Médecins de la Grande Guerre

Léon Bourjade, 32 victoires sur les dragons (drachens)!

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Léon Bourjade, 32 victoires sur les dragons (drachens) !



       Léon Bourjade âgé de 15 ans a trouvé sa vocation: il sera missionnaire du Sacré-Cœur, un ordre qui fut fondé à Issodum, petite ville située au centre de l’Hexagone. A cause de la loi Combes (1904), qui chassèrent les ordres religieux de France, les Pères du Sacré-Cœur ont cependant dû quitter la France pour trouver refuge en Espagne. Léon les rejoint à 20 ans, juste au moment où les Pères émigrent en Suisse à Fribourg. Il fera là deux années d’études philosophiques et théologiques jusqu’en 1910 où il quitte la soutane de séminariste pour accomplir son service militaire au 23ème régiment d’artillerie de campagne. Libéré, en 1912, après deux ans avec le grade de maréchal des logis dans la Réserve, il reprit ses études à Fribourg. En juillet 14, il est en vacances dans sa famille à Cos. Son congé sera hélas interrompu par la déclaration de la guerre. Le 3 août, mobilisé, Léon rejoint son unité. Dans la gare de Toulouse, les pièces de 75 ont été arrimées sur des « trucs » et les chevaux installés dans les fourgons. Le train des artilleurs monte vers l’est et atteint sa zone de combat.

       Rapidement les canons de 75 sont mis en position. Léon Bourjade reçoit son baptême de feu quand un obus percutant s’abat sur son attelage et tue deux chevaux. Les deux chevaux survivants ne suffisent pas à traîner le canon et les hommes doivent pousser les roues. Léon mène la manœuvre. Pendant les mois d’août et septembre 1914 il se révèle un brave accompli.

       En 1915, il est versé dans l’artillerie de tranchée pour diriger une section de crapouillots. Léon va accomplir ce job pendant deux années et frôler cent fois la mort. Le 31 juillet 1916, il est promu sous-lieutenant mais la guerre n’a pas fait disparaître sa vocation religieuse. Il tient un carnet intime qu’il dédie à Sainte Thérèse de Lisieux. Il demande par écrit fréquemment à la Sainte de protéger ses hommes. A la date du 29 décembre il note, « l’artillerie allemande m’a manqué de peu. Un éclat de 150 éclate dans la tranchée, non loin de moi. Je suis projeté à terre. Mes hommes, me croyant touché, se précipitent vers moi, m’aident à me dégager, car j’ai été à demi enterré. Sain et sauf ! La petite Thérèse était là ! ». Dans la tranchée, Léon a le temps de réfléchir longuement à sa vocation de missionnaire. Peu à peu, il précise sa vocation, il se fera missionnaire-aviateur pour être partout disponible dans cet immense Océanie que les Missionnaires d’Issoudun tentaient d’évangéliser. Léon réussit à se faire engager dans l’aviation et est admis comme élève-pilote. Après avoir dit adieu à ses hommes, il rejoint par chemin de fer le camp d’Avord, près de Bourges. Voilà le poilu qui se trouve tout d’un coup au milieu de camarades qui le changent de ses anciens compagnons d’armes. Ils sont pour la plupart bien mis, élégants, légers. Un château domine le champ d’aviation et dans cette demeure vivaient, avec femmes et enfants, beaucoup d’officiers d’Etat-Major. Le soir, les fenêtres ouvertes, laissaient s’échapper des airs d’opéra chantés, des airs de danse. Léon est mal à l’aise en pensant à ses anciens camarades pataugeant dans la boue. Il prend alors l’habitude de se réfugier dans sa chambre où il a élevé un petit autel orné de la statue de la petite Thérèse de Lisieux. Ses camarades, connaissant sa vocation, finissent par accepter son austérité. Le 17 juin, Léon est breveté pilote ayant accompli ses trois voyages triangulaires de 200 km, chacun d’eux devant s’accomplir entre le lever et le coucher du soleil. Il effectua ensuite son école de perfectionnement et connut une terrible peur lorsque, à son premier tour en solo dans un avion Nieuport, il manqua de peu la collision avec un autre appareil à double commande. Le 27 juillet 1917, il parfait sa formation à l’école d’acrobatie de Long-Pont pour, le 13 septembre être finalement affecté à l’escadrille 152, dite des « crocodiles », escadrille chargée de la défense du front des Vosges.



       Dès les premiers jours de décembre, il reçoit son Nieuport et fixe à sa carlingue l’image de la petite Sainte, Thérèse de Lisieux et cela malgré l’interdiction de faire figurer un autre emblème que celui du crocodile. Son commandant ferme les yeux !



Cette photo montre l’avion de Bourjade avec, en avant, l’emblème de Sainte Thérèse de Lisieux et, à l’arrière, l’emblème du crocodile. Le personnage est sans doute un mécanicien

       Léon mentionne le 27 janvier qu’à trois reprises son moteur s’est arrêté net en cours de vol mais, qu’à chaque fois, cela s’est passé à proximité du terrain, ce qui lui a permis d’atterrir ! De janvier 1918 au 2 novembre, il fera des ballons allemands, nommés aussi drachen, (drachen signifie dragon en allemand) ses proies favorites. A l’armistice, il en compte 32 abattus et homologués et une dizaine d’autres qui n’ont pu être homologués. Bourjade fut un pilote tout-à-fait comparable au Belge Willy Coppens qui, lui, compta à son palmarès 35 ballons.



         Pour ce qui est des rencontres avec les avions ennemis, Léon Bourjade les rencontra 23 fois et parvint à leur échapper. Il en abattit un. Il est nécessaire de préciser qu’une victoire contre un ballon n’est pas aussi facile qu’il apparait à première vue. Le ballon est en effet, la plupart du temps, très bien défendu par la DCA et l’observateur possède une ou plusieurs mitrailleuses.

       A la fin du mois de mai 1918, Bourjade obtint quatre citations à l’ordre de la VIIème armée, la dernière accompagnée de la Légion d’Honneur. Le 31 juillet 1918, il est promu sous-lieutenant mais le 9 août, il est blessé par une balle tirée du sol et est hospitalisé. Après un mois, il fausse compagnie aux « majors » et rejoint son escadrille où il retrouve son grand ami, le pilote Garin, anciennement « Père Garin », vaillant missionnaire du Sacré-Cœur. Les deux amis se rendent fréquemment, tôt le matin, dans la petite chapelle qui jouxte le terrain d’aviation pour y célébrer la messe.

       Le 17 septembre 1918, après sa 25ème victoire, Bourjade vole au secours d’Henri-Antoine Garin attaqué par trois monoplaces et abat l’un d’eux. Le 29 septembre, c’est Garin qui porte secours à Bourjade. Mais l’après-midi du même jour, lors d’une nouvelle mission, les deux pilotes rencontrent 5 avions D.VII. Bourjade en attaque un mais sa mitrailleuse s’enraie tandis qu’un Spad est attaqué par Garin. Bourjade aperçoit en dessous de lui l’avion de son ami surplombant l’ennemi mais, horreur, rapidement l’avion de Garin pique à la verticale, sans doute atteint par un obus, et s’écrase dans la région de Saint-Fergeux ! Léon atterrit fort accablé par le chagrin. Il rejoint le hangar servant de dortoir et dans la petite chambre de Garin tombe à genoux. En sortant de la chambre, il emporte le crucifix en ivoire que lui avait destiné son ami en cas de malheur. Le lendemain, son chef lui interdit de voler mais le surlendemain, le courageux Léon domine son chagrin pour reprendre son service. Le 11 novembre, Bourjade termine enfin sa vie de guerrier.




Escadrille N 152-SPA 152

       Démobilisé, il retrouve avec joie le séminaire de Fribourg où il doit encore effectuer deux années d’études. Un jour de décembre 1920, à contrecœur, il dut accepter de recevoir la Légion d’honneur d’un officier français détaché à Berne. Devant ses condisciples, il se soumet à la cérémonie mais, le soir même, il remit sa décoration au Père supérieur, le priant de l’envoyer en ex-voto à la basilique d’Issoudun. Enfin survint la réalisation de son rêve : son départ comme missionnaire.

       Malheureusement, pas question pour lui d’employer ses compétences de pilote ! Peu importe, Léon a appris à obéir. Le 21 novembre 1921, il débarque à Port-Léon, petit village sur l’ile Yule, en face de la côte sud-est de la Nouvelle-Guinée, où se sont établis les premiers missionnaires du Sacré-Cœur.

       Après un temps d’acclimatation, il est nommé curé à la mission de Waima, sous la supervision d’un missionnaire plus âgé. Waima se trouve à l’intérieur des terres, non loin de la crique de l’Oreke, vaste étendue de marécage infesté de moustique. Bien vite, les indigènes l’apprécient et le nomme affectueusement du nom de « Pata Léo ». Après un an, il est nommé responsable du district de Maéa’éra. Ce district est malheureusement le paradis des palétuviers, de la boue gluante des criques, des marécages et des anophèles. Un jour, Léon décide de jeter un pont sur la crique de la rivière Oreke qu’il devait souvent franchir. Le travail est exténuant. Léon patauge de nombreuses heures dans la boue pour y planter des pieux. La malaria le saisit, mais contrairement à ses crises précédentes, la quinine n’agit pas. Léon est transporté à l’infirmerie de Port-Léon. Les religieuses s’empressent de le soigner mais, quatre jours après son arrivée, le 22 octobre 1924, à une heure du matin, il rend son dernier soupir. Sa mort eut un grand retentissement en France.

       Le 30 juillet 1925, un hommage officiel lui fut rendu auprès de sa tombe. L’aviso Aldebaran accosta à Poet-Léon et ses officiers et marins formèrent un carré autour de sa sépulture tandis que le canon de l’aviso tirait des salves d’honneur. L’encyclopédie Wikipedia nous signale que quelques années après sa mort, le célèbre aviateur Jean Mermoz, durant une de ses traversées de l'Atlantique sud en avion, eut une grave fuite d'huile qui l'assurait d'une perdition en mer ; bien qu'athée, il adressa une « prière » à son collègue pilote Léon Bourjade et atterrit in extremis sur une plage du Sénégal, l'hélice « en drapeau ». Il en a confié le témoignage dans un courrier adressé à la congrégation du Père Bourjade.



Frère Georges


Tule-Island - Centre de la Mission - Nouvelle-Guinée


Port-Léon - Vue générale

       Bourjade n’avait que 35 ans quand il succomba. Nous ne possédons pas de photo montrant sa tombe à Port-Léon. Le Père Bourjade ne fut pas la seule victime de la malaria en Nouvelle-Guinée. Le premier apôtre de la Papouasie fut Mgr Henri Verjus. Il mourut à l’âge de 32 ans ! Son successeur Mgr De Boismenu (1870-1953), eut plus de chance puisqu’il dirigea sa mission pendant cinquante ans. Beaucoup de Belges rentrèrent chez les Pères Missionnaires du Sacré-Cœur. Ils furent chargés de l’évangélisation et de l’enseignement de l’immense Kasaï à l’époque du Congo Belge.   

Dr Loodts P.



 

 

Source :

1)     Léon BOURJADE, le tueur de Drachen

2)     Bourjade, l’as aux 32 victoires, Pierre Croidys, Edition des Grands lacs, collection Lavigerie, 1954

 

 



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