Médecins de la Grande Guerre

1930, Les Anciens Combattants en France ne sont pas contents !

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1930

Les Anciens Combattants en France

ne sont pas contents !



Faisons un acte de contrition

       Au soir des funérailles de Foch la révolte grondait dans le camp des combattants[1] .. Venus de tous les points de la France pour défiler devant le cercueil de leur chef, ils  durent seulement s'incliner devant les ordres d'un protocole aussi anonyme qu'impitoyable.

       Que s'était-il passé ? Oh ! rien ; du moins pas grand chose : « On »  les avait tout simplement oubliés !...

La leçon vaut un commentaire.

*

*          *

       Les dirigeants de nos associations ont cru de leur devoir de rechercher les responsables de cette injure. Le Président de la République reçut une lettre respectueuse mais ferme et la tribune de la Chambre retentit d'indignations sonores. Et le rideau tomba ...

       Au fait, quels étaient les coupables ?

       Le Gouvernement ? .. Les organisateurs de la cérémonie ? ... Le Préfet de Police ?... Celui des Alpes - Maritimes ?... L'Institut de France ou l'Académie de Billard ?... Allons, voyons, Messieurs, livrez-nous les coupables !...

       Eh ! bien, ne cherchez pas et surtout ne vous fâchez pas : les responsables, en cette affaire comme en beaucoup d'autres, c'est vous, c'est moi, c'est nous tous, camarades.

       Je m'explique.

*

*          *

       Nous n'avons pas, dans la Nation, la place que nous valent nos droits, droits sacrés parce qu'ils sont le prix du sang. Notre prestige de libérateurs, de sauveurs (souvenez-vous : septembre 1914, février 1916, mars 1918, juillet 1918 !...) ne s'exprime plus que dans quelques livres de classe. Il n'est pas dans les cœurs.

       Aujourd'hui, il n'y a pas de différence entre un combattant et un embusqué. Faites l'expérience suivante à table d'hôte ou en wagon : déclarez bien haut que vous n'avez pas fait la guerre, que vous vous réjouissez d'être resté à l'abri tandis que les poires se faisaient casser la gueule, et vous constaterez que personne ne se lèvera pour vous gifler. L'ancien combattant rougira comme une petite fille prise en faute et les autres opineront de leur tignasse.

       Ne criez point, car c'est vous, combattants, qui avez permis, toléré, favorisé, parfois, le triomphe des embusqués. Leur victoire est faite de notre faiblesse. Ils tiennent toutes les places et, devant eux, les combattants font la courbette. Les embusqués ?  Vous en trouverez à la douzaine au Palais-Bourbon, élus par d'authentiques combattants. Vous les rencontrerez aux meilleurs postes, et dûment décorés, servant l'Etat avec tout le zèle qu'ils avaient mis en réserve pendant la guerre.

       Les embusqués sont nos maîtres. Ils nous ont eus ! Inclinons-nous !

       Et je passe sous silence – car ce serait trop triste – les traîtres, les déserteurs, les francs-fileurs de tous poils qui, légalement amnistiés, pardonnés, lavés de leur trahison, plastronnent et nous narguent.

       Nous sommes roulés.

*

*          *

       Les embusqués ne sont pas nos seuls adversaires. Il y a tous les autres. On ne se souvient plus. Vous aurez beau dire : « J'étais à Verdun », on ne comprendra pas. On ne comprend pas, non par malice, mais parce qu'on ne sait plus.

       Verdun ?  C'est, au plus, un camp retranché, un patelin célèbre pour ses dragées ...

       La Marne ? Ah !  oui, les engrais !...

       La Somme ?  Quelle somme ?  Celle que Mme Hanau a soigneusement « épargnée » pour le compte d'innombrables gogos qui escomptaient 45 % d'intérêt ?...

       La Champagne ?... Préférez-vous sec ou ,demi-sec ?...

       Ainsi, la guerre n'est plus qu'une panoplie accrochée au mur ou une paire de douilles d'obus aux flancs poussiéreux qui servent de vase sur la cheminée...

       Dix ans ont suffi pour tasser les tombes du front, les souvenirs de guerre et effacer l'auréole des vainqueurs.

*

*          *

       Au reste, l'immense majorité des Français est convaincue qu'ayant été largement payés de nos peines, nous n'avons que le droit de rentrer dans le rang et de nous taire.

       J'exagère ?  Lisez donc cette formule claire et précise qui situe, pour beaucoup, notre position dans la nation, et que j'ai trouvée sous la plume autorisée d'un journaliste dont on ne contestera point l'influence : G. de la Fouchardière.

       « Les anciens combattants. Écrivait-il dans l'Œuvre du 14 juin 1929, ont subi du fait de la guerre un malheur injuste que nous avons le devoir de réparer. Les anciens combattants n'ont pas acquis du fait de la guerre une supériorité devant laquelle nous devons nous incliner. »

       M. de la Fouchardière ne va point jusqu'à nous qualifier d'assassins, mais il déclare que nous devrions avoir honte de la besogne guerrière que nous avons accomplie. Si nous nous vantons c'est que nous admettons « que la guerre est une institution honorable, utile et reluisante. »

       On voit le ton.

       Je vous le dis, camarades, le jour n'est pas loin où l'on nous reprochera publiquement d'avoir sacrifié nos vies et il faudra nous excuser de figurer encore sur les registres de l'état civil.

*

*          *

       Dès lors, pourquoi mendier une place qui n'est plus dans les cœurs. On nous subit. On nous tolère. Que voulez-vous de plus ?

       Nous avons touché le carnet de pécule, le costume Abrami ; pour ceux qui sont revenus incomplets, un barème – pareil à celui du boucher – fixe légalement le prix des bras, des jambes ou des cuisses mutilés... On débite la reconnaissance nationale à la livre et au kilo, vraiment, vous désirez encore quelque chose ?

       Reconnaissons nos lâchetés, nos abdications, nos capitulations successives qui nous valent, après dix ans de paix, ces affronts. Si nous sommes oubliés, dédaignés, méprisés, c'est que nous n'avons pas été fidèles à l'esprit combattant. Nous payons cher nos divisions, nos querelles et surtout nos insolences. Ayons le courage de frapper notre poitrine. Et voyons clair.

       Surtout, n'attendez plus rien de ce que vous avez pu faire de 1914, à 1918 ; mais attendez tout de ce que vous bâtirez aujourd'hui.

       Voilà la vérité.

       Et hâtez-vous !

       Si vous réalisez ce rêve impossible de faire une France digne de sa victoire, vous resterez plus grands, dans l'Histoire, que pour avoir « merdoyé » dans les boyaux de l'Yser et vaincu

la famille Hohenzollern.

Georges PINEAU

A FOCH

Lorsqu'on a comme toi redressé l'espérance
Et servi si longtemps de pilote à la France,
On reste encor vivant dans l'ombre du tombeau !

Quand on fut comme toi la gloire et le flambeau
D'un peuple de héros et de jours sans lumière,

On survit à sa vie et même à sa poussière
Car on part triomphant dans les pleurs de Paris
Et l'on reste immortel dans le cœur du pays ! ...

                                                                   Emile POlTEAU,
                                                                      des Ecrivains Combattants et des Croix de Feu.




Source :
Almanach du Combattant 1930, page 135

 

 



[1]      Dans un article du Combattant Bourbonnais, notre ami André Gervais; témoin direct de l'incident en a fait un récit circonstancié.

       Il expose comment 20.000 A. C. placés par les organisateurs officiels tout à la queue du cortège, là où ils ne pouvaient rien voir, turent mis dans l'impossibilité de défiler devant le cercueil parce qu'il « fallait éviter à la famille et aux invités une fatigue excessive ».

       Indignation des camarades.

       Un général qui osa dire d'un ton cassant : « On vous a permis de suivre le cortège, qu'est-ce que vous avez à réclamer de plus »  se vit houspiller de belle façon et fila sans insister.

       C'est de là, et pas d'ailleurs, que partit le cri, «  A la Chambre ! »

       Comment, drapeaux en tête et au pas cadencé, nous enfonçâmes un premier barrage de gardes municipaux sur trois rangs, puis un second barrage d'agents, puis un troisième barrage d'agents ; comment nous fûmes finalement arrêtés par un peloton de gardes républicains à cheval, soutenu par une masse d'agents et d'officiers de paix ; comment, rejoints par une seconde colonne d'Anciens Combattants, puis par une troisième, en tête de laquelle marchaient Scapini et M. Guichard, Directeur de la Police municipale, nous parvînmes jusqu'aux grilles de la Chambre; ce qu'on y fit, ce qu'on y dit, ce qu'on y chanta : je juge superflu de vous en donner le détail.

       Notre manifestation n'était pas politique. Elle n'était pas dirigée contre les députés, puisque nous savions que la Chambre ne tenait pas séance. Elle avait un seul but : extérioriser notre mécontentement, le rendre public, le proclamer de façon éclatante, de façon qu'on en parle, et qu'on ne puisse plus ignorer que les Anciens Combattants en ont assez, à la fin, d'être traités comme des gêneurs.

       Tout de même, vous n'auriez pas voulu qu'après une insulte pareille, vingt mille Anciens Poilus de Foch rentrent chez eux sans rien dire, comme des écoliers qui n'osent pas regimber sous la férule du Père Fouettard ?



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