Le commandant Brennet résiste et vainc au combat du Reigersvliet

Introduction

       Pour comprendre le combat du Reigersvliet, il est nécessaire de bien visualiser les lieux. Entre Nieuport et Dixmude se trouve la voie de chemin de fer. Les Belges qui y ont établi une tranchée protégée par ses remblais. A l’est de la voie, la plaine est inondée mais l’armée belge établit des « grand’gardes » dans des ilots de terre ferme plus ou moins épargnés par les eaux. On les rejoint au moyen de longues passerelles. Ces grand’gardes situés en face des lignes allemandes sont constituées de quelques tranchées, elles mêmes reliées à six ou sept « postes avancés » tenus chacun par deux ou trois soldats.

Relève d’une garde dans un poste avancé

Sentinelle double sur l’Yser. (Peinture de James Thiriar)

Cette photo (Musée Royal de l’armée) représente d’après moi la passerelle aboutissant au Reigersvliet. A l’arrière, on aperçoit les ruines du hameau d’Oudstuivelenskerke

       La grand’garde qui nous intéresse ici est établie le long du Reigersvliet (ruisseau des hérons). Une passerelle, la Passerelle des Serpents, de plus de 1 km de long, la relie aux tranchées du chemin de fer situées à un endroit situé à 1,5 km au sud du village de Pervijse. Cette grand’garde est protégée sur son flanc sud par une autre grand’garde située dans les ruines du hameau de Oud-Struivekenskerke, cette dernière est aussi reliée au chemin de fer par une longue passerelle.

       Le hameau de Oud-Struivekenskerke deviendra célèbre grâce au moine Martial Lekeux qui fut un des officiers chargé d’observé les lignes ennemies depuis les hauteurs des ruines de l’église. Curieusement, je n’ai pas trouvé de cartes détaillées de la Grand’garde du Reigersvliet mais, sur celle de la Grand’garde d’Oud-Struivekenskerke on aperçoit la position des postes avancés du Reigersvliet.

La Grand’garde du Reigersvleit est signalée ici par une courbe rouge au nord du point rouge N° 12 qui, lui, marque la Grandd’garde d’Oudstuivekenskerke

Sur ce croquis de la Grand’garde d’Oudstuivekenskerke, où le nord est à gauche de la carte, on aperçoit dans le coin inférieur gauche une partie quelques postes avancés de la Grand’garde du Reigersvliet. (Croquis extrait de : Le patelin de notre Dame par Martial Lekeux en 1927)

Cette photo aérienne (altitude 400 m) peut se superposer au croquis de la Grand’garde d’Oudstuivekenskerke. Dans le coin gauche sont marqués quelques postes avancés (pp : petits postes) du Reigersvliet

6 mars 1918 : Le combat du Reigersvliet.

       Dans le secteur envisagé, la position principale belge est marquée par le remblai du chemin de fer de Nieuport - Dixmude, celle des Allemands suit le cours même de l'Yser. Entre ces deux positions s’étend la région inondée et marécageuse au lieu de laquelle sont établies des grand'gardes et postes avancés dont la possession a été si âprement disputée au cours des mois qui ont suivi l'épique bataille de l'Yser. Nous tenons sur la rive Est du ruisseau du Reigersvliet la grand'garde de ce nom. Elle comprend sept postes tracés en éventail, du Sud au Nord, depuis la Ferme des Deux Pommiers jusqu'à la Ferme en Ruines. Plus au Sud, se trouve érigée dans les ruines même du hameau la Grand'garde d'Oud-Stuyvenkenskerke. Des passerelles jetées au-dessus de l'inondation relient nos grand'gardes à la position principale. En face ce nous, à quatre cents mètres à peine de notre ligne avancée, les Allemands sont établis an château de Vicogne, à Kloosterhoek (coin du cloître), à la Ferme Vandenwoude et dans une série d'autres postes fortifiés. Au mois de mars 1918, le secteur est tenu par la division de cavalerie, sous les ordres du général De Blauwe, les hommes y jouent avec la plus belle vaillance le rôle de fantassin. Une compagnie du 5^ème lancier tient la grand'garde du Reigersvliet ; les carabiniers cyclistes sont à Oud-Stuyvenskenkerke. Une compagnie du 1^er lanciers garde les tranchées du chemin de fer, dans le secteur du Reigersvliet. Plus en arrière, dans la ligne de soutien, se trouve un bataillon de chasseurs à cheval.

Patrouilleurs belges sur le front de l’Yser (source : « 14-18 L’armée belge, une petite armée dans la Grande Guerre, édité par le Ministère de la Défense, 2014)

       La nuit du 5 au 6 mars a été très calme ; les détachements de patrouilleurs, qui ont opéré comme de coutume, n'ont rien remarqué d'anormal. Tout au plus a-t-on perçu certains bruits dans la direction de Kloosterhoeck. On saura plus tard qu'ils étaient produits par les corvées allemandes transportant des matériaux pour l'attaque projetée, Le commandant Brennet, chef de la grand'garde du Reigersvliet, en a du reste informé le major de tranchée, un peu après minuit.

       Brusquement, à 5 heures du matin, se déclenche simultanément sur tous nos postes un bombardement d'une extrême violence. Bombes et obus tombent dru comme grêle, bouleversent les défenses, obligent les hommes à se terrer ; les liaisons téléphoniques sont presque immédiatement rompues. Cette infernale averse de feu dure huit minutes. Puis, à 5 h 0 exactement, les détachements d'assaut s'élancent, alors que déjà des pionniers, rampant jusqu'à nos fils de fer barbelés, y ont pratiqué des jours. Il ne s'agit pas d'un simple coup de main, mais d'une attaque puissante. L'ennemi, en effet, a résolu de s'emparer de la Grand'garde du Reigervliet et de nous rejeter sur la rive ouest du ruisseau. Notre situation, à l'Est de celui-ci, le gêne dans son occupation de la rive gauche de l'Yser et trouble les communications. Il veut y mettre fin. Dans ce but, un vigoureux assaut sortant de Kloosterhoek est mené par trois régiments d'une division d'élite, arrivée de Cambrai. L'ensemble des troupes d'attaque comprend 9 officiers, quelque 300 hommes, 10 mitrailleuses. Cette opération principale est appuyée et flanquée par deux attaques secondaires : l'une au Nord, qui doit s'emparer du poste des Deux Pommiers ; l'autre au Sud, dirigée contre la Grand'garde d’Oud-Stuivenkenskerke, simple diversion, qui fut immédiatement brisée par nos feux. Au Reigersvliet, en revanche, le bombardement a produit de tels ravages que les défenseurs malgré une résistance stoïque, sont submerges par le flot impétueux des assaillants. L’ennemi ne tarde pas à s’emparer de notre ligne avancée, il poursuit aussitôt un mouvement vers l'Ouest et pénètre bientôt dans les petites tranchées qui forment la tête de pont au-delà du passage établi du Reigersvliet.

       Cependant le commandant Brennet se tient avec une poignée de braves et une section de mitrailleuse dans deux tranchées qui longent la rive ouest du ruisseau et auxquels vient aboutir la Passerelle du Serpent, unique liaison avec l'arrière. Quelques défenseurs échappés des postes enlevés l'ont rejoint, Brennet donne ordre de tenir coûte que coute quoiqu'il arrive. Il fait aussitôt ouvrir un feu d'enfer qui cloue l'occupant sur place. Notre artillerie, entretemps n’est pas restée inactive. Trois minutes à peine, après qu’a éclaté, le tonnerre du bombardement, le groupe des batteries à cheval a déclenché un tir de barrage devant nos grand’gardes menacées. Une batterie d’obusiers de 105 millimètres de la 2^ème division entre aussi en action. La situation du commandant Brennet et de la poignée de braves n’est pas moins critique; non seulement l’ennemi s’est emparé des Deux Pommiers deux mais il s’est avancé au Sud jusqu’à la Ferme des Trois Pignons d’où il menace de prendre les défenseurs à revers. Heureusement à 6 heures, alors que Brennet ne dispose plus que de quinze carabiniers, un renfort précieux arrive ; ce sont les cavaliers patrouilleurs accourus au bruit du combat sous les ordres du lieutenant Vandenheuvel. Avec un mordant magnifique, Brennet décide aussitôt d'attaquer lui-même et de reprendre les petites tranchées de la tête de pont, dont la possession est indispensable pour qu’on puisse contre-attaquer en force. Sous la protection des rafales de mitrailleuses, les patrouilleurs s'élancent, s'emparent des tranchées, y capturent dix-neuf prisonniers et une mitrailleuse. A ce moment survient un nouveau renfort : quelques patrouilleurs des bataillons cyclistes, conduits par les lieutenants Masui et Brasseur. La petite troupe s'installe alors dans les éléments reconquis, s'y organise et s'y maintient définitivement, malgré les feux que, de toute part, l'ennemi dirige sur elle. Celui-ci, d'ailleurs, semble se préparer à un nouvel effort. Tandis que son artillerie tente de barrer la route à nos renforts, une nuée d’avions vient mitrailler nos batteries en action et nos tranchées du chemin de fer. Peine perdue. Les batteries susdites et celles des 2^ème et 5^ème divisions, qui occupent le secteur, entament un tir d'une précision redoutable contre les postes que l’ennemi a envahis. De plus, le général De Blauwe a fait alerter la division de cavalerie et pris ses dispositions pour exécuter la contre-attaque.

       On avait d'abord pensé à retarder celle-ci jusqu'au soir, en raison du danger que paraissait devoir présenter le mouvement des troupes en plein jour, par l'unique Passerelle du Serpent. Mais attendre, c'était laisser à l'ennemi le temps de s'organiser et de se renforcer et accroître du même fait les difficultés de l'opération. Aussi, le général De Blauwe prit-il énergiquement la résolution d'agir immédiatement. L’artillerie, qui tient déjà sous son feu les postes belges perdus et les postes abandonnés allongera son tir au moment de l'attaque, de façon à encager les organisations boches et à les isoler. Ordre est donné au major Jones d'exécuter la contre-attaque avec son bataillon de cavaliers, fort de deux compagnies, l'une du premier, l’autre du 2^ème chasseurs à cheval. Tandis qu'une patrouille s’en va rejoindre les éléments du commandant Brennet, le bataillon est amené par groupe, à 11 heures, vers les tranchées du chemin de fer, au débouché de la Passerelle du Serpent. La 2^ème compagnie, sous les ordres du commandant Landrain, s'engage alors sur celle-ci, par fractions successives, Elle passe sans encombre et se trouve tout entière réunie clans les tranchées du Reigensvliet. Le major Jones est avec elle et fait exécuter le même mouvement par la 1^ère compagnie conduite par le commandant Ouverlaux. Avant 13 heures, il a donné tous les ordres pour l'attaque des trois postes méridionaux de la grand’garde, qui seront enlevés par les chasseurs et les patrouilleurs cyclistes.

       Chacun est prêt : le moral est splendide. On doute d'autant moins du succès, que nos batteries tapent sur l’ennemi avec une vigueur et une précision terribles, De l'autre côté, il y a de l’hésitation manifeste. Le major Jones fait ses dernières recommandations et lance, à 13h15, la fusée ordonnant l'allongement du tir. Au même moment, les chasseurs et cyclistes bondissent d'un tel élan que les trois postes sont aussitôt conquis avec leur garnison. Les cavaliers-patrouilleurs s’emparent du quatrième poste, presque au même moment. Il s'agit maintenant d'achever, en progressant vers le Nord, la conquête des trois postes restant. Le lieutenant Thomas, à la tête d'un groupe de braves, enlève le cinquième à coups de grenades. Mais il est arrêté devant le sixième par une satanée mitrailleuse, qu'il faut d'abord museler. Un signal aux batteries Verhavert ; les obus fracassent le poste où nos hommes pénètrent peu après. Devant le septième, celui des Deux Pommiers, on se heurte à une nouvelle résistance acharnée ; la garnison commandée par un officier s'est renforcée de ce qui a échappé jusqu'ici à l'élan des nôtres. Il faut ordonner une concentration des feux d'artillerie sur ce poste, pour réduire à merci ses défenseurs. C'est fait à 17 h. 50. Tout ce qui l'occupait est tué ou fait prisonnier ; pas un Boche n'a rejoint le Château de Vicogne.

       Ainsi, après un combat qui n'a duré pas moins de treize beures, l'attaque allemande s'est transformée en un total et sanglant échec. Des neuf officiers et trois cents hommes qui se sont élancés sur la grand'garde du Reigersvliet, avec ordre formel de s'en emparer, cinq officiers étaient capturés, un autre tué ; cent et deux prisonniers valides et vingt-cinq blessés restaient entre nos mains ; trente et un cadavres gisaient sur le terrain repris. De dix mitrailleuses mises en action, neuf furent ramenées dans nos lignes, ainsi qu'un abondant butin en fusils, grenades, cartouches.

Les prisonniers du Reigersvliet

Le Roi s’entretenant avec le major Verhavert, commandant d’une batterie d’artillerie au combat du Reigersvliet

       Les documents recueillis et les déclarations des prisonniers ont confirmé l'importance de cet échec ; les troupes de choc spécialement entraînées avaient étudié et répété l'attaque pendant plusieurs jours, à Zande, sur un terrain, où nos défenses avaient été représentées aussi exactement que possible. La vaillance des nôtres, leur sang-froid, leur mordant, autant que l'habileté et l'énergie des chefs, firent de la tentative ennemie un vrai désastre local.

(Texte extrait du Guide du visiteur du champ de bataille, De Backer et Goffard, Editions A. Deboeck, Bruxelles, non daté)

       Du 6 au 9 mars, le 5^e régiment de Lanciers perdit les deux tiers de ses effectifs. Ces combats valurent aux 1^er et 2^e bataillons de Carabiniers-Cyclistes, au 5^e régiment de Lanciers, aux 1^er et 2^e régiments de chasseurs à cheval, au 14^e régiment d'artillerie et à la Compagnie des Pionniers-Pontonniers-Cyclistes de la Division de Cavalerie la mention Reigersvliet sur leurs étendards. Quant au principal acteur de ce combat, le commandant Brennet, je ne sais ce qu’il devint…. et ne possède aucune photo le représentant. Un lecteur pourrait-il combler ce vide ?

Drapeau du Régiment 2/4 chasseurs à cheval