Médecins de la Grande Guerre

Le Père Burgaud, un ancien de Marneffe.

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Le Père Burgaud, un ancien de Marneffe

       Le Père jésuite Burgaud fut un jeune professeur du collège Saint Joseph de Marneffe. Le texte qui suit est extrait du livre de Joseph d’Archambault. Ce récit pathétique est suivi d’un poème intitulé L’inventaire qui prend comme thème les objets retrouvés sur le corps du malheureux jésuite à savoir son crucifix déformé par l’explosion de l’obus meurtrier, un papier qu’il conservait toujours sur lui et sur lequel ses vœux de prêtre étaient consignés et enfin un médaillon reliquaire contenant une parcelle d’hostie consacrée. A partir de ces trois objets, le poète disserte sur la vie et la mort d’un jeune jésuite. Ce poème d’un autre temps, malgré sa longueur, continue cependant à nous interpeller.



L’arrière du socle en détail

Le 14 février 1916, un jeune aumônier jésuite, le Père Albert Burgaud, était porté comme disparu à son régiment. On ne le retrouvait que quelques jours plus tard, enseveli sous un amas de terre dans une tranchée. Une lettre apporta bientôt les détails suivants. "Nous venons de retrouver aujourd'hui, après trois jours de recherches, le corps du cher aumônier du Xe territorial. A trois heures et demie environ de l'après-midi, son ordonnance, continuant ses recherches dans une tranchée, l'a enfin découvert sous un éboulement. Il se trouvait à quelques mètres d'une de nos batteries du N . . d'artillerie, soumise depuis quelque temps à un feu très violent de la grosse artillerie ennemie. Il passait par là, pour se rendre près d'un groupe de blessés de son régiment, qu'on venait de lui indiquer à quelque distance. C'était le lundi, vers quatre heures et demie de l'après-midi. Le cher aumônier portait encore sur lui la sainte Réserve que j'ai prise. J'ai aussi enlevé tous les objets qu'il avait, en particulier sa formule des vœux écrite de sa main et hachée par les éclats d'obus, de même un crucifix qu'il portait sur la poitrine et qui a été tordu par le choc de l'obus. Le cher Père avait le corps et la poitrine complètement broyés, la tête seule était à peu près sans blessures. Il a dû mourir sur le coup."

En possession de cette lettre et guidé par elle, le Père Longhaye, a composé un très beau poème, intitulé l’Inventaire. C'est moins, écrit-il lui-même, l'éloge d'une personnalité déterminée qu'une sorte de symbole, d'ailleurs exactement calqué sur un fait réel et sur un document authentique. Nous nous permettons de reproduire en entier cette pièce de vers.

L’inventaire :

C'est bien lui . . . Son visage est calme, sans blessure.
Mais tout le reste ?. . . Hélas ! Meurtri, brisé, broyé.
Cruel spectacle, preuve sûre
Qu'en un clin-d'œil il tomba foudroyé.
La mort qu'on ne sent pas ! C'est de quoi faire envie
A l'homme dominé par l'horreur de souffrir.
Il voyait de plus haut les choses de la vie ;
Il entendait mieux, lui, ce que c'est que mourir.
" Mourir, c'est acquitter ma part du grand supplice
Légué par le Pécheur à sa postérité.
Mais un jour, accordant l'Amour et la Justice,
O miracle ! Epousant notre mortalité,
A cet amer calice
L'Immortel a goûté.
Ce jour-là, tout changeait pour l'homme racheté ;
La mort aux généreux devenait un délice.
Qu'elle me soit du moins le noble sacrifice
Par où je puis, Seigneur, vous payer de retour !
A votre bon plaisir j'entends qu'il s'accomplisse,
Ordonnez-en le rite et marquez-en le jour.
Quand la mort viendra, paisible ou violente,
Douce ou cruelle, prompte ou lente,
Qu'elle trouve du moins mon âme vigilante
Et dans la paix de votre amour !
Ainsi pensait, ainsi priait le jeune prêtre
Qui faisait parmi vous l'œuvre du divin Maître.
Enfants, secondez-moi, car je veux de ma main,
Main de prêtre, d'ami, de frère,
Glaner pieusement sur ce débris humain
Ce qu'à la tombe il convient de soustraire.
D'abord, ce crucifix que le choc a tordu,
Que sur l'habit de guerre il portait suspendu,
Insigne officiel de son mandat céleste.
Des tronçons disloqués, voilà ce qu'il en reste.
Tiens, soldat, baise-les, et jure dans ton cœur
Que rien, menace, exemple ou sourire moqueur,
N'ébranlera jamais ta foi simple et profonde
A ce Dieu mort en croix pour le rachat du monde.
Quelques feuillets épars . . . Voyez-vous celui-ci ?
Le sang l'a maculé, la poudre l'a noirci;
La grenaille de fer l'a troué comme un crible;
Mais l'écrit mutilé reste encore lisible.
C'est qu'il vivait, ce prêtre qui n'est plus,
Engagé par des vœux, compagnon de Jésus.
De son engagement vous voyez l'autographe
Où deux gouttes de sang font un noble paraphe.
Cet écrit, notre ami ne s'en séparait pas,
Il voulait le porter jusque dans le trépas !
Eh quoi donc ! Un démon de sa griffe enragée
Égratignant cette feuille outragée,
Pensait-il abolir par un infâme jeu
Cet acte d'alliance entre une âme et son Dieu ?
Jeu misérable et rage malhabile.
Le paraphe de sang rend l'acte indélébile.

Faibles esprits, jouets du changement,
Jusqu'à notre dernier moment
Ce que nous écrivons est écrit sur le sable.
Nous pouvons l'effacer tant que durent nos jours,
La mort, la seule mort le rend impérissable
Que jurait-on pour toi sur les fonts du Baptême ?
Plus tard, adolescent, qu'as-tu juré toi-même ?
Amour à Jésus-Christ, haine à l'esprit du mal.
Soldat, qu'il t'en souvienne, et que l'heure suprême
Te fixe dans l'honneur de ton vœu baptismal !
Il n'est pas achevé, le funèbre inventaire.
Sur cette pauvre chair, qui n'est plus qu'un haillon,
Je vois luire un pâle rayon,
Un blanc métal, souillé de sang, souillé de terre.
Se peut-il ? Est-ce bien l'auguste médaillon
A la robe d'argent, aux coupelles dorées,
Le tabernacle errant des Espèces sacrées ?
Seigneur Jésus, étiez-vous là ?
Y serez-vous encore ?. . . J'ouvre, tremblant de crainte.
Ah ! Les langes dont il voila
Son Humanité sainte
De la corruption n'ont pas subi l'atteinte.
Adorons Jésus-Christ : Le voilà ! Le voilà !
Vos pères, jeunes gens, ont connu des années
Où dans nos villes prosternées,
Aux jours de Fête-Dieu, ce glorieux Seigneur
Parmi les foules accourues
Passait en Roi, gardé par un piquet d'honneur.
Quand sur les reposoirs qui fleurissaient nos rues,
Le doux Triomphateur s'arrêtait pour bénir,
— Nous frissonnons encore à ce fier souvenir, —
La voix des officiers commandait : " Genou terre ! "
Et les clairons chantaient l'hosanna militaire.
Autre temps. Les clairons se taisent aujourd'hui ;
Mais l'hosanna des cœurs monte encore vers Lui,
Et celui-là, qui peut l'obliger à se taire ?
Il est donc vrai, Maître des cieux :
Dans un coin de cette tranchée,
Immobile, silencieux,
Vous dérobiez à tous les yeux
Votre gloire trois fois cachée.
Il est donc vrai, Christ immortel :
Enseveli trois jours dans ce décor sinistre,
Vous reposiez, n'ayant pour trône, pour autel,
Qu'un cadavre, celui de votre humble ministre.
Pour habiter parmi nous,
Parmi nous poussière et cendre,
Jusqu'où daignez-vous descendre,
Cœur entre tous humble et doux !
Mais pour un prêtre aussi que cette mort est belle !
Voyez-le cheminant dans ce morne ravin.
C'est d'ici que son Dieu l'appelle,
Et qu'il est prompt l'appel divin !
Un éclair, une transe à peine ressentie,

Et c'en est fait, l'âme est partie.
Des ombres d'ici-bas à tout jamais sortie,
Que voit-elle d'abord ? Non plus la frêle Hostie
Qui dormira trois jours dans son sein mutilé,
Jésus, comme au Thabor, apparaît dévoilé,
Resplendissant, auréolé.
Mais qui peut concevoir ou qui saurait décrire
L'enchantement de son sourire,
Son pénétrant regard plus suave que le miel ? . . .
— Arrêtons-nous - Le reste est le secret du ciel.
Et nous un jour, demain peut-être,
Nous le verrons aussi paraître,
Ce Dieu, juge de l'Univers.
Et que sera cette rencontre ? . . .
Enfants, méritons qu'il se montre
L'œil indulgent, les bras ouverts.

       Le 16 mars, le général Gouraud citait à l’ordre de l'armée le Père Burgaud : " Aumônier bénévole, a toujours accompli avec zèle les devoirs de son ministère en se portant au bataillon le plus exposé de son régiment. Le 14 février 1916, a trouvé une mort glorieuse en allant spontanément, et sous un bombardement très violent, vers un régiment de première ligne particulièrement éprouvé, et en traversant pour s'y rendre une zone qui lui avait été indiquée comme très dangereuse."



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