Médecins de la Grande Guerre

Jules Chevalier, maître d'armes à l'Ecole Royale Militaire.

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Jules Chevalier, maître d'armes à
l'Ecole Royale Militaire 

On ne meurt que deux fois.

La première, lorsque la machine s’arrête.
La seconde, lorsque meurt à son tour la dernière ou le dernier a nous avoir connu, et à en avoir conservé un souvenir, bon ou moins bon.

Mon arrière-grand-père Jules Joseph Chevalier disparaîtra donc vraiment, bientôt, lors de mon propre décès, ou celui de ma sœur, qui l’a cependant moins bien connu.
Il était né le mercredi 7 octobre 1863, dans une famille de niveau social moyen : son père François Joseph Chevalier a été, selon les actes de naissance de ses fils et filles, garde canal, sergent d’eau, employé de l’État et éclusier.

A l’âge de quinze ans, Jules s’engage comme volontaire de carrière au 1er régiment de chasseurs à pied, à l’école régimentaire de Mariembourg.
Son frère aîné, Alexandre, qui souhaitait présenter le concours d’entrée à l’École royale militaire, et sera effectivement lieutenant d’artillerie lors du décès de leur père, en 1893, avait « tiré un mauvais numéro ». Son cadet, dont la tradition orale familiale m’a appris qu’il était considéré comme intellectuellement faible, ayant survécu à une méningite, s’engage donc comme remplaçant de son aîné.
A la fin de l’année 1887, Jules achève son premier engagement, et rempile mais, passant de l’infanterie au 5ème régiment d’artillerie, il est rétrogradé de premier sergent à brigadier, pour six mois.
Il est donc maréchal des logis lorsqu’en 1889 le 5ème régiment d’artillerie devient le 6ème.


Le 10 mars 1891, à vingt-sept ans, il est détaché à l’École royale militaire, comme maître d’armes.
Il y sera également moniteur d’éducation physique.
L’année suivante, le samedi 9 juillet 1892, il épouse Joséphine Anne Sauvenier, fille d’un sergent cornet au huitième régiment de ligne, né à Eupen alors en Prusse, mais dont le patronyme, typiquement liégeois, est en fait issu d’une lignée de Herve.

Le 15 novembre 1913, Jules Chevalier est, à cinquante ans, fait Chevalier de l’Ordre de Léopold II (A.R. n° 1856), ce dont ses chefs de corps ultérieurs s’étonneront.
On en déduit que cette distinction n’était habituellement pas accordée aux sous-officiers.
Peut-être s’agissait-il de reconnaître, un peu tardivement, des mérites sportifs, tant en compétitions civiles que militaires, comme escrimeur, surtout au fleuret, dont malheureusement on n’a rien pu reconstituer.

Le 1er août 1914, la guerre est imminente, et l’alors maréchal des logis-chef est affecté au dépôt de l’artillerie de forteresse à Antwerpen (Anvers).
Le lendemain il est désigné pour la 18ème batterie de réserve au Fort de Merksem, un vrai fort.
Le 11, la guerre est en cours depuis sept jours, il est promu adjudant et affecté à la 19ème batterie de réserve, au « Fort » numéro 1.
Tous les adjudants « instruits » (sachant lire, écrire, lire une carte et un peu dessiner) avaient été nommés sous-lieutenants, faute d’officiers de réserve.
Le « Fort » n°1 est un ouvrage en maçonnerie ! Le Lieutenant-général Victor Deguise, commandant de la Place fortifiée d’Antwerpen (Anvers), auparavant professeur de forteresse à l’École royale militaire, savait sans utilité militaire ces « forts » de la deuxième ceinture d’Anvers.
Le Colonel Baron Henry Bernard confirme cette opinion, dans son ouvrage « L’An 14 et la campagne des illusions », basé sur les carnets de campagne de son père le Général Léopold Arsène Joseph Bernard, officier de Chasseurs à pied, qui défendit les « intervalles ».

 Le 9 octobre 1914, mon arrière-grand-père, blessé aux tympans, saignant des oreilles, ce qui pouvait laisser supposer une fracture du crâne, est fait prisonnier au « fort », dont les poudres ont explosé au premier coup au but d’obusier lourd.
Il passera par les Oflags de Halle, d’Osnabrück, de Clausthall et de Konstanz.
Ce sont des camps pour officiers, où il est enregistré comme sous-lieutenant (Leutnant en allemand, leurs équivalents de nos lieutenants étant des Oberleutnant).
Plusieurs documents conservés dans les archives du C.I.C.R. (Comité international de Croix-Rouge) en attestent.
Tuberculeux, il sera envoyé en Suisse le 14 janvier 1917 et, surprise, il y est redevenu adjudant.
Oublieux de la règle d’or : « n’avouez jamais », un collaborateur du Musée royal de l’Armée, que je me garderai bien de dénoncer, m’écrit en 2015 que « Jules Joseph Chevalier n’a jamais été officier....
Lors de son rapatriement en 1917, l’administration de l’armée belge … a pris les mesures pour lui réclamer les allocations indûment touchées en Allemagne
».
L’erreur semble donc attribuée aux allemands.

Pour le surplus, il faut se satisfaire, avec les réserves qui s’imposent en la matière, de la tradition orale familiale, en l’occurrence les dires de ses deux filles : ma grand-mère paternelle Julia et sa sœur cadette Maria.
Un officier, peut-être même un général (mais là, c’est réellement improbable), aurait posé sur la tête de mon arrière-grand-père, déjà prisonnier, un képi de sous-lieutenant, pour lui assurer une captivité moins rude.
Tous les officiers d’active de 14-18, et singulièrement les officiers supérieurs, avaient été les élèves de mon arrière-grand-père, entre 1891 et 1914.
Jules Chevalier avait alors 51 ans, et chacun pouvait imaginer qu’en Oflag il serait mieux chauffé, sinon mieux nourri, qu’en Stalag. Et surtout dispensé de travailler.

Abandonné par mes parents à l’âge de quatre mois, chez cet arrière-grand-père, son épouse et leur fille cadette, restée célibataire et atteinte depuis l’adolescence d’une maladie congénitale dont je souffre aujourd’hui moi-même, j’y suis resté jusqu’au décès de Jules Chevalier, le 21 octobre 1953.
J’avais alors douze ans.
J’ai conservé un souvenir relativement précis de ses funérailles, qui n’étaient pas celles d’un Ministre d’État, mais peu s’en fallait : il y avait un double détachement militaire, d’officiers-élèves de l’École royale militaire, en grande tenue, avec plumets de casoar, et de capitaines de l’École supérieure de guerre, moins sveltes, en tenue de gymnastique, commandés par un Colonel – et non un Général – et aussi une clique, pas une musique régimentaire mais, plus modestement, une harmonie de postiers hennuyers, dont la participation était offerte par la Fédération nationale des Invalides de guerre. Mon arrière-grand-père était revenu presque complètement sourd de captivité.


Il repose au cimetière de Woluwe Saint-Pierre, ou il partage un emplacement de la pelouse d’honneur avec les restes de deux anciens combattants de 40-45.

Michel Devaivre

 



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