Médecins de la Grande Guerre

Ida Limbos, « Mademoiselle Bois-de-Fer », d’Amersfoort à Stanleyville !

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Ida Limbos, « Mademoiselle Bois-de-Fer », d’Amersfoort à Stanleyville !

       Article dédicacé aux infirmières religieuses ou laïques qui consacrèrent leurs vies à soulager la souffrance de leurs frères congolais.

1) Infirmière en chef au dispensaire d’Elisabethdorp

       Ida Limbos est née en 1883. Pendant la guerre, elle entame des études d’infirmière à l’école Saint-Camille, école fondée par la comtesse Van den Steen de Jehay. Ses études terminées, en 1916, elle s’engage (d’après Henri. E « Ida Limbos infirmière St Camille » La voix de l’infirmière volume 19, 1950, mars n°1 pages 22-27) comme infirmière au dispensaire d’Elisabethdorp.

       Elisabethdorp est un village de femmes et d’enfants belges créé à côté du camp d’internement des soldats belges à Amersfoort (Hollande). Les soldats belges internés peuvent y retrouver leurs épouses et enfants à certains moments et sous certaines conditions. Le village belge va se doter de toutes les facilités pour offrir une vie normale à ses habitants, une majorité de femmes et d’enfants : écoles, dispensaire, bibliothèque, et même une université…  Ida eut sans doute énormément de travail. Accouchements, consultations des nouveau-nés,  premiers soins etc



Carte des camps d’Internés militaires belges en Hollande


Le camp d’Amersfoort en 1916


Maisons familiales à Elisabethdorp


Entrée du quartier du Soutien


Les femmes d’Elisabethdorp d’Amersfoort. Ida Limbos y figure peut-être en bonne place, debout à l’extrême gauche dans une tenue entièrement blanche ! Source

2) Infirmière à Coquilhatville

       Après la guerre, Ida rejoint le Congo belge. Elle y accomplira sept termes avant de revenir définitivement au pays  en 1947.

Ida fut une des premières infirmières laïques œuvrant au Congo. Il subsiste, hélas, peu de documents sur sa carrière mais la Biographie belge d’outre-mer nous offre un résumé d’une carrière impressionnante au service de la colonie. D’abord en poste à Coquilhatville, elle sera en matière de politique de santé le soutien du gouverneur intérimaire Engels (Biographie d’Alphonse Engels) qui essayait de trouver des solutions à la chute démographique constatée au Congo. Certains attribuaient ce phénomène à la polygamie : les femmes, dans un ménage polygame, mettant au monde moins d’enfants que dans un ménage monogame. Dans le but de faire progresser la monogamie, Ida va œuvrer au sein de l’association philanthropique « le Foyer Monogamique » créé à l’initiative du gouverneur Engels. On l’imagine donner des causeries dans les villages pour convaincre les populations de l’avantage de la monogamie. Vraisemblablement la société « Foyer Monogamique » qui possédait de généreux mécènes, offrait aussi une aide financière aux jeunes gens congolais qui s’engageaient à célébrer une union monogamique. L’action d’Ida dans ce domaine dura jusque 1922, date de sa mutation à Stanleyville. Elle exerça alors son art dans l’hôpital des Noirs de cette ville d’où elle rayonnait dans les différents dispensaires de la région comme le montre les archives la concernant et qui se trouve aujourd’hui conservées dans le musée de l’Afrique de Tervueren.

3) Responsable des soins infirmiers sur un immense chantier routier au Congo

       Ida consacra ses deux derniers termes à soigner les ouvriers du chantier de la route de Bengamisa à Yamgambi à partir de son dispensaire de Gombari.



En pleine forêt équatoriale, la route tracée entre Yangambi et Bengamisa, juste après la Deuxième Guerre mondiale, représenta un chantier éprouvant.

4) Ida rentre au pays en 1947

       Ida rentra au pays en 1947. On l’imagine épuisée et elle décède l’année suivante à Woluwe-St-Lambert. On peut regretter n’avoir pas de photos de cette femme héroïque. Manque aussi un récit plus complet de sa vie. Un récit de la littérature coloniale lui rend cependant hommage.

5) François de Grünne rendit hommage à Ida Limbos en lui consacrant un chapitre de son livre  « N’golo, gibier de potence »



Couverture du livre

       François de Grünne vécut de longues années au Congo Belge. Sa vie (1907-1993) est assez mystérieuse et, pour je ne sais quelle raison, malgré qu’il soit issu d’une famille prestigieuse, il ne possède aucune biographie ni comme auteur, ni comme colonial. François séjourna notamment dans la célèbre « Ferme des éléphants » de Gangalana-Bodio où les Belges essayèrent sans succès réel de domestiquer l’éléphant d’Afrique. Cette expérience, il la raconta dans un très beau récit « Badio l’éléphant ».  Par après, on le retrouve comme officier dans la campagne d’Abyssinie. Inspiré par cette campagne, il écrivit plusieurs récits dont « N'golo », gibier de potence, paru en 1949 aux éditions Cuypers. C’est dans ce récit qu’intervient Ida Limbos. Avant de vous faire lire le chapitre intitulé « Mademoiselle bois-de-Fer » consacré à notre infirmière. Voici résumé ici l’histoire de N’golo :

       N'golo est un Congolais appartenant à l’ethnie Manvu et vivant dans le nord-est, près des rivages du fleuve Mulumbi. Les Manvu ont peine à vivre car peu nombreux et refoulés sur les terres ingrates que leur laissèrent les Mangbwelé. Un jour, la sœur de N'golo est faite captive par Mude, un chef Mangbwele qui désire la faire rentrer dans son harem. N'golo parvint à retrouver sa sœur et à tuer le chef mais il est devenu maintenant un meurtrier recherché par tous. Il est finalement blessé par un policier et transporté au dispensaire de Banalia pour y être soigné par « Mademoiselle Bois-de-fer » qui n’est autre qu’Ida Limbos. Pour rappel, le bois-de-fer est le nom populaire donné à un bois très dur comme l’ébène. Ida avait sans doute hérité de ce surnom par son caractère inflexible. Elle possédait sans nul doute la main de fer dans le gant de velours ! Mademoiselle Bois-de-fer va donc secourir N'golo et le soigner avec succès. N'golo, condamné à deux ans de prison obtient ensuite sa libération en s’engageant, en 1941, comme porteur dans l’expédition militaire que les Belges du Congo organisent pour attaquer les Italiens occupant l’Abyssinie. Les Belges remporteront une victoire impressionnante à la Bataille Saïo au prix de quelques soldats mais, surtout, au prix de la perte de près de 300 porteurs. N’golo reverra son pays mais mourut peu après son retour du béri-béri qu’il avait contracté dans cette expédition.

       François de Grünne dira de la campagne d’Abyssinie :

         « On discuta beaucoup pour savoir qui était le vrai vainqueur de Saïo. Les uns prétendirent que c’était tel général aux idées géniales, les autres prétendirent que tel colonel par son sang-froid avait transformé en victoire un désastre, d’autres encore dirent que les fantassins de tel colonel avaient dérouté les Italiens au point de leur faire perdre la foi dans l’art militaire. Mais peu ont songé que le vrai vainqueur de Saïo, c’était le porteur. Parfaitement, le pauvre porteur, celui qui ne fut jamais consulté et qui jamais ne sut ce qu’il était venu faire en Abyssinie. N'golo enfin ! C’est à lui que la patrie reconnaissante devrait élever un « monument. » (Ngolo, gibier de potence, page 84 et 85, Editions Cuypers, 1949.)

6) Ci-dessous le texte de « MADEMOISELLE BOIS-DE-FER » écrit par François de Grünne dans son livre (Ngolo, gibier de potence, chapitre XII, pages 61 à 66, Editions Cuypers, Bruxelles 1949). L’auteur nous donne un témoignage unique sur la personnalité et le caractère héroïque d’Ida Limbos connue surtout pour son intervention musclée en vue de faire cesser une bataille meurtrière entre deux ethnies :

       « Ngolo avait été transporté au dispensaire, fief de Mademoiselle Bois-de-Fer. Mademoiselle Bois-de-Fer était une jeune fille prolongée. Elle avait 45 ans ; pleine de mansuétude, elle possédait un cœur débordant, comme son abondante poitrine. Elle se croyait la mère de tous ceux qui, pour une raison ou autre, étaient à plaindre. Elle se sentait donc naturellement la providence de tous les noirs. Et c'était vrai. Si vrai qu'ils l'appelaient « Mama na bisu (Notre Mère) ». Pour quiconque connaît un peu les Noirs, leurs sentiments vis-à-vis du sexe faible et leur opinion des Européens, un pareil surnom vaut les plus splendides qualificatifs de la terre

       Les Noirs respectent rarement la femme ; pour eux, qu'elle soit noire ou blanche, elle fait partie du sexe faible et la faiblesse est une terrible infériorité. Cependant, ils faisaient une exception pour Mademoiselle Bois-de-Fer. Elle avait la voix forte, la langue bien pendue, la main leste et le pied aussi parfois. Très ancienne coloniale, elle ne craignait ni Dieu ni Diable, ni les missionnaires, ni les militaires, ni même les médecins hygiénistes, ni les hauts fonctionnaires.

       Elle avait une plume acerbes et quelques puissants protecteurs. Elle élevait onze chiens, six chats, quarante lapins et une nombreuse basse-cour ainsi qu'un vaste troupeau de chèvres. Malgré cette ménagerie, sa maison était un bijou de propreté, ce bijou sortait d'un écrin de jolies fleurs qu'elle chérissait et soignait pendant ses heures de loisir. Pour donner une idée de l'audace et de la désinvolture de Mademoiselle Bois-de-Fer, il suffit de rappeler cette histoire connue de tout le monde dans la province de Stanleyville, où Mademoiselle avait à elle seule, avec huit de ses chiens, maté une révolte, ou plutôt mis fin à un combat sanglant entre deux tribus indigènes.

       Elle dirigeait alors le dispensaire de Banalia, dont dépendait une région grande comme la Flandre Orientale. Un messager ruisselant de sueur, les yeux exorbités, était venu lui annoncer qu’un combat meurtrier se livrait à 5 Km. de Banalia entre deux chefs dont les guerriers en armes, peinturlurés en blanc, poussant leur cris de guerre, se transperçaient à coups de lances et de flèches.

       Des morts et de nombreux blessés jonchaient déjà le terrain. Mademoiselle Bois-de-Fer, sans la moindre hésitation, grimpa dans sa camionnette. Huit chiens s'y empilèrent suivant leur habitude, car ils aimaient voyager en auto et faire des raids dans les villages indigènes peuplés de chiens hargneux aux allures de chacals. L’infirmière arrêta sa voiture au beau milieu du champ de bataille, au centre d'un village dont les huttes flambaient.

       A peine sortie de son véhicule, suivie de sa meute tapageuse, elle se dirigea vers un grand guerrier armé d'une lance. Elle écarta l’arme de son bras potelé, arracha le bouclier qui protégeait le combattant et lui administra une paire de taloches retentissantes. Changeant alors posément de camp, elle se dirigea vers le chef du parti adverse qu'elle reconnut aisément au toupet de plumes rouges qu'il arborait sur la tête. Elle répéta avec dextérité sa démonstration indignée à l’égard de ce dernier. La mêlée subit un brusque fléchissement. Rouge et essoufflée. Mademoiselle Bois-de-Fer en profita pour débiter un torrent de menaces à l'égard des combattants qu'elle allait devoir soigner, panser ou enterrer. Le combat avait cessé. Les guerriers se regardaient penauds.

       Mademoiselle Bois-de-Fer fit ramasser les blessés par les femmes des deux clans qui, quelques instants auparavant, hurlaient de désespoir en déchirant leurs vêtements.

       Dès que les blessés furent empilés dans la camionnette, avec les deux chefs responsables et les huit chiens, elle se remit au volant et harangua une fois encore la foule hésitante. Elle promit de revenir avec la troupe, de faire enchaîner tous les mâles adultes et valides, et de les faire expédier aux travaux forcés. Elle démarra enfin dans un nuage de poussière et dans un chœur d'aboiements, sans se douter qu'elle avait simplement risqué sa vie. Des guerriers indigènes en plein combat sont difficiles à calmer. Ce fut grâce à l'énormité de son audace et au fait inconcevable qu'une femme eut osé gifler deux chefs sur le sentier la guerre, qu’elle eut la vie sauve. Il émanait de cette femme un dynamisme et une autorité inexprimables.

       Un olibrius qui lui avait été un jour présenté, avait dit d'elle : « Quel homme ! ». Eh bien, cet olibrius se trompait. Mademoiselle Bois-de-Fer avait ses airs terribles était pourtant essentiellement féminine car elle aimait. Elle aimait tout : les gens, les enfants, les fleurs, les animaux, la vie.

       Refuge des malheureux et providence des chiens perdus, elle possédait au plus haut degré ce qui rend la femme supérieure à l'homme : le sentiment, la générosité, le dévouement. Elle avait souffert d'un grand chagrin dans sa vie, elle l'avait refoulé au fond de son cœur et ce cœur gonflé s'épanchait.

       Quand N'golo lui fut amené, elle s'indigna.

       - Eh bien alors ! Regardez-moi comment ils l'ont arrangé … " tas de salopards !

       - Mais Mademoiselle, lui répondit avec étonnement le soldat, c'est lui qui a tué Mude et Manda.

       - Et alors, est-ce une raison pour en faire de la chair à pâté ? Mude et Manda ne méritaient pas mieux. Va me chercher l'infirmier de service, tu le trouveras au pavillon des femmes, naturellement.

       L'infirmier de service était un jeune Noir évolué à lunettes, il portait une belle cravate et un pantalon parfaitement repassé, il s'amena avec une nonchalance étudiée, après s'être fait attendre.

       - Dis donc, Philippa, tu ne pourrais pas te presser, non ? Tu veux que je te botte les fesses ? Ou préfères-tu que je l'enlève ta prime de fin de mois ? Lave moi ce petit tout de suite et fais le transporter sur la table d'opération que je voie clair dans cet étalage.

       Peu après, elle débridait, désinfectait, pansait avec exclamations et soupirs. (….) »

7) Conclusion : une femme exceptionnelle

       Ida Limbos eut une vie exceptionnelle. Une vie pouvant inspirer un formidable roman d’aventure ! Mais une aventure toute consacrée au service de son lointain « prochain » du Congo ! L’on peut regretter qu’elle n’ait pas écrit ses mémoires ! Nul doute qu’elle aurait pu passionner les lecteurs autant que la célèbre Karen Blixen !

Dr Loodts P.

 

 

 



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