d'aller déjeuner dans une crémerie puis de nous rendre dans un cinéma dont le spectacle intéressant plut beaucoup à la jeune fille.

       Je me demande si notre ex-cliente de Val-Mont, la belle Princesse de Piémont, se souvient de cette course à Genève et si elle aime encore le cinéma ?

       En revenant par le bateau, nous vîmes monter à Rolle un de mes cousins et sa fille Pierrette. Ils vinrent tout naturellement me saluer, firent un salut poli à mes deux compagnes, et comme je ne le présentais pas, mon cousin demanda à la jeune Princesse si elle était étrangère, si elle venait en Suisse pour la première fois, de quel pays elle venait etc.

       Elle, très amusée de ce sans-façon, dit, qu’elle venait. Je ne sais p1us de quel pays lointain et extraordinaire. Mon cousin, un peu interloqué, se tourna alors vers la Comtesse van den Steen, qui entra dans le jeu de la Princesse, dit aussi qu'elle venait de je ne sais plus quel pays lointain d' Afrique ou d 'Asie. Mon cousin, voyant qu'on se moquait de lui, se le tint pour dit, et sa fille et lui se contentèrent de causer avec moi. Le soir ma jeune cousine me téléphona qu'elle avait fait un pari avec son père pour savoir lequel des deux devinerait qui étaient les voyageuses du bateau. L'enjeu était une boîte de chocolat. Peu de jours après, ma petite cousine me téléphona : « Je crois que je l'ai gagné, le chocolat. Est-ce que la jeune demoiselle étrangère n'est pas la Princesse de Belgique ? »

       La Princesse Marie-José quitta Val-Mont le 3 octobre 1921. Comme c’était un dimanche, mon mari et moi avons pris le train pour l’accompagner jusqu’à Lausanne. La Princesse et Mme van den Steen ayant des billets de première classe, directs pour Bruxelles, nous avons naturellement pris des billets de première c1asse. Mais la Jeune Princesse fut très peinée de voyager en première et de nous obliger à ce luxe, puisque je lui avais dit que, la guerre, nous prenions toujours les troisièmes classes. Elle fut fâchée, un peu boudeuse jusqu'à l'heure où nous lui avons dit adieu à1a gare de Lausanne. Elle aurait voulu voyager encore une fois en troisième classe, par gentillesse pour nous, et peut-être par plaisir d’une chose nouvelle pour sa jeune Altesse.

       Elle voulut bien nous écrire du Château de Laeken, plus tard, le 7 février 1923 !

 

Chère Madame,

       Je vous remercie beaucoup des excellents chocolats que vous m'avez donnés.

       J'ai été très sensible à cette gentille attention.

       Maman et moi, nous vous envoyons, ainsi qu'au Docteur Widmer, nos meilleurs vœux pour l'année 1923.

       Recevez, chère Madame, l'expression de mes sentiments reconnaissants.

MARIE-JOSE DE Belgique.

 

       Madame van den Steen m’écrivit de Laeken, 2 janvier 1922 :

 

Chère Madame,

       Vous avez peut-être pensé que j’avais oublié de vous envoyer les photographies prises cet automne à Val-Mont. Ce n'est qu'aujourd'hui même qu’elles me sont remises par le photographe de 1a Reine et je me hâte de vous les faire parvenir.

       Dans le nombre il yen a qui sont jolies, d'autres qui portent le cachet de l'amateur. Mais j'ai pensé qu’elles vous ferraient p1aisir et qu'elles seraient un souvenir de séjour de la Jeune Princesse à Val-Mont. Puis-je vous demander de remettre à Mme Monnet et à Mlle Chessex, les épreuves qui leur sont destinées et dont vous trouverez le double ci-joint.

       Je viens de passer un mois auprès de nos Souverains et vais aller me retremper dans le calme et la solitude jusqu'au moment où se fera le voyage officiel en Italie. La Reine est revenue enchantée de son séjour au Maroc et en Algérie. Ils ont parcouru bien de l'espace en si peu de temps. La Princesse est en vacances, en bonne santé, gaie et contente.

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VI

Départ de six cent cinquante enfants belges.

       Le 25 mars 1919, j’ai accompagné à Liège six cent cinquante enfants belges qu’on rapatriait par train spécial.

       Voyage d'un jour et d'une nuit, avec de joyeux enfants un peu excités, à qui leurs parents adoptifs suisses avaient dit adieu en pleurant. Plusieurs des membres de notre Comité se partageaient la surveillance des wagons remplis de petits imprudents. Les journaux belges et suisses ont raconté notre arrivée triomphale à Liège, la joie des parents et des enfants qui se retrouvaient à la gare, la réception grandiose que nous firent les Echevins, le Gouverneur de Liège, les promenades en autos qu'on nous fit faire au Fort de Loncin, à Visé, aux Usines Cockerill, etc. Le 28 mars, les Suisses vinrent à Bruxelles, où ils furent reçus à l'Hôtel-de- Ville par le Bourgmestre Max, à deux heures et demie. La Reine voulut bien nous accueillir à cinq heures au Palais Royal. On nous fit entrer dans une grande salle et on fit ranger les dames d'un côté et les messieurs en vis-à-vis de l’autre côté.

       Mme  Hé1ène Roud, Mlle Madeleine de Cérenville, Mlle Annie de Montet Mlle Jeanne Montet, Mlle Jeanne Correyon, Mme Martinet (Belge), Madame Aline Gayot, Mme Emma Ernens, Mme Marguerite Porte, Mme Albert Barbey, Mlle Cherbuliez, Mlle Mathide de Pfyffer, Mme Suzanne Stucki, La Baronne de Montenach, Mlle Cécile Bonabry, Mlle Marguerite Emery, Mme Paul Reichlen, Mme Léonie Lang, Mme Albert de Castella, La Comtesse Raoul de Diesbach, Mme Widmer-Curtat et Mlle Nadine Burnier.

       Du côté des messieurs :

       Le Dr François Machon, M. Robert Guex M. Roger de Cérenville, M. Meyhoffer, M. Ernens, M. Paul Reichlen, le Professeur Fairc1ough (de la Croix-Rouge américaine), et le Capitaine Albert de castella.

       Tout à coup la porte s'ouvrit : on annonça :

       La Reine ! Elle s'avança et rien ne peut décrire notre émotion en la voyant. Elle avait une toilette claire, d'un tissu léger, qui était peut-être bleu pâle ou gris, ou tous les deux à la fois ; une toilette de rêve, une robe de fée ! La Reine me vit tout de suite en entrant, j'étais placée à droite, près de la porte. Elle m’embrassa tendrement puis elle épingla sur mon corsage la décoration de la Croix de Chevalier de l'Ordre de Léopold, en me disant, « Le Roi m'a chargée de vous donner cela de sa part », J'étais surprise et confuse et ne savait que dire pour remercier ! Puis j’accompagnai la Reine qui fit 1e tour de 1a salle, disant un mot aimable à chacun, à mesure que je faisais les présentations. Elle commença par les dames les auxquelles elle remit 1a décoration de l'Ordre d’Elisabeth, fondé par elle, pendant 1a guerre. Elle eut un sourire charmé en voyant ma jolie cousine Nadine qui était la plus jeune des dames déléguées et terminait la rangée féminine.

       Les messieurs, en qualité de Suisses, ne pouvaient recevoir des décorations mais ils reçurent des mains de la Reine de jolis bibelots artistiques, de cordiales poignées de main accompagnées de gracieuses paroles.

       Le lendemain, par un temps froid et même un peu neigeux, les automobiles nous conduisirent à Dinant, puis à Namur, sous la conduite de plusieurs officiers et les invitations se succédèrent : réceptions officielles et réceptions amicales et charmantes, chez les amis belges et suisses qui accueillirent toute notre délégation.

       Je logeai chez M. Graux, Secrétaire de la Reine, séjour charmant dont je garde un beau souvenir. Dans mon ignorance, je crus devoir porter ma décoration bien en vue sur mon corsage, pour aller en ville ! Mme Graux eut la bonté de me dire que cela ne se faisait que dans les grandes circonstances et, qu’à l’ordinaire, on arborait qu’un petit ruban que je me hâtai de me procurer.

       Le 2 avril, nous quittâmes Bruxelles pour rentrer en Suisse par Paris. Notre voyage avait été payé par la Belgique, aller et retour. Quelle moisson de souvenirs nous avons rapportée ! Plusieurs autres convois rapatrièrent des enfants belges de Suisse en Belgique et ce fut, chaque fois, de la part des Belges, un accueil émouvant, une hospitalité généreuse, une reconnaissance qui ne savait assez comment s’exprimer.

       Dans le courant de juin 1919, mon mari et moi, nous fûmes invités à passer quelques jours chez les Souverains Belges à Laeken.

 

Laeken, le 31 mai 1919.

       Service de la Reine

Mon cher Docteur,

       Je suis chargé par le Roi et la Reine de vous inviter à venir passer quelques jours à Laeken dans le courant du mois de juin, ainsi que Mme Widmer. Veuillez me dire quand cela s’arrangera le mieux pour vous ?

       Leurs Majestés seront si heureuses de vous revoir tous deux et de reprendre les bonnes conversations d’avant et pendant la guerre.

       J’espère que je serai encore ici quand vous viendrez, mais sans être tout à fait sûre, devant m’absenter.

       Au revoir, mon cher Docteur, partagez je vous prie avec Mme Widmer, l’expression de mes sentiments les plus affectueux.

G. de Caraman-Chimay.

 

       Mon mari n’avait pu quitter Val-Mont à la date prévue ayant un client très gravement malade à ce moment, aussi lorsque nous arrivâmes à Laeken avec un retard de deux ou trois jours, le Roi nous dit en s’excusant, qu'il avait arrangé, pour cette semaine une course de montagne qu’il ne pouvait remettre de sorte qu'il ne passerait que peu de jours avec nous. En revanche, la Reine serait heureuse de nous garder le plus longtemps possible. Nous étions, c'est le cas de le dire, royalement installés dans ce Palais de Laeken. Nous avions tout un appartement, un grand salon rempli de belles choses, œuvres d'art, potiches et fleurs en quantité. A côté une grande pièce servant de cabinet de toilette, baignoire, etc., puis venait ma chambre, dont les fenêtres donnaient sur le beau parc et, tout à côté, la chambre de mon mari. On nous servait le premier déjeuner dans notre salon où tout était préparé pour faire notre correspondance et la sieste, si nous en avions envie. Nous avions l'entière liberté de nous promener dans le parc rempli de fleurs, d’oiseaux, d'heureux lapins que le Roi ne permettait pas de tuer. Un lac avait des cygnes et même deux beaux cygnes noirs que la Reine avait reçu pour son anniversaire, le 25 juillet 1914 !

       Malheureusement, je souffrais beaucoup d'une sciatique qui me rendait boiteuse et m'empêchait de me promener dans ce beau parc autant que je l’aurais souhaité. Quelquefois, la Reine m’y accompagnait. Nous retrouvions les Souverains pour les repas de midi et du soir. Repas excellent très, bien servis mais au fond très simples. Mon mari m’a souvent dit quand je faisais des « compliments » pour recevoir des amis, que J’étais absurde et que 1es Souverain Belges donnaient 1e bon exemp1e de la simp1icité. Leurs Majestés ne prenaient pas de vin.

       Les Souverains étaient fort occupés. La Reine dut se rendre un jour à Gand pour voir une grande ambulance avec plusieurs centaines de malades. Elle était partie tôt après le déjeuner et n'était pas rentrée à l'heure du dîner. Nous étions descendus dans le petit salon où l'on se réunissait avant et après les repas et le Roi nous pria d'attendreun peu sa femme qui ne tarderait pas à rentrer. Entre parenthèses, le Roi parlait souvent de « sa femme », comme s'il voulait faire la leçon à ceux qui appellent cérémonieusement leur femme : Madame une telle !

       Le temps passait. La Reine n’arrivait pas, le Roi s’inquiétait, voulait que l’on se mit à table, mais nous demandions la permission d’attendre encore. Le Roi fit téléphoner à l'ambulance à Gand, la Reine y était encore. Nous étions rassurés, il n’y avait pas eu d’accident d’auto, nous n’avions qu'à attendre. Enfin la Reine arriva, en s’excusant, mais elle n’avait pu faire autrement. Il y avait plusieurs centaines, de blessés, elle avait voulu les voir tous, parler a tous, leur donner l’espoir et le courage qu’apportait sa présence. Elle n'en avait pas 1aissé un seul de côte. La dame d'honneur me dit que cette visite avait été bien fatigante pour Sa Majesté, mais qu'elle n'aurait pas voulu ne pas la faire.

       Le lendemain, ou le surlendemain, le Roi partit, ainsi qu'il était convenu, après nous avoir donné de beaux moments d'intimité, de conversations intéressantes avec mon mari. Un des jours suivants, la Reine se rendit dans un hôpital de la ville ; elle y passa plusieurs heures et vit tous les malades. Elle en revint désolée de la détresse des soldats aveugles qu'elle avait vus là. Ils s'étaient plaints à elle d'être négligés, de n'avoir aucune perspective de soins spéciaux nécessités par leur cécité, etc. Pendant tout le dîner, la Reine parla de ces malheureux avec une véritable tendresse et un ardent désir de les secourir. On se souvient que la Reine est fille d'un Prince qui fut un savant oculiste et qu’elle a un intérêt spécial pour les malades des yeux et pour les aveugles.

       Le lendemain de ce jour, J’étais encore au lit ; i1 était a peine huit heures du matin, quand on frappa à ma porte. C'était la Reine, déjà habillée, qui me demandait si mon mari était prêt. Elle lui fit dire de se hâter et de descendre auprès d’elle. Toute la nuit, elle avait pensé aux aveugles de l’hôpital et cherche ce qu'elle pourrait faire pour eux. Elle avait trouvé une heureuse solution au dou1oureux problème. Elle pouvait disposer d’une maison peu éloignée, elle avait déjà convoqué un architecte et elle voulait aller tout de suite avec le Docteur et l’architecte, voir cette maison et prendre tous les arrangements nécessaires. Quand elle revint à midi, tout était arrangé, convenu. elle était contente. Dans huit jours, les aveugles seraient installés convenablement, et M. et Mme Widmer, sitôt rentrés en Suisse, lui enverraient des montres pour aveugles, des livres et des méthodes pour écrire en Braille, tout ce que l’Asile des Aveugles de Lausanne pourrait fournir et indiquer pour occuper et distraire les aveugles. J'ai demandé à la Reine : « Mais que dira le Roi, de toute cette chose entreprise en son absence ? » Elle me répondit: « Il sera enchanté ». Une fois de plus, nous constations la parfaite harmonie de ce beau ménage, son union absolue dans sa manière de comprendre le devoir, leur bon cœur aussi généreux l’un que l’autre.

       Les jeunes Princes n’étaient pas à Laeken pendant notre séjour. Nous y avons vu la Comtesse Ghislaine de Caraman-Chimay, dame d'honneur, qui avait été Val-Mont avec la Reine. Il y avait aussi M. Charles Graux, qui était encore le secrétaire de la Reine et était chargé par elle de bien des missions de confiance.

       La jeune femme de chambre qui nous servait me racontait beaucoup de choses intéressantes en faisant mon service. Elle avait été plusieurs mois emprisonnée par les Allemands pour avoir à répandre secrètement le journal défendu La Libre Belgique. Elle m'en offrit même quelques numéros datant du temps de 1’occupation.

       Pendant la guerre, j'avais reçu une fois de Mme R., à Lausanne, un franc, que sa femme de ménage, très pauvre, avait économisé, centime par centime, et qu'elle désirait envoyer à la tant jolie Reine des Belges (sic). Mon mari avait porté ces petits sous à la Reine, lors d'un de ses voyages à La Panne. J'y avais joint quelques mots d'explication.

       La Reine n'avait pas oublié, et pendant que j'étais à Laeken, elle pria M. Graux d'acheter une médaille d'or pour la pauvre femme de journée de Lausanne) et un beau cadre d'argent dans lequel elle mit sa photographie avec son nom que j'eus le plaisir de porter de sa part à Mlle N.

       La Reine fit une jolie photographie de moi dans notre salon où j'étais occupée à écrire.

       Le 4 juillet, nous avons dit adieu à notre noble et, charmante amie, à ce beau château où nous avions été entourés de soins et d’égards, et nous sommes rentrés à Val-Mont toujours plus admirateurs des Souverains Belges.

Lors de notre beau séjour au Château de Laeken, en 1919, la Reine Elisabeth m’offrit un superbe ouvrage de broderie fine et de dentelle de Bruges, pour servir d'enve1oppe à un coussin. Elle-même l'avait reçu des meilleures dentellières du pays et elle me fit remarquer tous les petits lions belges, si délicatement brodés qui, me dit-elle, « se sont dressés pour vous dire merci ». Ce précieux coussin est le plus bel ornement de mon salon.

       Dans le courant de l'année 1919, la Reine nous fit don d'une grande photographie d'elle avec une dédicace.

       Le 22 septembre 1919, à huit heures du soir, la Reine nous envoie une carte :

       Adieux et souvenirs affectueux avant de partir pour l’Amérique, au Docteur et à Madame Widmer.

ELISABETH.

 

       Les Souverains firent un voyage triomphal en Amérique. La Reine avait bien supporté les fatigues de ce voyage.

       Je reçus d’elle un jour un paquet venant de Bruxelles et dont l'adresse était de sa grande et belle écriture. Le paquet contenait une excellente photographie de mon mari, faite à La Panne, par la Reine. Celle-ci m'écrivait de Laeken, 18 janvier 1921 :

 

Chère Madame Widmer,

       Je vous envoie une photographie que j'ai faite, du Docteur en 1916 à La Panne. Je la trouve si bonne que je l'ai fait agrandir pour vous. J’espère que vous êtes tous les deux en bonne santé et que nous aurons le grand plaisir de vous revoir cette année. Encore tous mes meilleurs vœux et amitiés les plus sincères de votre affectionnée

ELISABETH

 

       Plus tard, nous avons eu la joie d'être reçus plusieurs fois à Paris par la Reine Elisabeth qui y faisait d'assez fréquents séjours.

       En 1921, il y eut à Bruxelles, du 15 au 22 juillet, un Congrès de médecine où nous nous rendîmes. Le jour de l'ouverture, les congressistes et les médecins Bruxellois attendaient dans l'allée conduisant à la salle des conférences, l'arrivée des Souverains qui devaient ouvrir le Congrès. Placés au bord de cette allée, nous avons eu la joie de voir LL. MM. s'arrêter pour nous serrer la main, au grand ébahissement de ceux qui nous entouraient. Il y eut, lors de ces Congrès, de belles réceptions à Bruxelles, entre autres à l’Hôtel-de-Ville, chez M. et Mme Carton de Wiard et chez plusieurs aimables collègues médecins. Le 21 juillet, la Reine voulut bien nous permettre de lui rendre visite à Laeken.

       Le 16 avril 1921, de Laeken la Reine écrit à mon mari :

 

Cher Docteur,

       Je crains que vous n'ayez jamais reçu de nouvelles de votre livre « A tâtons » (Benjamin Vallotton), que vous avez eu la grande gentillesse de m'envoyer avec une aimable dédicace. En tous cas, recevez encore tous mes remerciements pour ce livre qui m'a beaucoup intéressée et dont la lecture est bien émouvante. J'espère qu'un jour, vous reviendrez voir mon Institut pour les aveugles qui marche très bien et où les aveugles me disent qu'ils sont heureux. Je suppose que vous avez eu de la neige comme nous. Hier, les lilas en fleurs étaient pliés sous une épaisse couverture de neige et la nuit, il a gelé.

       Nous allons tous bien, Charles revient aujourd’hui de sa croisière dans la Méditerranée d'ou il écrivait des lettres enthousiastes. J'espère que cela lui aura fait du bien physiquement et moralement. Nous nous joignons tous pour vous envoyer cher Docteur, ainsi qu’à Madame Widmer, nos amitiés les plus sincères.

Toujours votre très affectionnée

ELISABETH.

 

Laeken, 24 mai 1921.

Chère Madame Widmer,

       Merci de tout cœur pour vos beaux narcisses qui sont arrivés tout frais et parfumés des montagnes de Val-Mont et m’ont apporté votre charmant souvenir qui m’a beaucoup touchée. J’espère que le Docteur reviendra content de son voyage d’Amérique, et que nous aurons le plaisir de vous revoir cette année.

Votre affectionnée

ELISABETH.

 

       De Bruxelles, 6 février 1923 :

 

Cher Docteur Widmer,

       Je ne veux pas laisser sans réponse votre carte et l'aimable message qui s'y trouve. En vous remerciant, je tiens à vous dire combien je comprends et j'approuve...

       La Reine et moi, nous conservons un souvenir fidèle et reconnaissant de vos incomparables soins et nous vous renouvelons, cher Docteur, a vous, ainsi qu'à Madame Widmer, l'assurance de notre sincère amitié.

Toujours votre très dévoué

ALBERT.

 

       La Reine m’écrit de Laeken, le 16 janvier 1925 :

 

Chère Madame,

       Votre bien gentille lettre qui nous a apporté à tous, vos vœux si chaleureux ainsi que ceux du cher Docteur, nous a beaucoup touchés et réjouis ; mon mari, mes enfants et moi, nous vous remercions très vivement et nous vous envoyons tous nos souhaits 1es meilleurs, les plus affectueux pour 1925.

       De tout cœur nous espérons vous revoir cette année.

       Cela nous paraît bien long depuis la dernière fois que vous êtes venus à Bruxelles.

       Quel beau et intéressant voyage vous avez fait depuis. Le Docteur toujours actif et entreprenant !

       Nous allons tous bien et nous parlons souvent de nos chers amis de Val-Mont auxquels nous envoyons toutes nos amitiés.

       Croyez-moi, chère Madame Widmer, votre bien affectionnée

ELISABETH.

 

       Vos cartes, avec toutes les signatures, m'ont aussi fait grand plaisir et je vous en remercie beaucoup.

       Le 21 septembre 1925, un télégramme nous dit :

Heureux vous annoncer fiançailles Léopold avec Princesse Astrid de Suède.

 

       De Laeken, 27 juillet 1926, un télégramme :

Vous remercie de tout cœur, ainsi que Madame Widmer, de votre fidèle amitié.

ELISABETH.

 

       Du 4 juin 1927 :

Chère Madame,

       J'ai été si contente de vous revoir tous les deux ! Et j'espère que le temps ne sera plus aussi long, jusqu’à la prochaine fois qu'on se reverra.

       Je vous remercie bien sincèrement de votre charmante lettre et vous prie de remercier aussi le Docteur des noms de livres et de Journaux Médicaux qu'il a bien voulu m'inscrire.

       J'espère qu'il aura trouvé ma mère en bon état, après son voyage à Munich et je vous exprime à tous deux, à vous, chère Madame, et au cher Docteur, toute ma reconnaissance pour toute votre affectueuse sollicitude à l'égard de ma mère. Les merveilleux soins du Docteur lui auront certainement fait un bien énorme et ne tarderont pas à la guérir.

       Croyez toujours à la sincère amitié de votre affectionnée

ELISABETH.

 

Laeken, 22 décembre 1927.

Cher Docteur,

       J'espère que vous ne pensez pas que je vous ai oublié à cause de mon long silence ! Le temps passe si terriblement vite et il est toujours plus que rempli !

       Nos pensées sont si souvent auprès de vous et de Madame Widmer, mais mes lettres suivent plus lentement.

       Tout d'abord, je veux vous dire combien j’ai été touchée que vous m’ayez écrit si souvent sur la sante de ma mère et surtout de la longue et charmante lettre que vous m'avez adressée de Kreuth et qui m'a fait tant de plaisir. Merci de tout cœur, cher Docteur et oubliez que ma réponse vient tellement en retard. Les dernières nouvelles de ma mère étaient assez bonnes et j'espère qu'elle continuera à être prudente.

       Quand reviendrez-vous chez nous ? Cela nous ferait tant de plaisir de vous revoir tous les deux ici. Pour que ma lettre n'ait pas le même sort que les autres, je la finis en vous souhaitant une bonne fête de Noël et une heureuse nouvelle année 1928.

       Croyez-moi, cher Docteur, toujours votre bien affectionnée

ELISABETH.

 

       De Laeken, une jolie carte avec la photographie du Prince Léopold avec 1a Princesse Astrid, tenant dans ses bras son premier enfant :

       Nous vous envoyons, Cher Docteur et Madame Widmer, nos vœux bien affectueux pour une heureuse nouvelle année.

ALBERT, ELISABETH, 1927-28.

 

       De Laeken, une carte avec photographie des Souverains, en landau, saluant tous deux, avec les lignes suivantes :

       De tout cœur, nous vous envoyons, cher Docteur et Madame Widmer, nos vœux bien sincères et affectueux pour la nouvelle année 1929, avec l'espoir de vous y revoir tous deux.

Mille amitiés de

ALBERT, ELISABETH.

 

       Le 15 août 1928, la Reine envoie une carte du Congo (Boma) et écrit :

 

Cher Docteur et Madame Widmer,

D’un voyage merveilleux à travers notre Congo, où nous avons vu tant de choses intéressantes, en faisant des milliers de kilomètres par air, terre et eau, nous vous envoyons à tous deux nos bien affectueux souvenirs.

ELISABETH.

 

       Le 23 octobre 1929, la Reine télégraphie :

 

       Heureux vous annoncer fiançailles de Marie-José avec le Prince du Piémont.

ELISABETH.

 

       Du 1er janvier 1930, carte postale, avec photographie des fiancés, écrite par le Roi disant :

 

Cher Docteur,

       Les aimables vœux qui nous parviennent de Val-Mont sous la forme de joli vers, nous touchent beaucoup. Nous vous en remercions, ainsi que Madame Widmer, et vous envoyons pour 1930 nos meilleurs souhaits de bonheur.

ELISABETH, ALBERT.

 

       Une jolie carte avec la photographie de la Reine, assise entre deux statues colossales, en Egypte :

       Heureuse nouvelle année à nos chers amis.

ALBERT, ELISABETH.

 

       Le 8 janvier 1930, jour du mariage de la Princesse Marie-José, la Comtesse Henriette Van den Steen de Jehay, dame d'honneur de la Reine, m'écrit de Rome :

 

       Je pense ne pouvoir mieux vous remercier de vos aimables vœux qu’en vous envoyant un petit mot de Rome. Nous y vivons des journées inoubliables et sommes si heureux du bonheur de notre chère Princesse. Croyez à mon meilleur et sympathique souvenir.

 

       De son côté, la Reine nous écrivait sur une carte donnant la photographie des jeunes époux :

 

Cher Docteur,

       Merci de votre affectueux souvenir et félicitations. Toutes les cérémonies ont été très belles et émouvantes. Mais maintenant arrive la séparation, nous quittons Rome ce soir, ou plutôt cette nuit, après le théâtre de gala.

       Toutes nos amitiés pour vous et Madame Widmer.

ELISABETH.

 

       Rome, 10 janvier 1930.

       Une carte du Prince Léopold, Duc de Brabant :



Le Prince Léopold et la Princesse Astrid de Belgique

Madame Mary Widmer, Val-Mont.

       La Princesse et moi, nous vous remercions vivement des vers charmants que vous nous adressez. De notre côté, nous vous envoyons, ainsi qu’au Docteur Widmer, nos vœux les meilleurs pour 1932.

LEOPOLD.

 

       Dans un de nos derniers séjour en Belgique, avant la mort du Roi Albert, je voulu téléphoner de notre hôtel à la dame d'honneur du Palais pour demander si LL. MM. Nous permettaient de venir les voir le lendemain. On me répondit au téléphone que la dame d'honneur était sortie mais on me priait d’attendre un peu. Au bout d’un instant, la Reine elle-même était au téléphone : elle nous invitait à diner pour le lendemain soir. Elle me dit alors : « Une autre fois, demandez-moi directement au té1éphone, c'est plus simple et plus sûr. Le téléphoniste a été. très intelligent hier au soir. Il est venu me dire qu’on demandait au téléphone la dame d'honneur mais qu'il avait l'impression que c'était pour une affaire qui me concernait ! » C'est ainsi que cette exquise Souveraine mettait ses amis à l'aise.

       C'est ce même soir que sa Majesté me dit, après le dîner : « J'aimerais beaucoup que vous voyiez mes petits-enfants ». Il n'y en avait alors que deux. « Voudriez-vous aller les voir demain ? » Naturellement je fus enchantée de cette proposition. La Reine, alors, alla téléphoner à sa belle-fille pour savoir à quelle heure elle pourrait nous recevoir. La Princesse Astrid répondit : « Demain à 9 heures ou l'après-midi à quatre heures ». Mon mari ayant des rendez-vous pour l'après-midi, il fut décidé que nous irions au Château de Stuyvenberg le lendemain, à neuf heures du matin. La Reine nous fit envoyer une auto à l'hôtel et, à neuf heures exactement, nous fûmes reçus par le charmant ménage princier. Malheureusement le petit Prince Baudouin avait eu un peu de fièvre pendant la nuit et dormait encore, nous ne l'avons pas vu. En revanche, la petite Princesse Joséphine-Charlotte me fit mille grâces, s’appuya sur mon genou et fut très intéressée par mon sac dont elle voulut voir tout le contenu et les mystères de son fermoir.

       La conversation fut cordiale et facile avec ce charmant ménage princier qui nous recevait avec tant d'amabilité.

       Nous avons beaucoup parlé de la Suède où nous avions séjourné plusieurs fois et que nous aimons, parlé de notre ami, le sculpteur Millès, etc.

       La jeune Princesse était si délicieusement belle, que nous étions absolument sous le charme de tant de grâce et de bonté et nous nous sommes réjouis de tout notre cœur de voir ce jeune et charmant ménage si heureux et dont le bonheur faisait le bonheur des Souverains Albert et Elisabeth. Hélas !

 

       Le Roi Albert écrivait à mon mari, le 14 septembre 1932 :

 

Cher Docteur,

       Nous avons, la Reine et moi, bien reçu votre aimable message de St-Moritz, il nous a fait grand plaisir et nous vous en remercions vivement, ainsi que Madame Widmer.

       Nous espérons que vous aurez, passé d’agréable vacances par cette splendide saison estivale dont le ciel nous a gratifiés.

       Maintenant nous sommes rentrés ici, en bonne santé, et en vous envoyant nos compliments affectueux et mes hommages à Madame Widmer je reste, cher Docteur, votre dévoué

ALBERT.

 

Autre lettre du Roi Albert :

 

Bruxelles, 26 septembre 1932.

Cher Docteur,

       Je viens de recevoir votre si aimable lettre. La Reine et moi, nous sommes désolés de n'avoir pas connu la date de vos noces d'or.

       Quoiqu'un peu tardivement, nous tenons à vous féliciter, ainsi que Madame Widmer, bien chaleureusement, et former à cette occasion, pour votre santé et votre bonheur, les voeux que nous inspire la vive et fidèle amitié que nous éprouvons pour vous deux.

       A ces sentiments, s'ajoute aussi la sincère gratitude que nous vous conservons pour les soins que avez prodigués aux miens, lors de nos séjours à Val-Mont, et dont la santé de ma femme s’est toujours heureusement ressentie.

       Tous deux nous vous envoyons ainsi qu’à Madame Widmer, nos messages affectueux et je reste cher Docteur Widmer, votre dévoué

ALBERT.

 

       En décembre 1932, nous recevons une photographie d'amateur du Roi Albert et de la Reine, debouts dans un jardin, avec ces mots, écrits par la Reine :

 

       Avec nos vœux les plus affectueux pour nos chers amis, le Docteur et Madame Widmer,.

Laeken 1932-1933.

       En décembre 1933, nous recevons une ravissante photographie d'amateur, montrant le Roi Albert et la Reine, assis sur un banc de jardin. La Princesse Joséphine-Charlotte est assise à droite de son grand-père, la Reine Elisabeth tient sur ses genoux l'aîné de ses petits-fils. Inscription :

       A nos chers amis, le Docteur et Madame Widmer.

ALBERT et ELISABETH. 

 

       Le 31 décembre 1933, nous recevons une photographie de la petite Princesse Joséphine-Charlotte et de son frère aîné, avec l'inscription :

       Avec nos meilleurs vœux pour la nouvelle année, au Docteur et à Madame Widmer.

       Cette carte, sans signature, est de l’écriture du Prince Léopold et vient du Château de Stuyvenberg.

       Lettre datée de la Villa Haslihorn, St, Nicklausen, canton de Lucerne :

 

20 août 1933.

Cher Docteur,

       J'ai été si heureuse de recevoir vos deux gentilles lettres dont je vous remercie de tout cœur. La dernière surtout, nous a fait à tous un très grand p1aisir.

       Votre appréciation du discours de Léopold au Sénat, en des termes si aimables et compréhensifs, nous a vraiment touchés et réjouis.

       Nous sommes au Lac de Lucerne pour nos vacances d'été, comme tous les ans, et nous jouissons beaucoup de la tranquillité et d'un temps radieux dans votre beau pays.

       Mon mari s'adonne à son sport favori et fait de magnifiques ascensions dans les environs.

       Ma mère est ici en excellente santé. Nous parlons souvent de vous et de Madame Widmer. Elle se joint à nous pour vous envoyer tous nos plus affectueux souvenirs.

Votre bien affectionnée

ELISABETH.

       P. S. Mille mercis aussi à Madame Widmer de ses si gentilles lettres.

 

VII

Le Duc de Vendôme
et la Duchesse Henriette de Vendôme à Val-Mont.



Emmanuel d’Orléans, Duc de Vendôme et Henriette de Belgique, Duchesse de Vendôme

       Le Duc de Vendôme et la Duchesse Henriette de Vendôme, née Princesse de Belgique, ont fait aussi plusieurs séjours à Val-Mont.

       Nous avons trouvé chez la très grande dame qu'est la Duchesse de Vendôme, les qualités de cœur, la gracieuse bienveillance et l'exquise simplicité qu'avait à un si haut degré son frère, le Roi Albert de Belgique.

 

VIII

La Duchesse Charles-Théodore en Bavière.



La Duchesse Charles-Théodore en Bavière

       En septembre 1933, le 6 ou le 8, sauf erreur, trois dames inconnues vinrent à Montbenon 2, pour me rendre visite. Ma femme de chambre ne les a pas reconnues, n'a pas compris le nom, prononcé par la plus âgée de ces dames et, comme je n'étais pas à la maison, ne les a pas fait entrer.

       Deux ou trois jours après, deux de ces étrangères sont revenues, ont dit un nom que je ne connaissais pas, n'ont pas laissé d'adresse et j'étais encore une fois absente.

       Enfin, le 12 septembre 1933, un chauffeur a sonné à notre porte et, par hasard, j'allai répondre. Il jeta un mot de satisfaction : « Ah ! Enfin Madame ! Madame X. est en bas dans son auto, elle est déjà venue deux fois sans vous trouver, pouvez-vous la recevoir ? » Et, à mon immense joie, l'instant d'après, l'ascenseur amenait à notre troisième étage, la chère et noble Duchesse Théodore en Bavière, la mère de la Reine Elisabeth. Elle était à Lausanne avec sa fille, la Comtesse de Tœring, dans le plus strict incognito. Et je fus bouleversée d'un chagrin qui n'est pas encore consolé en apprenant que la troisième dame qui l’accompagnait la première fois était notre bien aimée Reine Elisabeth, de passage à Lausanne, pour un jour auprès de sa mère et voyageant aussi dans le plus strict incognito.

       La Duchesse Charles-Théodore en Bavière et sa fi11e, 1a Comtesse de Toering, me firent l’honneur de venir déjeuner chez nous le 14 septembre 1933. Je les conduisis ensuite au Comptoir Suisse, ou la Duchesse eut un extrême plaisir, s’intéressant a tout, surtout aux fleurs. Elle se fit donner mille explications par les jardiniers, noms, adresses, manières de cultiver, etc… etc, La Comtesse de Toering me disait : « Nous resterons dans cette magnifique exposition jusqu'à demain car ma mère voudra tout voir ! » Ce furent de belles heures pour moi. J'étais fière de leur faire les honneurs de ce très beau Comptoir. Ces dames voyaient pour la première fois de leur vie un géranium odoriférant qu'elles admirèrent beaucoup, aussi me fis-je un plaisir de leur en porter un le lendemain de leur visite.

       La Duchesse Charles-Théodore en Bavière, née infante du Portugal, veuve du célèbre médecin-oculiste, mère de la Reine Elisabeth, est une femme absolument exquise. Elle est très belle, sa noblesse s’allie a tant de bienveillance et de simplicité qu'on l’aime et l’admire passionnément. Nous avons eu le grand honneur de l'avoir comme cliente à Val-Mont en 1927 et d’être invités à faire un séjour à Kreuth, près du Tegernsee, en Bavière, dans le charmant et rustique pavillon de chasse que la Duchesse habite parfois en été. C'était en 1930.

       Lors de ce séjour, nous avons été reçus avec beaucoup d'amabilité par le Duc Ludwig-Wilhelm, frère de la Reine Elisabeth, et par la Duchesse, dans leur ravissante villa, où nous avons déjeuné, après avoir vu le jardin, la volière, etc., dont s'occupe activement la charmante belle-sœur de la Reine Elisabeth.

       Nous avons gardé avec Son Altesse Royale des relations tout à fait charmantes, et notre respectueux dévouement pour cette véritable grande dame, qui continue les œuvres charitables, fondées par le Prince Charles-Théodore, s'augmente de notre profonde admiration.

       Le 26 octobre 1933, nous avons passé quelques jours en Belgique et le 27 octobre 1933, les Souverains Belges ont eu la bonté de nous recevoir pour une courte visite à Laeken. Le Roi était attendu à Bruxelles pour une séance importante. Les Souverains furent tous deux charmants, affectueux et bons, comme toujours. Je dis au Roi que j'étais particulièrement émue de le voir, ce 27 Octobre, parce que, chaque année, à cette date, nous nous réunissions toujours à Lausanne de puis 1919, pour rappeler nos souvenirs, parler de la Belgique, de nos anciens protégés, et resserrer les liens d’amitié qui unissent, depuis 1914, tous les membres de l'ancien Comité de Secours aux Belges. Le Roi saisit cette occasion pour me répéter combien la Suisse avait été accueillante pour les Belges réfugiés et me remercier encore. Hélas ce fut 1a dernière fois que j'entendis sa voix et que sa main serra nos mains !

       Comme toujours, nous étions profondément ému en le quittant, mais qui nous aurait dit que nous ne reverrions plus ce noble ami que nous pleurons encore !

       Le 18 février I934, notre grand ami était enlevé subitement à sa famille, à sa Belgique, au monde qui le pleure encore. Nos télégrammes et lettres de sympathie reçurent d'aimables réponses télégraphiques. La Reine Elisabeth, le 7 mars, nous télégraphie :

 

       Mes enfants et moi, profondément touchés, émus, votre sympathie dans notre immense douleur.

ELISABETH.

 

       Le 8 mars 1934, la Comtesse Ghislaine de Caraman-Chimay nous écrit :

 

Mon cher Docteur,

       Quel drame affreux ! Nous vivons des jours atroces, on se demande comment la pauvre Reine aura la force de revivre après un coup pareil. Cette attirance des sommets qu'avait notre cher Roi, vous la connaissiez, et plus d'une fois vous avez tremblé, quand il courait des risques dans votre pays. Mais son heure n'était pas arrivée et, c’est dans son propre pays que son destin devait s'accomplir. On dirait qu'il fallait que ce drame eut lieu ! Que le Roi a été désigné !

       Cet hommage mondial, vraiment ressenti par tous, a été grandiose et semble envoyé par le ciel pour relever le niveau moral du monde. Le Roi représentait toutes les vertus, tous les courages ! Vous qui l'avez approché et qui étiez son ami, pouvez comprendre la profondeur de la douleur de la Reine. Vous les aviez vus tous deux à La Panne, supportant les horreurs de la guerre, avec courage... N'étaient-ils pas ensemble ? Hélas ! la pauvre Reine, seule maintenant trouvera-t-elle des forces pour continuer sans lui cette dure route de l'existence ? Espérons en la grâce de Dieu.

       Mon cher Docteur, remerciez Madame Widmer de sa lettre touchante que j'ai mise sous les yeux de la Reine. Sa Majesté sait quels amis vous êtes ! Au revoir, je vous envoie à tous deux mes affectueuses et douloureuses pensées.

Comtesse G. DE CARAMAN-CHIMAY.

       P. S. Je ne vous donne pas de détails sur l’horrible drame : les journaux ont tout relaté. Le Roi Léopold est touchant pour sa mère, i1 l’entoure de tendres soins. Le Comte de Flandres également. La Princesse de Piémont n'a pu venir à cause de ses espérances de famille.

 

       Le 28 mars 1934, le Grand-Maître de la Maison de Sa Majesté la Reine Elisabeth, m'écrit :

 

Madame,

       La Reine a été profondément touchée de la part que vous avez prise à son immense douleur. Sa Majesté m'a chargé de vous exprimer sa gratitude émue. En m'acquittant de ce devoir, je vous prie d'agréer, l'assurance de mes sentiments respectueux.

G. DE GRUNNE.

 

       Le N° 16 du Bulletin Officiel de la Chambre de commerce Belgo-Luxembourgeoise en Suisse, d’avril 1934, a publié les vers suivants que son président, M. Carpentiers, m'avait demandés :

 

A la Mémoire du Roi Albert Ier.

La douleur ne sait pas trouver assez de mots
Pour évoquer Celui que la mort nous arrache,
Celui qui fut le Chef et qui fut le Héros
Auquel un pays fier se dévoue et s'attache.

Il avait sans faiblir, avec son peuple entier
Choisi le dur chemin battu par la rafale
Il avait, comme lui, sous le feu meurtrier
Soutenu les assauts d'une lutte inégale.

Quand l'éclat des obus tonnait dans les combats
Il écoutait gronder le bruit de la mitraille;
Sur les fronts de l'Yser, maintes fois ses soldats,
Le virent auprès d'eux au fort de la bataille.

Pour sa Patrie, il fut le vaillant Souverain,
Elle eut à ses côtés, l'honneur et la victoire,
Et devant ce tombeau qui s'est ouvert soudain
Elle écrit en pleurant son grand nom dans l'Histoire.

Il était attiré vers les pics lumineux
Où le danger surgit des glaciers et des neiges,
Et parfois, s'élevant sous le ciel nuageux
Son avion bravait la tempête et ses pièges.

Et ce fut près des siens, sur le sol qu'il aimait
Qu'il rencontra la mort tragique et solitaire,
Il a suffi d'un roc détaché d'un sommet...
Maintenant il repose endormi sous la terre.

L'âme troublée, émue, et ne comprenant pas
Aujourd’hui les enfants de la libre Belgique
Demeurent accablés par cet affreux trépas
De leur Roi glorieux, leur Soldat magnifique.

Et cependant qu'il dort du suprême sommeil,
Destin mystérieux dont la raison s'effare,
Son peuple consterné, dans son deuil est pareil
Au matelot cherchant les feux du nouveau phare.

Mary Widmer-Curtat.

 

       Mars 1934

       En mai I934, nous avons, mon mari et moi, passé une quinzaine de jours à Anvers, où 1e peintre Creytens voulait faire le portrait de mon mari. Pendant notre séjour, j'avais envoyé les vers ci-dessus à Sa Majesté la Reine Elisabeth qui m'a fait téléphoner tout de suite à notre hôtel pour me remercier. La Comtesse de Caraman-Chimay, en nous faisant ce message de la Souveraine, a ajouté que, naturellement nous ne quitterions pas la Belgique sans venir rendre visite à Sa Majesté. J'ai répondu que nous aurions peur d'être indiscrets en venant, mais la Comtesse nous a assuré que la Reine ne comprendrait pas que nous ne venions pas la voir. Nous sommes donc allés à Bruxelles le 1er juin 1934. Une automobile de la Cour nous attendait à la gare et nous sommes entrés avec émotion dans ce Palais de Laeken où nous avions vécu de si beaux jours, des heures inoubliables. Une dame d’honneur que je ne connaissais pas remplaçait la Comtesse de Caraman-Chimay, en vacances depuis le matin. On nous fit monter ce bel escalier de marbre blanc qui mène au premier étage, et on nous conduisit dans la grande pièce qui fut notre salon, lors de notre séjour au Palais. Avant d' y entrer, 1a dame d’honneur me dit de tâcher de distraire un peu la Reine et de ne pas trop insister sur la tragique mort du Roi. Quelle Impression poignante nous avons ressentie en voyant notre bien-aimée Reine dans son grand deui1, si pâ1e, si faible, si menue, si affreusement triste que nous aurions voulu pleurer à ses genoux, Elle nous reçut avec sa bonté habituelle, mais on sentait que que1que chose était brisé en elle et qu'elle faisait un effort pour nous parler. Suivant le conseil de la dame d'honneur, je parlai de notre vie à Anvers, au Queen Hôtel, tout près de l'estacade, et du plaisir que nous avions à voir le mouvement des bateaux dans le port. Mon mari passait sur l'estacade tout le temps dont il pouvait disposer, et la Reine sourit doucement lorsque je lui dis que le Docteur préférait ne pas assister au dîner de l'hôtel et qu'il achetait au coin de la rue, à une cuisine roulante, des pommes de terre frites, qu'il grignotait en regardant l'Escaut et les nombreux bateaux.

       Je dis aussi à la Reine que le matin même, j’avais reçu du Secrétariat des Suisses à l’étranger, à Berne, une lettre pour me demander où il pourrait se procurer des films montrant le Roi Albert dans ses courses de montagnes. Les Suisses du Congo désiraient faire une fête de bienfaisance au profit des invalides belges et souhaitaient montrer des traits de la vie du Roi Albert dans les montagnes Suisses. La Reine Elisabeth me dit alors, en me montrant les bibliothèques-armoires qui sont dans ce salon: « J'ai là une grande quantité de films et de photographies, mais je n'ai pas le courage de voir des montagnes maintenant. Mais, ajouta-t-elle, écrivez à ce Secrétariat de s'adresser de ma part au Dr Amstuz, de St-Moritz et au Dr Schoch, de Berne, qui étaient des amis de mon mari et ont fait beaucoup de Courses avec lui. Ils ont certainement des photographies. Qu'on leur dise que c'est moi qui les prie de les prêter.» J'ai écrit cette réponse au Secrétariat de Berne qui m'a exprimé une vive reconnaissance.

       J'ai aussi raconté à la Reine que mon mari disait en plaisantant que j'étais un véritable bureau de placement et que j'avais reçu à Anvers une lettre d'un avocat de Suisse me priant de penser à sa fille, si j'avais l'occasion de parler d'elle, pour un poste de confiance et d'éducatrice auprès d'enfants.

       La Reine me dit alors de lui envoyer tous les détails que je pourrais me procurer sur cette jeune fille.

       Nous avons quitté notre chère Reine, le cœur gros et regrettant de n'avoir pas su lui témoigner la douleur que nous ressentions en partageant son deuil.

       Après notre visite, nous avons trouvé, en dehors des grilles de l'entrée du Château, assis près d'un immense massif de splendides rhododendrons en fleurs, nos jeunes amis, l'avocat William Hanssens et sa femme, venus avec leurs autos, lui, de son bureau d'avocat de Bruxelles et, elle de Grimberghen avec ses deux fils et sa fillette. Ces aimables amis voulaient nous emmener chez eux mais nous devions rentrer tôt à Anvers, pour préparer notre départ, fixé au lendemain. Mon mari eut cependant le temps d'aller voir avec M. Hanssens et ses fils, les préparatifs de l'Exposition Universelle, tandis que Mme Hanssens, sa petite Thérèse et moi, nous passions une heure d'intimité, assises auprès des fleurs vraiment royales et pensant à ce deuil immense qui régnait de l'autre côté de la route, dans ce Palais où pleurait une Reine.

       Le 27 mars 1935, le Grand-Maître de la Maison de S. M. la Reine Elisabeth, nous écrivait :

 

Monsieur le Docteur,

       La Reine Elisabeth a été un peu souffrante au lendemain du cruel anniversaire et, c'est pourquoi Sa Majesté à quelque peu tardé à me donner des instructions pour vous remercier de la lettre si touchante que vous-même et Madame Widmer lui avez adressée. e

       La Reine, en me demandant de vous exprimer ses regrets, m’a prié de vous dire combien votre souvenir si fidèle l’a émue, et je vous prie d’agréer, Monsieur le Docteur, l’hommage de mes sentiments les plus distingués.

Comte G. de Grunne.

 

       Après le décès de S. M. Albert Ier, nos parents et amis, qui connaissaient notre profonde affection pour 1e Roi des Belges, nous ont télégraphié, écrit, téléphoné, sont venus nous voir, comme si nous étions en grand deuil d'un proche parent, et nous avons été touchés de voir combien la sympathie de tous nous associait à la douleur de la Belgique.

       Et maintenant j'arrive à cette seconde, affreuse tragédie, qui a mis de nouveau dans un deuil profond la Famille Royale, la Belgique et le monde entier.

       La mort de la belle et délicieuse Reine Astrid est trop récente pour qu'il soit nécessaire d'en parler longuement ici (29 août 1935). Tous les messages de sympathie paraissaient banals et froids devant cette douleur immense de nos chers amis de Belgique.

       Les membres de la Famille Royale nous télégraphièrent d'affectueux remerciements.

       Nous avons su que notre bien chère Reine Elisabeth avait fait le grand effort de sortir de son désespoir de veuve pour entourer son fils, le malheureux jeune Roi Léopold, dont le bonheur était si subitement anéanti.

       Elle entoure aussi de son amour et de sa sollicitude les trois petits orphelins et, devant ces nouvelles tâches que Dieu a placées devant elle, la Reine, héroïque toujours, femme de devoir et de tendresse, s'oublie elle-même pour consoler ceux qui pleurent près d'elle et qui trouvent des forces dans son cœur maternel.

 

Val-Mont, août 1936.

 

      

      

      



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