Médecins de la Grande Guerre

La bière des moines à Westvleteren coula à flot pendant la Grande Guerre…

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La bière des moines à Westvleteren coula à flot pendant la Grande Guerre…



L’abbaye de Westvleteren (archives de l'abbaye)

       Tous les Belges connaissent aujourd’hui la célèbre bière des Westvleteren, quasiment introuvable dans nos magasins à cause de son succès international. Heureusement qu’on peut en acheter quelques bouteilles en se rendant sur les lieux mêmes de l’abbaye. En face de celle-ci, se trouve une grande salle nommé « In de vrede » et réservée à la vente ainsi qu’à la restauration des touristes. L’abbaye Sint-Sixtus se trouvait seulement à 15 km du front durant la Grande Guerre. Les moines étaient au nombre de 41 quand la guerre éclata et perturba leur vie régulière.



La communauté de Westvleteren en 1912. Le Père Abbé Bonaventura De Groote est le quatrième moine assis en commençant par la gauche de la photo. Les moines de chœur sont vêtus de blanc tandis que les frères sont vêtus de noir. (archives de l'abbaye)

Les Réfugiés à l’abbaye

       Pensez donc : l’abbaye connut d’abord un afflux de réfugiés belges puis servit de cantonnement à des soldats français puis anglais et enfin belges. L’afflux des réfugiés à l’abbaye commença le 20 septembre 1914 par l’arrivée d’un groupe de 54 civils provenant de Malines. Ces civils ne restèrent que 10 jours mais posèrent aux bons moines des problèmes jamais rencontrés auparavant. Que faire avec les femmes qui demandaient un toit et qui n’avaient jamais pu pénétrer dans une abbaye. On les accepta dans un vieux bâtiment, une vieille école qui se trouvait sur les terrains de l’abbaye ! L’honneur des moines était ainsi sauf ! Les moines évitaient le plus possible les contacts avec les gens de l’extérieur mais là, il fallut bien nourrir et loger les réfugiés, ce qui exigea un minimum de contacts entre laïques et religieux ! Le frère Victor fut assez bouleversé à la vue de ces premiers réfugiés.



Le frère Victor Van Straten dirigeait la fromagerie de l’abbaye ; à côté de lui l’aumônier militaire Bondue (juillet 1915) (archives de l'abbaye)

       Dans son journal, il décrit la misère des mamans portant dans leurs bras un nouveau-né, ou encore une vieille grand-mère de 83 ans ou une autre maman avec ses 8 enfants ! Ce groupe de réfugiés ne resta que dix jours à charge de l’abbaye. Le monastère retrouva son calme pendant deux semaines mais le 6 octobre, deux familles arrivèrent d’Houtem… A partir de ce jour l’abbaye ne fut plus jamais tranquille ! Le 21 octobre, il y avait 200 réfugiés et le 27 octobre, 360 réfugiés ! Beaucoup provenaient de la région de Roulers. En effet, dans cette ville, deux jours avant, le 19 octobre, les Allemands avaient massacré 31 civils et détruit 252 bâtiments ! Des villages avoisinants eurent leurs victimes. Au total, dans toute la région, périrent au moins 161 civils. Ce jour fut nommé « De schuwe mandag » (L’affreux lundi).

       Pauvres moines ! C’est à cette époque qu’ils furent obligés d’ouvrir une salle supplémentaire pour les femmes mais cette fois à l’intérieur de leur abbaye, à côté de la porterie ! Cette décision fut sans doute très dure pour eux… Mais enfin, les femmes restaient encore loin du cloître… La tranquillité totale n’était pas totalement assurée comme le prouve l’incident mentionné par la Frère Victor quand deux femmes pénétrèrent dans l’abbaye à la recherche du mari de l’une d’entre elles. En fait, ce réfugié avait été enfermé par les gendarmes anglais parce que ses papiers n’étaient pas en règle. C’est avec grand peine que l’on put arranger les choses et, écrit Frère Victor (Victor van Straten), que l’on put éloigner les deux femmes.



Sur cette photo le père Ludovicus et le père Serafien s’entretiennent avec un aumônier militaire (juillet 1915) (archives de l'abbaye)

       Les hommes eux dormaient surtout dans les greniers de la ferme de l’abbaye… Pater Ludovicus, très précis dans ses statistiques, mentionna que du 3 septembre au 7 juin 1915, il y eut 14.317 nuitées de réfugiés. Quant aux repas, aux réfugiés résidants dans les lieux, s’ajoutaient les réfugiés de la région qui venaient nombreux une fois par jour chercher leur pitance à l’abbaye. Les moines distribuèrent souvent entre 300 et 400 repas journaliers. Heureusement que la récolte avait été bonne mais on peut logiquement estimer que les moines virent leur propre ration se réduire ! Les repas, tous végétariens, consistaient exclusivement en soupe, bière, patates, carottes et poires. Frère Victor écrira : « Nous sommes tous surchargés… Il faut cuire de la soupe dans la fromagerie dans un chaudron de 280 litres ».

Voici un extrait du « Rapport documentaire » appartenant aux archives de l’abbaye qui évoque cette assistance aux réfugiés :

       Comme œuvre d'assistance ne peut-on pas compter le logement et la nourriture donnés gratuitement à ces foules ? Quel spectacle de voir comment les femmes hospitalisées à l'hôtellerie des dames et à la porterie, pelaient les pommes de terre ; comment on préparait de la soupe aux haricots dans les fourneaux de la fromagerie et de la vacherie ; comment presque continuellement on préparait du café en lait, qu'on cuisait du pain, et que même Le Père préposé au jardin avait la bonté d'apporter journellement les paniers remplis de poires et de pommes !

       Quant aux lits : beaucoup de Pères et Frères cédaient joyeusement leur pauvre paillasse aux vieillards et prenaient eux-mêmes leur repos où ils pouvaient, parfois sur des copeaux.

       La plupart des réfugiés ne restèrent à l’abbaye que quelques semaines. Début novembre, la première bataille de l’Yser se terminait et le front se stabilisa. Le 11 novembre, le commandant de la gendarmerie de Poperinghe reçut l’ordre de l’état-major de l’armée belge de faire évacuer tous les réfugiés de l’abbaye qui se situait juste en arrière de la ligne de front. Deux gendarmes restèrent en faction à la porterie pour empêcher toute nouvelle entrée de réfugiés. Quant aux anciens, on leur laissa le temps de s’organiser pour un départ. La majorité rejoignit la France et fin décembre, il ne restait plus que 40 réfugiés (de rares réfugiés firent des allers-retours pendant toute la guerre et en vinrent à considérer l’abbaye comme leur deuxième résidence comme un certain Henri Florisszon !). L’un des derniers réfugiés, le 14 avril 1915 fut retrouvé noyé dans l’étang de la prairie. Il s’agissait sans doute d’un suicide mais il eut droit à un enterrement religieux. Peut-être s’agissait-il d’un homme ayant perdu toute sa famille ? On ne le saura jamais !

Les soldats français dans l’abbaye

       Les moines n’allaient cependant pas retrouver leur tranquillité. Les réfugiés en partance, ils reçurent autour du 7 novembre plus de mille soldats français qui établirent dans l’abbaye leur cantonnement ! C’est un véritable chalenge pour les accueillir, les fournir en pailles, aménager des espaces en dortoirs. La cour de la ferme et transformée en un grand bivouac où l’on installe des feux pour la cuisine et pour se réchauffer.



Les Français dans la cour de la ferme (archives de l'abbaye)

       Il y a plus de dix endroits où les cuisiniers préparent les repas. Les bâtiments y compris greniers et étables sont remplis de soldats. Les frères sont incapables de traire les vaches tant il y a encombrement dans l’étable ! La présence de tant de soldats rend l’hygiène défectueuse. Les toilettes deviennent rapidement inutilisables. Certains soldats français n’avaient jamais vu une toilette qui fonctionne en position assise ! Certains vont se mettre debout sur la lunette pour satisfaire leurs besoins avec des conséquences que l’on devine aisément ! Dans les greniers, la promiscuité entraîne une odeur terrible, signale Frère Victor. Les premiers Français resteront dans l’abbaye jusqu’au 29 novembre. L’abbaye reste dix jours calme, juste le temps de nettoyer les greniers et puis, de nouveaux régiments arrivent… et cela jusqu’en juin 1915. Vers le 24 avril, Poperinghe, à quelques kilomètres au sud de l’abbaye, est bombardé avec intensité pendant plusieurs jours… De fausses et folles rumeurs naissent dans la région : ce serait un canon installé dans l’abbaye même qui tire sur Poperinghe ! Et incroyable, le « canon fantôme », comme l’appelle les Français, serait réglé par le révérend Père Abbé lui-même ! Cette rumeur invraisemblable entraîna cependant la suspicion sur le Père Abbé et ses moines. Des gendarmes français, assistés par un gendarme belge, vont alors vérifier toutes les identités des moines dans le parloir où ils sont convoqués un à un ! Cette psychose entraînera même la fouille du matelas du Frère Hermanus, surpris de regarder trop souvent par une fenêtre de la toiture. La psychose ne durera heureusement que quelques jours. On découvrira que le mystérieux canon est bien allemand et tire depuis Klerken !

       Le 9 mai, les Français établissent une ambulance dans l’abbaye, la 4ème ambulance de la 2ème Division marocaine. Elle restera une vingtaine de jours et pendant ce temps, on eut à compter 17 décès ! Les soldats décédés seront alors enterrés sur une prairie de l’abbaye qui deviendra un cimetière militaire ! Les corps de cinq soldats furent à partir de 1920 aux frais de leurs familles comprenant notamment la veuve du soldat Louis Cousin qui vint assister elle-même à l’exhumation et la veuve du soldat Emile Moureau qui remercia le 8 mai 1922 le Père Abbé pour son accueil par ces mots : « Enfin, j’ai donc la triste consolation de pouvoir aller prier sur la tombe de mon cher mari, ce sera un grand apaisement à ma douleur. » Les dix autres corps furent transportés au Cimetière National de Notre Dame de Lorette en février 1922.

Les orphelins et l’abbaye

       En plus des soldats français, l’abbaye devra accueillir des orphelins. Le 17 mars 1915, un groupe de 20 accompagné par des sœurs de l’orphelinat d’Ypres. Leur nombre grimpera jusqu’à 42 puis le 7 mai 1915 quittera l’abbaye pour Wyzernes (près de Saint-Omer). En juillet 1915, un nouveau groupe de 20 arrivera avec 7 religieuses de l’école professionnelle de Wijtschaete accompagné par un professeur de menuiserie et de sa famille. Les enfants dormiront dans le grenier de la brasserie tandis que les sœurs seront hébergées dans la vieille école. Tous occuperont un peu plus tard une grande baraque construite par les enfants sous la direction de leur maître. Ce groupe quittera l’abbaye en septembre 1919 mais bien avant cette date, il se vit renforcer, début juin 1917 par 38 autres orphelins avec quatre religieuses qui venaient de Loker.

Cette fois, les Anglais dans l’abbaye

       En juin 1915, les Français quittent l’abbaye mais sont remplacés par les Tommies. Pour les moines ce sera un gros changement car les officiers anglais prennent avec autorité le contrôle total de l’abbaye et impose une stricte discipline. Ils veulent disposer de l’eau potable et la répartir à leur guise, c’est pourquoi ils emportent avec eux la pompe du puits quand ils se sont servis.

       Ils défendent de circuler après 8 heures du soir. Ainsi le Père Abbé a dû demander, un soir, une permission spéciale pour faire une petite promenade avec son invité, le curé Bylo. Les Anglais ont cependant un avantage sur les occupants Français : ils construisent un village de baraquement pour loger leurs soldats. L’intérieur de l’abbaye n’accueille qu’un staff d’officiers supérieurs (dont un général). Seuls les officiers sont logés à l’intérieur de l’abbaye. A côté des bureaux de l’état-major, dans le couloir sont affichés à deux endroits cet avertissement : « Kindly make a little noise as possible in this passable ! »  (Dans ce couloir, faites, s’il vous plait, le moins de bruit possible !), ce qui fait dire à Frère Victor que le Son Excellence le Général ressent une vocation de trappiste puisqu’il applique déjà avec beaucoup de soins la règle du silence.



Les baraques construites par les Anglais à côté de l’abbaye. (archives de l'abbaye)

       Mais si la discipline règne sans partage chez les Anglais, les soldats sont les premiers à en subir les conséquences. Il est fréquent de voir des soldats les bras en l’air liés à un poteau ou à une charrette pour une durée plusieurs heures. La peine la plus grave, la peine de mort, fut malheureusement appliquée dans l’abbaye, le 12 juin 1915 à 5h00 du matin. Le soldat H. Chase du 2ème Lancashire Fusiliers avait déserté en octobre 14 et condamné à trois mois de prison. Cette peine fut écourtée et Chase, renvoyé dans son unité dans la région de Ypres, subit le 24 mai une attaque aux gaz qui le fit fuir. On le retrouva, un peu plus tard, hébété et dans un état de grand épuisement, ce qui lui valut, le 29 mai, d’être condamné à mort pour couardise par le Conseil de Guerre ! L’exécution eut lieu contre un mur de la ferme de l’abbaye qui aujourd’hui conserve encore les traces de la funeste fusillade.



Impacts de balles dans le mur. (archives de l'abbaye)

       Trois prêtres de l’abbaye tentèrent de le confesser mais en vain. Chase resta anglican jusqu’au bout. Il fut enterré dans le cimetière des Français. Après la guerre, on lui donna une sépulture au White House Cemetery[1] à Ypres. En 1917, ce furent trois autres soldats qui furent condamnés à recevoir la mort par balle. Mais cette fois, le Père Abbé Bonaventura put convaincre les autorités d’exécuter les malheureux en dehors de l’abbaye (à Poperinghe ?) !



Sépulture de Chase. (archives de l'abbaye)

       Les soldats anglais avaient quelques distractions dans l’abbaye. Il y avait les compétitions sportives, les concerts sur la prairie chaque jeudi soir mais surtout le plaisir de boire la bière dans l’atelier des moines transformé en club pour soldats. La bière y coulait à flot et Frère Victor mentionne dans son journal, que l’on vendait alors jusqu’à 700 bouteilles par jour[2] ! La brasserie tourna à plein régime pendant la guerre malgré des menaces d’arrêt à un certain moment parce que certains officiers anglais trouvaient que la fumée dégagée par la brasserie pouvait signaler sa position à l’ennemi.

       Comme distraction, il y avait aussi les visites officielles que rendirent de nombreuses autorités à l’abbaye. L’héritier de la couronne anglaise, le prince Edward, fut l’hôte de Saint-Sixtus durant quelques semaines durant l’été 1917. Il se contenta d’une tente pour dormir mais reçut lui-même des visites prestigieuses puisque Albert 1er et la Reine Elisabeth vinrent le saluer deux fois, le 26 juin 1917 et le 5 juillet. Le six juillet 1917, c’est le Roi George V qui rendit visite à son fils. Douglas Haig, le commandant de la force expéditionnaire britannique, se rendit aussi à cette époque auprès des troupes cantonnées à Westvleteren. On imagine bien que ces visites constituaient un facteur de plus perturbant la vie des moines mais elles avaient sans doute l’avantage d’exiger le nettoyage complet du cantonnement.



Visite du Roi Georges V. (archives de l'abbaye)

       On suppose que le général Haig profita de sa visite à l’abbaye pour se rendre ensuite au lieu appelé Dozinghem situé à deux kilomètres seulement de Sint-Sixtus pour décorer l’un ou l’autre blessé. Cet endroit en effet comprenait trois hôpitaux militaires anglais (le 4th, 47th en 61st Casualty Clearing Station) créés en juin 1917. Ce sont les Anglais eux-mêmes qui baptisèrent le lieu Dozinghem. Le verbe « To doze » signifie sommeiller… L’hôpital, l’endroit où l’on se repose… Humour noir anglais ! On rajouta une terminaison flamande pour bien situer que l’on était en Flandres, ce qui devint Doz..inghem. Aujourd’hui un grand cimetière militaire hante les lieux de ces trois hôpitaux. Plus de trois mille soldats y reposent ! Au milieu d’eux, une seule femme, l’infirmière Helen Fairchild.



Les trois hôpitaux sont reconnaissables à leurs Croix-Rouge (Deux hôpitaux en haut à gauche et un hôpital en haut au centre). Sur cette vue aérienne, on aperçoit bien la proximité de l’abbaye avec les hôpitaux de Dozinghem. On imagine bien qu’un continuel charroi d’ambulances motorisées passait devant l’abbaye. (archives de l'abbaye)


Le cimetière de Dozinghem aujourd’hui

Les soldats belges à leur tour dans l’abbaye

       Après les soldats français et anglais, les moines durent aussi héberger des soldats belges. Ces derniers arrivèrent début 1918, lorsque la majorité des Anglais avaient quitté l’abbaye suite à l’extension du front belge décidé après la 3ème bataille d’Ypres. L’abbaye devenant pour eux une zone de repos. Le Père Emundus nota dans son journal qu’il considérait les soldats belges comme les plus sauvages. Lui, ainsi que Frère Victor font mention de très fréquents vols, batailles et même meurtre, impliquant des soldats belges. L’épuisement des soldats belges, la maigreur de leur solde (comparée aux Anglais) sont de possibles explications. 

Sept moines de moins de quarante ans mobilisés

       Tous les moines ne restèrent pas à l’abbaye pendant toute la durée de la guerre. Les sept moines ou frères de moins de quarante ans furent mobilisés fin janvier 1917. Ils rejoignirent, en France, le Camp d’Auvours pour y recevoir une formation de brancardier de deux mois. Deux d’entre eux furent ensuite désignés pour l’hôpital dans la base militaire belge du Havre tandis que trois autres furent désignés pour l’hôpital de Cabour (près de La Panne), commandé par le docteur Nolf, et dans lequel on soignait les fiévreux et les gazés. Les deux derniers moines étant sans doute jugés peu aptes à soigner les fiévreux restèrent provisoirement à Auvours. L’un d’entre eux, le Père Stanislas Loiseau, dut être hospitalisé à l’hôpital de Saint-Lunaire et, malheureusement, y décéda le 10 septembre.



Stanislas Loiseau portant sa coûteuse montre attachée par une chaînette à sa veste. (archives de l'abbaye)

       Le deuxième moine, le Frère Johannes Berckmans ne quitta Auvours qu’au mois de mai et fut envoyé à la base belge de Calais.

       On sait par le courrier des moines à leur Père Abbé qu’ils eurent beaucoup de mal à s’habituer aux conditions de travail de l’hôpital de Cabourg où les brancardiers devaient effectuer les tâches les plus ingrates sous les ordres de…femmes ! « Valet d’infirmière » se qualifia même le Père Bavo (Eugène De Roose) qui en juillet 1918 obtint de rejoindre le front. Pour terminer sur les conditions de vie des moines mobilisés, Il faut avouer que leurs soldes étaient très minimes ; ils recevaient 2,50 francs par semaine (un morceau de fromage coûtait déjà 50 centimes, un paquet de chocolat, 80 centimes) et bon nombre de moines-brancardiers (certainement Bavo et Stanislas qui l’écrivirent) sacrifiaient leur solde pour acheter une montre de 25 francs leur permettant de ne pas manquer l’heure de la messe ! Le Père Bavo se sentit certainement mieux au front. Il fut décoré de la Croix de guerre pour sa magnifique conduite à la bataille de Moorslede la 14 et 15 octobre 1918.

Les moines les plus âgés quittèrent l’abbaye en avril 1918

       Un deuxième groupe de moines comprenant les plus âgés quitta l’abbaye en avril 18 quand les Allemands lancèrent leur offensive du printemps. Ils partirent se mettre à l’abri en France et furent hébergés dans l’abbaye de Sept-Fons. Ils y restèrent jusqu’en janvier 1919 mais deux d’entre eux décédèrent pendant leur séjour en France, le frère Laurenrtius (Florent Decreton) et le Père Dominicus (Rijkaard Schietecatte).

Les pérégrinations du Père Ludovicus, secrétaire trop méticuleux aux yeux des Anglais

       Enfin un moine, le Père Ludovicus (Maria De Cleyn), secrétaire du Père Abbé, accompagna ce dernier dans un voyage pour affaires à Paris en septembre 1915 mais fut curieusement dans l’impossibilité de retourner dans son abbaye. On le retrouve en suisse en septembre, puis à nouveau en France puis en Angleterre où il resta six mois puis encore une fois en France à Sept-Fons puis au Havre et enfin à La Grande Trappe où il devint l’organiste passionné de l’abbatiale. En novembre, il rejoint Sept-Fons et y retrouve une partie de sa communauté. Toutes ces pérégrinations parce que le Père Ludovicus avait été remarqué par les Anglais à Westvleteren comme étant un moine qui observait tout scrupuleusement. Vraisemblablement, c’est à cause de sa méticulosité qu’il fut choisi pour être le secrétaire du père abbé ! C’est lui notamment qui tint avec précision le nombre de nuitées des personnes extérieures à la communauté et le nombre de bombardements subis à l’abbaye. Il est vraisemblable qu’un rapport anglais le considéra un jour comme suspect à surveiller et à éloigner du front… Le 4 mai 1919, il est convoqué au bureau militaire d’Adinkerke où l’on lui signifie qu’il n’était plus considéré comme « suspect d’espionnage » !

Conclusion : Une grotte en remerciement de la survie de l’abbaye



La grotte

       L’abbaye Sint-Sixtus ne fut pas détruite durant la Grande Guerre malgré sa proximité du front, de plus, la plupart des moines restèrent en vie et purent reprendre leur ancienne vie dans la plus totale tranquillité. En signe de reconnaissance, les moines construisirent dans les bois qui jouxtent l’abbaye une grotte dédiée à Notre Dame de la Paix. Les pierres furent fournies par l’abbaye sœur de Rochefort

       Pendant toute la guerre, l’office divin de la nuit n’a quasi jamais été interrompu. L’afflux des réfugiés et des soldats ont toujours laissé la nuit aux moines pour prier dans le calme et la sérénité !

       Que devenait durant cette situation anormale l’esprit religieux dans notre abbaye-caserne ? Eh bien ! Nous pouvons rendre grâce à Dieu. Pour ne pas entrer dans trop de détails, disons qu’on a taché de pratiquer la sainte Règle aussi bien que possible, et surtout que l’office de nuit aussi bien que le jour n’a jamais été interrompu (excepte le 30/4/18 et le 2…/10/18. Le grand point de la Règle de saint Benoit, « L’opus Dei cui nihil praeponatur » a été observé scrupuleusement durant toute la période de la guerre. (Rapport documentaire, page 16, archives de l’abbaye)

       Avec humour, nous nous permettons aussi d’ajouter que si les offices ont continué sans interruption, de même, la bière a continué aussi d’être brassée pendant toute la Grande Guerre ! Alors n’hésitez pas à vous rendre à la cafétaria « In de vrede » pour y goûter cette merveilleuse bière mais, s.v.p., en levant votre verre, ayez une pensée pour tous les malheureux réfugiés et soldats qui en burent tant dans la tourmente !



Dr P. Loodts

 

 

Sources :

1) Hermien Vanbeveren, « Geloof onder vuur ? Sint-Sixtus een abdij en haar bewoners tijdens de Eerste Wereldoorlog in onbezet België », in Jaarboek, Abdijmuseum Ten Duinen 1138, Novi Monasterij, blad 51 à 113, vol 8, 2009

2) Patrick Libbrecht, De abdij-kazerne, St-Sixtus tijdens Wereldoorlog 1, 2021, fascicule de 70 pages en vente au magasin du café « In de Vrede »  en face de l’abbaye de Westvleteren

 

 

 

 

 

 



[1] Ce cimetière contient les tombes de 1.163 soldats de la Grande Guerre. Parmi celles-ci, il y quatre tombes de soldats exécutés : celle du soldat HH Chase (the Lancashire Fusiliers) exécuté le 12 juin 1915; celle du soldat WJ Turpie (Queen's Royal West Surrey Regiment) exécuté le 1 juillet 1915; celles du soldat RW Gawler et AE Eveleigh (East Kent Regiment), exécutés le 24 février 1916. Le soldat Turpie réussit à rejoindre la Grande-Bretagne un mois après sa désertion. Il fut arrêté par la police, avoua sa désertion et fut renvoyé au front où il passa en cour martiale et condamné à mort. Le 7 novembre 2006, le gouvernement britannique demanda officiellement pardon pour tous les soldats exécutés (312) pendant la Grande Guerre

[2] En 1814 Jan-Baptist Victoor s’installa en tant qu’ermite dans les bois de Westvleteren. Quelques moines de l’abbaye française du Mont-des-Cats vinrent rejoindre l’ermite. Très tôt, ils brassèrent la bière pour leur usage. Il ressort du livre de caisse de l’abbaye de Saint-Sixte qu’en juin 1838 les premières dépenses furent effectuées pour créer leur propre brasserie. Le premier brassin officiel date de 1839.



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