Médecins de la Grande Guerre

1914-1918 : Gaillon et sa région aux côtés de la Belgique

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1914-1918 :

Gaillon et sa région aux côtés de la Belgique

Jean Baboux
Jean-Louis Breton
Patrick Loodts
Isabelle Masson-Loodts
France Poulain

Remerciements

 

L'ARC remercie :

       Bernard Le Dilavrec, maire de Gaillon, et Odile Hantz, première adjointe, qui se sont lancés dans l'aventure, même si elle paraissait au début quelque peu incertaine et ambitieuse,

       Christine Poulin, bourgmestre, et Marc Preyat, échevin, de l'entité communale de Walcourt qui, après avoir reçu la délégation gaillonnaise, sont venus à Gaillon participer aux cérémonies des 25 et 26 avril 2015,

       les élus belges de l'entité communale d'Aiseau-Presle qui ont accueilli la délégation gaillonnaise à Roselies,

       France Poulain, architecte des Bâtiments de France en chef, qui a largement ouvert les portes du château et a participé activement au projet depuis le début,

       Patrick Loodts et sa famille qui ont si chaleureusement redonné vie aux liens que René Glatigny, leur aiëul, avait noué avec Gaillon et sa région en 1918,

et

       Jean Baboux qui a passé, bénévolement, de longues heures à relire les contributions de cet ouvrage pour proposer à leurs auteurs des corrections, des améliorations…

Avant-propos

       Les 25 et 26 avril 20 15, l'association pour la renaissance du château (ARC) et la municipalité de Gaillon commémoraient le centenaire de la Grande Guerre et se souvenaient des liens qui avaient uni, tout au long de ce conflit, la ville et ses environs à la Belgique : ce fut un réel succès ! Le ministre belge de la Défense et l'ambassadeur de Belgique en France avaient fait le déplacement ainsi que des descendants d'un soldat belge qui, pour devenir officier, avait suivi en 1917 les cours du centre d'instruction des sous-lieutenants auxiliaires d'infanterie (CISLA) installé de 1915 à 1919 dans le château. Quant au colloque 1914-1918 : Gaillon et sa région aux côtés de la Belgique, il avait rassemblé, le samedi, plus de cent personnes venues écouter les quatre intervenants.

       L'ARC, à l'origine du projet, a souhaité qu'une trace de ces deux journées soit gardée : pour cela elle a conçu et réalisé cet ouvrage. Les contributions entendues au colloque y sont reprises, illustrées, précisées et approfondies; elles sont complétées par des apports et des documents inédits. Tout au long des pages, des photos viennent aussi rappeler quelques moments forts et souvent émouvants que les participants à ces rencontres franco-belges ne sont pas prêts d'oublier.

                                                                                                       Yves Domergue,

                                                                                               Président de l'Association

                                                                                     pour la Renaissance du Château (ARC).

Préface franco-belge

       Nous avons vécu au printemps 2015 des moments inoubliables à l'occasion de la commémoration de la Première guerre mondiale.

       Quelle émotion de se trouver, entre Sambre et Meuse et dans la province de Limbourg, au pied des monuments aux morts sur lesquels sont gravés à la fois les noms de ces jeunes de Gaillon et des environs partis combattre en Belgique et ceux de ces jeunes belges venus se former au Centre d'Instruction des Sous-Lieutenants Auxiliaires (CISLA) à Gaillon avant de repartir sur le Front. Tous ont donné leur vie pour défendre notre liberté.

       Quelle émotion d'emprunter la rue principale de Gaillon, aux côtés des autorités belges et derrière un détachement de militaires de ce pays qui, un siècle plus tard, suivaient le même parcours que leurs prédécesseurs installés au château entre 1915 et 1919.

       Enfin, que dire de ce colloque qui apporte un nouvel éclairage sur les liens entre la France et la Belgique et sur la présence de l'armée belge dans notre région durant la Grande Guerre !

       Je veux adresser des remerciements chaleureux aux autorités belges ainsi qu'à tous ceux qui ont contribué à la réussite de cette commémoration et, tout particulièrement, à l'Association pour la Renaissance du Château qui a conçu ce beau et si pertinent projet au point qu'il obtint le label national de la mission du centenaire.

       Que cet ouvrage contribue à pérenniser et renforcer les liens, renoués en 2015, entre Gaillon et la Belgique !

                                                                                                     Bernard LE DILAVREC,

                                                                                                                Maire de Gaillon.

       La commémoration du centenaire de la Première Guerre Mondiale est l'occasion de rappeler les liens étroits qui unissent les peuples français et belges.

       Durant ces quatre années terribles pour nos deux peuples, nous avons partagé nos peines, nos détresses, nos angoisses et finalement la joie de la paix enfin revenue.

       De la bataille des frontières qui vit en août 1914 des dizaines de milliers de jeunes soldats français tomber sur le sol belge, à l'exode d'un million de civils belges chassés par la guerre et les atrocités sur les routes de France, les occasions n'ont pas manqué de nous épauler.

       Côté belge, nous savons ce que nous devons à nos amis français.

       Parmi les cérémonies commémoratives de la Première Guerre Mondiale, celle organisée à Gaillon au printemps 2015 restera à jamais dans nos mémoires.

        La chaleur de l'accueil, l'intérêt des interventions, la documentation rassemblée et enfin la parfaite organisation de la commémoration organisée dans les rues et au Château en présence des autorités belges et françaises, nous ne l'oublierons jamais.

       Pour tout cela et pour tout ce qui pourrait encore advenir, nous vous disons un chaleureux « Merci ».

                                                                                                 Marc Preyat,

                                                                           Échevin de l'enseignement et de la culture,

                                                                                     entité communale de Walcourt,

                                                                                             province de Namur

 

 

La communauté belge entre Gaillon et Bonnières

                                                                                                     Jean Baboux,

                                                                             vice-président du Cercle d'Études vernonnais.

       Les multiples actions marquant la commémoration du début de la guerre de 1914 présentent entre elles un point commun : elles évoquent très majoritairement l'histoire de la France, ce qui apparaît paradoxal étant donné que la Grande Guerre est avant tout un conflit mondial : il serait pertinent d'offrir une perspective transnationale de la période. Le colloque de Gaillon apparaît donc unique parmi les différentes manifestations organisées. Cet oubli de la Belgique est logique puisque l'historiographie française ignore largement et laisse dans l'oubli le rôle important de ce « petit pays » pendant la Première Guerre mondiale. C'est pourquoi, il est nécessaire de rappeler rapidement la place qu'avait occupée la Belgique durant le conflit avant d'évoquer la présence des Belges dans notre région.

La Belgique en guerre

La Belgique: un géant économique durant la Belle Époque

       La Belgique au début du XXe siècle est un géant économique, c'est la cinquième puissance mondiale, après les États-Unis, l'Allemagne, le Royaume-Uni et la France[1]. Cette place s'explique par une importante sidérurgique basée sur une richesse du sous-sol et une main-d'œuvre qualifiée, grâce à un système bancaire dynamique présent dans le monde entier, par une marine marchande active ; le roi des Belges Léopold II possède personnellement également l'État indépendant du Congo qui lui procure de grands profits dont bénéficie largement le royaume. Les pneumatiques des bicyclettes et des automobiles réclament du caoutchouc provenant du latex récolté sur les lianes de la forêt congolaise. L'exploitation abusive des « indigènes » provoque un scandale international[2] et le Congo devient une colonie de l'État belge en 1908, un an avant le décès du souverain. Les ressources du sous-sol, en particulier du Haut Katanga, amènent à la métropole de grands profits.

       En 1914, la Belgique est un État récent, créé seulement en 1830. Politiquement, cette monarchie connaît un régime parlementaire: «Tout le pouvoir provient de la nation » déclare la constitution ; le roi règne, mais ne gouverne pas, même si ses prérogatives sont plus importantes que celles définies dans la monarchie britannique. Au moment où la guerre éclate le jeune roi Albert 1er règne depuis seulement six ans ; ce grand garçon assez timide, cultivé et sportif, tranche avec le souverain précédent. C'est un Saxe-Cobourg, comme tous les souverains belges ; sa mère est allemande, une Hohenzollern Sigmaringen[3] ; sa femme Élisabeth est une princesse bavaroise, nièce de la défunte Élisabeth d'Autriche. La vie simple du jeune couple a provoqué une grande popularité dans le pays, avant la guerre.



Le roi Albert 1er et la reine Élisabeth.

Viol de la neutralité belge; les atrocités lors de l'invasion entraînent la fuite de la population

       La Belgique est un État neutre, dont la neutralité est garantie par la signature des grandes puissances[4] ; son armée est modeste – quelque 220 000 hommes – cet effectif paraît dérisoire devant ses voisins comme la France, et surtout l'Allemagne qui aligne plus de 4 000000 de soldats aguerris.

       Dans la perspective d'une guerre courte, l'état-major allemand avait imaginé le plan Schlieffen qui prévoyait d'avancer en quelques semaines en France par marches forcées et ensuite encercler par un large mouvement tournant les troupes françaises massées sur les frontières de l'Est. Pour cela, il fallait pouvoir traverser la Belgique, pays neutre. Cependant les autorités allemandes avaient pensé obtenir l'autorisation du passage dans ce pays à qui était proposé un remboursement intégrable des dépenses provoquées, les troupes germaniques s'engageant à observer une attitude irréprochable.

       Dès le début de la guerre les Allemands envoient à Bruxelles une demande présentée dans ce sens. Certaines personnalités d'ailleurs dans le gouvernement belge sont prêtes à accepter, puisque ce conflit ne les concerne pas, mais le roi Albert met toute son autorité dans la balance pour refuser : les troupes allemandes franchissent alors la frontière belge en violant délibérément la neutralité du pays.

       Le viol de la neutralité belge entraîne immédiatement dans le conflit le Royaume-Uni qui déclare la guerre aux empires centraux: à l'Allemagne et à l'Autriche-Hongrie. Désormais la France et la Russie ne sont plus seules: si l'Angleterre n'a pas une grande armée au départ, elle amène immédiatement les énormes ressources de son immense empire colonial, elle dispose de la plus puissante marine du monde qui bientôt permettra le blocus de l'Allemagne avec des conséquences dramatiques sur les approvisionnements tant alimentaires qu'industriels du pays. A partir de ce moment le conflit qui semblait se circonscrire au continent européen, devient une guerre mondiale.

       Par ce viol également, l'Allemagne apparaît comme un agresseur aux yeux de l'opinion publique alliée et internationale, surtout auprès des neutres, comme les États-Unis. De plus les troupes allemandes, considérant les Belges comme ayant montré un manque de loyauté évident à leur égard, se vengent en se comportant d'une manière très cruelle vis-à-vis des populations civiles durant les premières semaines de l'offensive. Lors de l'occupation de Louvain, des massacres de civils sont enregistrés et l'antique bibliothèque de l'université est incendiée : l'agresseur allemand montre toutes les caractéristiques d'un barbare et les troupes alliées mènent ainsi une croisade pour le maintien de la civilisation.



Les atrocités allemandes.

       Les atrocités allemandes choquent l'opinion et aura un effet durable, ainsi lorsqu'en avril 1917 les États-Unis entrent dans le conflit aux côtés des alliés, des affiches sont éditées dans le pays montrant la silhouette d'un soldat allemand coiffé d'un casque à pointe[5] entraînant par le bras une femme échevelée avec l'inscription « Remember Belgium ». Ces violences, avec des viols, des exécutions sommaires de civils innocents, des destructions matérielles massives ont une autre conséquence immédiate : les populations affolées fuient en grand nombre pour échapper aux massacres en se réfugiant soit aux Pays-Bas, en Grande-Bretagne et surtout en France. Sur 7 500 000 habitants la Belgique en 1914, environ 1 500 000 fuient le pays, soit 20 % environ, ce qui est considérable. Nous assistons pour la première fois à un nouveau phénomène dont le siècle montrera fréquemment des manifestations : la guerre affecte davantage les civils que les militaires.

La petite armée belge résiste courageusement devant l'envahisseur

       Les conditions générales de l'attaque allemande entraînent de la part de l'armée belge une réaction immédiate : au lieu de se débander devant l'ennemi, malgré une infériorité militaire importante, les soldats belges résistent et défendent pied à pied leur territoire. L'état-major allemand avait prévu, même en cas de refus du gouvernement belge, une traversée rapide pour fondre sur les troupes françaises disposées face à la frontière de la Belgique. Cette résistance permet aux autorités françaises de bénéficier d'un répit pour regrouper en hâte des divisions, ainsi le général Joffre a la possibilité de relancer une contre-offensive sur la Marne, victoire apparue aux yeux de tous comme un miracle. Durant l'été 1914, durant la guerre de mouvement, la Belgique a sauvé la France. Après la course à la mer, au moment où les deux armées s'enterrent, les Belges tiennent le front de l'Yser, le long de ce fleuve côtier se jetant dans la mer du Nord près de Nieuport.



L 'éclusier Hendrick Geeraert.

       Pour éviter que les Allemands ne débordent les lignes, l'éclusier Hendrik Geeraert aide les soldats du génie des sapeurs-mariniers à inonder les marais entre Dixmude et Nieuport.

       Les troupes ennemies sont noyées mais les soldats du roi Albert 1er doivent combattre dans des conditions très difficiles, au milieu d'un secteur où l'eau sourd partout. Les combats autour de Dixmude sont particulièrement meurtriers, 5 000 Belges commandés par le colonel Jacques[6], ayant reçu le soutien des 6 000 fusiliers marins du contre-amiral Ronarc'h, résistent pendant plus d'un mois contre 250 000 Allemands. Dixmude préfigure en octobre 1914 les combats de Verdun deux ans plus tard. Même si la petite ville est prise, les Belges se positionnent à l'ouest de l'Yser qui devient leur front principal et le symbole de la résistance de ce courageux pays.



Les inondations de l’Yser.

       Après la grande offensive de 1914, la guerre de position commence et jusqu'à la reprise de la guerre de mouvement après juillet 1918, l'armée belge reste seule sur le front de l'Yser en consacrant toutes ses ressources militaires pour protéger une faible portion de son territoire libre autour de la petite ville de La Panne. Tout le reste de la Belgique est occupé par un adversaire implacable et connaît des conditions de vie très difficiles, avec son cortège de privations, de perte de liberté, de contrôle de la presse, mais aussi de déportations de populations civiles envoyées dans de véritables camps de concentration. Aucun pays belligérant n'a connu pendant la guerre un destin aussi dramatique.



Les déportations en Belgique.

Les Belges en Normandie : la dorsale belge

       Les statistiques sont imprécises et le nombre des Belges en France a vane au cours du conflit. Si nous reprenons les chiffres de Michaël Amara[7], en 1918 les trois principaux départements qui accueillaient des réfugiés belges sont la Seine, la Seine-Inférieure et l'ensemble Seine-et-Oise – Eure. Ces trois pôles se positionnent dans la vallée de la Seine, de Paris à Sainte-Adresse, en formant une étroite dorsale s'allongeant sur 200 kilomètres. Si nous considérons que quelque 350 000 Belges[8] sont présents en France, ces trois pôles concentrent plus d'un tiers de cette population étrangère constituée aussi bien de civils réfugiés que de militaires en formation ou en repos. Si le département de la Seine accueille 80 000 réfugiés civils, le nombre des militaires est peu important, essentiellement des soldats blessés soignés dans les hôpitaux de Paris et de la banlieue ; il n'en va pas de même du département de la Seine-Inférieure qui compte plus de 37 000 réfugiés, mais aussi de nombreux soldats belges séjournant au Havre et à Rouen[9].

Le gouvernement belge s'installe à Sainte-Adresse

       Après l'invasion du pays, le gouvernement belge, les parlementaires et les ministères se réfugient à Sainte-Adresse, une station balnéaire près du Havre disposant de bâtiments capables d'accueillir les différentes administrations.



L'immeuble Le Nice Havrais aujourd'hui.

       Le premier ministre s'installe dans une villa[10] proche de la mer, tandis que les autres ministères occupent le Nice-Havrais, un vaste immeuble construit en 1912 par l'homme d'affaires Georges Dufayel. Une plaque fixée sur la façade rappelle cette installation.



La boîte aux lettres belge.

       Une boite aux lettres rouge installée sur le trottoir témoigne qu'une poste belge fonctionnait alors dans cette commune qui jouissait du statut d'extraterritorialité, comme une ambassade. A proximité, sur la place Clemenceau le monument décoré de la statue du roi Albert 1er témoigne que pendant la durée de la Grande Guerre Sainte-Adresse était la capitale de la « Belgique du dehors »[11]

Les Belges dans les régions du Havre et de Rouen

       Les régions du Havre et de Rouen constituent également pendant la période des lieux où s'établissent de nombreux Belges, tant civils que militaires. Au Havre et sa banlieue, sont créées des usines pour la fabrication de matériels de guerre. En 1917, nous comptons 13 500 ouvriers travaillant dans ces établissements, ainsi que les 1 680 employés par les chemins de fer belges. Le gouvernement belge sous l'impulsion du ministre Charles de Broqueville[12], ouvre au Havre un bureau de l'office national du travail (ONT), chargé d'intervenir dans toutes les questions de la main-d'œuvre belge. Le gouvernement belge constitue le service de construction belge (SCB) qui construit à Graville-Sainte-Honorine plus de 22 hectares de bâtiments couverts employant près de 9 000 personnes, surtout des ouvriers mobilisés, l'équivalent de nos « affectés spéciaux » que l'administration belge appelle les « ouvriers casqués », soumis à une rude discipline militaire, recevant une simple solde, moins élevée que les salaires distribués alors dans l'industrie. Les usines du Havre fournissent des équipements militaires, des armes légères, des obus, non seulement au front de l'Yser, mais aussi aux armées françaises en raison de l'excellente qualité de leur production et à un coût moindre du prix de revient.

       Signalons également un établissement installé à Sainte-Adresse, « le dépôt des invalides » dû à l'initiative privée du sénateur Franz Schollaert, président de la Chambre des représentants de Belgique, et ayant rassemblé les « éclopés de l'armée belge, au lendemain de la bataille de l'Yser »[13]. En novembre 1914, sont mis à la disposition de Schollaert un certain nombre de villas et d'habitations à Sainte-Adresse et au Havre. Il faut alors non seulement accueillir les soldats invalides, devenus des mendiants, mais également leur donner une formation professionnelle afin de les préparer à leur reconversion dans la vie civile. Malgré la mort de Schollaert en juin 1917, l'établissement fonctionne jusqu'à la fin de la guerre. A la fin de 1916, l'établissement abrite quelque 700 élèves ; à la fermeture du centre en janvier 1919, 622 soldats invalides y séjournent et environ 6 000 blessés sont passés dans ce dépôt des invalides de Sainte-Adresse qui préfigure l'institut de Port-Villez, près de Vernon.

       Les Belges sont également nombreux à Rouen et dans les villes alentours[14]. Les dockers d'Anvers travaillent dans le port et y adaptent leurs techniques efficaces ; le dépôt ferroviaire de Oissel accueille les locomotives belges et leurs personnels : chauffeur, chaudronniers, mécaniciens…[15] Ce sont également de nombreuses installations médicales qui constellent le territoire : la région rouennaise constitue un pôle important pour les hôpitaux belges ouverts en France. Comme au Havre, une école au départ sert d'hôpital militaire, mais l'afflux des blessés entraîne l'ouverture de nouveaux établissements : ce collège de la rue Saint-Lô à Rouen trouve une annexe à Orival Saint-Hellier par Bellencombre, dans le pays de Bray, comptant 275 lits et spécialisé dans le soin des vénériens ; les malades sont accueillis dans les bâtiments d'une colonie de vacances du XVIIe arrondissement de Paris. De même un hôpital anglo-belge de 350 lits est créé dans le couvent des sœurs du Sacré-Cœur à Saint-Aubin-lès-Elbeuf.

       Surtout en juillet 1916 commence à fonctionner l'important hôpital militaire belge (HMB) de Bonsecours[16] logé dans 72 pavillons de bois Wallens établi sur le plateau des Aigles; à la fin de la guerre l'HMB compte 1 800 lits; 17 804 soldats y ont été soignés en utilisant des techniques très performantes pour l'époque. Lors de sa fermeture en 1919 pas moins de 70 wagons sont nécessaires pour transporter en Belgique l'ensemble des pavillons et tout le matériel médical.

Le pôle belge Gaillon – Bonnières-sur-Seine



Le pôle belge Gaillon - Bonnières-sur-Seine.

       Un pôle central, entre Paris et la mer, est présent durant la guerre et concentre aussi bien des civils que des militaires. Peu étudié étant donné qu'il est à cheval sur deux régions, la Normandie et l'Île-de-France, il compte quelque 20 000 Belges vivant dans la vallée de la Seine avec une route nationale[17] et la ligne de chemin de fer Paris - Rouen - Le Havre.

Les Belges dans la région de Gaillon

       Des paysans belges qui chaque année venaient travailler dans les fermes de la région se réfugient naturellement dans les exploitations qu'ils connaissent. Certains resteront en Normandie la paix revenue. Beaucoup d'exploitations du Vexin par exemple sont tenues aujourd'hui par les descendants de ces ouvriers agricoles venus alors dans notre pays. D'autre part, un certain nombre de réfugiés belges viennent travailler à l'usine Rémy d'Aubevoye qui produit alors de l'amidon de riz. Cette manufacture avait été ouverte en 1891 par le Belge Édouard Rémy dont l'usine principale se trouvait à Wygmael-lez-Louvain. Lors de l'invasion, puis l'occupation des Flandres, les employés se replient en Normandie pour participer à l'effort de guerre. L'usine qui en 1914 emploie quelque 250 ouvriers voit ses commandes augmenter d'une manière importante.



Le Belge Édouard Rémy.

       Le château de Gaillon est connu pour avoir accueilli pendant la Grande Guerre le centre d'instruction des sous-lieutenants auxiliaires d'infanterie (le CISLA). En 1914, l'armée belge est très mal préparée, elle est en pleine mutation et elle manque de tout, le nombre des officiers est en nombre insuffisant (3 200 officiers seulement pour 220 000 soldats) l'effectif des sous-officiers est en rapport. Après les durs combats de l'été et la bataille de l'Yser, l'armée belge est dans un triste état, elle a perdu 413 officiers en août, 439 en septembre, les soldats sont en guenilles, il faut réorganiser l'armée, la rééquiper, former de nouveaux cadres.

       Le 15 janvier 1915, le CISLA ouvre à Gaillon, dans le château prêté par l'armée française, ancienne annexe du 74e régiment d'infanterie basé dans la caserne Pélissier de Rouen[18]. Plusieurs CISLA s'ouvrent au même moment[19]. À Gaillon chaque contingent compte 280 élèves sous-officiers ayant un niveau d'études équivalent au bac français. La formation est difficile et accélérée, elle dure six mois, équivalant à une instruction militaire de deux ans en temps de paix. Les élèves sont envoyés ensuite au front et ils ne touchent leurs galons qu'après avis favorable de leur chef au feu. Les derniers élèves sortent le 31 janvier 1919. Près de 3 500 élèves sous-officiers ont été formés au CISLA de Gaillon. Il est possible d'évoquer ici quelques soldats belges qui ont fréquenté cette école. Ainsi l'avocat Pierre Ryckmans (1891-1958) qui accomplit l'essentiel de sa carrière en Afrique. Pierre Ryckmans arrive à Gaillon en juillet 1915 et y reste quatre semaines en obtenant le grade d'adjudant pour repartir au front le 8 août 1915. Il suit l'école du soldat et l'école de compagnie qui constituent l'essentiel du programme d'instruction de sous-lieutenant auxiliaire. Les cours combinent théorie et pratique, l'accent étant mis sur cette dernière.

       Elle s'effectue sur un terrain inculte gracieusement prêté par un propriétaire voisin. Les élèves reçoivent un enseignement sur le fusil, la mitrailleuse, la topographie, la comptabilité de campagne, le régime disciplinaire, le code pénal. René Glatigny (1892-1918) est instituteur. Il est à Gaillon de février 1918 au 31 juillet 1918 ; il est tué lors de l'offensive de la fin de l'été 1918. Firmin Bonhomme, né en 1898, participe à la dernière cession ; en octobre il est atteint de la grippe espagnole, il est soigné à Vernon et il sort guéri en novembre. En janvier 1919, il quitte Gaillon et commence des études de médecine.

L'institut de rééducation professionnelle des grands blessés de guerre de Port-Villez[20]

       Comme nous l'avons vu plus haut en évoquant le dépôt des invalides de Sainte-Adresse les soldats belges blessés, inaptes au service après la bataille de l'Yser, sont livrés à eux-mêmes et commencent à parcourir les rues des villes des hôpitaux militaires qui les avaient renvoyés. Contrairement à leurs camarades français ou britanniques, ils ne peuvent pas rentrer dans leur foyer, la Belgique étant presque entièrement occupée par l'ennemi. Ces soldats sont réduits ainsi à la mendicité, ce qui a un effet désastreux sur le moral des populations côtoyant tous ces « éclopés » victimes de la guerre. En prenant modèle sur le dépôt du sénateur Franz Schollaert, Charles de Broqueville en personne décide que l'État belge prendra en charge ces soldats blessés afin de les rassembler, les contrôler en leur donnant une formation professionnelle leur permettant une autonomie financière. Ces hommes continuent à rester sous l'autorité militaire pendant toute la durée de leur séjour à l'institut et ne sont libérés que lorsqu'ils peuvent trouver un emploi.



Port-Villez. L'entrée de l’institut.

       L'endroit choisi est une vaste propriété boisée de 500 hectares située sur le territoire de la commune de Port-Villez, alors en Seine-et-Oise, sur le plateau de Madrie, à cinq kilomètres de Vernon pourvu d'une gare sur la ligne Paris-Le Havre. Le domaine appartient à la famille du baron Ferdinand Baeyens (1837-1914), un Belge fortuné qui avait été régent d'une banque, la Société générale de Belgique et administrateur des mines du Haut-Katanga au Congo belge. Son fils Marcel, chauffeur de l'automobile de Charles de Broqueville, propose sa propriété pour la durée de la guerre en autorisant les travaux qui seraient nécessaires. Les premiers aménagements commencent en juillet 1916, effectués en particulier par les soldats du génie et un mois plus tard un premier contingent de blessés arrive à Port-Villez devenu « institut de rééducation professionnelle pour grands blessés de guerre ». Trente hectares sont défrichés, 25 000 souches arrachées ; de nombreux stères sont préparés pour fournir le bois de chauffage de la centaine de pavillons de bois Wallens installés le long d'allées soigneusement empierrées.



Port- Villez. Les pavillons Wallens.

L'institut forme bientôt une véritable ville belge « ressemblant ainsi à une de ces grandes abbayes du Moyen Âge qui se suffisaient à elles-mêmes et produisaient tout ce dont leurs occupants avaient besoin »[21]. Â la fin de l'année 1916, l'institut compte 1 200 blessés ; au début de l'année 1919, au moment de la fermeture, 2 067 soldats mutilés dépendent de l'institut[22]. Entre 800 et 1 000 personnes assurent le fonctionnement de l'établissement. Les principes qui déterminent le fonctionnement de l'institut sont bien expliqués dans l'ouvrage de Léon de Paeuw. Tout d'abord Port-Villez est géré par le ministère de la Guerre belge qui dispose de moyens financiers conséquents ; ainsi les mutilés, malgré leur incapacité de combattre, continuent de dépendre de l'autorité militaire : ils restent des soldats qui doivent obéir, il leur est interdit de refuser une formation professionnelle, même si une palette de métiers leur est proposée. En effet la conception belge de la réinsertion des handicapés après la guerre est très différente de la situation française où le mutilé est « rendu à ses foyers » avec une pension d'invalide, sans véritablement anticiper l'avenir; nous verrons dans les années vingt et trente de jeunes Français mutilés devenir oisifs dépressifs avant une lente déchéance dans l'alcoolisme. Les Belges voient que leur territoire est occupé et que les blessés ne peuvent rentrer chez eux, ils savent que leur pays est pillé par les Allemands et qu'il leur faudra tout reconstruire : la paix revenue, toutes les énergies seront nécessaires, même celles d'hommes diminués physiquement, mais qu'une rééducation pertinente aura rendu utiles dans l'œuvre de reconstruction nationale. Les autorités belges bénéficient également du fait que le nombre des « mutilés et des estropiés de la guerre » est somme toute assez peu important. Cette faiblesse des effectifs à prendre en charge s'explique aussi par la qualité de la médecine militaire belge, beaucoup plus performante que la médecine française. Curieusement les historiens belges, considérant leur étude d'un point de vue purement national, n'ont pas conscience de ce phénomène. Les médecins belges procèdent proportionnellement par exemple à moins d'amputations que leurs confrères français[23].



Port- Villez. Atelier des plombiers-zingueurs.


Port- Villez. Atelier de menuiserie manuelle.


Port- Villez. Atelier d'ajustage.

       L'institut de Port-Villez est avant tout un centre de formation, même si l'aspect médical n'est pas oublié. Une cinquantaine de métiers sont proposés à des hommes dont la majorité avant la guerre travaillait dans des tâches où la force physique restait essentielle mineurs, maçons, paysans, terrassiers... Après un « bilan de compétence » établi à son arrivée, selon une expression contemporaine, le soldat blessé se voit proposer le choix parmi des métiers compatibles avec son état. L'éventail des professions est large et étonnamment moderne : nous voyons des activités conformes aux techniques de l'époque où les fabrications manuelles restaient majoritaires pour le métier de vannier, de brossier de cordonnier, de potier, mais aussi, plus originales, les professions de linotypiste, d'opérateur de cinéma, de peintre en lettres, de peintre sur verre ou de réparateur d'automobiles. Très vite, l'institut devient une vaste entreprise bruissant d'activités multiples et diverses. La lecture de l'ouvrage de Léon de Paeuw nous prouve l'imagination et la grande activité des Belges dans ce coin de France, créant ex nihilo tout ce qui est nécessaire à la vie d'une communauté dans un pays étranger. Les photos prises lors d'un reportage réalisé le 21 août 1916, un an après le début de l'institut, montrent le travail accompli[24].

       Les personnalités qui viennent visiter Port-Villez découvrent des alignements de pavillons Wallens le long de larges allées, le jardin potager est en pleine production, tout semble parfaitement ordonné.



Port-Villez. Le puits artésien.

       L'institut soigne, mais surtout forme des soldats « estropiés et mutilés » et cette main-d'œuvre gratuite et rapidement qualifiée permet d'équiper à moindre frais l'établissement. Ainsi par exemple au début, ce coin du plateau de Madrie manquait d'eau et l'institut était ravitaillé par des citernes, mais un puits artésien d'une profondeur de 153 mètres est foré, à moindre coût, au bord de la route nationale passant au pied du versant ; son débit abondant de 100 m3 à l'heure assure au camp une ressource quasiment inépuisable[25]. Grâce à ce forage, une boulangerie industrielle est montée, servant à la fois d'atelier d'apprentissage et de fournil central fournissant en pain l'institut et les différents établissements belges de la région[26]. Les travaux de construction des trois fours commencent le 16 octobre 1916 et le 10 novembre « la première fournée, admirablement cuite, nous a valu un pain délicieux, à la levure, de goût absolument belge »[27].

       Dans le domaine de la production agricole l'institut est vite autosuffisant et bientôt il est capable de vendre à l'extérieur sa production de légumes vers la région havraise, et en 1917 et 1918 deux wagons remplis de légumes partent chaque jour vers le front de l'Yser. Ce sont ainsi autant de ressources financières pour l'institut.

       Port-Villez possède une imprimerie performante équipée de linotypes modernes, qui édite, entre autres, des cartes postales vendues au profit des œuvres belges ; elle édite des documents officiels comme ces deux ouvrages importants : L'armée allemande à Louvain en août 1914 et Le livre blanc allemand du 10 mai 1915, imprimés à Port-Villez en 1917.

       L'institut possède deux troupes de théâtre, l'une flamande et l'autre wallonne ; fonctionne également une fanfare de cinquante musiciens jouant régulièrement lors des fêtes organisées pour les soldats du camp ou qui à l'occasion se produit dans les hôpitaux militaires de la région lors des fêtes ; une équipe de football « l'Albert FC » participe à des compétitions sportives avec des clubs locaux.

Les annexes de l'institut de Port-Villez

       Il existe plusieurs annexes de l'institut de rééducation professionnelle pour grands blessés de guerre. En effet plusieurs formations touchant les métiers agricoles nécessitent de grandes surfaces.

       Dans le camp même, existe un vaste jardin potager, puis un secteur de petit élevage concernant les volailles (poules, canards, oies, perdrix) mais aussi les lapins. Jusque là le camp de Port-Villez est alimenté par la station-magasin qui était établie alors au pied de la tour des Archives à Vernon, mais outre le coût, les soldats belges n'apprécient pas le pain au levain de l'armée française.

       Ce problème des habitudes alimentaires des Belges a posé des problèmes ailleurs comme dans les hôpitaux anglo-belges où les Belges n'appréciaient pas cette fois la cuisine anglaise.



Port-Villez. Formation à l'horticulture.

       Pour les productions plus importantes, la ferme d'Aconville s'étendant sur douze hectares est louée pour produire des légumes en grandes quantités comme les choux, les poireaux, les pommes de terre. Le personnel permanent se compose de sept soldats inaptes au service armé, assure les travaux ; ils sont aidés par des soldats amenés de Port-Villez pour apprendre à se familiariser avec les techniques horticoles. Les autorités belges ont loué une ferme d'une trentaine d'hectares, sur le territoire de Blaru à la Mare-Boinville où une famille belge se consacre à la grosse culture, aidée également par des pensionnaires de l'institut amenés chaque matin par une ambulance hippomobile.

       Deux carrières de pierre sont en exploitation ; des cartes postales éditées à cette époque montrent des soldats s'activer sur ce chantier et remplir des camions de matériaux destinés à empierrer les allées construites entre les pavillons Wallens installés dans l'institut. L'une en chantier souterrain, dont nous apercevons l'entrée près d'un camion se trouve près du champ de tir de la garnison de Vernon, au Grand-Val ; l'autre sur la route partant de la nationale et montant vers le camp de Port Villez.



Vernon. La scierie belge.

       Une compagnie forestière, logée à Vernon avenue de l'Ardèche, bûcheronne dans la forêt de Bizy. Il existe également une usine belge installée 6 rue des Cascades[28] dans une ancienne manufacture de jouets en bois ; employant des soldats belges logés sur place elle produit des caillebotis pour le front de l'Yser. Enfin une école de tournage d'obus s'installe un moment dans les hangars construits à Moisson pour abriter des ballons dirigeables construits par les frères Lebaudy, fils d'une riche famille ayant fait fortune dans le sucre. Nous avons que très peu d'informations sur cet établissement qui semble-t-il n'a pas connu un large développement[29]

L'usine de Louis Piret à Bonnières-sur-Seine

       Quand la Grande Guerre éclate, Louis Piret (1874-1944) est maître de forges à Thy-le-Château où il possède depuis 1904 les « usines métallurgiques de Saint-Éloi ».



Louis Piret.

       Lors de l'invasion allemande, Louis Piret, âgé alors de quarante ans, et sa famille se réfugient en Angleterre, tandis qu'une bonne partie de ses ouvriers fuient en France. Quand, à la fin de 1914, chacun comprend que la guerre sera longue, Louis Piret arrive en France avec l'intention de créer une entreprise industrielle participant à l'effort de guerre. Louis Piret s'installe en août 1915 à Bonnières-sur-Seine où il trouve de vastes bâtiments disponibles en bon état et disposant de deux puissantes machines à vapeur capables de fournir une force motrice. Trois hangars parallèles avaient été construits une dizaine d'années précédemment pour abriter l'usine du Camphre produisant des huiles minérales par distillation de schistes bitumineux. En 1906 Le Camphre avait installé deux puissantes machines à vapeur Farco. En 1909, Le Camphre avait été absorbé par l'entreprise Lilles-Bonnières et Colombe[30]. Les locaux avaient été occupés alors par une éphémère usine Ferro-ciment en faillite en 1912. Louis Piret trouve là des facilités pour l'arrivée des matières premières et l'évacuation de ses produits vers ses futurs clients grâce à la proximité de la Seine et de la grande ligne de chemin de fer Paris-Le Havre.



Construction de l'usine de Louis Piret en 1916.

       Malgré d'innombrables difficultés, Louis Piret réussit à rassembler un certain nombre de ses anciens ouvriers de Thy-le-Château, réfugiés un peu partout en France. Louis Piret n'est pas aux ordres de l'armée belge, même s'il travaille pour l'effort de guerre ; il vend ses productions au prix du marché et les profits sont rapides, lui permettant d'embaucher des ouvriers belges et français avec des salaires attrayants. Bientôt une « colonie belge » se constitue à Bonnières et dans les villages alentours[31]. Il est vraisemblable que le site de Bonnières ait été indiqué par Alphonse Bonjean, le curé de Thy-le-Château, mobilisé comme aumônier à l'institut de Port-Villez.

       Au fil du temps, la collaboration entre Piret, l'abbé Bonjean et les autorités françaises permet aux réfugiés d'organiser une véritable communauté belge jouissant de toute une série d'œuvres et de services. L'entraide Saint-Éloi fondée par Louis Piret a pour but d'ouvrir des écoles pour les Belges. A Bonnières, en 1916, l'école primaire des garçons compte 27 élèves, celle des filles, 25 ; l'école gardienne accueille 18 enfants quant à l'école des adultes, 23 inscrits reçoivent une formation.



Les écoles belges à Bonnières-sur-Seine.

       Ces écoles comprennent le programme complet des écoles belges de l'époque et elles reçoivent la visite et le soutien du ministre des Sciences et des Arts belges[32]. Dès novembre 1916, une société de secours mutuels « Saint-Éloi » est créée pour venir en aide aux ouvriers en cas de maladie ou d'accident. Cette mutuelle, outre qu'elle procure une indemnité journalière ainsi que les soins pharmaceutiques et médicaux aux ouvriers, fonctionne aussi au bénéfice des femmes et des enfants d'ouvriers mais uniquement en ce qui concerne les soins médicaux. Rue Edmond-Pochon est loué le café-restaurant Chez Pierre pour y aménager un restaurant économique et un home du soldat devant accueillir des permissionnaires. Non loin, sur la route nationale vers Vernon, dans la villa brésilienne[33], une ancienne « maison de famille », une antenne du comité des réfugiés ouvre une permanence pour venir en aide aux soldats du front, aux réfugiés et aux prisonniers.

La paroisse belge de Bennecourt

       Malgré ses devoirs comme aumônier à l'institut de Port-Villez, l'abbé Alphonse Bonjean ne laisse pas sans pasteur ses compatriotes de Bonnières, dont nombre ont été ses paroissiens à Thy-le-Château. Monseigneur Gibier[34], l'évêque de Versailles accorde aux Belges l'église proche de Saint-Ouen de Bennecourt, alors sans prêtre.



Église de Bennecourt. Le roi Albert 1er et le prince Léopold.

       Bientôt une paroisse belge se constitue dans ce village établi sur la rive droite de la Seine, attirant un grand nombre de fidèles lors des cérémonies religieuses. Un caveau belge est inauguré en 1918 dans le cimetière communal.

       L'abbé Bonjean est le principal rédacteur du Journal des Métallurgistes Belges de Bonnières et des Environs, une parution de six ou huit pages, imprimée sur les linotypes de l'institut de Port-Villez et qui sert de liens entre tous les Belges de la région. Nous savons que l'élève officier René Glatigny lisait au CISLA de Gaillon le Journal des Métallurgistes Belges auquel d'ailleurs il collaborait régulièrement en rédigeant des articles.



Église de Bennecourt. Vitrail du transept nord. En bas à droite : accueil des ouvriers belges par leurs collègues français.

       Nous avons vu que l'institut de Port-Villez parmi ses formations compte des peintres sur verre capables de réaliser des vitraux peints pour l'église de Bennecourt. Nous avons ainsi toute une série de jolis vitraux plus ou moins réussis puisque ce sont des travaux pédagogiques réalisés par des élèves plus ou moins habiles : ainsi si le vitrail représentant le roi Albert 1er et celui de son épouse la reine Élisabeth habillée en infirmière sont remarquables, il n'en va pas de même du portrait du prince Charles, moins réussi, et surtout de la figure du prince Léopold, vraiment peu convaincante comme œuvre d'art ; Louis Piret est représenté sous les traits de Saint-Louis, tandis que son épouse, née Marie Van Hammont, affecte les traits de sainte Catherine; un autre vitrail porte une belle image de saint-Ouen.



Église de Bennecourt. Détail du vitrail du transept sud : le retour des soldats belges en Belgique.

       Louis Piret, en bon chrétien, entretient l'église, il finance la réfection du clocher. Surtout en 1920, il offre à la paroisse deux magnifiques vitraux dont le carton est l'œuvre de Gabriel Giraudon, un maître verrier habitant alors le village proche de Limetz-Villez. Ces deux vitraux, de style largement « Art déco » décorent les pignons du transept : celui du transept nord représente dans le registre inférieur l'accueil des ouvriers belges par leurs camarades français, la verrière sud montre le retour dans leur patrie des soldats belges, habillés en uniformes kaki et portant le casque Adrian. Ces vitraux patriotiques, exceptionnels par leur thème, sont classés et ont été restaurés en 1998. Nous soupçonnons une certaine tension entre la municipalité anticléricale de Bennecourt et les autorités belges qui considèrent sans doute l'église comme leur domaine privé : ainsi, malgré des recherches minutieuses, nous n'avons trouvé aucune trace dans les archives de l'approbation par le conseil municipal de Bennecourt concernant les dons des Belges et de Louis Piret.

Les rapports entre les Belges et les Français

       La présence massive d'une communauté étrangère dans notre région entraîne à réfléchir sur les rapports qui ont existé entre les Belges et les Français. Le regard constamment tourné vers la Belgique, les réfugiés mais aussi les soldats ne songent qu'à rentrer dans leur pays libéré. A Bonnières une tendance des Belges à rester entre eux éloigne évidemment les Français. Dans notre région la pratique religieuse depuis longtemps est devenue minoritaire, alors que les Belges restent des paroissiens assidus ; cela surprend les populations locales. Les habitudes alimentaires constituent également un élément de différenciation pour cette population étrangère, à une époque où les Français restent très traditionnels pour tout ce qui concerne la nourriture. Aujourd'hui, comme les Belges, nous avons l'habitude de consommer des plats d'origine maghrébine, italienne ou espagnole, voire plus exotiques encore, mais durant la Belle Époque le peuple reste attaché à des nourritures très régionales. Le pain au levain des Français, base de l'alimentation ouvrière ou paysanne, ne convient pas aux Belges. La langue, même pour les Wallons dont l'accent entraîne des plaisanteries, constitue un élément discriminatoire ; les Flamands, surtout ceux qui ne sont guère allés à l'école, ont évidemment beaucoup de difficulté à se faire comprendre. Les Français qui entendent parler cette langue gutturale imaginent avoir affaire à la « race haïe des Allemands » et plus d'un Belge flamand a été traité de « Boche du Nord ». Les débits de boisson ont connu ici comme partout des bagarres entre Français et Belges qui sous l'effet de l'alcool devenaient violents et vindicatifs.

       Mais globalement les rapports entre Français et Belges sont excellents. Personne dans notre pays n'a oublié le rôle en 1914 de l'armée belge, tous reconnaissent que les réfugiés sont de « rudes travailleurs » qui ne rechignent pas à la tâche et acceptent des emplois parfois ingrats délaissés par les Français. Ainsi les Belges jouissent d'un prestige qu'il est difficile aujourd'hui d'appréhender. Nous voyons de nombreux mariages entre jeunes Belges et jeunes filles françaises. Ainsi à Vernon, nous avons cinquante-sept mariages franco-belges durant ces années[35].

       Après la guerre le prestige dont jouit la Belgique qui a retrouvé toute sa souveraineté reste important : sans détailler, signalons à proximité l'existence d'une cité-jardin construite dans les années vingt à cheval sur les communes d'Aubergenville et d'Épone. Cette ville est dénommée « Élisabethville ».



La façade de la chapelle sainte- Thérèse d'Élisabethville avec la statue du cardinal Mercier.

       A partir d'une place sur laquelle se dresse un monument prônant l'amitié franco-belge, partent des rues en éventail. La cité comprend l'avenue d'Ypres, l'avenue de Liège, l'avenue de Dixmude, le boulevard de Bruxelles, le boulevard Albert 1er. L'église Sainte-Thérése, en béton, présente une façade décorée de la statue du cardinal Mercier[36].

Conclusion : que reste-t-il aujourd'hui de cette présence belge ?

       L'inexorable érosion du temps a effacé toute trace dans les esprits. Le grand public ignore aujourd'hui l'essentiel de cette histoire. Quelques voies urbaines devraient pourtant nous rappeler ce passé : un boulevard Albert 1er au Havre part de l'imposant monument dédié aux Belges à l'entrée de Sainte-Adresse et longe le front de mer jusqu'au boulevard François 1er ; Rouen possède un boulevard des Belges, Louviers, un square Albert 1er ; nous avons vu qu'il existe une rue des Belges à Vernon, ainsi qu'une rue de l'Yser ; Bonnières a baptisé une « rue et place Louis-Piret » dans un quartier pavillonnaire, mais qui aujourd'hui pense à établir un rapprochement entre toutes ses appellations ?



Monument de la Victoire à Rouen. Bas-relief de Maxime Real dei Sarte : l'accueil des réfugiés belges.

       Le monument de la Victoire de Rouen comporte sur le socle deux bas-reliefs en bronze conçus par le sculpteur Maxime Real del Sarte, l'un représente l'accueil des réfugiés belges. Ce monument placé initialement devant le palais de justice est aujourd'hui place Carnot, dans le quartier de Saint-Sever, non loin de l'hôtel du département. Le sens de cette scène est presque oublié de tous.

       Les traces de la présence belge se retrouvent aujourd'hui dans les cimetières où un nombre relativement important de stèles militaires caractéristiques de ce pays, témoignent que de jeunes soldats, tant flamands que wallons[37], sont morts loin de leur patrie et reposent à tout jamais dans la terre de France. A Saint-Aubin-lès-Elbeuf huit tombes sont entretenues et fleuries par la commune, des stèles belges s'alignent dans les cimetières des agglomérations havraise et rouennaise. Un caveau militaire regroupe à Port-Villez les dépouilles des soldats morts à l'institut.



Vernon. Les cinq stèles belges du cimetière.

       Le soldat du CISLA Joseph Van Peteghem surprend par sa présence solitaire dans le cimetière de Gaillon et dans le carré militaire de Vernon les cinq stèles belges des soldats morts pendant la Grande Guerre ont été fleuries et spécialement honorées le vendredi 18 septembre 2015, en présence de l'ambassadeur de Belgique et des autorités civiles, et militaires françaises. Le colloque de Gaillon a eu le grand mérite de réveiller ainsi les mémoires et donner une signification historique à tous ces souvenirs dispersés sur notre territoire.


Documents annexes

       Extrait des carnets de Gustave Groleau (1894-1971) rapportant l'annonce de l'armistice dans l'institut de Port-Villez[38]. Gustave Groleau (1894-1971), né dans le Brabant, engagé volontaire en 1914, blessé à Nieuport à la main en février 1918, envoyé à 1'hôpital de l'Océan, puis à Bonsecours, il arrive à l'institut de Port-Villez durant l'été, c'est là qu'il apprend l'annonce de l'armistice.

 

Lundi 11 novembre 1918. « Dans le camp, c'est une grande effervescence ! Tout le monde attend avec une grande impatience ! A 9 heures, on fermait les ateliers. Le Bruit court que l'armistice est signé. On attendait ! A 11 heures 45 arrivait le télégramme officiel. Les Allemands ont signé leur déshonneur. Tant mieux ! Aussitôt, on hissait les drapeaux alliés ! La musique jouait les airs nationaux. On entrait au mess. Il y avait une petite fête. Tous debout en position, nous écoutions le sergent Bourdon qui chantait La Brabançonne, et Depotter qui chantait La Marseillaise ; le violoncelliste Van Heurberg, plein comme un Polonais, nous jouait la Berceuse de Jocelyn de main de maître. Tous étaient accompagnés par Hemberg[39] : Après quoi, on mangeait. A 14 heures, musique en tête, tous les soldats du camp, nous nous dirigions vers Vernon : aveugles, amputés, mutilés, tout le monde y était. Les aveugles étaient guidés par leurs camarades ; quant aux autres amputés des deux jambes, ils étaient avec leurs voiturettes. On dansait et on chantait comme des enragés. A Vernon, devant tous les hôpitaux français[40] ; on jouait La Marseillaise et La Brabançonne. Tous les civils suivaient et dansaient avec nous. C'était un chahut indescriptible ! On était fou de joie ! Le sénateur Thiébault[41] aurait voulu prononcer un speech, mais il n'y parvint pas. On voyageait en ville toute l'après-midi. On alla également à Vernonnet. On ne sentait pas la fatigue. Le soir, il y avait feux de Bengale et concert devant l'Hôtel de Ville. Une partie de la nuit, on voyageait avec la musique et ce n'est que bien plus tard que je rentrai. J'avais chahuté à ma façon ; ça me rappelait le temps de paix et j'étais satisfait. Charmante et splendide journée. Que ne dure-t-elle toujours. Aujourd'hui également j'avais écrit à mes parents[42] et à ma Nelly. Quand donc aurai-je de leurs nouvelles ? Je les attends avec une grande impatience. »

 

Mardi 12 novembre 1918. « Les Allemands doivent abandonner notre pays et reculer jusqu'au-delà du Rhin. Les deux dernières villes enlevées avant l'armistice sont Gand et Mons. Les alliés sont donc chez moi et mes chers parents me reverront bientôt. Que diront-ils quand ils me verront arrangé de la sorte ? Je leur souhaite de ne pas se faire plus de bile que moi et tout va pour le mieux. J'ai gardé ma gaieté et ma bonne humeur ! Qu'ils fassent comme moi ! Je n'avais pas le courage d'écrire tellement on était content. L'après-midi, je restais couché dans mon lit. Je faisais quelques photos que j'enverrai à mes parents aussitôt que je saurai qu'ils reçoivent de mes nouvelles. Ça leur fera plaisir et ils verront que je suis toujours d'excellente santé. Les soldats qui reviennent de congés dans les Flandres ne sont pas enchantés ! Il paraît qu'il s'en est passé de belles en Belgique ! Il faudra s'informer avant de rentrer. Gare si on s'est méconduit chez moi ! Ils ne me verront pas longtemps ! »

 

Lexique

CISLA : centre d'instruction de sous-lieutenants auxiliaires.

            L'armée belge ouvre plusieurs CISLA :

·         Le CISLA de Gaillon (Eure) pour l'infanterie, début le 15 janvier 1915, capitaine-commandant Neuray. Le plus important en effectif d'officiers formés.

·         Le CISLA d'Audresselles (Pas-de-Calais) pour l'artillerie, début le 15 avril 1915, capitaine-commandant Pouleur.

·         Le CISLA de Guines (Pas de Calais) pour la cavalerie, début le 22 avril 1915, capitaine-commandant Haegeman.

·         Le CISLA d'Ardres (Pas-de-Calais) pour le génie début le 16 mai 1915, capitaine-commandant Dujardin.

·         Le CISLA de Bayeux (Calvados) transféré à Gaillon début février 1915 (René Glatigny va d'abord à Bayeux, avant d'être envoyé à Gaillon).

 

Vocabulaire médical

Handicap : le mot n'est pas utilisé au sens actuel, en 1914 (dictionnaire Larousse), ce terme s'appliquait au vocabulaire des courses de chevaux, pour les courses à handicap.

Blessé : le soldat est blessé lors d'un combat; il est considéré comme « blessé» tant que sa blessure n'est pas guérie ou consolidée.

Mutilé : soldat qui a perdu un élément de son corps lors d'une blessure, mutilé d'un membre, mutilé de la face (Les Français utilisent l'expression « gueules cassées »), mutilé des poumons par les gaz, aveugles, sourds de guerre ...



Gueules cassées.

Invalide : Nous retrouvons aujourd'hui le mot, moins employé, dans les expressions sous forme de sigle « GIG » et « GlC » : grand invalide de guerre et grand invalide civil.

Estropié : le terme, peu utilisé aujourd'hui, est couramment employé à cette époque.

IMBRP : « institut militaire belge de rééducation professionnelle des Grandes blessés de guerre » est la formule qui est inscrite sur les cartes postales imprimées par l'institut et vendues au profit de l'œuvre du travail des grands blessés.

IMIO : l'institut militaire belge de rééducation professionnelle pour grands blessés de guerre de Port-Villez devient à partir de 1917 « institut militaire pour invalides et orphelins ». La présence d'orphelins à Port-Villez semble s'être réduite à un simple projet, mais le nom d'IMIO se trouve sur certains documents officiels.

Malades mentaux : soldats souffrant de troubles psychiatriques (délire, neurasthénie, dépression ...).

Malades nerveux : soldats souffrant de paralysie, de tremblements, de perte de certains sens ...

 

Ouvriers casqués

Les ouvriers qualifiés mobilisés sont renvoyés dans leurs usines où ils travaillent à la défense du pays ; ils restent avant tout des soldats soumis aux règlements stricts de l'armée.

 

Les pavillons de bois Wallens

Conçus par le colonel du génie Wallens, ces baraquements en bois permettent d'offrir aux services médicaux de l'armée belge des locaux vastes et fonctionnels.

Avec 28 mètres de longueur, 6 mètres de largeur, il est possible d'y installer 24 lits d'hôpital. La hauteur du plafond est de 2,50 mètres. Le baraquement est posé sur des plots en béton ou en brique pour l'isoler du sol ; il est surmonté d'un belvédère muni de fenêtres sur toute la longueur permettant d'aérer le bâtiment. Un gros poêle à bois assure le chauffage l'hiver. 500 exemplaires de ces constructions ont été produits par la firme Hamon de Paris ; facilement mis en place et démontables, ils ont été remontés après la guerre en Belgique.

A Port-Villez des pavillons Wallens servaient de dortoirs, d'autres d'ateliers. Seule la grande salle des fêtes, construite un peu sur le même modèle, a été fabriquée par les soldats du camp. Comportant une scène, elle était transformable en chapelle et le fond se terminait par une abside éclairée par des vitraux peints, œuvres de l'atelier de l'institut. Cette salle des fêtes fut achetée après la guerre par la commune de Jeufosse, mais il ne reste rien de cette construction en bois qui ne répondait pas aux normes de sécurité en matière d'incendie.

 

L'armée belge

Le pays a été déclaré neutre par la conférence de Londres en juin 1831, peu de temps après l'indépendance. Cependant cela n'empêche pas la Belgique de disposer d'une armée.

- Avant 1909, l'armée belge se recrute par tirage au sort et engagements volontaires. Effectif en activité : 48 000 hommes, effectif général : 160 000 hommes.

- Une loi votée en 1909 prévoit une conscription limitée : un homme par famille. En 1912, la loi militaire prévoit la conscription : 117 000 hommes mobilisables en 1914. Grâce au doublement des effectifs lors de la mobilisation, il est possible d'évaluer l'armée belge à 220 000 hommes.

 

Les uniformes

Les uniformes sont restés presque inchangés depuis l'indépendance en 1830 et n'ont guère évolué depuis l'époque de Napoléon ; il en est de même d'ailleurs largement des autres armées européennes qui conservent des uniformes rutilants.



Uniforme de l'infanterie belge en 1914. Ici, le shako est recouvert d'une housse en toile cirée

- L'uniforme de l'infanterie : le soldat porte un pantalon et une vareuse verte ; il porte un shako de cuir bouilli.

- Le carabinier de la milice a une vareuse descendant derrière très bas, comme une redingote, et est coiffé d'un shako en cuir bouilli avec un rebord tout autour.

- Le grenadier en grande tenue porte un haut bonnet à poil décoré d'un plumet.

- La cavalerie à cette époque est importante. La cavalerie belge comprend les lanciers, coiffés d'un shako carré, les guides et des cabiniers à cheval. Tous ces régiments mettent pied à terre, comme nos hussards, dragons et autres cuirassiers aux uniformes rutilants, pour combattre dans les tranchées. Pendant la bataille de l'Yser, les uniformes tombent en lambeaux, les soldats les remplacent par des vêtements civils hétéroclites – comme dans l'armée française.

Au cours de l'année 1915, les soldats belges sont habillés avec un nouvel uniforme, copié sur celui des Français. Si l'uniforme de nos poilus est de couleur bleu-horizon, celui des « jass » est kaki.



Casque belge.

Le casque belge est une réplique du casque français Adrian, portant sur le devant en écusson le lion des Flandres.

 

Grades de l'armée belge

Ils sont globalement comparables à ceux de l'armée française, mais sont plus nombreux. La distinction de maréchal n'existe pas dans l'armée belge. Le chef de l'armée est le roi qui a pris son rôle très au sérieux.



* Dans la cavalerie nous avons le grade de brigadier.

** Dans la cavalerie nous avons le grade de maréchal-des-logis.

 

Chant franco-belge

       Dans ses recherches pour préparer le colloque du 25 avril 2015, l'ARC a retrouvé la partition d'un « Chant franco-belge » éditée en 1920.

       Aujourd'hui totalement oubliées, les paroles de ce chant illustrent parfaitement le souhait de voir perdurer, dans les années d'après-guerre, l'alliance scellée entre la France et la Belgique durant le conflit. Si certains passages sont quelque peu datés, l'appel à la mémoire, à la fraternité et à la liberté reste actuel.



Belges, Français, sous nos belles bannières,
Nous marcherons en nous tenant la main;
Et pour garder de solides frontières,
Nous barrerons l'Allemand sur le Rhin.
En nous basant sur l'antique devise:
Que l'union rend les peuples plus forts,
Unissons nous ; que rien ne nous divise
Et vers la Paix tendons tous nos efforts.
Mais si jamais le danger nous menace,
Sous l'étendard d'une mâle fierté,
De nos aïeux suivant la noble trace,
Nous lutterons pour notre liberté !

Concluons donc une forte alliance,
Qui soit un pacte entre deux nations;
Que désormais la Belgique et la France
Soient à l'abri d'âpres invasions!
Nos deux pays sont faits pour se comprendre,
Un même but devra les voir unis,
Et c'est pourquoi nous devons nous entendre
Pour nous liguer contre nos ennemis.
Ne cherchons point à provoquer la guerre,
C'est un fléau qui doit être évité,
Et cependant il faut savoir la faire
Pour son honneur et pour sa liberté

Quand nous verrons la France et la Belgique
Marcher d'accord pour défendre en commun,
L'un son Roi, l'autre sa République,
Pensons alors à l'Yser, à Verdun !
Dans le passé retrempons nos mémoires.
Rappelons-nous que dans nos deux pays
Il s'est passé de bien tristes histoires,
Dont les auteurs sont couverts de mépris.
Pour l'avenir tenons-nous bien en garde ;
Appuyons-nous sur la fraternité,
Respectons-la, comme une sauvegarde,
Pour notre droit et notre liberté



Le 26 avril 2015, dans la cour du château de Gaillon, les chorales de Gaillon et des Andelys, sous la direction de Lydie Crocetti, ont redonné vie à ce chant

 

Le chant est dédié au maréchal Foch et au général Maglinse.

Les paroles sont d'E. Loyens et la musique d'E. Lambrecht, capitaine secrétaire d'état-major. Cette chanson a été imaginée pour populariser la signature de l'accord militaire secret franco-belge du 7 septembre 1920 qui rompait la neutralité de la Belgique en la poussant dans le camp français. Critiqué par les Flamands et une partie de l'opinion publique, l'accord sera remis en cause quelques années plus tard... et la chanson ne fut probablement jamais fredonnée dans les rues.

 

 

 

 

 



[1] Dans les années qui précèdent la Grande Guerre, la Belgique est dépassée par la Russie, le Japon, l’Italie ...

[2] L'ouvrage paru en 1905, Le caoutchouc rouge, dénonce les violences dont sont victimes les Congolais.

[3] Par sa mère, Albert 1er est donc cousin de l'empereur d'Allemagne.

[4] John Horne & Alan Kramer, 1914. Les atrocités allemandes. La vérité sur les crimes de guerre en France et en Belgique, éd. Tallandier, 2001, 675 pages. Les notes sont consultables dans cette édition sur Internet

[5] Au printemps 1917, les armées allemandes ont abandonné depuis plus d'un an le casque à pointe, fabriqué en cuir bouilli et qui ne protégeait pas le soldat pour le Stahlhelm, le casque d'acier dont le modèle est en service jusqu'en 1945. Le casque à pointe reste pourtant si lié à la tradition de l'armée prussienne que les caricaturistes l'utilisent pour représenter le soldat allemand, même pendant la Seconde Guerre mondiale.

[6] En 19l9, le colonel Jacques est fait « baron de Dixmude » par le roi Albert 1er.

[7] Michaël Amara, Des Belges à l'épreuve de l'exil. Les réfugiés de la Première Guerre mondiale, France, GrandeBretagne, Pays-Bas, éditions de l'Université de Bruxelles, 2008, p. 85.

[8] Aux réfugiés il faut ajouter les nombreux militaires.

[9] Le nombre des réfugiés a été évalué par les autorités françaises : « Statistique des réfugiés belges en France », Bulletin de la commission des archives de la Guerre, 111,1921,  p. 45-59; le nombre des soldats belges a été évalué par l'armée belge. N'oublions pas également que les militaires séjournèrent pour certains peu de temps dans la région, le nombre de Belges ayant séjourné un moment ou un autre sur ce territoire est donc beaucoup plus important.

[10] Cette villa appelée la villa Louis XVI a été détruite lors des bombardements de la Seconde Guerre mondiale, de même que le palais des Régates ou l'Hostellerie-Normande

[11] L'expression « la Belgique du dehors» reprend le titre d'un ouvrage publié en 1917 par le journaliste belge Maurice des Ombriaux, intitulé Un royaume en exil: la Belgique du dehors ; l'auteur y décrit entre autres le CISLA. L'ouvrage comporte la photo montrant un détachement de soldats belges devant le château de Gaillon, cliché ayant servi d'illustration pour l'affiche annonçant le colloque.

[12] Charles de Broqueville (1860-1941) leader du parti catholique cumule pendant la guerre, d'août 1914 à juin 1918, les fonctions de premier ministre et de ministre de la Guerre. Son cabinet s'est ouvert aussi bien à la droite qu'aux libéraux et aux socialistes dans un souci d'union sacrée. Broqueville séjourne à Sainte-Adresse et le roi commandant l'armée vit avec la reine à La Panne

[13] Léon de Paeuw, La rééducation professionnelle des soldats blessés et estropiés, Librairie militaire Berger-Levrault, imprimerie de l'école nationale belge des mutilés de la guerre, Port-Villez, 1916 p, 191-200 consultable sur Internet. Pieter Verstraete, Christine Van Everbroerck, Le silence mutilé. Les soldats invalides belges de la Grande Guerre, Presses universitaires de Namur, 2014.

[14] En 1917 le Journal de Rouen estime à 10000 le nombre des Belges à Rouen et dans sa banlieue.

[15] Plus de 700 dockers belges travaillent à la fin de la guerre à décharger les navires dans le port. Près de 1 700 agents belges travaillent dans les ateliers fin 1917

[16] Docteur Armand Delterre, L'hôpital anglo-belge à Rouen, 1916. Ce médecin est le fondateur de l'hôpital de Bonsecours et a prononcé à La Panne en 1915 une conférence dont le texte est édité dans ce fascicule de trente pages.

[17] Il s'agit en 1914 de la route nationale 182 reliant Bonnières au Havre ; devenue RN 15, elle est aujourd'hui la D 915 de Bonnières à la limite de l'Eure, puis D 6015 jusqu'à Sainte-Adresse.

[18] Après la fermeture du centre de détention pénitentiaire en 1901, l'armée utilise le château comme caserne. Deux compagnies du 74e RI (Rouen) – c'est-à-dire 500 hommes environ – séjournent par roulement au château de Gaillon. Après la déclaration de guerre en août 1914, l'essentiel du régiment est envoyé sur le front et les locaux de Gaillon sont disponibles et peuvent être prêtés à l'armée belge.

[19] Voir le lexique.

[20] Léon de Paeuw, La rééducation professionnelle des soldats blessés et estropiés, Librairie militaire BergerLevrault, imprimerie de l'école nationale belge des mutilés de la guerre, Port-Villez, 1916. Consultable sur Internet sur archive.org. et réédité par Ulan Presse en 2012. - Pieter Verstraete, Christine Van Everbroerck, Le silence mutilé. Les soldats invalides belges de la Grande Guerre, Presses universitaires de Namur, 2014

[21] Léon de Paeuw, La rééducation professionnelle des soldats blessés et estropiés, op. cit., p. 123

[22] Pieter Verstraete, Christine Van Everbroerck, Le silence mutilé. Les soldats invalides belges de la Grande Guerre, op. cit., p. 104.

[23] Le service de santé militaire dans l'armée française était en 1914 très déficient : les graves manquements  relevés durant l'année 1914 ont entraîné une enquête parlementaire contre le responsable qui a failli être envoyé devant le Conseil de guerre au début de 1915. Il est vrai que les autorités françaises, pensant à une guerre courte et victorieuse, avaient désigné un incapable chargé d'une tâche que l'on pensait annexe.

[24] Les photos sont visibles sur Internet, site Gallica ; taper: « école de Port-Villez ».

[25] Aujourd'hui subsiste au bord de la route départementale 915 le bâtiment de ce puits artésien Albert 1er, décoré d'un beau bas-relief, mais l'automobiliste pressé pense qu'il s'agit là de quelque transformateur électrique abandonné. Cette construction, propriété de la famille Baeyens, menace de tomber en ruine et est envahie par le houblon sauvage et les ronces

[26] Lors de la fête du roi au CISLA de Gaillon, les élèves officiers reçoivent des Kramiks pour leur petit déjeuner, confectionnés très probablement à Port-Villez.

[27] Léon de Paeuw, La rééducation professionnelle des soldats blessés et estropiés, op. cit., p. 122.

[28] En souvenir de cette entreprise, la rue des Cascades est devenue « rue des Belges » en 1956.

[29] Pierre et Jean Lebaudy avaient construit à Moisson un vaste hangar pour monter leurs dirigeables ; le dernier, le Tissandier, est conçu en 1914, mais en mai 1915, la maison Lebaudy cesse toute activité. Cf. musée de la Ballonnière et du Jamborée de 1947, Moisson

[30] Cette entreprise, par diverses mutations qu'il serait trop long de développer ici, appartient aujourd'hui au groupe Total.

[31] Certains sites belges affirment sur Internet que dès 1916 la colonie de Bonnières atteint 1 000 personnes, ce qui parait excessif: le village de Bonnières compte alors 1400 habitants; Freneuse et Bennecourt respectivement 600 et 700 habitants, quant au petit village de Jeufosse, il n'y a qu'une poignée de maisons au bord de la route nationale

[32] Ce ministre est chargé de l'instruction publique. En Belgique l'école gardienne correspond à cette époque à notre école maternelle.

[33] Madame Mary, indiquait : « Villa Brésilienne, Maison de famille, accepte convalescents, grand jardin, fleuve, bonne table, soins dévouées, prix par jours 7,1012 f, Bonnières-sur-Seine, Seine & Oise ». Journal Le Matin, 3 mai 1915

[34] Charles Gibier, né en 1848, est évêque de Versailles de 1906 à sa mort en 1931. Le 18 avril 1926, il consacre la nouvelle église Sainte-Martin de Freneuse, dont les travaux ont été financés par Louis Piret.

[35] Prenons l'exemple de Victor van Kets, né le juillet 1892 dans le Brabant flamand à Nieuwrode. Mobilisé en 1914, il est blessé au combat et envoyé en France à Valognes, Rouen, Saint-Aubin-lès-Elbeuf, Calais et Dieppe. Il arrive en décembre 1915 à Port-Villez. Pendant son séjour il rencontre une Vernonnaise, Yvonne, qu'il épouse en 1917 ; le couple établi dans la région aura 18 enfants. Cf. Kylian van Keyts « D'où viennent les Belges de Vernon ? », Le Démocrate vernonnais, 16 sept. 2015

[36] Le cardinal Mercier (1851-1926), archevêque de Malines, primat de Belgique, demeuré en Belgique, il fut la grande figure de la résistance nationale belge face à l'occupation allemande pendant la Grande Guerre. Son prestige était immense à la libération du pays.

[37] Beaucoup de corps ont été ramenés en Belgique; ceux qui n'avaient pas été réclamés par les familles ont reçu dans les années vingt une stèle en béton moulé portant une plaque en bronze avec la mention du nom et du régiment soit en néerlandais, soit en français.

[38] Jacques Liébin (dir. scientifique), Au jour le jour avec un soldat de 14-18. Les carnets du sergent des grenadiers Gustave Groleau, éd. musée royal de Mariémont, 2009.

[39] Noël Hemberg est le chef de la fanfare belge.

[40] En plus de l'hôpital Saint-Louis, Vernon comptait plusieurs hôpitaux militaires, dans la ville même et un autre à Vernonnet, dans le château des Pénitents.

[41] Le sénateur Fernand Thiébault (1855-1928) est alors le directeur de l'institut de Port-Villez.

[42] N'oublions pas que ces personnes habitent en Belgique occupée.



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