Médecins de la Grande Guerre

Le major Winston Churchill, dans les tranchées de la Somme, dût sa survie au seul hasard !

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Le major Winston Churchill, dans les tranchées de la Somme, dût sa survie au seul hasard !

Introduction

       Churchill désavoué après l’échec de la campagne des Dardanelles en 1915 perdit son poste et ne fut pas réélu. Il s’engagea alors dans l’armée et fut envoyé sur la Somme comme un simple officier. Churchill plus tard raconta cette période de sa vie dans un livre « Thoughts and adventures » paru en 1932. On y relève sa narration concernant les circonstances hasardeuses qui lui valût de ne pas  mourir dans son abri. Avant de vous faire partager ce récit de Churchill sur le hasard de la guerre, je me permets de vous livrer mes réflexions sur le destin de chacun d’entre nous. 

       Le destin des hommes est variable et le moins que l’on puisse dire,  c’est  que  nous ne disposons pas tous d’une « bonne fée ». Les anciens combattants se posent sans cesse la question de savoir pourquoi ils s’étaient retrouvés dans les rangs des survivants et non pas dans ceux des tués. L’entraînement, la condition physique, le moral certes peuvent expliquer quelques cas de survie mais il faut en convenir,  la plupart des survivants  des combattants de première ligne ne durent leur bonne fortune qu’au seul hasard. Dieu, s’il existe, ne se mêle pas ou si peu du tirage au sort permanent qui régit la vie sur terre. Pourquoi certains naissent-ils en période de crise ? Pourquoi d’autres dans des pays en guerre ? Pourquoi certains connaissent une famille aimante et d’autres au contraire l’orphelinat ? Pourquoi certains naissent-ils avec un handicap ? Pourquoi certains se retrouveront un jour au milieu d’un cataclysme naturel ? On pourrait multiplier à l’infini ce genre de questions. Seul le hasard intervient ! Ce hasard terrifiant devrait nous conduire à beaucoup d’humilité. Certes nos qualités morales et notre libre arbitre peuvent  influer sur notre vie mais il faut garder à l’esprit qu’une réussite, qu’elle soit professionnelle, sociale, matérielle repose en grande partie sur la conjonction  de conditions favorables dues entièrement au hasard. Certes, certains hommes s’accommoderont mieux que d’autres de leurs  conditions défavorables pour s’élever mais il faut reconnaître le peu de champ libre que laisse aux hommes le hasard ou le destin de masse. Difficile de réussir sa vie si l’on est pris dans la tourmente de la Shoa  ou si l’on figure parmi les soldats de la première guerre mondiale ou tout simplement si l’on se retrouve malade dans un pays démunis d’une infrastructure médicale. Certes le courage et d’autres qualités morales permettent des miracles et l’on citera les réussites de grands hommes nés dans des familles terriblement pauvres mais en règle générale, le courage et l’esprit d’initiative serviront simplement chez la majorité des hommes à gérer avec dignité une situation malheureuse que ce soit la maladie, le chômage, le travail dévalorisant ou insuffisamment rétribué…

Tout homme ayant réussi sa vie devrait avec humilité reconnaître la chance qui le servit et ce qu’il doit aux autres  à la manière d’Einstein :

Cent fois par jour je me dis que ma vie

A l’intérieur comme à l’extérieur

Dépend de la peine d’autres hommes

Vivants ou morts

Et que je dois à tout prix

Donner autant que recevoir (Einstein Albert)

       Reconnaître « sa chance » avec humilité conduit à reconnaître la caractéristique primordiale qui nous  fait différer du reste de la création et qui fait donc  notre humanité : le partage. Indépendamment de toute croyance religieuse, quoi de plus évident en effet, que de reconnaître que nous ne disposons, nous humains, que d’un seul moyen, que d’une seule  arme pour lutter contre l’injustice du sort et les lois aveugles de la nature à savoir  «  que l’homme chanceux doit se soucier de l’homme malchanceux », qu’il faut donc donner autant que recevoir.

Dr Loodts P.


Winston Churchill décrit les circonstances hasardeuses qui le sauvèrent[1]

       Que chacun se remémore ne serait-ce que dix ans de son existence, et il verra quels événements minuscules, sans aucune importance en eux-mêmes, ont en réalité, déterminé l'essentiel de sa destinée et de sa carrière. Cela est vrai déjà de la vie de tous les jours. Mais à la guerre, qui est une forme de vie intensifiée, le hasard rejette tout voile, tout masque et se fait voir en plein, à chaque instant, comme l’arbitre indiscutable de tous nos faits et gestes.

       Vous partez, un matin en en oubliant votre boite d’'allumettes. Avant d'avoir parcouru cent mètres, vous rebroussez chemin pour la chercher et, grâce à cela, vous échappez à l'obus qui a parcouru une distance de seize kilomètres exprès pour vous atteindre. Peut-être serez-vous parcouru d'un frisson, en constatant de combien peu vous avez manqué ce rendez-vous. Vous vous attardez une demi-minute à faire quelques politesses à un officier étranger qui s'est présenté à vous tout à fait inopinément. Un de vos camarades vous remplace, s'avançant le long du boyau où vous devriez être vous-même. Crac ! Il n'est plus. Peut-être passerez-vous à droite ou à gauche d'un certain arbre. Le choix inconscient que vous ferez décidera si vous deviendrez commandant de corps d'armée ou si vous serez renvoyé chez vous estropié, paralysé pour le reste de vos jours. Vous avancez sur des planches posées au fond de la tranchée. Devant vous, toutes les demi-minutes, éclatent des obus. Vous jugez insensé de poursuivre votre chemin tout droit, surtout que vous remarquez que vous atteindrez la zone dangereuse exactement à l'instant d'un éclatement. Vous vous écartez de cinquante centimètres sur la gauche, mais le canon modifie son tir au même instant et l'obus vous atteint – cruelle ironie !  – au  milieu de toutes vos précautions.

On rencontre sa destinée

Souvent par des chemins qu'on prend pour l'éviter.

       Les anciens Égyptiens poussaient le respect des morts plus loin qu'on ne l'a jamais fait dans toute l'histoire. Leur suprême désir était de conserver à jamais les pitoyables restes de la vie humaine, dans une solitude environnée d'honneurs. Ils creusaient leurs tombes dans les profondeurs du roc vif. Un puits conduisait à une galerie et la galerie s'ouvrait sur un autre puits. À tous ces dispositifs secrets les embaumeurs ajoutaient les prodiges de leur art. Jamais ailleurs les hommes ne firent pareils efforts pour atteindre résultat si remarquable. Mais, tout compte fait, les suites en furent exactement contraires. L'avenir montra que la façon de procéder des Égyptiens avait été la seule capable d'aboutir à des effets si radicalement opposés à leur cause. Quatre mille ans après leur mort, leurs rois et leurs princes furent extraits de leurs cachettes ; leurs momies furent exposées aux regards des profanes et des indifférents dans les salles du Musée de Boulak. À force d'efforts, de sacrifices et d'ingéniosité, ils avaient réussi à obtenir précisément la seule chose qu'ils désiraient par-dessus tout éviter.

       Ces réflexions me poussent à raconter ici une aventure tout à fait banale qui m'arriva à l'époque de mon séjour parmi les grenadiers de la Garde. Un après-midi, alors que j'étais, depuis environ une semaine, dans les tranchées avec ma compagnie je m'installai dans notre minuscule abri garni de sacs de sable, afin d'écrire quelques lettres aux miens. À cet endroit du front les tranchées étaient à tel point envahies par les eaux de surface que nous ne pouvions presque nous y tenir. Nous ne trouvions guère de protection que derrière les parapets. Il n'existait, en réalité, aucun véritable abri. De légères constructions en sacs de sable recouverts d'une plaque de tôle ondulée en tenaient lieu. La plaque, servant de toit, supportait, elle aussi, une couche de sacs de sable. La canonnade matinale avait cessé et nous pouvions croire que, comme d'habitude, nous allions jouir d'un moment de répit. Je sortis mon papier à lettres et ma plume réservoir ; bientôt, je fus plongé dans mes écritures. Un quart d'heure peut-être s'écoula. Soudain, une ordonnance s'annonça à l'entrée de l'abri et, me saluant avec tout le chic des soldats de la Garde, me tendit une dépêche :

 « Le commandant de corps désire rencontrer le major Churchill, à 4 heures, à  Merville. Une automobile attendra au carrefour de Rouge-Croix, à 3 heures 15. »

Je connaissais personnellement ce général depuis des années. Il était contraire à toutes les habitudes de relancer ainsi un officier dans les tranchées mêmes. Je me demandais ce que cette convocation pouvait bien signifier. J'envisageais sans plaisir la perspective de patauger, pendant cinq kilomètres, à travers des champs couverts de boue. En outre, il fallait y aller de jour et cela signifiait que presque sur tout le parcours, l'ennemi pourrait observer mes mouvements. Et pour finir, il me faudrait peiner, dans l'obscurité, pour rentrer aux cantonnements. Mais l'ordre était formel. D'humeur plutôt maussade, je mis de côté la lettre commencée, m'équipai et me préparai à entreprendre mon pénible voyage. Les deux beaux grands grenadiers qui nous servaient de domestiques étaient occupés à mettre de l'ordre dans l'abri.

Le commandant de compagnie me dit : « Vous devriez prendre votre ordonnance avec vous. Elle porterait votre manteau. Il vaut toujours mieux ne pas être seul et, pour retour, de nuit, elle connaît bien le chemin. »

Quelques minutes plus tard, nous partions dans la direction de Rouge-Croix. Nous n'étions pas à deux cents mètres des tranchées que j'entendis un sifflement perçant. Je regardai tout autour de moi et vis quatre ou cinq obus explosant au-dessus des tranchées que nous venions de quitter. Le feu continua pendant environ un quart d'heure, puis cessa. Je n'y pensai plus, mais peinai et suai dans la neige fondante, me dirigeant toujours vers Rouge-Croix. Que diable pouvait bien me vouloir le général ? Ce devait être quelque chose d'important, sinon il ne m'eût pas convoqué si brusquement. J’atteignis enfin le lieu indiqué : une auberge démolie, à ce carrefour particulièrement dangereux. Pas d'auto. J'attendis, non sans impatience, pendant près d'une heure.

Alors survint, à pied, un officier d'état-major. « Vous êtes le major Churchill ? »

Je répondis que oui. « Il y a erreur, me dit-il, quant à l'envoi de la voiture qui devait vous prendre. Elle s'est rendue à un autre endroit et maintenant il est trop tard pour que vous puissiez rencontrer le général à Merville. Il s'en est déjà retourné à Hinges, à son quartier général. Vous pouvez regagner votre unité. »

Je le remerciai.

 «Mais, lui fis-je, serait-ce trop vous demander que de m'apprendre pour quelle raison le général a jugé bon de me relancer ainsi jusque dans les tranchées ?

       – Oh ! » répondit l’officier d'état-major avec insouciance, « ce n'était rien de  particulier. Il s'était dit que passant dans ce secteur il aurait plaisir à s'entretenir un moment avec vous. Peut-être une autre occasion se présentera-t-elle. »

J'étais furieux. Comme l'officier n'avait, ainsi que moi que le grade de major, je ne me donnai pas plus de peine pour dissimuler mon mécontentement qu'il n'en prit lui-même à cacher l'indifférence que lui inspirai toute cette affaire. Il faisait presque nuit et il me fallait me mettre en route pour un long pataugeage jusqu'aux tranchées, à travers des étendues de champs boueux, glissants, sales de neige fondante. Je me perdis dans l'obscurité et je dus bien mettre deux heures pour me retrouver au « Sentier du poste de signalisation ». Une  pluie froide tombait ; j'étais absolument trempé, aussi bien de transpiration (j'avais sur le corps toute ma garde-robe !) que par l'averse torrentielle. Les balles sifflaient méchamment le long de mon chemin et c'est avec joie que je me sentis, enfin, à l'abri des parapets de nos positions. Il me restait encore presque deux kilomètres à parcourir, à travers un labyrinthe de tranchées. La vie sédentaire de ministre, à laquelle j'avais renoncé il y avait à peine un mois, m'avait offert peu d'occasions de maintenir ma forme physique. Éreinté et mourant de soif, je passai la tête à l'intérieur du mess de compagnie le plus proche, afin de demander quelque chose à boire.

« Hello ! me cria-t-on. Vous avez eu de la chance, aujourd'hui.

       – Je ne m'en suis guère aperçu, répliquai-je. On s'est fiché de moi. »

       Et je fis quelques remarques assez vives sur le sans-gêne des commandants de corps qui se livraient à leur penchant pour la vie de société aux dépens de leurs subordonnés.

       « D'accord ! Mais, pourtant, vous avez eu de la chance », me répétèrent les officiers. « Vous vous en apercevrez en rejoignant votre compagnie. » Je ne comprenais rien à leurs allusions. Après avoir bu un grand verre de whisky à l'eau, qui me remit d'aplomb, je repartis, barbotant dans la pluie et la boue. Dix minutes plus tard, j'arrivais à ma compagnie. Je me trouvais à vingt mètres de mon abri, lorsqu'un sergent, au garde-à-vous  m'annonça :

« Nous avons transporté vos effets dans l'abri du capitaine X, mon major !

– Pourquoi?  demandai-je.

– Le vôtre est démoli, mon major !

– Y a-t-il du mal ?

– Vos effets sont saufs, mon major ! Mais le soldat X a été tué. Il vaut mieux ne pas entrer, mon major ! Tout est dans un terrible état. »

Maintenant je commençais à comprendre le sens des paroles qu'avaient prononcées les officiers de l'autre compagnie, au mess.

« Quand cela est-il arrivé ? Demandai-je.

– Environ cinq minutes après votre départ, mon major

Un obus de petit calibre a percé la toiture et a éclaté à l'intérieur. »

Je sentis soudain ma colère contre le général disparaître complètement. Tous mes griefs s'étaient dissipés d'un coup. En gagnant mes nouveaux quartiers, je songeais combien aimable de sa part cela avait été de désirer me revoir et de faire montre d'une telle politesse à l'endroit d'un subordonné, alors que ses hautes fonctions lui imposaient tant de responsabilités. Et soudain, au milieu de ces réflexions réconfortantes, j'éprouvai, avec force, le sentiment qu'une main s'était tendue pour me tirer à l'écart du danger, jusqu’au dernier moment. Quant à savoir si c'était la main du général, je ne puis le dire.

Winston Churchill

 

 

 

 



[1] Winston Churchill, « Réflexions et Aventures », pages 112 à 118, collection Texto, Editions Tallandier 2008



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