Médecins de la Grande Guerre

Burniaux et Constant

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques

Constant (dit « Louis ») et Jean Burniaux étaient brancardiers dans la même unité. C'est en se rendant avec son frère auprès d'un blessé que Jean va être mortellement blessé. Constant, à la fin de la guerre entreprend alors d'écrire un petit livre de 30 pages pour maintenir le souvenir de son frère et pour répondre aux questions que lui posent sans cesse son petit neveu Paul, le fils de Jean.
Le dernier chapitre du livre raconte la mort de Jean :

Langemarck

Garde-toi d'oublier ce nom, Paulet, garde-toi d'oublier que c'est là!...par une après-midi de juillet... Nous sommes assis sur le seuil de l'abri.
- Quel silence! hein, Louis?
Pour ne pas répondre, je demande à Jean :
- Quel heure est-il?
- Je ne sais pas.
Nous ne savons pas l'heure, Paulet. Nous ne pouvons même pas la deviner. Il fait un temps étrange. Et le silence écrase la terre.
- Louis.
- Jean?
- Promets de raconter à mon petit Paul notre vie, notre guerre.
- Toi, tu la lui raconteras.
- oui, mais si...
A l'instant, je l'interromps...
- C'est promis!
Autour de nous, le calme est si profond qu'il paraît avoir la volonté de se taire. Nos regards inquiets parcourent le paysage comme si jamais, jamais nous ne l'avions vu. J'éprouve l'impression d'être un homme d'autrefois placé subitement devant ce désert planté d'arbres sans feuilles.
- Quel silence ! répète ton papa
- oui, Jean, quel singulier silence!
Une vague horreur transpire du paysage lunaire. Nous nous attendons à voir apparaître quelque chose de formidable, nous nous attendons à tout...
Brusquement, voilà qu'un énorme aboiement gronde, siffle et s'éteint dans l'étendue. Après lui, lourdement, le silence retombe....
Clac ! clac ! clac ! clac !
- La mitrailleuse, fait ton père.
Aussitôt un cri lointain nous cherche :
- Brancardiers!
- Hop là! Louis.
- Je vais prendre ma musette à pansement, Jean.
- prends la mienne.
- Brancardiers!
Quelques secondes après, nous courons courbés dans la plaine rase où nos yeux se tuent à chercher un être, un mouvement....
Clac ! clac ! clac !
Je suis ton père, je lui crie:
- baisse-toi, Jean.
Je l'entends rire...
Clac ! clac !
Hein ! Jean se redresse, étend ses bras, se retourne à demi :
- Lou...
Et tombe sur ma poitrine, la bouche ouverte. Je le dépose sur le sol. Il a un trou dans le front, un petit trou d'où sort un filet de sang. Nous sommes seuls . Autour de nous, c'est la terre désolée sous le grand linceul gris du ciel...
Et Jean est mort, Paul, je le sens bien, il est mort ! il est mort ! il est mort !
Le docteur arrive. Appelé pour le blessé que nous allions secourir, il galope plié en deux. Il s'(arrête devant ton père étendu, lève instinctivement les deux bras en signe de désolation, se penche sur Jean soulève une main inerte, cherche le poignet, écoute, me regarde pleurer , secoue la tête et s'en va lentement.

(1) Burniaux Constant (1892-1975). 
Écrivain. Instituteur (1912) de l'école normale de la ville de Bruxelles. Fait la guerre 14-18 et retrouve l'enseignement jusqu'en 1937. Membre de l' Académie royale de Langue et de Littérature françaises (1945), considéré comme un des maîtres de la littérature de l'entre- deux-guerre.

(2) Burniaux Constant, « Les brancardiers », Collection VIES, L'églantine, Bruxelles, 1928



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©