Médecins de la Grande Guerre

Mons 1918 avec les Canadiens dans la liesse de l’armistice

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Mons 1918 avec les Canadiens dans la liesse de l’armistice.

1915 – Georges s’engage comme brancardier.

Hôpital Militaire de Mons en 1915

Hôpital de Mons, blessés anglais avec une sœur noire.

Hôpital de Mons

Hôpital de Mons, Melle Wuits est marquée d’une croix

Hôpital de Mons, un peu de repos

Hôpital de Mons, toute une rangée pour la pose !

Gabrielle (3ème à g.) parmi les bénévoles du Secours Populaire

Georges et son ami canadien John Ritchie

Georges avec des amis

Retour au Canada dans des wagons marqués des lieux de bataille.

Retour au Canada dans des wagons marqués des lieux de bataille.

John Ritchie a retrouvé son Canada

John Ritchie a retrouvé son Canada

Les parents de John Ritchie

Pierre et son chien Jimmy cadeau de l’un des cinq Canadiens

Paul et Pierre dans leur uniforme militaire taillé dans des couvertures offerte par les Canadiens

Avant leur retour au pays les Canadiens ont écrit quelques lignes dans le carnet de poésies de Gabrielle

Avant leur retour au pays les Canadiens ont écrit quelques lignes dans le carnet de poésies de Gabrielle

Avant leur retour au pays les Canadiens ont écrit quelques lignes dans le carnet de poésies de Gabrielle

La famille Gervais et les 5 Canadiens qu’elle hébergeait à Nimy en novembre 1918

Le chien Jimmy dans la famille Gervais

Drapeau de la 3ème division canadienne offert à la ville de Mons

11 novembre 1918 – Revue des troupes canadiennes à Mons

80 ans séparent cette photo de la précédente – 11 novembre 1998, les Vétérans Canadiens de retour à Mons.

MONS 1918

Avec les Canadiens dans la liesse de l’armistice

Marie-Thérèse Warny-Loodts.

 

     Georges Loodts et Gabrielle Gervais, grands-parents paternels de Patrick, le rédacteur de ce site, ont laissé quelques souvenirs de ces jours mémorables quand l’armée canadienne délivra Mons des Allemands et que retentirent les clairons annonçant l’armistice.

Georges et Gabrielle ne se connaissaient pas encore. Lui habitait Mons, en plein centre ville, elle résidait à Nimy, localité située à peu de distance de Mons. Ils avaient passé les quatre années de guerre dans les privations et la menace des dangers inhérents à ces pénibles circonstances. Ainsi, lors de la bataille des 22 et 23 août 1914, Nimy eut particulièrement à souffrir : les Allemands mirent le feu à huit maisons situées entre la gare et la place, ils massacrèrent des habitants et en emmenèrent plus de 400 comme otages, les contraignant à marcher en tête de la colonne qui s’avançait sur Mons ; on ne comptait plus les nuits sans sommeil ; les alertes, le bruit menaçant des canonnades, l’afflux des réfugiés français pour qui l’on devait trouver gîte et réconfort, les blessés qu’il fallait soigner avant de pouvoir les transporter dans quelque poste de secours. Il y eut aussi chez les Gervais la déportation de l’ainé des garçons, Achille, dans un camp de travail situé dans la forêt de Loquignol.



Gabrielle (3ème à g.) parmi les bénévoles du Secours Populaire

Aux prises avec de tels événements, Georges et Gabrielle apportèrent leur contribution à l’effort de tous ceux qui se dévouaient pour soulager leurs compatriotes des maux qu’ils enduraient. Georges s’engagea comme brancardier. Son travail consistait à transporter les blessés jusqu’à l’hôpital militaire de Mons sis rue André Masquelier. Du fait de ses contacts avec les troupes engagées dans les opérations militaires aux portes de Mons, Georges se fit des amis parmi les soldats canadiens qui se battaient pour la défense de la ville. De son côté, Gabrielle apporta son aide à une organisation caritative qui distribuait quotidiennement de la soupe aux réfugiés et aux nécessiteux. Témoins de ces activités, les photos présentées ci-dessous : on voit, d’une part, Georges avec son brassard de brancardier et la salle de l’hôpital militaire où étaient acheminés les blessés ; d’autre part, on distingue Gabrielle en tablier blanc dans le groupe des bénévoles du Secours Populaire de Nimy.


1915 – Georges s’engage comme brancardier.

     C’est précisément dans les quelques jours qui précédèrent l’armistice que Mons, comme Nimy et d’autres villages voisins, furent particulièrement ébranlés par la bataille décisive qui se déroulait dans le secteur. C’est en effet l’armée canadienne qui donna le coup de grâce à l’envahisseur lors des 9 et 10 novembre 1918. On trouvera ci-après un récit de ces deux journées mémorables dû à la plume d’Emile Hublard, auquel est joint le témoignage tiré d’une chronique d’un couvent montois. C’est à Mons que fut tué deux minutes avant que ne retentisse le clairon de l’armistice le soldat canadien G.L. Price dont la tombe se trouve au cimetière militaire de Saint-Symphorien et dont le parcours est évoqué dans ce site.. 

     Parmi les amis canadiens que se fit Georges, il en est un, John Ritchie, dont l’image nous a été conservée grâce à deux photos prises trois jours après l’armistice : sur l’une ce soldat figure en compagnie d’un autre Canadien avec Georges et deux amis, sur l’autre, Georges et John ont échangé leur costume, Georges arborant fièrement la tenue de son ami. Au revers de cette photo on peut lire, écrit de la main de Georges : « En l’honneur de nos glorieux libérateurs, les Canadiens ». Suivent les signatures des deux amis et la date du 15 novembre 1918.



Georges et son ami canadien John Ritchie

Notons que ces photographies ne sont pas des photos d’amateurs, mais que Georges a emmené John et ses amis chez un photographe réputé de la rue de la Chaussée, voulant garder de cet événement et de son amitié pour le Canadien un souvenir valable que le temps ne puisse effacer... Après l’armistice les Canadiens ne furent pas rapatriés immédiatement et connurent chez nous quelques semaines de détente qu’ils purent consacrer à nouer des relations de sympathie avec les Belges reconnaissants. Rentré dans sa patrie John donna pendant un certain temps de ses nouvelles et envoya quelques photos reproduites dans ce document : on voit tout d’abord des wagons de chemin de fer destinés au rapatriement des soldats ; sur ces wagons où figure le nom de la ville de Minneapolis, située à la frontière entre les Etats-Unis et le Canada, de grandes inscriptions faites à la peinture blanche rappelle à tous ceux qui voient défiler ces wagons les victoires des Canadiens, Ypres, la Somme, Vimy, Passchendaele (exactement les noms qui figurent sur le drapeau offert par les Canadiens à la ville de Mons en février 1919). Toujours sur ces photos on reconnaît John ayant retrouvé sa maison de bois, ses forêts, ses parents, silhouettes noires sur un fond de neige. Mais avec le temps les échanges épistolaires cessèrent et Georges ne revit plus jamais son ami.


Retour au Canada dans des wagons marqués des lieux de bataille.

     De son côté, la famille Gervais de Nimy hébergea à la fin de la guerre cinq soldats Canadiens, suivant une décision de l’armée qui réquisitionnait les maisons spacieuses pour l’hébergement de certains effectifs qui ne trouvaient pas place dans les casernes. Pierre Gervais, le petit frère de Gabrielle, âgé de 6 ans lors de l’armistice, a laissé à ce sujet, dans ses « Souvenirs » quelques lignes que je transcris ici : « Il y eut le jour de l’armistice, on remonta les paillasses de la cave, tout le monde riait, dansait, chantait « La Madelon ». Il y avait des drapeaux à toutes les fenêtres. Dans cette euphorie collective arrivèrent chez nous des soldats canadiens. Je fus nourri de biscuits militaires et de lait condensé ; mes aînés fumèrent en cachette des cigarettes « Flag » dont les paquets portaient un drapeau anglais ; je dépistais facilement leur coin de fumerie, grâce à l’odeur de miel brûlé et à leur toux ; mes poches se gonflaient de caramels à la menthe et de plaquettes de chocolat. J’étais très fier de ma veste militaire que ma mère avait confectionnée dans des couvertures militaires fournies par nos hôtes. Ma sœur Gabrielle était devenue une belle jeune fille, il y avait un Canadien particulièrement assidu auprès d’elle, il se prénommait « Jimmy », il me fit cadeau d’un petit chien ratier que j’appelai « Jimmy » du nom de son donateur et qui vécut fort longtemps après la guerre ».



La famille Gervais et les 5 Canadiens qu’elle hébergeait à Nimy en novembre 1918

Ces soldats paraissaient bien éduqués et Gabrielle ne fut certes pas insensible tant à leur allure martiale qu’à leur caractère affable et leurs prévenances, mais point de romance, Arthur le père de Gabrielle, veillait au grain ; ces jeunes gens n’aient d’ailleurs qu’un souhait, celui de rentrer au plus vite au pays où les attendaient sans doute une promise. Toutefois, avant ce départ la famille Gervais tint à ce faire photographier aves ses hôtes. On distingue à côté des Canadiens les deux fils d’Arthur, Paul et Pierre avec leur veste militaire mais coiffés du képi des Canadiens, et au premier rang, Arthur, son épouse Sophie, Blanche, l’aidante et Gabrielle. Arthur tient sur ses genoux le petit chien « Jimmy » offert par l’un des Canadiens.

Avant de regagner leur lointaine patrie, ces soldats ont laissé à Gabrielle un souvenir de leur passage : trois d’entre eux ont écrit un poème dans le carnet de poésies de Gabrielle ; on peut les lire sur la photocopie présentée ci-après, ces poèmes ont été soigneusement conservés et leur page marquée par une fleur séchée.


Avant leur retour au pays les Canadiens ont écrit quelques lignes dans le carnet de poésies de Gabrielle

     Le 11 novembre 1998, on célébra avec faste à Mons le quatre-vingtième anniversaire de l’armistice. A cette occasion, 17 Vétérans Canadiens, âgés de 99 à 102 ans, n’hésitèrent pas à franchir l’Atlantique pour se retrouver sur la terre qu’ils avaient libérée de l’oppresseur lors des combats des 9 et 10 novembre 1918. Au cours de ce combat, 280 soldats Canadiens perdirent la vie ; ils reposent désormais au cimetière de Saint-Symphorien. C’est à ces compagnons morts pour notre délivrance que ces vétérans et la ville de Mons ont voulu rendre un hommage solennel lors d’une cérémonie pleine d’émotion. Une page du document montre deux photos distantes de 80 ans ; sur la première il s’agit du défilé de la victoire sur la place de Mons le 11 novembre 1918, sur l’autre photo on voit deux vétérans de retour à Mons le 11 novembre 1998 pour la commémoration des 80 ans de l’armistice.


11 novembre 1918 – Revue des troupes canadiennes à Mons

     Si vous passez par Mons, arrêtez-vous sous le porche de l’hôtel de ville ; vous verrez à l’entrée deux plaques commémoratives rappelant le courage de l’armée canadienne qui vint à bout de la résistance allemande. Sur l’une on peut lire : Ce régiment (3ème division canadienne) prit part au combat près de Mons à la Retraite du mois d’août 1914 et à la Rentrée Victorieuse le jour de l’Armistice, 11 novembre 1918. Sur l’autre monument commémoratif est inscrit ce texte : Reprise par l’armée canadienne le 11-11-1918, la ville de Mons recouvra sa liberté après 50 mois d’occupation allemande. A Mons fut tiré le dernier coup de canon de la Grande Guerre.


80 ans séparent cette photo de la précédente – 11 novembre 1998, les Vétérans Canadiens de retour à Mons.

     On peut voir aussi au musée de l’Armée de Mons le drapeau que la 3ème division canadienne a offert à la ville de Mons en février 1919 en souvenir de la contribution des Canadiens à la libération de Mons et du pays. Sur ce drapeau sont énumérées les grandes victoires auxquelles prirent part les troupes canadiennes : Ypres, la Somme, Vimy, Passchendaele, Amiens, Arras, Cambrai, Mons.

     Avant de refermer ce document, portons un dernier regard sur la tombe de G.L. Price, Canadien tombé au champ d’honneur sur le sol belge le 11 novembre 1918 à 10 heures 58 (deux minutes avant que ne retentissent les clairons sonnant l’armistice). Il est enterré avec de nombreux compagnons d’armes au cimetière de Saint-Symphorien.

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La bataille des 9-11 novembre 1918.[1]

 

La délivrance de Mons par les troupes britanniques.

     L’amour-propre anglais voyait dans la reprise de Mons par les armes la revanche de la journée du 23 août 1914. Importante par son effet moral, la seconde bataille le fut cependant beaucoup moins que la première au point de vue militaire. Tandis que l’une, celle du 23 août, mettait en présence des effectifs nombreux et donnait lieu à des opérations tactiques de grande envergure auxquelles participaient les trois armes : infanterie, cavalerie, artillerie ; l’autre consistait surtout en un duel d’artillerie et en combats d’avions, en une suite d’escarmouches d’arrière et d’avant-gardes. Elle n’avait pour les Allemands d’autre intérêt que de couvrir leur mouvement de retraite sur la ligne Escaut-Dendre, canal de Charleroi à Bruxelles et la Sambre, et retarder la marche progressive des Alliés. A la veille d’une capitulation qu’on savait inévitable, la résistance faiblissait et ce fut principalement par la destruction des ponts, des routes et des voies ferrées qu’elle se manifesta pendant les dernières journées.

     Quelle que soit la place que tient la bataille des 9-11 novembre dans l’ensemble des opérations exécutées par les Alliés conformément au plan du maréchal Foch et de son éminent collaborateur sir Douglas Haig, elle apparaît comme le signal de la délivrance de la Wallonie et la consécration de la victoire. On sait, en effet, que l’une des quatre grandes offensives entreprises aves succès fut confiée aux armées britanniques sur le front Saint-Quentin-Cambrai-Valenciennes et qu’elle avait pour objectif principal Maubeuge et Mons.

     Après la prise de Cambrai et Le Cateau, le 9 octobre, la marche des troupes britanniques ne cessa d’être victorieuse : le 12, la 1ère division occupe Harleux et les villages voisins, tandis que la 5ème brigade de la 2ème division s’établit à Hordain ; dans la nuit du 19 au 20 la progression s’accentue, et, après un violent combat, la 10ème brigade de la 4ème division s’empare de Denain ; enfin le 1er novembre, les 3èmè et 4ème divisions attaquent Valenciennes, et le lendemain les 11ème et 12ème brigades y pénètrent et célèbrent leur victoire sur la place d’Armes appelée depuis place du Canada. De Valenciennes, les troupes se dirigent vers Mons, sans rencontrer une grande résistance, la 4ème division opérant au sud et la 3ème au nord de la route, le 7 novembre elles atteignent la frontière belge. Après la prise de Maubeuge dans la nuit du 9 au 10, la 2ème division qui avait remplacé la 4ème, prenait position avec la 3ème division, devant la ville de Mons dans la journée du 9 novembre.

     A Mons, dès le début d’octobre, la retraite des Allemands n’était plus un secret pour personne.

     Pendant des semaines, ce fut un défilé ininterrompu d’infanterie, de cavalerie et d’artillerie. Quel contraste entre ces militaires que nous avions vus quatre ans auparavant, sous le brillant soleil d’août, traverser notre pays en triomphateurs allant à la conquête de Paris et de l’Europe, et ces bandes d’hommes mornes et découragés, pataugeant dans la boue sous les averses d’automne, regagnant péniblement leurs foyers. Les routes étaient encombrées : voitures et fourgons automobiles chargés de matériel de guerre et du produit des pillages, chariots remplis de fourrage et de vivres, et parfois accroché à l’arrière un panier contenant des poules ou des lapins rapinés le long du chemin ; ambulances de la Croix-Rouge, cuisine de campagne, troupeaux de bétail formaient un long cortège digne du crayon de Gallot. Ce spectacle bien fait pour nous plaire et nous réjouir était néanmoins attristé par la vue de malheureux prisonniers de guerre français et anglais qui, faute de chevaux, traînaient des charrettes sous la surveillance de leurs gardiens. Dans cette détresse, ces hommes conservaient leur dignité de soldat ; dans leurs yeux brillait la fierté de leur race. Malheur à qui leur portait secours ; la commune de Jemappes fut frappée d’une amende de 25.000 mark par le général von Below parce que des habitants avaient, par charité, porté des aliments à un convoi de prisonniers.

    Plus navrant encore l’exode des populations françaises du Nord qui, obligées de fuir, venaient chercher un refuge en Belgique.

     La plume est impuissante à décrire la misère de ces malheureux sur qui s’appesantissait le fléau de la guerre avec toutes ses horreurs. Si vives étaient notre pitié et notre commisération pour tant de souffrances, profonds aussi étaient notre respect et notre admiration pour la grandeur d’âme que nos frères de France montaient dans le malheur. C’est avec une sorte d’orgueil qu’ils supportaient leurs misères et leurs maux, soutenus par l’espérance d’une victoire d’où leur Patrie sortirait plus grande et plus belle. Le même sort ne nous est-il pas réservé ? Nous aussi n’étions-nous pas à la veille d’abandonner nos foyers ? Dans cette conjoncture angoissante, nous puisons dans l’exemple des vertus civiques que nous offraient nos amis les Français le courage d’affronter le malheur qui nous menaçait.

     Pendant les dernières semaines, les reconnaissances d’avions se multiplièrent ; rares étaient les jours et les nuits où la cloche ne sonnait l’alarme. Ce n’étaient point les seuls signes de la marche victorieuse des Alliés.

     Les fonctionnaires des administrations allemandes civiles et militaires montraient une agitation, une nervosité qui révélaient leurs inquiétudes ; les actes d’indiscipline étaient fréquents chez les soldats, nous vîmes passer devant nos fenêtres un peloton de militaires allemands en service chantant la Marseillaise ; même les journaux à la solde de l’ennemi, laissaient entrevoir la vérité soigneusement dissimulée jusqu’alors. La Belgique écrivait à la date du 7 novembre : « Entre l’Escaut et l’Oise, de même qu’entre l’Oise et l’Aisne, les Allemands exécutent un vaste mouvement de retraite. » La lecture des billets jetés par milliers par les aéroplanes nous fortifiait dans notre confiance, et des déportés revenus de France nous tenaient au courant des progrès de nos amis ; un jour on apprenait la prise de Cambrai ; un autre celle de Douai puis de Valenciennes ; un troisième que des patrouilles anglaises ou françaises avaient été vues dans la forêt de Mormal. Enfin, le 6 novembre on sut que le comte von Bernstorff, commandant de l’Etape, quittait la ville, et avec lui tous les services auxiliaires, et qu’il était remplacé par un simple Hauptmann, le capitaine Wittmer. Ce départ nous confirmait dans la croyance que le dénouement était proche. Le vendredi 8, de fréquentes reconnaissances d’avions ne nous laissèrent plus de doute, surtout lorsque nous apprîmes que des éclaireurs s’étaient avancés jusque Jemappes dans la matinée. Ce jour-là ce fut un passage continuel de troupes qui après avoir évacué la région comprise entre Valenciennes et Mons se dirigeaient vers le Roeulx et Houdeng, refoulées par la première armée britannique sous le commandement du général Horne. Elles avaient abandonné sans combattre Wasmes, Dour, Pommerœul, Boussu, Hainin, Quaregnon, Pâturages, Frameries, Jemappes, Bougnies, Asquillies, Noirchain. Dans la nuit du 8 au 9, Sars-la-Bruyère fut évacué à son tour, et le 10, Mesvins, Nouvelles ainsi que Spiennes qui resta aux mains du 2ème Royal Irish Regiment.

     A Mons la défense s’organisait. Le 9, les Allemands avaient établi leur front principal le long de la rivière La Trouille qui coule parallèlement aux boulevards Sainctelette et Dolez[2]. Un bataillon d’infanterie, quatorze batteries et quatre compagnies de mitrailleurs prirent position en différents points du territoire commandant les passages de la rivière, après avoir fait sauter les ponts au nombre de six.

     Les mitrailleuses étaient postées de place en place depuis l’avenue de Jemappes (route d’Eugies) jusqu’à la rue du Joncquois. Les batteries étaient réparties entre le rond-Point de Bavière aujourd’hui Place des Alliés, place d’Avesnes, avenue de Bertaimont[3], rue de l’Epargne, chemin des Brasseurs, château Hardenpont, Ermitage, route de Beaumont, chaussée du Rœulx, près du bois d’Havré, près du cimetière de Mons et du Tir communal, derrière la brasserie Ségard. Hyon était particulièrement défendu, outre des canons et des mitrailleuses, des tranchées avaient été creusées entre la poudrière et le cimetière, et vers Mesvin. Dans la suite quelques nids de mitrailleuses furent disséminés à l’intérieur de la ville et deux canons braqués, Grand’ Place, vers la rue de la Chaussée.

     Dès le matin, une affiche de la « Kommandantur » apprenait, entre autres choses, aux Montois que la ville se trouvait dans le territoire des opérations de guerre ; qu’il y avait lieu de se munir de vivres pour huit à quatorze jours, d’habiter les caves et de ne plus quitter sa demeure.

     Pendant toute la journée les avions montrèrent une grande activité ; le matin, à 7 heures, on en vit un, aux couleurs françaises, survoler la ville à une faible hauteur, à peine 150 mètres. Les Allemands leur faisaient la chasse, mais sans succès, et leur artillerie ne cessait pas de tonner tandis que l’artillerie anglaise restait muette.

     Dans l’après-midi, des éclaireurs de l’infanterie légère « Princesse Patricia » s’avancèrent jusqu’à l’avenue du Commerce et le Trieu de Bertaimont ; vers le soir, une compagnie (capitaine Burness) occupait la chaussée de Guesmes à Mons et ses abords, ainsi que le haut de l’avenue de Bertaimont, aujourd’hui Avenue de France.

     La nuit, loin de mettre fin au combat, favorisa l’audace des fantassins qui attaquèrent les postes ennemis à la baïonnette. A Nouvelles, Mesvin et Hyon il y eut d’importants engagements tout à l’avantage des troupes britanniques qui continuèrent, le dimanche, à progresser lentement mais surement, sans avoir recours à l’artillerie.

     Au lever du soleil, trois Canadiens, guidés par un Montois, s’avancèrent en se dissimulant à proximité du viaduc de la porte du Parc, actuellement Avenue des Canadiens, tuèrent les sentinelles qui le gardaient et parvinrent à couper les fils reliant les commutateurs électriques aux mines au nombre de soixante, disposées sous les piles du pont. Peu après, un peloton vint prendre position avec une mitrailleuse pour la défense du pont que les Allemands ne tentèrent pas de reprendre.

     Au bombardement qui aurait permis une victoire facile et rapide, l’état-major britannique, mû par un sentiment d’humanité des plus louables, préférait l’attaque par l’infanterie, afin d’épargner autant que possible le ville et ses habitants. Ce ne fut que vers 10 heures que la tactique changea et qu’on se décida à une action plus énergique. Il fallait en finir, et l’offensive finale fut appuyée par le canon. Au bombardement des Allemands les Canadiens répondirent avec succès. Les batteries du Chemin des Brasseurs, du Mont Panisel, de l’Ermitage, de la route de Beaumont, du Tir communal, des Wartons, etc..., furent peu à peu réduites au silence, et il en fut de même des postes de mitrailleuses échelonnés le long de la rivière.

     La défense de l’avenue de Jemappes (route de Valenciennes) avait été soigneusement organisée par les Allemands qui considéraient ce point comme ayant une importance capitale.

     Le dimanche matin, à 11 heures, la compagnie D du 42ème bataillon appartenant au 5ème Royal écossais canadien, commandée par le capitaine Grafftey, cantonnée à Jemappes, reçut l’ordre de marcher sur Mons et d’appuyer une compagnie « Princess Patricias » au coin de l’avenue de Jemappes et de la route d’Eugies, fort éprouvée par le feu des mitrailleuses établies place de Bavière, actuellement Place des Alliés, et avenue de Cuesmes. Entretemps, la compagnie du régiment « Princess Patricias » ne restait pas inactive ; après trois jours de combat elle continuait, renforcée par d’autres unités du corps canadien, à faire le coup de feu sur les collines de l’Eribus.

     L’attaque fut déclenchée à la soirée. A 10 heures, les voies du chemin de fer furent franchies et le boulevard Gendebien occupé. La clef de Mons était alors entre nos mains, écrit le capitaine Grafftey. Au milieu de la nuit, un premier détachement gagnait la place Léopold, tandis qu’un deuxième se rendait place d’Avesnes par la rue Lamir, coupant ainsi la retraite aux Allemands qui se trouvaient encore place de Bavière, actuellement Place des alliés ; et qu’un troisième détachement, chassant l’ennemi devant lui, arrivait à la place de Flandre en passant par les boulevards de la Prison, aujourd’hui Boulevard des Etats-Unis. A 3 heures du matin, la compagnie C du 42ème  bataillon gardait le boulevard Dolez, actuellement Boulevard du Roi Albert et de la Reine Elisabeth, et ses avenues.

     La bataille de Mons était terminée, elle avait duré trente heures. Le lundi 11 novembre à 3 heures 10, la première patrouille traversa le Grand’ Place, à 4 heures, toutes la ville était au pouvoir du 42ème bataillon Montreal Kil ies, du 49ème bataillon de la 7ème brigade, des Pricess Patricia’s Connaught light Infantry et Royal Canadian Regiment on Rifles. Avant midi, les Britanniques avaient leurs postes avancés à 5 kilomètres à l’est de Mons, de sorte qu’en 9 jours ils avaient franchi 48 kilomètres. A 10 heures ½, le général Clarke, commandant la 7ème brigade d’infanterie canadienne (appartenant à la 3ème division sous les ordres du général F.-O.-W. Loomis) remettait solennellement la cité aux autorités communales.

     La ville était dans l’allégresse, le bonheur et la fierté rayonnaient sur toutes les figures, aux fenêtres flottaient les drapeaux anglais, belges, français, la grosse cloche du beffroi et les cloches des églises sonnaient à toute volée, tandis que la carillon égrenait joyeusement au loin les notes de la Brabançonne, du God save the King, de la Marseillaise, du Sweet Home, et de l’air populaire cher aux cœurs des Montois, le Doudou, que les enfants de Mons chantèrent à Liège et à l’Yser, et que nos ancêtres avaient entendu résonner en Egypte, au pied des Pyramides, et à Berlin le 27 octobre 1806, lorsque Napoléon 1er y fit son entrée triomphale.

     A 3 heures, l’état-major de toutes les unités de la 3ème division canadienne (1ère armée britannique), ayant à sa tête le général Currie, fit son entrée triomphale aux acclamations enthousiastes de la population qui s’était portée en foule sur le passage des troupes victorieuses libératrices de la ville. Ce n’est pas sans une émotion profonde qu’on vit défiler un détachement du 5ème régiment de lanciers qui avait participé à la bataille du 23 août 1914. A leur vue, nous nous rappelâmes que, peu après cette première bataille, le bruit se répandit en Angleterre qu’au moment le plus tragique de la journée, des anges apparurent dans le ciel. Vérité ou fiction, cette croyance illumine l’histoire de ces événements d’une auréole poétique. Et il ne nous déplait pas de penser que, quatre ans plus tard, lorsque ces mêmes cavaliers, la lance au poing, tel Saint-Georges venant de terrasser le dragon, traversèrent en vainqueurs la ville reconquise, ils aperçurent de nouveau les « Anges de Mons » qui, dans l’éclat de leur radieuse beauté, leur tendaient des couronnes de lauriers.

 

Mons durant la Grande Guerre.[4]

     Le 11 novembre 1918, le collège des bourgmestre et échevins fait afficher sur les murs de la Ville cet avis à la population : « Après 51 mois de souffrances causées par l’occupation inique, impitoyable et insolente de l’armée allemande, la Ville de Mons est enfin délivrée par l’héroïsme de l’armée britannique, qui, à l’heure de l’armistice, termine la série de ses victoires dans les lieux mêmes où, le 23 août 1914, elle entra en contact avec l’ennemi.

La 3éme division canadienne, au prix de lourds sacrifices, a pénétré dans la ville à 3 heures du matin, vengeant ainsi, par un éclatant succès, la retraite de 1914. Gloire et reconnaissance à elle ! L’armistice est signé. L’armée allemande a capitulé ; la force brutale est anéantie ; la justice et le droit triomphent. Le Belgique sort grandie et fortifiée de la terrible épreuve qu’elle a traversée ».

     Ce 11 novembre 1918, en effet, à 5 heures du matin, les premiers officiers du corps canadien de l’armée britannique sont reçus à l’hôtel de ville de Mons par Victor Maistriau, échevin de l’Instruction publique et des Beaux-Arts et ses collègues. C’est le Lieutenant Martin King, du Royal Canadian Regiment qui est le premier à signer le livre d’or de la ville. L’échevin Victor Maistriau, futur bourgmestre de Mons de 1926 à 1953, était déjà à l’Hôtel de Ville, à l’arrivée des Allemands, le 24 août 1914 et dès la première nuit, il fit partie des otages désignés pour garantir de leur vie l’ordre dans la ville. Ses deux fils, Jean et Albéric âgés de 17 et 16 ans, « passent le fil en 1916 » et s’engageront en qualité de volontaires de guerre dans l’artillerie. Suite au départ de ses fils en août 1916, il est emprisonné pendant plusieurs semaines par les Allemands.

                                                      



[1] Coup d‘œil sur la ville & l’histoire de Mons, par Emile Hublard – Docteur en Sciences, Conservateur de la Bibliothèque publique de Mons, 2ème édition revue et corrigée – Librairie Camille Leich, éditeur, Mons-18, rue Rogier

[2] Aujourd’hui Boulevard Elisabeth.

[3] Aujourd’hui Avenue de France.

[4] Le témoignage de la chronique de la congrégation des Filles du Sacré-Cœur de Jésus.



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