Médecins de la Grande Guerre

Millicent duchesse de Sutherland à Namur.

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Millicent duchesse de Sutherland à Namur.

Millicent peinte par John Singer Sargent en 1904

La Place d’Armes de Namur avant la destruction de l'hôtel de Ville

Les membres de l’ « Ambulance Millicent Sutherland » à La Haye

Quelques blessés belges et français

Soldats allemands montant la garde autour des décombres de la Place du Marché

Un coin de Namur après l’incendie

Soldat anglais dans une maison de campagne à Harvengt aux environs de Mons, appartenant au comte Maxime de Bousies. Garde irlandais, rifles irlandais, royal écossais

Les gardiens allemands à la porte du couvent

L’ambulance de la duchesse à Namur

Millicent duchesse de Sutherland à Namur

   

Millicent, duchesse de Sutherland (1) était issue d'une des familles les plus riches d'Angleterre. Elle avait épousé très jeune le duc de Sutherland  puis, au décès de celui-ci, s'était remarié avec un brillant officier le major Percy Desmond Fitzegerald du X1ème Hussards qui s'était fait remarqué dans la campagne militaire en Afrique du Sud. Millicent Sutherland eut l'honneur de porter le dais de la reine d'Angleterre lors de son couronnement en 1911. La duchesse était célèbre pour sa générosité. Elle avait notamment créé dans un de ses nombreux châteaux une association au profil de ses ouvriers et fonda même un hôpital pour les enfants malades de son personnel.  Dès la déclaration de la guerre, quand elle apprit que les ambulances (2) manquaient sur le front, cette femme énergique décida de se mettre au service de la Société Française de Secours aux Blessés  présidée par une de ses connaissances, la comtesse d'Haussonville. Arrivée à Paris, elle se rendit au siège de la Croix-Rouge où on l'informa  que son initiative était  appréciée mais que celle-ci  devait  obtenir l'assentiment du ministre de la guerre. Aussitôt dit aussitôt fait, la très influente duchesse obtint le même jour un rendez-vous avec le ministre qui  lui concéda l'autorisation de se rendre sur le front. Munie de son nouvel uniforme d'infirmière de la Croix-Rouge acheté à Paris, Millicent rejoignit  alors Bruxelles où elle pensait se mettre au service des soldats français venus au secours de la Belgique. La duchesse  était  accompagnée de quelques infirmières françaises parmi lesquelles se trouvait  la comtesse  Jaqueline de Pourtalès. Dans  la capitale belge, Millicent  eut une entrevue avec le Dr Depage, responsable de la Croix-Rouge belge qui lui proposa  un objectif ambitieux, celui de créer elle-même  une  ambulance complète  destinée à  traiter les soldats alliés en province de Namur. Cette idée souleva l'enthousiasme de Millicent qui aussitôt   démissionna de la Croix-Rouge française pour retrouver sa totale indépendance. La dynamique duchesse   transmis  ensuite par  télégramme l'ordre de  recruter en Angleterre, à ses frais, le personnel  nécessaire à  la nouvelle ambulance qu'elle venait de créer. Les instructions de Millicent  furent  rapidement exécutées puisque déjà, le 16 août, elle recevait un mandat de 200 livres sterling et que le même jour arrivaient d'Angleterre huit infirmières et un médecin, le docteur Morgan (3).

Le 17, toute l'équipe médicale  rejoignit Namur et s’installait dans le couvent des sœurs de Notre-Dame, bien connues  en Belgique  pour l'enseignement de qualité  qu'elles prodiguaient à la jeunesse. Millicent organisa rapidement l'ambulance qui, outre les infirmières et le Dr Morgan, disposait aussi  d'un véhicule de transports de blessés dont le chauffeur était un certain monsieur Winser. Une  compatriote, Miss Louise Grabowski, qui travaillait déjà à Namur pour la Croix-Rouge belge pouvait  être très utile à l'ambulance  et fut contactée par la duchesse. Quant aux  religieuses, elles furent chargées de cuisiner  pour les blessés. Ces dernières allaient  se révéler dans les jours suivants aussi dévouées que discrètes. Millicent décrivit la sensation qu'elle éprouva dans ce grand couvent peuplé de femmes:

 J'éprouvai une étrange impression, le lendemain en me trouvant dans ce vieux couvent, au milieu du jardin rempli de fruits et clos par des murs élevés, tandis que les religieuses, les novices, les postulantes passaient dans les allées tenant à la main leurs rosaires et leurs petits livres. Elles faisaient si peu de bruit qu'on avait peine à s'imaginer qu'il pût y en avoir près de deux cents dans cette maison.  (4)

 En attendant l’arrivée de  blessés, les infirmières s'organisèrent et  confectionnèrent  une provision d'attelles, de coussins et  de sacs de sable pour les mises en tractions des fractures. Le 21 août la panique commença à Namur. Millicent  témoigne:

 A 7h30, une bombe fut jetée d'un aéroplane allemand à peu de distance du couvent. Elle était destinée au collège des Jésuites qui servait temporairement de quartier d'artillerie mais elle manqua son but et éclata près de l'Académie de musique, brisant toutes les fenêtres, faisant un grand trou dans la salle et blessant grièvement quatre artilleurs. Un soldat conduisant son cheval passa près de moi en pleurant. Cela faisait une étrange impression. Il venait d'apprendre que son frère avait été tué. A midi, le ciel s'obscurcit et une religieuse me donna un morceau de verre fumé pour regarder l'éclipse partielle du soleil, environ les six dixièmes de la sphère solaire étaient couverts; cette obscurité ajoutait à l'horreur de la situation. (4)

 Le lendemain, 22 août, le bombardement resta  intense  et les infirmières ainsi que les enfants de l'école  durent s'abriter dans les caves du couvent pendant 24 heures. Miracle, la vénérable Mère parvint à nourrir les 200 nonnes et les enfants !

Le 23 août, le bombardement cessa soudainement mais c'est l'affluence de blessés amenés par six automobiles. Millicent décrivit  ses premières impressions d'infirmières de temps de  guerre :

 En moins de 20 minutes, nous avons 45 blessés. Un certain nombre d'entre eux avaient été atteints par de shrapnels, quelques-uns par des balles; mais beaucoup par bonheur, seulement par des éclats d'obus. Ceux-ci font de terribles entailles, mais si la blessure est soignée à temps, elle est rarement mortelle. Les blessés étaient tous belges ou français. Notre jeune chirurgien, M. Morgan, de même que nos infirmières furent d'un calme remarquable. Ce dont, auparavant, je me fusse cru incapable me semblait alors tout naturel: laver les blessures, enlever les habits et les loques tachés de sang, tenir des cuvettes pleines de sang, calmer les gémissements des soldats, soutenir un soldat recevant l'extrême-onction entouré des religieuses et du prêtre, tant il paraît près de mourir, tout cela devint un devoir facile à accomplie. Toute la soirée on nous amène une quantité de blessés. (…)  Un grand nombre de ces malheureux sont dans un tel état de prostration voisin de la démence qu'il me paraît plus d'une fois que je vis dans un cauchemar. Séparés comme nous le sommes du monde entier, je comprends soudain quelle bénédiction est notre ambulance. (4)

Dans les salles je prends les chapelets que les blessés ont dans leur porte-monnaie, car ils veulent les avoir dans leurs mains ou autour de leur cou. Par terre, c'est une confusion d'uniformes, de képis et de vêtements de dessous que nos religieuses essaient de trier. C'est à désespérer.  (4)

 Le 23, les Allemands  occupaient  donc Namur. Millicent eut la bonne idée d'enterrer son révolver sous un pommier du jardin. On frémit à l'idée de la punition que l'occupant eût pu appliquer  à  Millicent découverte  en possession d'une arme! Ce jour là, la sonnette du couvent tinta sans interruption. Cette fois, ce furent  des blessés civils qui réclamaient des soins. Femmes,  vieillards et  jeunes garçons s'étaient rendus sur la Grand-Place afin de voir les soldats défiler et soudain des obus tombèrent au lieu de la foule. Un civil blessé au ventre meurt après quelques minutes dans les bras d'une infirmière et c'est un incessant va et vient dans le couvent pour faire face aux urgences. L'obus meurtrier provient d'un  tir trop court qui était destiné à la vieille  citadelle qui surplombait la ville et qui faisait encore peur à l'ennemi! Beaucoup de civils et de soldats allemands furent  tués par cette erreur (5). Durant la nuit qui suivit ce funeste jour, les pas cadencés de l'infanterie résonnèrent  dans Namur et maintinrent les habitants éveillés. Millicent et le docteur Morgan décidèrent avant de prendre un peu  de repos de   monter dans la tour de la chapelle pour découvrir le paysage qui s'offrait à eux! Cette initiative dangereuse (ils auraient pu être considérés  comme espions si les Allemands s'étaient aperçu de leur présence dans le clocher) leur fit  découvrir le triste spectacle des villages et maisons des alentours devenus pour beaucoup   la proie des flammes !

 Après quelques jours de nursing, les infirmières anglaises commencèrent à mieux connaître leurs blessés. Elles leur avaient  donné des surnoms affectueux; il y avait notamment   Silly Billy  «  Nicodème », Bonny Boy « le joyeux garçon », Baby boy « le bébé ».  Les bombardements semblaient définitivement arrêtés quand, le 27, à 10 heures du soir, une terrible fusillade éclata dans les rues du centre. Le brancardier de l'ambulance, Monsieur Winser se précipita en criant "Mon dieu, duchesse, ils sont mis le feu à la ville!". Effectivement l'hôtel de ville, le marché  ainsi de nombreuses maisons de Namur étaient devenus  de terribles  brasiers (6). Par miracle l'incendie s'arrêta le long des murs du couvent qui fut ainsi, de justesse, épargné. Le tocsin retentit toute la nuit. Ce fut pendant cette terrible nuit qu'un officier allemand dérangea les occupants du  couvent et pria  Millicent de le guider daredare à la citadelle. Celle-ci  n'eut pas peur de refuser:

 Je demeurai ferme et fis observer que j'étais étrangère, anglaise, et que de ma vie je n'avais été à la citadelle, ce qui me permit d'esquiver une corvée désagréable. Il nous déclara que quelques civils avaient tiré sur les soldats par des fenêtres, non éclairées et ajouta que la ville entière serait brûlée. (4)    

 La duchesse se rendit le lendemain  au grand quartier général allemand établi à l'hôtel de hollande. Elle s'entretint avec le général von Bullow sur l'avenir de son ambulance. Le lendemain comme pour rassurer la duchesse, le général vint rendre visite à  l'ambulance en compagnie d'un de ses officiers, le baron Kessler. Ce dernier   avait composé le scénario  de la Légende de Joseph et avait été en étroite relation avec l'opéra russe de Londres durant la dernière saison. Millicent s'était souvent entretenue avec lui à Londres à propos de l'art dramatique!  Même les artistes allemands avaient dû revêtir l'uniforme!  La machine de guerre allemande  impressionna Millicent qui écrivit dans son carnet:  

 Les Allemands me donnaient le sentiment d'une force écrasante par leur nombre effrayant. Une vielle légende assure que Namur ne souffrira jamais de grands désastres grâce à la protection de la vierge dont la statuette est entourée de fleurs. Ce dut être sous l'influence de sainte Julienne de cornillon que j'étais allée à Namur. Elle disait « allons à Namur, c'est le refuge des exilés ». (4)

De crainte des francs tireurs, l'occupant donne des ordres formels. Millicent les décrit et explique comment le général van Bullow  assouplit pour le couvent les mesures imposées.

A Namur les ordres de l'occupant sont stricts. Aucune maison ne devait être fermée la nuit. Après 8 heures du soir, trois fenêtres devaient être éclairées dans chaque maison. Toute personne trouvée dehors après cette heure devait être fusillée. 

Les Allemands permirent d'abord aux habitants de Namur de conserver leur bourgmestre mais lorsque le général von Bullow eut quitté la ville peu de jours après, le commandant qui le remplaça rapporta cette décision. Le bourgmestre était désespéré. Tant que le général von Bullow fut dans la ville, tout alla bien dans le couvent et dans notre ambulance. Les allemands nous faisaient force protestations et promesses, et nous avions finalement pu obtenir de fermer les portes du couvent pendant la nuit. L'ordre signé de von Bullow fut affiché sur la porte. Au-dessous, en allemand était apposé cet autre avis: "Là demeurent 174 femmes". Je ne pouvais m'empêcher de sourire chaque fois que je lisais cette inscription en allemand. (4)

 La faim bientôt tenailla tous les Namurois. La duchesse essaya d'améliorer l'ordinaire devenu très pauvre de son ambulance en envoyant Monsieur Winser, son brancardier, chercher, avec l'ambulance automobile de la Croix-Rouge, des vivres à Bruxelles. Il rapporta un jambon, un fromage et de la marmelade. La comtesse Jacqueline  de Pourtalès profita de l'occasion pour quitter Bruxelles et rendre visite à la duchesse à Namur. Elle rapportait des nouvelles importantes à savoir que les Anglais combattaient à Mons et que Miss Angela Manners et Miss Nellie Hozier avaient organisé une ambulance à Mons. Curieusement, cette ambulance avait même  reçu des Allemands l'autorisation d'être appelée  « Ambulance Wiston Churchill »!  La duchesse avait un grand désir de soigner des compatriotes et c'est pourquoi elle obtint le 4 septembre l'autorisation de partir en automobile pour Mons. Arrivée dans la cité du doudou, elle visita la petite ambulance anglaise mais ne s'attarda pas. En revenant à Namur, elle s'arrêta toutefois à l'ambulance de Maubeuge dans l'orangerie de la maison du comte Maxime de Bousies de Harvengt. Ce dernier y soignait vingt soldats anglais.

De retour  parmi ses infirmières, la duchesse apprit que le médecin allemand Schilling avait ordonné la fermeture de nombreuses ambulances namuroises  afin de   regrouper les blessés  et ainsi d'éviter les évasions des soldats blessés  avant leurs transferts comme prisonniers  en Allemagne. La duchesse reçut peu après l'annonce de cette nouvelle, l’ordre de transporter  ses blessés  dans une salle du collège des Jésuites. Le transfert de ses protégés signifiait hélas  pour elle et ses infirmières la fin de l’aventure de son ambulance ! Millicent exprima dans ses notes son grand désarroi à ce moment :

 Prières et larmes n'eurent aucun effet sur les autorités allemandes. Je n'ai jamais vu autant de courage qu'en montrèrent nos blessés français et belges. Il n'y eut que celui que nous avions nommé Baby-Boy, un petit chimiste français de 19 ans qui pleura.

 Les infirmières et moi nous accompagnâmes les brancards et les voitures qui emportaient les blessés au collège des Jésuites. Les frères furent très bons; ils étaient très affligés. Ils trouvaient que les Allemands transportaient ces blessés dans un état pitoyable. Quelques uns venaient d'être opérés et avaient de la fièvre. Dans le hall, il y avait un grand nombre de parqués. Les frères faisaient tout ce qu'ils pouvaient, mais c'était, cela va de soi, bine différents de notre hôpital. (4)

 Voici la lettre qu'adressèrent deux soldats à l'une des infirmières.

 A sœur Héron Warson.  La Patrie et la Liberté

L'Union fait la force

Deux étudiants de l'université de Louvain, blessés au siège de Namur et transportés à l'hôpital des Anglais, se font un plaisir de remercier la petite sœur écossaise des bons soins qu'elle n'a cessé de leur prodiguer. Ils conserveront d'elle un souvenir reconnaissant et la prient de rapporter au noble pays des Highlanders l'affectueux salut de deux soldats du petit peuple ami et allié. Dick and Flap

God save the King Dieu sauve la Patrie……et puis le Roi. (4)

  La duchesse, les infirmières et le docteur Morgan, l'ambulance fermée, n'eurent pas d'autre possibilité que d'essayer de rejoindre l'Angleterre. Ils passèrent la frontière hollandaise en compagnie du journaliste américain  Jim Barnes. Le 18 septembre après avoir été  photographiés par un certain monsieur Sutherland qui, bien que Hollandais  portait aussi le vieux nom anglais, les membres de l'ambulance quittèrent Rotterdam pour rejoindre l'Angleterre.

 Pour la duchesse la guerre n'était pas terminée. Revenue au pays, elle reconstitua une équipe destinée d'abord au transport des soldats « The Millicent Sutherland ambulance Car Convoy ». Débarquée en France, cette ambulance  oeuvra d'abord à Malo-les-Bains près de Dunkerke puis à Bourbourg. En octobre 1915, l’ambulance fut transférée à Calais et devint  «  N° 9 Red Cross Hospital Millicent Sutherland Ambulance ». En janvier 1916, cet hôpital pouvait traiter 100 patients. Il fut pionnier dans le traitement des blessures par la méthode Carrel-Dakin. Cette méthode avait  été conçue  par le Dr Carrel qui put l'expérimenter sur une grande échelle  à l'hôpital l'Océan de la Panne. En mars 18, l'hôpital  transféré à St Omer et d'une capacité de 200 lits devint la 2nd Line Casualty Clearing Station. En Juin 18, l'hôpital fut à nouveau  transféré et devint la 1st Line Casualty Clearing  Station de Roubaix.     

 Après la guerre Millicent retourna à sa vie civile. Elle rédigea un  rapport sur son ambulance en mentionnant qu'elle avait soigné 2.000 soldats français ou Belges et six mille Britanniques. En récompense de ses services, elle fut décorée de la British Royal Red Cross, de la Belgian Royal Red Cross et de la Croix de Guerre française. (7)

Dr Loodts P.

 

 

(1) Millicent de Sutherland née Lady Millicent Fanny St.Clair-Erskine (1867-1955). Mariée en 1884 avec le duc de Sutherland (1851-1913) de qui elle aura quatre enfants. La plus âgée, Victoria, mourut à l'âge de trois ans. En 1914, se remaria avec le Major Desmond Percy Fitzeral (qui devint plus tard général de brigade) dont elle divorça en 1919. Elle se maria pour la troisième fois avec le Lt.Col. George Hawes dont elle divorça en 1925. Lady Millicent était connue pour ses positions progressistes et ses talents littéraires. Elle écrivait sous le nom d'emprunt d'Erskine Gower.

(2) Le mot  ambulance en 1914 ne signifiait  pas le véhicule permettant de transporter des blessés mais bien  une petite formation hospitalière ambulante  comprenant  matériel, personnel et véhicules. 

(3) Dr Morgan (1889-1981) Diplômé médecin en 1913. S’engagea pendant quatre ans au service de l’ambulance  crée par la duchesse de Sutherland. Après la guerre devint un chirurgien des yeux renommé qui, en 1954,  présida la société d’ophtalmologie d’Angleterre. (Ophtalmic Society of the United Kingdom). Après 11 ans de mariage eut le malheur de perdre son épouse. Devint peu après ce triste événement un spécialiste des fleurs qu’il cultivait avec passion en accumulant sur elles une connaissance impressionnante …Un véritable écologiste avant l’heure qui  respectait avec admiration toute créature vivante… Etait fort aimé de ces patients, étudiants et collègues !         

(4) Extraits tirés du récit écrit par la duchesse sur son ambulance à Namur : "Six semaines à la guerre". Le texte complet peut être consulté sur: www.greatwardifferent.com/Great_War/Nurses_6/Sutherland_01.htm

(5) Relation de l’incendie de Namur  du 24 août 1914 et de la mort de 75 civils

Source : « La Belgique et la guerre, tome II : L’invasion allemande », pages 219 et 220, Editions Henri Bertels, 1926 Bruxelles.

Le 23 août, vers 18h30, soudain une rafale d’obus s’abattit sur la ville tuant une trentaine de personnes, dont une douzaine de soldats allemands, et en blessant une cinquantaine d’autres. C’était le résultat d’une erreur, comme le proclamait le soir même par une affiche le général en chef  De Hülsen, qui profita de l’occasion pour remercier les habitants de l’accueil réservé aux troupes.

Le lendemain lundi 24 se passa calme. Cependant vers 10h30 du soir alors que tout le monde s’apprêtait à jouir enfin d’une nuit de repos, une pétarade éclata tout à coup et se répercuta à travers toute la ville. Des bandes des soldats ivres parcouraient les rues en hurlant comme des sauvages, tirant au hasard dans les portes, les fenêtres, les soupiraux, ne visant que les rares passants attardés quoi se trouvaient encore dans les rues. La fusillade fut méthodiquement suivie  de l’incendie. En cinq endroits, mais surtout au centre les édifices flambaient. Place d’armes, on commença par le magasin dénommé « A la ville de Paris ». L’incendie de cet immeuble doit être attribué à son enseigne : c’était une miniature du grand tableau que devait constituer quelques jours plus tard l’incendie de la vraie « ville de Paris ». (…)
L’hôtel de ville disparut avec tous ses trésors, tableaux, archives anciennes et modernes. A l’institut  ophtalmique  de la place Léopold  restaient en traitement quatre soldats blessés, belges et français, qui n’avaient pu être évacués à temps. Les Allemands les arrachèrent de leurs lits, les traînèrent sur la place et les assassinèrent sans pitié. Puis ils mirent le feu à l’institut et à quelques autres maisons. Rue Royale, ils pillèrent et brûlèrent 14 maisons. Des mitrailleuses y fauchèrent les malheureux habitants qui cherchaient leur salut dans la fuite. Parmi les dix victimes de la mitrailleuse, un vieillard fut achevé par un officier, tandis qu’il gisait sur le pavé. Dans la rue Saint-Nicolas, les soldats qui avaient bu et mangea avec les habitants, incendièrent une dizaine de maisons. A la plaine du même nom, tout un côté d’une avenue a disparu. Le onzième rapport officiel a enregistré divers témoignages concernant des attentats à la pudeur. (…)

75 civils périrent du 23 au 15 août, parmi lesquels 23 furent fusillés, 36 moururent à la suite de leurs blessures, deux femmes furent carbonisées dans leur maison, deux cadavres n’ont pu être identifiés et un certain nombre de personnes disparurent dans laisser de traces.109 maisons furent incendiées. Il devint presque banal de répéter qu’ici encore les Allemands accusèrent les habitants d’avoir tiré sur eux.

(6) Relation par un témoin, L. Moulin,  d’une partie des évènements qui se sont déroulés place d’Armes les 23 et 24 août. Les détails concernent surtout l’immeuble N°34 occupé par lui-même, son épouse, sa fille et sa servante.

(Source : Jules Delaize, « Châtiments sans crimes, crimes sans châtiments », pages 133-142, Edition Picard-Balon, Namur 1921.

La ville fut bombardée durant une heure chaque jour les vendredi 21 et samedi 22 août. Pendant ces journées, il y eut peu de changement dans l’existence. Le dimanche 23 août devait être particulièrement mouvementé car le bombardement recommencé vers une heure de l’après-midi, dura jusqu’à 5 heures ; c’est à cause de cette prolongation que la famille Moulin et leur servante ont été contraints de se réfugier dans les caves. Jusque là les dégâts constatés furent minimes. Peu après les Allemands qui s’étaient emparés de la ville y firent leur entrée. On prit alors son parti pour une nouvelle existence toute de résignation commandée par la prudence. Au moins pouvait-on espérer la tranquillité d’autant plus qu’on s’était conformé à l’ordre de rouvrir les vitrines. L’esprit de la population paraissait bon, puisque lorsque les troupes envahissantes se furent rangées  du côté de l’hôtel de ville en chantant leurs airs nationaux, les cafetiers et boulangers portèrent silencieusement aux soldats toutes sortes de choses. Nous-mêmes étions sur la porte du magasin pour empêcher l’envahissement quand, à 6h1/2 ou 7 heures du soir, tomba au milieu de la Place, remplie de monde un obus suivi d’autres qui firent d’énormes ravages, blessant et tuant quantité de personnes et de soldats allemands. On n’a jamais connu le nombre de ces derniers. Par un hasard extraordinaire, aucun de nous  n’a été atteint et cependant toutes les vitres de toutes les fenêtres de la maison furent réduites en miettes ainsi que les glaces, très épaisses, des vitrines.

La panique fut inimaginable. Quantité de gens dont beaucoup de blessés, se précipitèrent chez nous  et dans les alentours ; nous les avons fait se réfugier dans les caves. L’épouvante a gagné la plupart des habitants des rues avoisinant la Place d’Armes, lesquels chargés de paquets et de valises se dirigèrent à la première heure du 24 hors de la ville. C’était impressionnant de voir ces longues files allant à l’aventure.

Dans l’incertitude, nous avons préféré rester chez nous et surtout surveiller notre demeure. Une affiche placardée quelques heures plus tard diminua les craintes et redonna un peu de courage : on la croyait sincère ! De sorte que beaucoup de gens réintégrèrent leur domicile. Cette affiche était conçue à peu près dans ce sens.

« Le général von Bullow, gouverneur allemand de Namur faisait part de son regret de ce qui s’était passé la veille dans la soirée (il s’agissait du dernier bombardement qui était dû entièrement à une erreur, disait-il). Il ajoutait qu’il constatait le calme de la population, duquel il la félicitait. » Fausseté boche. La journée du   lundi 24 se passa tant bien que mal, et à neuf heures du soir, nous fermions notre magasin. (…) Nous avions disposé la sale à manger pour y passer la nuit sur des fauteuils ainsi que notre servante, tous ayant revêtus des vêtements du matin et très ordinaires. Nous commencions à peine à sommeiller quand tout à coup, des clairons sonnant l’alarme ainsi qu’un vacarme effroyable nous réveillèrent  en sursaut. Presque au même moment des mitrailleuses tiraient sur les maisons, ce qui s’entendaient fortement contre nos volets en fer. Nous nous sommes précipités dans la cave, mais constatant qu’on pouvait être atteint par des projectiles à travers les soupiraux, nous avons préféré nous blottir dans l’escalier en pierres d’où , à un moment donné, nous avons aperçu une grande lueur ; impossible de définir d’où elle venait. En même temps, nous entendions un bruit semblable à une pompe. Lorsque nous avons remarqué qu’on  ne tirait plus, nous avons essayé de trouver un refuge dans les maisons voisines donnant sur la cour, (note immeuble n’avait aucune sortie sur la rue des Brasseurs) appelant de toutes nos forces : « Mr Lefèbvre et Mr Declerck ». Personne ne nous répondit ; nous avons appris depuis qu’ils étaient dans leurs caves. Bref, de plus en plus intrigués par la clarté intense, j’ai risqué de m’aventurer au premier étage, me glissant le long du mur pour voir ce qui se passait ; j’ai alors constaté que le magasin des Galeries Namuroises était en feu du bas en haut et, chose inouïe, au milieu de la Place, une machine électrique avec réservoir carré lançant sur le brasier des jets d’un liquide inflammable. Les événements ne précipitaient car, presque aussitôt, de grands coups accompagnés d’un fort brouhaha attirèrent notre attention sur la porte du magasin. Comme je l’ai dit, les lumières étant éteintes, on ne pouvait ouvrir les verrous et clefs qu’à tâtons. Bientôt, une entaille, qui allait grandissant se produisit dans le panneau de chêne très épais à coups de hache, laissant passer une torche allumée. Enfin, lorsque j’ai réussi à ouvrir, une poussée formidable eut lieu et une bande de barbares avinés (garde impériale, à ce qu’il paraît) se jetèrent sur nous, nous poussant brutalement dans un coin, ma femme, ma fille , moi et notre servante, baïonnettes sur les poitrines et révolvers contre les oreilles, enjoignant d’allumer les becs à gaz et de lever les bras en l’air ; impossible de s’expliquer, car ils feignaient de ne pas comprendre -en tous les cas, ils défendaient toutes paroles. Madame avait un petit sac à la main contenant des valeurs ; ils le lui ont arraché. Tâtant ensuite les poches de nous tous, ils me laissèrent environ trente francs dans mon porte-monnaie. Une partie de la bande est montée dans la maison, se servant d’une lampe à pétrole ; aussitôt on entendit un vacarme épouvantable. Ils saccageaient tout avec leurs haches et probablement se servaient de ces pastilles avec trou pour mettre le feu. Nous avons eu l’impression après, que si, au lieu de venir ouvrir la porte et nous y présenter, nous étions restés dans la cave, ils nous auraient exterminés. En redescendant, ils nous ont jetés dehors (nous nous attendions  ce moment à être fusillés)  dans nos costumes plus que sommaires : nu-tête, en pantoufles, etc., ne permettant même pas qu’on prenne les vêtements de jour : chapeaux, pardessus (dans lequel était mo portefeuille), robes, bottines, etc. qui se trouvaient dans la salle à manger ainsi que nos montres et bijoux (y compris ma grosse bague or brillant) sur la cheminée. Notre martyre n’était pas terminé. On nous a menés brutalement, trébuchant dans toutes sortes d’obstacles, de l’autre côté de la Place où se trouvaient déjà une cinquantaine de personnes sous la surveillance d’un chef qui braillait d’une voix rauque et toujours en allemand, paraissant furieux lorsqu’in cessait de lever les bras. Qu’allait-on faire de nous ? Ce qui était terrifiant, c’était de voir que le feu avait déjà atteint les maisons de notre côté, sur lesquelles la machine à incendier lançaient ses jets. Bref, encadrés de soldats, menacés par des baïonnettes, on nous ordonna de suivre (où allait-on ?) ne ménageant pas les coups de crosse et de poings lorsqu’on ne marchait pas assez vite. Au bout de quelques minutes on s’arrêta et cela pour empoigner de personnes sur leurs portes en allant et venant. Ces brutes connaissaient assez de français pour dire « qu’on allait nous fusiller » et le répéter à tout instant. Après avoir renouvelé ces arrêts, on est arrivé devant la gare où on nous a fait longtemps stationner. Attendait-on un train pour nous enlever en Allemagne ou nous fusiller ?

Enfin à minuit, on vint nous dire qu’on allait entrer dans la salle des Pas-Perdus, d’où on voyait le feu de propager d’une façon effrayante (endroit probablement choisi à dessin). A sept heures du matin, après une nuit passée sans sommeil sur les dalles (sans sièges) n’ayant même pas de couvertures, on nous mena à l’hôtel-de-ville ; il fallait voir la stupéfaction et l’air  navré de plusieurs personnes nous connaissant en nous voyant traverser la ville dans l’accoutrement qu’on nous avait forcé d’avoir (et entourés de brutes sous l’uniforme de soldat). Nous n’étions pas les seuls. Nous fûmes entassés avec un foule qui y était déjà et toujours, comme on pouvait s’y attendre de la part de semblables sauvages avec force coups de poing et de crosses .alors, il nous a été donné de constater les ravages d’une nuit sans secours : toute la Place d’Armes n’était plus qu’une ruine : seul l’hôtel de ville avait résisté. A ce moment nous avons assisté à un spectacle terrifiant et navrant : l’écroulement d’une seule pièce de la façade de 9 mètres de large en pierre bleues de notre immeuble. A neuf heures et demie du matin, la caravane était très augmentée, on nous conduisit au Manège de cavalerie, et, au lieu de nous faire entrer par la grande porte, on nous fit faire un détour. Se sont trouvées réunies 500 à 600 personnes comme otages, de toutes conditions, sans s’occuper ni de l’état physique, ni de l’âge, ni de la santé. On n’a eu que la ressource de s’asseoir sur le fumier et impossible de se procurer quoi que ce soit ; la permission de sortir ayant été refusée et de quelle façon ! Le bruit se répandit parmi tout le monde que dans la nuit on avait fusillé une dizaine d’habitants qui gisaient, à ce qu’il paraît, sur le trottoir en face de la caserne des lanciers. (On a appris depuis qu’on les avait enfouis sans cercueils dans la plaine d’Asty-Moulin, ainsi que beaucoup d’autres.)

Du manège, on apercevait  par les ouvertures le progrès de l’incendie des alentours et on pouvait craindre, non sans raison, l’encerclement. On vint annoncer que les femmes pourraient partir à 2 heures après-midi, mais qu’on conservait les hommes (était-ce pour les fusiller comme les malheureux de la nuit précédente ?) Le moment était si critique qu’on s’est fait certaines recommandations suprêmes ! Enfin on a conservé tout le monde (ces menaces étaient pour  nous torturer) et toujours sans pouvoir manger ; du reste, on avait pas faim. On avait la faculté de boire de l’eau puisée dans un seau, ce qui convenait le mieux car on avait plutôt la fièvre. A 7 heures du soir, probablement à cause de certains dévouements, on nous a libérés, donnant à chacun une boîte de sardines. Quel soulagement !

Si après tout cela on n’est pas devenu fou, c’est qu’on avait la tête plus forte qu’on le supposait : on s’est ressenti tout de même des suites de semblables secousses, principalement Mme Moulin qui après avoir stoïquement les 24 et 25 août a été quinze jours après, terrassée par les émotions et le chagrin ; elle n’est pas encore remise.

Rien n’a pu être sauvé 34, Place d’Armes : marchandises, meubles, vêtements, linge, valeurs etc. Nous n’avons à signalé comme épargné que le linge de la quinzaine qui était encore chez notre blanchisseuse, Madame Dassy. Les murs calcinés se sont entièrement écroulés, l’action des pompiers ayant été paralysée dès l’origine du feu par les teutons qui avait crevé les tuyaux. De plus les voûtes de nos caves se sont effondrées contrairement à celles du restant de la Place qui, presque toutes ont résisté. On peut attribuer cela à deux causes :

1° Monsieur Declerck avait dans sa maison (N°32) aux mansardes contre notre mur, une machine excessivement pesant pour hacher le tabac, laquelle est tombée sur notre emplacement.

2° L’écroulement entier de notre façade en pierres bleues. On comprend qu’une telle masse a dû ébranler jusque dans les fondements, après la secousse produite par la machine.

A la maison du coin (N°36), les voûtes des caves ont résisté ; cependant on a constaté qu’elles étaient lézardées et très peu solides. Monsieur Oberling commandant des pompiers, a même fait remarquer qu’il serait prudent de prendre des précautions pour s’y aventurer.

D’après le dire de Monsieur et Madame Jadoul, demeurant 5, rue du Pont et qui avaient continué d’habiter leur maison, malgré l’incendie du quartier, on a appris depuis, que, pendant trois jours de suite, les mardi 25, mercredi 26 et jeudi 27 août on ramenait à 10 heures du soir, quand la circulation était interrompue, la fameuse machine pour lancer sur les décombres du liquide inflammable ! On n’y comprenait rien en constatant que les matins l’incendie avait repris d’intensité. Voilà pourquoi les briques et les pierres ont été réduites à l’état de chaux.

A notre sortie du manège, nos pérégrinations n’étaient pas terminées. Il n’y avait pas une seule chambre à trouver dans les hôtels .Grâce à l’obligeance de monsieur Attout, on nous a recueillis ainsi que notre servante, au syndicat de la rue rogier. Là, 8 matelas et couvertures étaient par terre, dans une chambre. Mais à cette heure tardive, la difficulté était de se procurer du pain et des vivres. Le lendemain, nous nous sommes réfugiés à l’hôtel du Lion d’Or. Les 27, 28, 29 ; nous avons accepté l’hospitalité aimable de Monsieur et Madame Brasseur, avenue de Salzinnres. Durant deux jours, nous avons logé chez Monsieur et Madame Debroux, 44 avenue de La Plante et ensuite pendant 15 jours dans un hôtel de La Plante. Depuis le 15 septembre, nous avons habité à Saint-Servais, 101, rue Saint-Donat, la maison meublée d’un officier, se trouvant au front, que la Société française de Namur nous a fait accepter gracieusement jusqu’au retour du locataire, le 15 décembre 1918. Ensuite, nous avons loué un appartement meublé, 46, rue Pepin à Namur en attendant que le dédommagement qui nous est dû (ou au moins des avances) nous soit attribué, nous permettant de vivre, de réparer nos pertes occasionnées par le fait des Allemands et de reconstituer notre situation.  

(7) Le lecteur intéressé peut trouver des informations complémentaires sur la duchesse Millicent de Sutherland via ce site:

http://www.sutherlandcollection.org.uk/default.asp



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