Médecins de la Grande Guerre

Zélie Wanlin soigna un blessé français pendant 18 mois.

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Zélie Wanlin soigna un blessé français pendant 18 mois.[1]

       Une belle et ancienne maison ardennaise, construite avant 1800, épargnée par des incendies de la bataille de 1914, est située rue de la Petite Cornée, n° 6, quartier de Burhairnont à Bertrix ; elle appartient à la famille Wanlin.

       En août 1914, la famille Wanlin-Tinant comptait plusieurs jeunes filles célibataires. Citons : Zélie, Marie, Maria, Octavie, Lucie et Louise. Un seul frère, François, décédé en 1968, était infirmier en août 1914, à la maison de retraite de Bertrix.

       C'est là que j'ai eu la joie de m'entretenir récemment avec Mlle Louise Wanlin, née à Bertrix le 18 juin 1894. Elle aurait dû se prénommer Mémoire, car c'est un réel plaisir de l'entendre raconter des faits. Ecoutez-la donc !

       La famille Wanlin accepta de cacher chez elle un soldat français blessé, le 23 août 1914, lors du combat de Nevraumont, à 7 km de Bertrix. Il se nommait Armand Quélard, né en 1893. Il était venu de son petit village natal de Mornac, près d'Angoulème, département de la Charente, répondant à l'appel de la France pour combattre aux côtés de ses compatriotes. Après quelques jours passés à Nevraumont, où il reçut les premiers soins, il est amené à Bertrix, au domicile de Léon Minet-Bouché (dont le fils Roger est mort au Champ d'honneur le 27 mai 1940). Peu de temps après, son état nécessite son entrée à l'hôpital des Sœurs de Saint-Charles de Nancy à Bertrix.

       L'actuelle maison de repos Saint-Charles, rue du Culot, n°23, à Bertrix, fut aménagée en 1902. A cette date, c'était un hôpital, où les religieuses rendaient visite aux domiciles des malades et hospitalisaient les plus nécessiteux.

       Sœur Pierre Schreiner est la première Mère Supérieure. Elle demeure de 1902 à 1907. La seconde, Mère Marie-Véronique Mortal, 1907-1921. La 3e, Mère Théophile Malicet, 1921-1946. La 4e, Mère Valérie Corroy, 1928-1936. La 5e, Mère Marie-Thérèse Thiery, 1936-1946. La 6e, Mère Irène Gavet, 1946-1973, retraitée vu son âge (elle a 80 ans). Et l'actuelle Mère Supérieure Marie Tabouret, 1973 à ce jour, dont nous tenons ces renseignements précis.

       Mère Marie-Véronique Mortal assuma les fonctions au mois de novembre 1907 et ne cessa de se dévouer jusqu'en mars 1921. Elle eut le privilège de diriger l'hôpital et l'honneur de soigner les soldats français blessés, au cours : de la bataille de Luchy et des environs, les 22-23 août 1914. Toutes ces religieuses sont françaises.

       Rappelons que Mère Marie-Thérèse Thiery eut les mêmes fonctions que sa consœur, mais pour la Seconde Guerre mondiale. En mai 1940, elle signe pour des actes de décès de son nom de jeune fille : Jeanne Thiery.

       En 1915, le blessé français Armand Quélard est loin d'être guéri. Se trouvant devant ces faits, le docteur Pierre Lifrange, chirurgien à la tête de cet hôpital, se voit dans l'obligation de lui chercher un refuge. Le doyen Arnould lui trouva une place de choix dans la famille Wanlin.

       Le blessé français y est amené, un soir de mai 1915, en cabriolet, par l'inspecteur vétérinaire Woignet, habitant Bertrix.

       De l'hôpital à la maison hospitalière, il y a plus d'1 km. C'est dans cette maison accueillante et proprette que le blessé est soigné et choyé par Zélie Wanlin. En période où le soleil étend ses rayons brûlants, il est placé dehors sur un matelas, mais à l'arrière du bâtiment, à l'abri des regards indiscrets. Son séjour dura de longs mois. M. l'abbé Landry, curé de Grandvoir (Neufchâteau) accepta de remplacer le doyen Arnould, celui-ci étant suspect aux yeux des Allemands. Le curé de Grandvoir entreprit donc ces voyages à pieds par tous les temps. (La distance de 10 km à l'aller étant la même au retour.) Cela dura 9 mois. Ce prêtre venait réconforter par le secours de la religion, le blessé français. Le curé Landry connut un sacerdoce qui dura quarante années, dans la paroisse de Grandvoir.

       Un autre religieux, le Père Agron, du Prieuré de Conques (Herbeumont) venait aussi apporter de temps à autre le réconfort à ce blessé.

Ce père Agron officia le jour de ma Première communion, aux côtés de l'abbé Jules Lambert, curé à Maissin, déjà cité dans le chapitre 1914-18. Le Père Agron, petit de taille, portait la robe blanche des Bénédictins. Tous les communiants et communiantes, ce jour-là, sont invités pour la visite du Prieuré de Conques et de son église abbatiale. Le voyage s'effectue en camion par les bons soins de notre bourgmestre, Emile Castus. L'aller et le retour accusaient plus de 64 km.

       Quand on a onze ans, ce sont des choses faciles à enregistrer, elles vous captent, elles sont belles, reposantes (dans un cadre de toute beauté et sortant de l'ordinaire). Ce qui me frappa le plus, c'est le chant en chœur, de tous ces moines, d'une voix chaude qui paraissait lointaine, alors que nous étions auprès d'eux. Et puis... la pisciculture spacieuse.

       Le soldat français Armand Quélard est mort le 24 février 1916. Le cercueil, fait de quelques planches nouvellement sciées. Elles étaient destinées auparavant pour un travail de la ferme. Elles ont été travaillées par Eugène Wanlin, voisin, les deux fermes se jouxtant. Ce dernier est le cousin germain des jeunes filles Wanlin. Pas d'homme chez elles, le père étant décédé et le, fils absent ce jour-là.

       Louise Wanlin, la seule survivante à l'heure où j'écris ces lignes, continue à me conter, en présence de Mme Marcel Seinlet, née Fausta Vermeesch :

« Nous avons creusé la fosse, ma sœur Marie et moi-même. » Me conduisant sur les lieux, elle me montra l'endroit. C'est ici derrière cette porte et à gauche, me dit-elle, dans la grange, mais alors c'était une ancienne bergerie.

       Mlle Louise me fait remarquer qu'une sentinelle était postée près du pont de Burhaimont. A vol d'oiseau, il n'y a pas 60 mètres. C'est la nuit que le cercueil fut travaillé et on ne pouvait le faire sans bruit...

       M. le curé Landry est venu sur les lieux, c'était un dimanche soir, a récité les prières des morts et donné sa bénédiction au soldat français. Puis on le déposa religieusement. On recouvrit le cercueil de la terre qu'on venait d'enlever. Il est mort pour la France à l'âge de 22 ans.

       Le bourgmestre, Jules Delogne, a évité qu'on ne plaçât de l'armée allemande dans cette demeure jusqu'à la fin de la guerre. Les soldats allemands avaient l'art de fouiller partout, lors d'incursions en quête de ravitaillement en pommes de terre.

       Sur la tombe, on plaça des bottes de genêts. Ceux-ci, à l'époque, servaient de litière pour le bétail.

       Etaient présents à cette Inhumation provisoire : Mme F. Wanlin-Tinant, ses six filles, le frère, Eugène Wanlin et son épouse. Le soldat fut enseveli en habits civils. L'uniforme avait été enlevé depuis son séjour à Nevraumont en août 1914.

       Le secret fut bien gardé jusqu'à l'armistice.

       Le 26 novembre 1918, le soldat français Armand Quélard fut exhumé, puis sera inhumé une seconde fois, en même temps qu'un de ses compatriotes, blessé au combat de Rossart, en août 1914, non loin de Nevraumont. Celui-ci avait été soigné à Bertrix, aussi à l'hôpital, puis hospitalisé chez Eugène Wanlin, où il mourut de la grippe espagnole, le 27 novembre 1918. Il se nommait Henri Lebreton et était originaire des Ardennes françaises. Lorsque les deux Français voulaient se rencontrer, c'était sur le foin, le passage se faisait d'un fenil à l'autre, vu que les deux communiquaient.

       Le nouveau cercueil d'Armand Quélard fut travaillé par Joseph Meis, menuisier. Ce dernier était le frère du Suisse officiant à l'époque dans l'église décanale de Bertrix.

       L'enterrement eut lieu le 30 novembre 1918 à Bertrix.

       Les photos que je présente m'ont été prêtées par Mllle Louise Wanlin et Rodolphe Horniak de Grandvoir. L'une représente l'officier français, le képi à la main, prononçant l'éloge funèbre, le regard fixé sur les deux cercueils. Plusieurs soldats français casqués, tenant en main le fusil baïonnette au canon, rendent les honneurs à leurs frères d'armes. On aperçoit au premier rang Mme Wanlin, ses filles et Mme Eugène Wanlin.


Inhumation de deux soldats français, le 30 novembre 1918, dont Armand Guélard et Henri Lebreton. (collection Louise Wanlin et Rodolphe Horniak)

       La seconde photo témoigne de l'honneur qui fut rendu à ces deux soldats par toute la population de Bertrix. Prêtres suivis par le char militaire ; dans le fond, on aperçoit deux Sœurs de Saint-Charles.

       Mme Wanlin, au nom de tous ses enfants reçut en 1918, la médaille de la Reconnaissance française.

       Quelle belle figure, cette demoiselle Wanlin ! Elle vit dans sa chère rnaison où règne une propreté sans pareil, au milieu de tous les souvenirs d'antan et de l'affection de son neveu, Jean Nannan, et de son épouse Thésy Seinlet, partageant le même toit. Celle-ci veille aux mille petits soins de la future nonagénaire.


Sortant de l’église décanale de Bertrix. (collection Louise Wanlin et Rodolphe Horniak)



[1] Histoire de la Résistance – Tome 1 – page 102. Auteur Madeleine Dom – Imprimerie-reliure Michel frères, s.p.r.l. à Virton



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