Médecins de la Grande Guerre

Mémoire et traces de la Grande Guerre dans le Luxembourg belge

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1914-1918 :

Gaillon et sa région aux côtés de la Belgique

Jean Baboux
Jean-Louis Breton
Patrick Loodts
Isabelle Masson-Loodts
France Poulain

Mémoire et traces de la Grande Guerre dans le Luxembourg belge

                                                                                            Isabelle Masson-Loodts,
                                                                                 archéologue, journaliste indépendante,
                                                                              réalisatrice de reportages télévisés (RTBF),
                                                                                   auteur de La guerre des soignants[1].
             
                                                                              et de Paysages en bataille[2].

       Le 25 avril 2015, la petite ville de Gaillon, en Haute-Normandie, a accueilli un colloque sur le rôle, qu'avec sa région, elle a joué durant la Première Guerre mondiale aux côtés de la Belgique. La manifestation a pris place au cœur même du château de Gaillon, où mon arrière-grand-oncle René Glatigny fut formé pendant la Grande Guerre au centre d'instruction des sous-lieutenants auxiliaires (CISLA) de l'armée belge. Au cours de ce colloque, mon père, le docteur Patrick Loodts a retracé, au travers du destin de René Glatigny, le fonctionnement de cet établissement et la vie des jeunes militaires belges à Gaillon. Je n'avais pas pu malheureusement me joindre à lui et aux membres de la famille qui l'accompagnaient pour découvrir ce lieu où mon aïeul a passé quelques semaines, très peu de temps avant de trouver la mort au combat. J'ai vu avec émotion les photos des traces de la présence belge encore visibles sur place ; les clichés inédits de graffiti, d'éléments de signalétique et de décorations, pris par France Poulain, architecte des Bâtiments de France en chef et conservateur du château m'ont particulièrement émue. Le caractère éphémère de ces traces est un des sujets auxquels je m'intéresse depuis plusieurs années au travers de mon travail de recherche sur les paysages de l'ancienne ligne de front. Au cours de mes multiples périples sur les 700 kilomètres du front occidental de la Grande Guerre, j'ai à plusieurs reprises été confrontée à l'oubli qui va de pair avec l'inéluctable effacement des traces. Ce qui m'a frappée, en particulier, c'est que dans les lieux où les combats avaient été particulièrement sanglants mais de courte durée, les vestiges de ces affrontements, évidemment moins visibles et plus rares dans le paysage, avaient rendu la mémoire des faits moins tenace. Lorsque j'expliquais aux personnes rencontrées dans des zones où le front s'était fixé durant de longues années que j'avais entamé mes recherches en explorant les sites du sud de la Belgique, certains n'avaient pas hésité à me dire que cette partie du pays n'avait pas vraiment souffert de la guerre. J'ai vu plusieurs visages changer lorsque je leur expliquais par exemple, que rien que la ville de Dinant et ses villages avoisinants avaient à eux-seuls payé un lourd tribut humain à la Première Guerre mondiale avec, entre le 22 et le 24 août, 674 civils exécutés, et 950 maisons incendiées ...



Couverture du livre d'Isabelle Masson-Loodts.

       L'Histoire est humaine, et à ce titre, elle n'est pas infaillible. Elle dépend, entre autres, de l'accessibilité et de la lisibilité de ses sources. La moindre trace subsistant aujourd'hui dans le paysage permet, lorsque nous pouvons en parler et l'expliquer, de rendre hommage à ceux dont nous avons oublié la souffrance. Le paysage est en cela un vecteur de mémoire très intéressant, car même ceux qui ne s'intéressent pas à l'Histoire sont intrigués par les éléments d'un panorama qu'ils ne comprennent pas. Une croix, un trou d'obus, du fil barbelé émergeant de l'écorce d'un arbre, et voilà que le cerveau s'échauffe et a envie de savoir. Une des régions qui a suscité en moi le plus de réflexions sur la façon dont la mémoire se maintient en lien avec les traces dans le paysage est le Luxembourg belge. Au cours de l'été 1914, les troupes allemandes et françaises s'y sont battues au cours de ce qui sera appelée ensuite « la bataille des frontières ». Autour d'une douzaine de localités du sud de la Belgique, cet ensemble de combats est entré dans l'histoire comme une des batailles les plus meurtrières de la Grande Guerre : au cours des journées du 20 au 24 août 1914, la France a subi cent trente mille pertes en Belgique. Plus de vingt mille soldats provenant de toutes les régions de France sont morts en Ardenne et en Gaume.

       Aujourd'hui, les monuments aux morts et les cimetières constituent l'essentiel des traces encore présentes dans le paysage pour nous rappeler cet épisode particulièrement sanglant.

       La façon dont les lieux commémorant les affrontements autour du village d'Ochamps illustre bien la difficulté de maintenir la mémoire et les traces d'un événement traumatisant mais bref. Aux abords du terrain de foot du village, une croix semble jouer les intruses dans le décor. La plupart des footballeurs qui fréquentent les lieux ignorent aujourd'hui que ce monument est en fait une des rares traces marquant l'emplacement des combats qui ont opposé Allemands et Français autour du village et à la lisière de la forêt de Luchy au début de la Première Guerre mondiale. Le 22 août 1914, la bataille de Bertrix fit 2 500 morts à elle seule, dont une très grande partie dans les troupes françaises.

       Les jours suivant ce carnage, la population belge a été contrainte d'enterrer, à la hâte, les cadavres des hommes et des chevaux, gonflés et noircis par la chaleur estivale. Entretenus notamment durant plusieurs décennies par les écoliers du village, la plupart des cimetières français sont ensuite tombés dans l'oubli puis ont été désaffectés, les corps exhumés rejoignant d'autres nécropoles plus importantes.

       Parmi ces nécropoles (cimetière militaire français d'Ethe Laclaireau, cimetière du Radan à Bellefontaine, cimetière à l'Orée de la Forêt à Rossignol, cimetières de Baranzy, Virton « Bellevue », Neufchâteau « Malome », Luchy, Anloy-Bruyères ...), celui de Maissin fut, au contraire, l'objet d'une attention très particulière, en partie liée au fait qu'une communauté, celles des Bretons, s'y retrouvant fort représentée, a ajouté au paysage un monument marquant. Pour rendre hommage aux nombreux hommes des régiments d'infanterie quimpérois, vannetais et brestois qui reposent dans cette nécropole parmi les 4 782 combattants français et allemands morts en août 1914, un authentique calvaire breton du XVIe siècle, provenant de la paroisse du Tréhou, à Croas-Ty-Ru, a été acheminé sur place en 1932. Amené pierre par pierre par la voie qu'avaient empruntée les soldats bretons et vendéens tombés à Maissin en août 1914, il est accompagné d'une inscription en langue bretonne, ainsi traduite : « La mort est le meilleur prêcheur, car sa voix porte jusqu'au fond ! Écoute, compatriote, toi qui as du cœur : elle te demande d'être breton de toute ton âme. Amis allons souvent nous recueillir sur les tombes. »



Le calvaire breton de Maissin.

       A Maissin, le visiteur peut encore voir les maisonnettes dites « du comité », construites en 1915 et ayant servi d'abri provisoire pour les villageois sinistrés lors des exactions commises par les Allemands en août 1914 dans le village. L'église Saint-Hadelin est dotée de vitraux racontant les souvenirs de la bataille de Maissin telle qu'elle fut vécue par les soldats mais aussi par les habitants. Parmi d'autres souvenirs de ce douloureux épisode de 1'histoire, se trouve aussi un tronc de hêtre sur lequel un soldat a laissé trace de son passage à Maissin au travers d'une inscription gravée à la baïonnette.

       Chers lecteurs, si l'un de vous passe d'aventure dans la région, qu'il sache que ce serait un honneur pour moi que de lui faire découvrir ces précieuses et émouvantes traces et empreintes de cette Grande Guerre qui nous rappela que, dans la souffrance, nous sommes tous frères.












[1] Patrick Loodts, Isabelle Masson-Loodts, La Grande Guerre des saignants. Médecins. Infirmières et brancardiers de 1914-1918,2014, coll Arès, Éditions Memogrames, 575 pages.

[2] Isabelle Masson-Loodts, Paysages en bataille. L'environnement sur le front de la Grande Guerre, Éditions Nevicata, 96 pages.



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