Médecins de la Grande Guerre

Joseph Wauters : sa jeunesse et son réquisitoire au Gouverneur Falkenhausen.

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Joseph Wauters : sa jeunesse et son  réquisitoire au Gouverneur Falkenhausen


La vie de Joseph Wauters (1877-1929), né en Hesbaye à Rosoux-Crenwick, illustre merveilleusement le dicton  «  Je suis jeune il est vrai, mais aux âmes bien nées, la valeur n’attend pas le nombre des années ».

La famille Wauters de souche  paysanne et qui compte dix enfants a abandonné charrues et semoirs et est venue vivre péniblement à Waremme d’une petite boucherie et d’un commerce de bétail et de semences. Aux veillées, le jeune Wauters  a entendu les mamans et grands-mères raconter les misères et les soumissions qui affligent les paysans: les levers avant le jour en novembre,à l’affût de la chute du bois mort ; puis en juin pour les sarclages ; les mauvais temps de 1846 où les pommes de terre pourrirent ; les années de choléra ; les jours bien proches où l’enfant, à dix ans, était « herdier » (berger ou porcher) s’il est malingre, et manœuvrier ou briquetier s’il a de bons muscles ! Au début du siècle, la situation sociale des travailleurs  laisse encore  à désirer dans tous les domaines. En Hesbaye, les 8/10 des enfants s’absentaient de l’école durant plus de la moitié de l’année. Une école qui comptait cent élèves en hiver n’en avait que cinq ou sic en juin et en octobre. En 1910, il y avait 25% d’illettrés parmi les miliciens de Waremme ! Jusqu’en 1920 pour tout l’arrondissement de Waremme, il n’y avait qu’une seule école moyenne !

La Hesbaye ne compte à la « belle époque »  ni ateliers ni villes importantes, ce qui explique l’absence de   coopérative n’existent pas au contraire de Huy par exemple. Avant 1894, le mouvement socialiste était dans l’arrondissement de Waremme  totalement inexistant. Le monde des travailleurs, essentiellement rural et fataliste,  ne parvenait pas à s’unir pour lutter en vue d’obtenir de meilleures conditions d e vie.

Joseph Wauters, contrairement à la majorité des Hesbignons a de la chance car ses parents lui permettent de faire des études ! Après l’école moyenne, il poursuit ses études à l’athénée de Liège et rentre à l’université en 1894. Jeck, c’est ainsi qu’on le surnomme, est étudiant à Liège mais rejoint chaque jour Waremme en train. Les trajets sont pénibles, il voyage matin et soir dans les voitures sales et vétustes  en compagnie des maçons, terrassiers, mineurs. Ces hommes se sont levés à trois heures et demie ou à quatre heures du matin et ils ont fait, à pied, des villages avoisinants,  les cinq à dix  kilomètres qui  séparent leurs foyers de la gare de Landen ou de Rémicourt. Jeck, tous les jours, partage sur les banquettes du  train la misère effroyable des pauvres gens qui travaillent. Pas étonnant, qu’à l’université, il se transforme rapidement un  militant socialiste extrêmement actif car avide d’un monde plus juste ! Doué d’une grande intelligence, il va mener de front ses études universitaires et  son combat social. On le retrouve dans tous les meetings. En 1897, à Ambresin, à l’occasion d’une soirée électorale, il va rester quatre heures debout sur une chaise patientant que le boucan diminue avant de pouvoir prendre la parole. Il est de  tous les combats comme celui qu’il partagea avec Alfred Leblanc pour imposer partout la création de  dispensaires anti-tuberculeux. Voici un exemple de sa prose écrite à l’âge de 22 ans alors qu’il est secrétaire des « Etudiants Socialistes » et qu’il réfléchit au travail paysan de sa région.

« C’est en été qu’il faut voir ces plaines resplendissant aux rayons irradiants du soleil ; d’immenses champs de blés ondulent majestueusement  sous la brise. (…) Cette nature exubérante annonce une force, une puissance de vie, un élan d’activités longtemps contenues qui semblent vouloir étouffer l’être humain. Et pourtant, si l’on y songe, c’est lui qui par l’aide des ses semblables, par les connaissances de ses ancêtres revivant en lui, par son génie, sa volonté de travail, a discipliné ces forces aveugles, a mis de l’ordre dans ces richesses et a décuplé les fruits de la terre. Mais quelle tristesse vous assiège lorsque tournant vos regards de l’autre  côté, croyant voir une humanité saine, gaie, heureuse et libre, vous n’apercevez que des maîtres et des esclaves ! Ceux-ci triment dur ; leur récompense est quelque fois un rayon de bonheur, le plus souvent, la souffrance et la misère. Les autres ne font rien ; parfois aussi, ils pleurent, mais toujours, ils ont le bien-être, les plaisirs ; le bonheur est à eux » (Le canton de Waremme, Joseph  Wauters, 1898 page 2)      

Jeck s’intéresse à tout le petit  peuple des campagnes, le « baumann » chef de culture, le « maiss’vorlet » chef des valets qui touche la dringuelle pour chaque cheval vendu, les Flamands qui s’abrutissent à travailler dans les champs de betteraves, les ouvriers de siroperie condamnés par le truck système à dépenser leur paie dans les magasins de leurs patrons, les patronnes-tailleuses qui exigent une caution de dix francs de leurs travailleuses quand celles-ci ne sont payées que de cinquante centimes la journée…

C’est dans ce contexte social que Jeck, alors encore étudiant, va créer la première coopérative à Waremme  qu’il  va nommer « La Justice » ! 

« Au bout de six mois, nous avions un capital versé de 1.500 francs et nous nommions le personnel. Les bourgeois se  riaient de nous. Quand le dimanche matin, nous descendîmes de nos séances préparatoires, dans le grand café du « Cœur d’or », les plus intelligents parmi les libéraux notoires nous prenaient en pitié. Je m’entendis souvent demander par un homme dont je garderai pieusement la mémoire pour l’influence heureuse qu’il eut sur  la jeunesse de Hesbaye : « Comment pouvez-vous vous occuper de cela ? Espérez-vous donc sérieusement aboutir à quelque chose ? »

On écoutait respectueusement, on essayait d’être prudent, mais malgré tout, on allait de l’avant, franchement avec cette volonté tenace, quasi têtue, qui est le ciment des oeuvres fécondes. Avec les 1.500 francs, il fallut payer un modeste logis, acheter un cheval, une veille charrette, des rayons et un comptoir de magasin, des marchandises et réserver de quoi payer les salaires du petit personnel !  » 

La coopérative s’ouvrit en avril 1899. Personne dans la région n’y croyait !  A cette époque, Jeck était toujours étudiant. Le matin, avant de prendre le train, il visitait la coopérative. Il y revenait le soir et y demeurait très tard !

La ténacité du jeune homme paya car bientôt, la coopérative accusa d’énormes progrès et son action  provoqua une baisse de prix sur le marché des denrées. Le bilan de 1901 est éloquent : avec les bénéfices, les œuvres de solidarité de la coopératives  ont pu distribuer en six mois 303 pains et 125 francs de tissus pour les femmes accouchées, 75 francs aussi de secours extraordinaires à des coopérateurs dans la détresse. Jeck prouvait ainsi aux Hesbignons qu’un  un monde plus juste était possible ! Quelle victoire pour un gars de 22 ans ! De 292 coopérateurs en 1899, on va passer à 339 en 1900 et à 435 en 1901… En 1902, on installa une boulangerie et en 1903 une Maison du Peuple est ouverte !

Jeck administrera longtemps seul sa coopérative. Rien n’était pourtant facile car patrons, gros fermiers, commerçants et clergé organisaient de fortes pressions contre la coopérative.  A chaque progrès, à chaque achat d’immeuble ou de matériel, il y avait de nouvelles offensives haineuses. Mais Jeck ne s’intéressera pas seulement au bien-être matériel de la classe ouvrière et paysanne. Devenu docteur en sciences physico-chimiques, il professera pendant près de dix ans à l’école de Tannerie de Liège  tout en s’attachant à lutter  pour la diffusion des sciences en Hesbaye. Il suscita  la création d’un cercle d’étude « La vérité » qui deviendra un peu plus tard  « L’extension Universitaire ». Ce cercle se donnait comme but la plus large diffusion du savoir dans nos campagnes. Il fallait voir le succès des conférences  organisées par ce cercle : il venait à Waremme des gens de tous les villages qui n’hésitaient  pas à parcourir en hiver des kilomètres à pied sur des routes boueuses et défoncées. Jeck, continuant sur sa lancée, ne cessa jamais  d’inventer de nouvelles formes de solidarité  et cela dans tous les domaines : Sa coopérative  « La Justice » créa pour le canton un cours de solfège, un groupe de cyclistes, un cercle d’excursion et des œuvres post-scolaires  dont le but était de regrouper  les jeunes dans les locaux publics afin qu’ils bénéficient de loisirs éducatifs en dehors des heures d’école. Le domaine de la santé tenait aussi  à cœur  Jeck qui créa  en 1902 dans la foulée de sa coopérative, la mutuelle elle aussi nommé « La Justice ». Pour soutenir celle-ci, Jeck donna  en 1906 plus de seize conférences dans le canton ! Il en fallait de la patience pour convaincre les petits cultivateurs et les ouvriers de ferme mais le jeu en valait la chandelle ! En 1907, la mutuelle progressait déjà considérablement au point que Jeck put ouvrir un  dispensaire anti-tuberculeux à Waremme puis en 1910 à Hannut. Le jeune homme ne fut pas seulement un pionnier dans le domaine des  coopératives ouvrières  et des mutuelles, il créa aussi  en 1906 à l’âge de 29 ans,  un syndicat pour les ouvriers du bâtiment !

Jeck  fut un homme  de tous les combats, un véritable chevalier défendant toute sa vie les plus faibles et notamment les femmes. Voici ce qu’il disait à leurs propos, le 29 juin 1909 lors de la discussion du budget du Ministre de l’Intérieur et de l’Agriculture alors qu’il était jeune député :

« Avez-vous déjà pénétré dans un milieu de petits cultivateurs ; avez-vous déjà pu vous faire une idée des souffrances que supporte la ménagère, des tortures morales et physiques qui accablent cette femme, ayant parfois plusieurs enfants ; même au moment où elle allaite encore, elle doit se lever à quatre heures du matin pour préparer la nourriture des hommes qui s’en vont au champs ; après avoir mis un peu d’ordre dans le ménage, elle s’en va elle-même aux champs pour donner un coup de main ; elle revient un peu avant les autres, à midi pour préparer leurs repas ; après quoi, elle retourne l’après-midi encore pour donner le coup de main indispensable ; elle revient le soir , fatiguée, doit pourvoir aux besoins de tout le monde, doit soigner le bétail et , pardessus le marché, faire la laiterie, récolter les œufs, aller au marché, entretenir le ménage. Vous imaginez-vous bien le degré de souffrance et d’abrutissement de cette pauvre femme ? Il suffit de passer dans nos villages et de voir ces vieilles femmes de cultivateurs à figure émaciée, sèches comme un morceau de bois, pour avoir une idée de la somme de dévouement et de la somme de sacrifices qu’elles ont dû dépenser pour élever leur famille ! »

Jeck fit des choses remarquables pendant sa jeunesse, pas étonnant qu’il devint en 1908, âgé de 33 ans le  benjamin du parlement. En 1910, il abandonna le professorat pour devenir directeur du journal « Le Peuple ». Le défi était de taille et lui allait parfaitement car il s’agissait d’informer et de faire lire la classe ouvrière. Sous sa direction, le tirage du journal fit un bond en avant considérable. En six mois, il fit hausser le tirage de 10.000 numéros ; à la fin de 1913, la vente montait à 70.000 exemplaires et en 1914 la diffusion avait doublé !

 La première guerre mondiale ne le laissa pas inactif. En Belgique occupée, il fit partie du bureau du Conseil Général du Parti Ouvrier Belge qui tint de nombreuses réunions secrètes, au mépris des interdictions allemandes et cela  afin d’assurer le ravitaillement des populations ouvrières et de lutter contre les déportations.  La situation des classes laborieuses était tragique. Le rapport d’Emile Vinck, de juin 1916, montra que les enfants et adultes de la région bruxelloise étaient condamnés à un état de dénutrition .Dans les hôpitaux de Bruxelles, les cas de tuberculose avaient augmentés de 50%. Le rachitisme des enfants nés depuis la guerre passa de 21,3% en 1916 (contre 4,7 % en 1914). Une enquête d’Alfred Lombard, secrétaire de la Fédération Nationale des Mineurs, montra que 8% des mineurs descendant dans la fosse ne prenaient aucune nourriture pendant toute la durée de leur travail, que 25% n’avaient dans leur besace que des betteraves et 18% que des rutabagas !  Au seuil de l’hiver 1917-1918, le Conseil Général adressa au Gouverneur Von Falkenhausen (que le peuple belge retrouva 25 ans plus tard !) un suprême appel rédigé par Joseph Wauters qui, au Comité National, s’était dépensé sans compter pour tenter de ravitailler la population. Cette requête constituait un fameux et courageux  réquisitoire adressé à l’occupant !  Outre ses activités en faveur du ravitaillement de la classe ouvrière pendant la guerre, Joseph Wauters participa à des activités de renseignements au profil de l’armée française qui lui firent mériter la Légion d’Honneur qu’il obtint en  1919…

Après la guerre, il devint ministre de l’Industrie, du travail et du ravitaillement et continua à mena son combat social. On lui doit la fameuse loi des 8 heures qu’il fit voter le 14 juin 1921, mais aussi  société nationale des Habitations à bon marché, les lois et Arrêtés pour la protection du travail des femmes et des enfants et la loi sur les pensions de vieillesse. Joseph Wauters, alias « Jeck » parvint à  conserver ses rêves de jeunesse jusqu’au bout de sa vie, le 30 juin 1929.

Dr Loodts P.

 

Source

1)      Joseph Wauters par Sylvain Masy, 1937, Coop Typo Litho, Liège

2)      Histoire du socialisme en Belgique, Marc-Antoine Pierson, 1953, Institut Emile Vandervelde

3)      http://www.philagodu.be/GENERALCULTUREL/CELEBRITES/Joseph_Wauters.html   

 

 

 



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