Médecins de la Grande Guerre

Dorothie Feilding, la fantastique ambulancière des fusiliers marins.

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Dorothie Feilding, la fantastique ambulancière
des fusiliers marins.



Dorothie Feilding

       Dorothie Feilding, de nationalité anglaise, née en 1896, n’eut pas l’occasion de raconter ses exploits d’ambulancière à ses petits-enfants. Elle mourut en effet à l’âge de 46 ans, d’une maladie de cœur ! Elle a légué la postérité ses lettres de guerre récemment éditées ainsi que d’innombrables témoignages de reconnaissance reçus des soldats blessés qu’elle soigna et transporta sur le font de l’Yser. Nous lui rendons ici hommage en évoquant ce que fut son engagement durant la Grande Guerre.



       Issue de la haute noblesse, Dorothie grandit au sein d’une famille nombreuse comptant dix enfants dont sept filles. Son père, Rudolf Feilding est le 9ème comte de Denbigh et le 8ème comte de Desmond. D’abord écolée chez elle, dans le château de Newnham Paddox, par une gouvernante, elle rejoindra à l’âge de 15 ans une école catholique à Paris d’où elle sortira parfaitement bilingue, ce qui constituera un immense avantage lorsque, en septembre 1914, elle posera sa candidature pour faire partie de l’expédition du docteur Hector Munro en partance vers les Flandres avec des ambulances motorisées pour porter secours aux réfugiés Belges. C’est dans son école de Paris qu’elle rencontra aussi celle qui deviendra sa meilleure amie, Suzanne Hély d’Oissel, fille d’un général français. 

       Dorothie retrouvera ce général durant la guerre en poste à Nieuport. Il sera pour elle un protecteur ainsi qu’un fervent admirateur. Le séjour de Dorothie à Paris se révéla donc un immense atout pour mener à bien l’aventure qu’elle mènera derrière l’Yser comme ambulancière. Bien évidemment, outre son bilinguisme parfait, Dorothie avait bien d’autres qualités. Elle était sportive, excellente cavalière et savait conduire une automobile. Il n’est donc pas étonnant que le docteur Hector Munro ait agréé rapidement sa candidature. Manifestement, ce praticien savait juger les gens à leur juste valeur malgré que beaucoup le considérait comme un personnage excentrique.

       N’avait-il pas été formé à bonne école ?  Celle du Dr Freud à Vienne qu’il admirait et dont il était devenu un adepte  convaincu au point de créer à Londres en 1913 la « Medico-psychological Clinic ». Idéaliste,  Hector Munro abandonna pourtant sa carrière débutante pour aider la « pauvre petite Belgique » en créant sa propre colonne de voitures ambulances conduite par une équipe mixte de cinq hommes et de cinq femmes. La volonté d’avoir un personnel composé des deux sexes souligne le souci du docteur Munro de promouvoir l’égalité des sexes. La sélection des dames se fera parmi 200 candidates. Les femmes choisies par le Dr Munro se révéleront toutes des femmes exceptionnelles aux grandes qualités. Il y aura May Sinclair, une écrivaine britannique à succès qui sera dans l’expédition comptable et responsable de la communication avec la presse anglaise dont on espère des campagnes en vue d’obtenir des aides financières. Il y a aussi Helen Haye, mariée au célèbre journaliste de guerre Arthur Gleason. On le voit, Hector Munro ne négligea pas la « communication », la publicité de son expédition. Ce choix se révèlera judicieux. Tout au long de l’existence du « corps Munro », les multiples comptes rendus dans les journaux, attireront donations et avantages divers. Parmi ces derniers, il y aura l’immense aura qu’acquerront les courageuses ambulancières, les seules femmes qui côtoyèrent de près les combattants en première ligne.

        Les différents règlements interdisaient en effet la présence des femmes au front. Parce qu’elles étaient arrivées au tout début de la guerre sur le champ de bataille et qu’elles étaient devenues rapidement de véritables stars dans la presse anglaise, plus personne n’osa leur signifier cette interdiction. Pour régulariser leur situation, ces dames virent alors leurs noms mentionnés noir sur blanc dans le règlement militaire comme étant les seules femmes acceptées par l’Etat-Major à proximité de la ligne de front !

       Nous avons mentionné trois dames du « corps Munro » et il est temps de faire connaissance avec les deux dernières, Elsie Knocker et Mairi Chislom. Ces deux grandes amies formèrent une équipe de choc car, elles tinrent à elles deux un poste de secours sur la ligne de front à Pervijze et cela pendant presque toute la durée de la guerre. Ce poste de secours connut multiples aventures et bombardements et dut déménager trois fois. Il connut des périodes agitées mais aussi des périodes calmes pendant lesquels Mairi et Elsie prenaient des congés en Angleterre pour récolter des fonds en donnant des conférences. Ces deux femmes passèrent au total quatre hivers sur le front, un véritable exploit !  Elsie était âgée de 30 ans quand la guerre éclata. Sage-femme de formation, elle avait déjà dû affronter beaucoup de difficultés dans sa vie. Orpheline, elle avait été séparée de sa fratrie très jeune et cela l’avait fort affectée même si sa famille d’accueil se comporta de façon exemplaire avec elle. Mal mariée, ayant mis au monde un petit garçon, Kenneth, elle dût se battre pendant plusieurs années pour obtenir le divorce, ce qui à cette époque, pour une femme, constituait un véritable exploit. Revenue peu avant la guerre avec son fils dans sa famille d’accueil, Elsie trouva un dérivatif à sa situation (A cette époque, beaucoup de divorcées se faisaient passer pour veuves tant était considéré comme infâmante leurs situations) en devenant une motocycliste chevronnée au sein du « Gipsy Motorcycle Club ».

       La dernière femme du « corps Munro » était Mairi Chislom. En fait, plutôt qu’une femme, Mairi était encore une jeune fille. Agée de 18 ans, fille d’un propriétaire foncier, elle était passionnée de moto. Une passion commencée avec son frère devenu un jour l’heureux propriétaire d’une moto. A son contact et très rapidement, Mairi apprit la conduite et de plus, se transforma en mécanicienne chevronnée. Sa passion l’amena alors à s’inscrire au « Gipsy Motorcycle Club » où elle rencontra Elsie Knocker. Les deux femmes motocyclistes devinrent alors de grandes amies malgré leur différence d’âge et c’est ensemble qu’elles se portèrent volontaires comme ambulancières du « corps Munro ».



De gauche à droite, Elsie Kocker, Dorothie Fielding et Mairi Chislom

       L’équipe des cinq hommes comprenait notamment deux médecins, un brancardier et… un aumônier. Nous ne nous étendrons pas sur ceux-ci. Signalons cependant qu’un des deux médecins, le Dr Jellett était gynécologue et qu’il fera souvent équipe avec Dorothie comme chauffeur d’ambulance. Pourquoi préférait-il cette fonction à la médecine ? Cela reste un mystère. Il était en tout cas un homme d’un calme imperturbable ce qui était un immense avantage lorsqu’il fallait conduire une ambulance sur des chemins délabrés et souvent bombardés. Le docteur Jellett et Dorothie se trouvaient donc souvent ensemble sur les routes de Flandres. Ils formèrent un duo aussi exceptionnel que celui formé par Elsir Knocker et Mairi Chislom.



Dorothie et le Dr Jellett, un duo d’ambulanciers performant

       Le « corps Munro » débarqua à Ostende fin septembre 1914. Le 26 septembre il prend ses quartiers au « Flandria Palace à Gand ». Nous sommes à quelques jours de la chute d’Anvers dans laquelle s’est enfermée l’armée du roi Albert. Le 28 septembre, Dorothie fait sa première sortie en ambulance pour chercher des blessés à Dendermonde. C’est aussi ce jour-là qu’elle rencontre pour la première fois les renforts français qui viennent au secours des Belges et qui tiendront Gand le temps que les Belges puissent se dégager d’Anvers pour rejoindre la côte.

       Ces troupes françaises ne sont pas n’importe lesquelles. Les hommes ont l’uniforme de marins. Ils portent un pompon rouge sur leur couvre-chef. C’est la brigade de l’amiral Ronarch qui compte plus de six mille hommes surnommés les « demoiselles au pompon rouge ». La création des fusiliers marins date de l’époque Napoléonienne. Ils furent constitués pour envahir l’Angleterre…. Les ambulances Munro vont travailler d’arrache-pied pour évacuer les fusiliers marins blessés sur la ligne Heusen-Melle-Gontrode.



       Le 11 octobre, la retraite de l’armée belge réussie, les fusiliers marins quittent Gand en même temps que le corps Munro. Arrivé à Ostende, le Dr Munro est dans l’expectative. Que doit-il faire de son unité devant l’avance allemande ?  C’est Dorothie Fielding qui le tirera de son embarras. Elle vient de rencontrer à Ostende une amie de jeunesse, Thérèse Bourgeois de Jessaint, qui a épousé un des deux fils de Charles de Broqueville, le Premier Ministre belge.

       Un rendez-vous est arrangé entre ce dernier et Dorothie. Le Premier Ministre prend alors une sage décison : le corps Munro est désigné pour soutenir le seul hôpital existant sur la ligne de front de l’Yser. Un hôpital anglais fondé un mois auparavant par les volontaires du « British Field Hospital  for Belgium »  à Anvers et qui avait trouvé, après la chute d’Anvers, son nouvel emplacement à Furnes dans le collège réquisitionné. Cet hôpital rebaptisé en  « Belgian Field Hospital »  possédait une équipe complète d’infirmières et de chirurgiens.

       Beaucoup de soldats belges et français gravement blessés durant la bataille de l’Yser en octobre et novembre 1914 leur devront la vie. En tout cas on imagine la joie du personnel de cet hôpital en voyant arriver un renfort inespéré : les ambulances du Dr Munro. Les voitures ambulances voyageront sur tout le front pour en extirper les blessés et les ramener à Furnes. De là, les blessés légers sont évacués en train vers Dunkerke et Calais tandis que les blessés graves sont hospitalisés dans l’hôpital de Furnes.



Les ambulances du Dr Munro dans la cour du Collège de Furnes


       Sur ce tableau, le staff du Belgian Field Hospital. Le personnel de cet hôpital ne devrait jamais être oublié car il fut le seul hôpital en fonctionnement lors de la bataille de l’Yser. Un fameux merci à nos amis anglais ! Dans le courant du mois de janvier 1915, l’hôpital migra à nouveau, cette fois pour Hoogstade. Les infirmières et chirurgiens anglais furent alors remplacés progressivement par des Belges qui reprirent à leur entière charge l’hôpital le 15 mai 1916. Seules quelques nurses anglaises restèrent après cette date à Hoogstade à leur propre demande. C’est le chirurgien militaire belge Willems qui reprit la direction de l’hôpital.



       Les courageuses infirmières de la bataille de l’Yser. Répétons-le, ce fut la seule équipe à assumer les soins opératoires sur le front de l’Yser pendant l’automne 1914. Ce fut aussi la première fois que sur le sol belge, un hôpital fonctionnait avec une équipe complète d’infirmières diplômées et laïques. L’hôpital l’Océan ne rentra en fonctionnement qu’au mois de Janvier 1915. Parmi ces infirmières se trouve l’auteur d’un remarquable mémoire  « A nurse war diary ». L’auteur qui voulut rester anonyme raconte sa vie d’infirmière pendant la bataille de l’YSER. Ce livre se trouve intégralement sur le web.

       Le travail est incessant tant que la bataille de l’Yser perdure. Le 24 octobre, les 5 ambulances exfiltrent 137 blessés de Dixmude. En deux jours, autour du 25 octobre, 4.500 blessés passent par Furnes. Dixmude sera finalement abandonné aux mains de l’ennemi le 10 novembre. Les fusiliers marins ont perdu plus de la moitié de leur effectif  !

       Les inondations crées par les Belges dans la plaine de l’Yser mettent fin à la bataille de l’Yser. Le guerre s’enlise dans les tranchées. Les ambulancières du corps Munro ont moins de travail. Elsie Knocker prend l’initiative de proposer au Dr Munro de créer un poste de secours muni d’ambulances motorisées tout près du front pour stabiliser les cas graves avant de les évacuer vers l’hôpital. Ce projet novateur est finalement réalisé le 21 novembre 14. Un poste de secours est installé dans les ruines de Pervjze qui doit être tenu par Helen, Elsie, Mairi et Dorothée. En réalité, ce poste sera tenu principalement par le duo Elsie Knocker et Mairi Chislom. Dorothie, quant à elle, se sent manifestement mieux à l’hôpital de Furnes d’autant plus que son entente avec Elsie n’est pas très bonne. Elle restera attachée au Belgian Field Hospital et effectuera dès lors beaucoup de missions à partir de Furnes puis d’Hoogstade (en janvier 1915, le Belgian Field Hospital quitta Furnes pour Hoogstade) et cela souvent en compagnie du Dr Jellett.

       Etre chauffeur d’ambulance n’est pas une sinécure sur « les champs de Flandres ». Les chauffeurs doivent aussi être mécaniciens. Il faut savoir démonter pour un entretien général les roues avant, le radiateur et la colonne de direction. Il faut très régulièrement lubrifier les pièces du moteur et en cas de gel la nuit, savoir vider l’eau du radiateur sans compter le nettoyage de la boue incrustée sur le châssis avec une pelle, le dévissage des roues pour remplacer les pneus plats. Il fut aussi compter avec les poussières, les projections diverses car les ambulances n’ont pas de pare-brises. Les chauffeurs portent donc des lunettes étanches mais celles-ci ont l’inconvénient de réduire la visibilité. Enfin, les conducteurs souffrent la plupart du temps du froid et de l’humidité.



       Le 11 décembre 1914, c’est la bataille de Steenstrate. Dorothie retrouve là les blessés français appartenant aux fusiliers marins qu’elle a bien connus à Gand. Un lien fort d’admiration commence à s’établir entre l’ambulancière et les fusiliers. Dorothie Feilding et Dr Jellett partent chaque jour de Furnes par la route pavée le long du canal Furnes-Nieuport. Il s’en suivra des centaines de mission. Les Français, fusiliers marins puis zouaves sont chargés de tenir la plage de Nieuport et ses dunes qui constituent l’extrémité nord qui court sur 700 km pour se terminer à la frontière Suisse. Dorothie devient au fil du temps connue de tous les Français à Nieuport. Le général français Hely d’Oissel est responsable de la défense de Nieuport. Il admire le courage de cette jeune anglaise par ailleurs amie de sa fille. Dorothie est fréquemment invitée pour partager une fête ou une distraction. Le général est un dessinateur de talent. Il lui arrive de dessiner Dorothie. Le commandant anglais Halahan soutient aussi beaucoup Dorothie. Il dirigeait les quatre batteries anglaises de Nieuport. Le commandant Halahan perdra malheureusement la vie sur le pont du HMS Vindictive lors de l’attaque contre la base de sous-marins de Zeebrugge le 23 avril 1918.

       Les mois de guerre passent et Dorothie accumulent les deuils. Le capitaine d’infanterie Thomas Fitzherbert-Brochholes, de la Rifle Brigade, le premier grand amour de Dorothie  décède le 14 mars 15 à Neuve-Capelle. L’année suivante, un de ses deux frères aînés, Hugh, officier sur le HMS Defense, succombe le 31 mai 1916 lorsque son bateau est coulé par l’ennemi.

       En juin 1917, Dorothie, retourne définitivement en Angleterre. Quelques semaines auparavant, en congé chez elle, elle revoit un ami d’enfance tout à fait perdu de vue depuis de nombreuses années. Cet homme, le capitaine Charles O’Hara Joseph Henry Moore des irish Guards lui demande aussitôt de l’épouser !  Dorothie qui avait jusque-là refusé toutes propositions de mariage et Dieu sait si elle en avait reçues, accepte immédiatement et se marie le 5 juillet. Trois mois après la cérémonie, elle aura la douleur d’apprendre la mort de son jeune frère Henry Fielding, le 11 octobre à l’âge de 23 ans. Il repose en Belgique au Dozingem Military Cemetery.



       La gratitude des soldats l’avait aidée à supporter trois ans de guerre auprès des soldats blessés mais le temps était sans doute venu pour Dorothie de quitter ses protégés sous peine de ne plus jamais connaître une nuit sans cauchemars.

       Chaque petit geste compte ici, même minime, car l’aide directe est tellement plus précieuse et surtout il y a la reconnaissance extraordinaire et réconfortante – disproportionnée avec ce que vous avez fait – que vous obtenez de tous côtés, tout cela vous aide à supporter votre propre douleur et soutient votre inquiétude petite et grande. (…)

       Souvent, c’est la gratitude sans paroles dans les yeux d’un homme qui sent la vie quitter son corps et qui est trop faible pour trouver la force ou le temps d’articuler. Souvent c’est la gratitude poignante quand ils vous parlent de leurs femmes et de leurs filles et ensuite que vous promettez d’envoyer là-bas leurs derniers messages qu’ils écrivent dans une lettre…

(Ecrit par Dorothie après la bataille de Steenstrate)



Source : gallica.bnf.fr (bibliothèque nationale de France)

       L’ambulancière anglaise des fusiliers marins français a sillonné la petite Belgique libre pendant près de trois ans. Nous ne pouvons oublier son exploit.



       Patrick Vanleene a réalisé un magnifique livre « L’Anglaise et ses fusiliers marins »  (Editions Academia Press, 2015) pour raconter l’histoire étonnante de Dorothie Fielding durant la Grande guerre. Ce travail est véritablement passionnant. On y apprendra aussi beaucoup sur les fusiliers marins, sur la défense de Nieuport, et sur la surprenante Grande Dune de Lombardzijde, première défense allemande d’un front de 700 km. L’iconographie est particulièrement impressionnante et comprend des documents exceptionnels, notamment les très beaux dessins du général Hély d’Oissy provenant de son journal de guerre. Un livre donc à recommander pour ceux qui veulent en savoir plus sur Dorothie !

Dr Loodts P.

 

  

 



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