Médecins de la Grande Guerre

Le chagrin du commandant Speesen (Fort de Pontisse).

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Le chagrin du commandant Speesen

(Fort de Pontisse)

 

       En août 1914, le  capitaine-commandant Speesen  fut l’âme de la résistance  du fort de Pontisse qui ne se rendit qu'après que la « grosse Bertha » eût tiré  quarante-trois obus de 420 mm !  La résistance du fort suscita si bien  l'admiration de l'adversaire que celui-ci autorisa les officiers belges à garder leur sabre lors de leur reddition !  Vive  cependant fut la déception des autorités militaires allemandes qui s'attendaient à faire prisonnier un « général » belge alors que le que le commandant du fort n'était que le simple « capitaine-commandant » Speesen !  


L’entrée du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

       Speesen fut envoyé quatre ans comme prisonnier de guerre en Allemagne. En 1923, sa santé ayant été fortement compromise par les séquelles de sa longue détention, il quitta définitivement l'armée en recevant au préalable, à titre honorifique, le grade de lieutenant-colonel. Grand invalide, il habitait sur les hauteurs de Ste Walburge quand survint la deuxième guerre mondiale. Le 12 mai 40, un voisin vint lui dire que « des soldats hollandais » descendaient de la rue de la Campine. Il ne put croire ce fait insolite et décida de s'en rendre compte lui-même. Il gagna le carrefour Campine Fond-Pirette (actuellement rue Jean Haust), aperçut les militaires et comprit la grosse méprise de son voisin. Les soldats étaient avec certitude des Allemands malgré la couleur orange des fanions qu’ils agitaient pour signaler leur présence à leur aviation. La vue de l'ennemi à nouveau dans Liège  perturba profondément l’officier retraité. Il rentra chez lui très choqué et vomit du sang. Son épouse alerta alors le médecin de famille qui essaya de calmer les saignements gastriques en obligeant son patient à garder strictement le repos au lit. Le malheureux invalide resta, jour après jour, anxieusement accroché à son poste de TSF pour suivre les nouvelles de l'invasion. Début juin, il put enfin se lever et effectuer une première promenade en ville. Au cours de celle-ci, il eut la joie de rencontrer son ami, le colonel Modart. Cet officier encore en activité avait réussi à s'échapper du Fort de Flémalle et tentait en vain de rejoindre l'armée de campagne. Le colonel Modart assura à Speesen que les forts de Liège avaient combattu aussi dignement qu’en 1914[1]. Cette nouvelle eut un effet immédiat sur l'ancien commandant du fort de Pontisse. Ses traits s’adoucirent en une fois et il exprima son immense soulagement :


L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

       « Ah ! Je suis content de savoir cela, je suis heureux !  Si tu savais ce que j'ai souffert de ne plus pouvoir me battre. Je ne parviens pas à m'expliquer l'horreur de notre capitulation. Puisque tu m'assures qu'on a fait son possible… »

        Deux grosses larmes roulèrent alors sur ses joues creuses avant qu'il ne reprenne la conversation :

       « Mon cher, tu viens de m'enlever du cœur un poids qui m'étouffait. Je ne sais comment te remercier. Je suis heureux. Viens que je t'embrasse. »    


L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

       Le lieutenant-colonel honoraire Speesen  embrassa son ami puis rentra  chez lui. Il venait de connaître en moins d’un mois une deuxième émotion et c’en était de trop pour sa frêle constitution. Tremblant de fièvre, il dut s'aliter à nouveau et hélas, ce fut pour ne plus se relever !  Le 28 juin 1940, le grand patriote s'éteignit et quitta pour toujours  sa chère épouse et son cher pays de Liège.

Dr Loodts


« Coupe-papier » fait dans un morceau de coupole du fort de Pontisse en 1914. (Collection Chr. Philippart)

 

 

Source : Ce récit est basé sur les confidences que fit madame Speesen  au rédacteur (qui signait sous le pseudonyme d’ « Alma »)  du bulletin de la fraternelle des garnisons des forts de Liège  intitulé, « Ceux des Forts de Liège ».

Le lecteur intéressé pourra trouver le texte écrit par « Alma » dans la préface du numéro  du  bulletin  « Ceux de Liège » consacré au  « Fort de Pontisse, 10 mai-18 mai 1940 ».  Un exemplaire de ce bulletin (date de parution non mentionnée) peut être consulté  au Centre de Documentation du Musée Royal de l'Armée et d'Histoire militaire.   

 

 



[1] Le Capitaine Pire notamment, défendit vaillamment le fort de Pontisse en mai 1940. Il eut les mêmes honneurs que son prédécesseur Speesen en étant autorisé à garder son sabre à la reddition du fort.   



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