Médecins de la Grande Guerre

La Marine militaire renaît et meurt.

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L'expérience de 1914-1918[1].

La Marine militaire renaît et meurt.

       Puis, brusquement nos frontières furent violées.



L’aviso-Mixte Ville d’Anvers. (Musée Royal de l’Armée)

Cette fois, la situation était plus grave qu'en 1870. Que faire ? On mobilisa bien nos quatre, « coquilles de noix » et on adressa un long rapport au Roi pour démontrer, ce dont Il était parfaitement convaincu, qu'il fallait une défense maritime. Ce rapport mérite une lecture attentive, nous ne pouvons malheureusement le reproduire ici ; le document est un vrai mea-culpa. On le prit en considération et il fut établi un « Service de défense côtière et fluviale » ayant comme chef un capitaine de vaisseau : on nomma à ce poste le major d'artillerie de Borchgrave qui n'avait cessé de remuer ciel et terre pour éclairer la nation.

       Le titre était prometteur, mais les attributions furent limitées à la défense de la côte ... pour laquelle rien n'avait été déterminé. Le capitaine de vaisseau ne reçut ni instructions, ni personnel, si ce n'est un capitaine comptable du matériel ; on y adjoignit, comme commissaire de marine, l'avocat Hennebicq, président de la Ligue de la Défense nationale et volontaire de guerre. On avait bien prévu la formation de deux compagnies de marins (pour 64 kilomètres de côte !) et 200 marins s'étaient offerts spontanément pour les constituer, mais on ne fit rien malgré les demandes du comte de Borchgrave qui, en désespoir de cause, se mit en rapport avec les autorités navales françaises et anglaises ; mais son initiative fut, enrayée, la Marine civile se montra tracassière comme de coutume en ces temps-là.

       Le 22 août 1914, en vertu d'ordres supérieurs, la « défense côtière » se retira sur Dunkerque avec les blessés, à bord de la malle Stad Antwerpen. Le lendemain, ce steamer continua, sa route vers Caen avec ses passagers et atteignit finalement le Havre.

       Là, après déchargement, le navire prit à bord des munitions pour notre artillerie de campagne et une partie de la 4e division d'armée échappée de la position de Namur ; il gagna Ostende.

       Le capitaine de vaisseau « commandant de la défense côtière » proposa alors d'établir, avec la marine anglaise et la 4e D.A., une tête de pont de Zeebrugge à Ostende pour assurer la ligne de repli de 1'armée. Mais on mit fin à ce nouvel essai de reconstitution de notre marine militaire en pensionnant le capitaine de vaisseau ; la défense côtière avait vécu.

       Quant à nos quatre canonnières de réserve restées à Anvers, on ne put les employer à cause de leur extrême faiblesse. A la reddition de la place, elles descendirent vers la mer capturées par les Hollandais, elles restèrent à la chaîne jusqu'à 1'armistice de 1918 et leurs équipages furent internés.

       L'expérience de la guerre imposa la reconstitution d'une sorte de force navale : le 28 janvier 1917, une dépêche ministérielle ordonna de diriger sur le dépôt de la 4e D. A., à Grand Fort Philippe (Gravelines), tous les militaires ayant appartenu, comme cadets, au personnel du Navire école, pour les faire entrer ultérieurement dans la composition du Dépôt des équipages : on entra dans la voie des réalisations.

       Le 5 mai, Le XXème Siècle applaudit à cette « excellente mesure ». Ce dépôt était érigé en centre administratif et d'instruction et de formation du personnel marin. Il devait comprendre deux compagnies de marins, un peloton d'artillerie de marine pour assurer le service des canons de côte et de bord, enfin une école pour la préparation scientifique et la formation aux diverses spécialités, le tout, administré comme un bataillon. Des militaires de l'armée de campagne y furent admis, tout simple soldat pourvu d'un diplôme de second lieutenant au long cours y obtenait le grade de quartier-maître ; celui qui possédait le brevet de premier lieutenant au long cours, le grade de second quartier-maître et le capitaine au long cours devait être proposé pour le grade de sortie des centres d'instruction des sous-lieutenants auxiliaires.

       Les uniformes, copiés sur ceux de la marine française (pompon bleu au lieu de pompon rouge excepté) furent déterminés, l'effectif du dépôt fixé à 400 hommes et une hiérarchie déterminée.

       L'organisation fut assez pénible, il y eut des hésitations, l'enthousiasme de cette nouvelle troupe était cependant fort grand. En 1917, le service des transports par eaux intérieures mit à la disposition de la formation un petit remorqueur, le Blankenberghe, affecté jadis à la station balnéaire de ce nom ; on l'arma d'un canon de 3,7 et d'une mitrailleuse Hottchkiss, il reçut un équipage composé d'un second maître et de quatre matelots. Ainsi équipée, la construction servit de vedette à la 6e escadrille française pour la reconnaissance des mines.

       Puis notre gouvernement réquisitionna le petit yacht de plaisance Henriette, appartenant à un Belge et stationné au Havre. Cet esquif vraiment trop modeste pour servir à la guerre, arriva à Calais portant deux canons de 3,7 ; une mitrailleuse du Dépôt des équipages y fut placée dans la suite, mais on tergiversa au sujet des moteurs nécessaires ;  finalement le yacht fut désarmé et amarré au bassin ouest. Le pétrolier British-Sovereign vint se placer à proximité, l'huile qu'il portait fuyait, la surface du bassin en fut bientôt recouverte et, le 7 septembre 1918, cette nappe prit feu ; il ne resta du yacht que la carcasse en fer.

       On mit également à la disposition de notre embryon de marine militaire l'aviso-mixte Ville d'Anvers, l'ancien garde-pêche, qui resta cependant sous le commandement du capitaine Depierre, de la Marine de l'Etat. Le bateau reçut à son bord un canon de 9 c., une pièce portugaise de 7,5, une anglaise de 6 livres, une de 3,7, des mitrailleuses et un mortier Van Deuren : un vrai musée d'artillerie. L'équipage se composa d'un aspirant de 2e classe et de 50 à 60 marins. L'aviso fut employé au dragage des mines.

       On décida, mesure excellente, de mettre une équipe de dix hommes, tirée du Dépôt, sur les dragueurs, français du Pas de Calais, une autre de six matelots à bord du Nord, plus, en moyenne, trois marins belges sur chacun des huit torpilleurs de Calais. Certains de nos officiers servirent sur le torpilleur d'escadre l'Oriflamme. Les croix de guerre françaises rapportées par nos officiers et matelots attestèrent leur courage. L'amiral Ronarch fit citer nos marins à l'ordre du jour des armées françaises.

       Lors de la réoccupation d'Anvers, trois torpilleurs allemands furent récupérés, réparés et munis d'équipages belges. Le grand quartier général constitua en son sein une commission d'études car il se montra, alors, favorable à la reconstitution d'une marine de guerre nationale.

       Au début de l'année 1919, les torpilleurs A.1 et A. 2 (anciens A. 14 et A. 12 qui avaient été sabordés par les marins allemands mutinés), complètement remis en état, patrouillèrent dans l'Escaut sous les ordres d'enseignes ; l'A. 3 fut envoyé en réparation chez Cockerill, à Hoboken. En outre notre flotte comptait à cette époque, un joli yacht de mer, une vedette de guerre et deux remorqueurs.

       Un enseigne de vaisseau fut investi du commandement du sémaphore d'Ostende.

       La presse était très enthousiaste : « L'escadrille complète comptera douze unités, constata avec satisfaction La Gazette ; elle sera partagée en trois groupes de quatre torpilleurs établis, l'un à Anvers, le deuxième à Ostende et le troisième à Zeebrugge. Des garde-côtes et des dragueurs de mines compléteront cette minuscule escadre ... A Anvers, un établissement va s'ouvrir où, dès à présent, peuvent s'inscrire les jeunes gens désirant prendre du service dans la marine militaire. »

       Dans l'entretemps, nos « coquilles de noix » saisies en 1914, furent rendues par les Hollandais ; la Police de la Rade III et l'Argus allèrent sur le Rhin pour y coopérer à la surveillance de la navigation sur la section du fleuve occupée par nos troupes.

       Tout semblait donc pour le mieux, mais Le Soir du 21 février 1919 dénonça que « la situation du Dépôt des équipages était lamentable ». Il ne constituait qu'un noyau militaire entraîné sur des bateaux de guerre français et une école pour les recrues maritimes. « A l'heure où notre droit à la défense de la côte et de l'Escaut s'impose, disait ce journal, et où nous avons un urgent besoin d'équipages de commerce pour notre ravitaillement par mer, que fait-on ? On laisse se dissocier, d'une part, les éléments formés pendant la guerre en ne veillant pas à leur rengagement et en ne faisant parmi eux aucun avancement, si modeste soit-il, fût-ce d'un galon de sergent. D'autre part, on ne tolère aucun engagement des volontaires qui affluent pour servir à la mer depuis qu'ils ont vu des uniformes de marins. Des centaines auraient été éconduits. En outre, on ne dirige, pas les recrues aptes à la mer vers le Dépôt des équipages, bien que ce soit leur destination. Bref, on dirait que les efforts sont tendus pour nous empêcher d'avoir des équipages à l'heure où la reconstitution économique du pays en dépend. »

       Le 27 juin suivant, ce grand quotidien dénonça encore « une incroyable incurie » : « Il y avait à Anvers, au moment de l'armistice, une cinquantaine de bateaux allemands, torpilleurs, dragueurs, etc., qui, en raison du règlement en matière de prise, nous appartenaient. Les Allemands les conduisirent dans les eaux hollandaises. Ils se trouvent encore aujourd'hui dans le canal, d'Hellevoet-Sluis. Pourquoi les y laisse-t-on? Personne ne le sait. » L'Action Nationale et d'autres journaux firent chorus, l'opinion s'émut, cette flottille rentra chez nous et, peu après, nous disposâmes de 11 torpilleurs, 26 dragueurs de mines, 20 chalands et allèges, 4 remorqueurs, un yacht à vapeur et 1 « pont ».

       Mais on se scandalisa aussi parce que deux sous-marins et des poseurs de mines qui nous étaient destinés, restaient en Angleterre. Lorsqu'on s'avisa de les inspecter, il fut constaté qu'on les avait laissés trop longtemps sans soins et on recula devant les dépenses énormes qu'aurait entraînées leur remise en service. Un de nos officiers, l'enseigne de vaisseau Pirnay avait cependant été envoyé en stage en France avec huit marins spécialisés, il y conquit brillamment ses brevets, commanda en second le sous-marin Néréide et gagna la Légion d'honneur en sauvant ce bâtiment en perdition dans le golfe de Gascogne.

       Les Chambres commencèrent finalement à s'occuper de notre marine militaire, les adversaires y levèrent aussitôt la tête ; on accusa le corps naissant de ne servir qu'aux parades et nos officiers, de « ne rien faire ». Le Roi, par contre, lui témoigna son intérêt en autorisant les A. 1, A. 2 et A. 3 à prendre respectivement les noms de Prince Léopold, Prince Charles et Princesse Marie José. N'oublions pas non plus que le prince Charles avait conquis ses galons d'officier de la marine de guerre ; ne voyait-on pas en lui le futur commandant de notre flottille enfin convenablement mise sur pied ?

       Une commission interministérielle fut chargée d'étudier la défense de la côte et l'utilité d'éléments flottants, ses rapports sont restés secrets mais, le 19 novembre 1919, le Dépôt des équipages disparut pour faire place au Détachement des torpilleurs et marins qui absorba non seulement le personnel du corps défunt, mais encore le matériel et certains spécialistes de la Compagnie des torpilleurs du génie.

       La nouvelle formation comprit deux compagnies d'instruction plus une école navale dirigée par le capitaine au long cours et hydrographe réputé Nisot, en sus des bâtiments militaires avec leurs équipages. La presse se montra fort intéressée et encourageante car elle voyait là une excellente pépinière de marins : notre flottille de commerce souffrait de pénurie de personnel et, de plus, notre frontière maritime qui avait été, trop négligée du temps de la neutralité, allait enfin être défendue. Des officiers des armes spéciales entrèrent comme professeurs dans le Détachement qui reçut comme chef le lieutenant-colonel Vandeputte de l'artillerie. Enfin, l'on était allé prendre dans les canaux hollandais une importante série de bâtiments qui nous avaient été attribués et La Revue de la Ligue Maritime du 20 août 1920, annonça que notre flottille se composait de 9 petits torpilleurs armés de 2 canons, 3 mitrailleuses, un tube lance-torpille, munis de l'installation de T. S. F. et de machines au mazout ; 5 grands torpilleurs armés pareillement mais avec machines à pilon ; 3 remorqueurs, 2 vedettes de rivière, un poseur de mines et en sus un bateau de service, la Torpille, provenant des torpilleurs du génie ; 40 vedettes récupérées dont une dizaine appelées vedettes de mer à essence, poseur et chasseurs de mines étaient déjà officiellement cataloguées, elles avaient à bord un canon revolver et 2 mitrailleuses. A remarquer que les torpilleurs avaient été spécialement construits en 1915 et 1916 pour la défense de notre côte si spéciale à cause de la multiplicité des bancs de sable.

       On envoya trois officiers d'artillerie en stage dans la marine de guerre française, à bord du croiseur Jeanne d'Arc et quatre « jeunes torpilleurs » reçurent une instruction spéciale dans notre Ecole militaire en vue de leur envoi en France, de façon à obtenir bientôt des instructeurs aptes à remplacer ceux que ce pays avait mis à notre disposition. Il fut également fait appel à des officiers de la Marine de l'Etat parce que cinq officiers du Détachement, brevetés au long cours ou issus du Navire-école, venaient de demander leur mise en congé sans solde en raison du manque de statut, partant du manque de sécurité que présentait leur avenir dans notre flottille.

       C'est que, malheureusement, nonobstant l'enthousiasme qui régnait dans le pays ; des influences malignes se révélaient déjà et, comme l'avocat général de Ryckere l'écrivit plus tard, le Détachement des torpilleurs et marins était manifestement déjà traité « en parent pauvre ou plutôt en véritable Cendrillon » alors que cependant, ainsi que fit remarquer te Journal des Débats, notre admission dans la Ligue des Nations nous obligeait à fournir un contingent national à la flotte internationale, contingent qui ne devait pas être important mais de tout premier ordre.

       Bientôt des plaintes amères furent formulées, le colonel Vandeputte passa à l'Etat-major général après un magnifique effort accompli pour organiser ce corps de 900 hommes, et il céda la place au lieutenant-colonel d'artillerie Renaux, l'héroïque défenseur du fort de Wavre-Sainte-Catherine. En fait, les crédits alloués étaient insuffisants, on ne se décidait pas à transférer nos marins à la côte, ils devenaient des marins d'eau douce, n'ayant qu'un court tronçon de l'Escaut et un matériel insuffisant pour s'initier au métier ; aux Chambres certains députés s'agitèrent demandant purement et simplement la suppression d'un organisme certes essentiel mais qui avait le tort, à leurs yeux, d'avoir des instructeurs français et de coûter cher malgré tout.

       On crut bien faire en envoyant les recrues accomplir leur instruction sur le Rhin, ce qui était insuffisant, la presse et des voix autorisées réclamèrent le déplacement de la base d'Anvers à la côte : Bruges-Zeebrugge fut proposé.

       La France consentit à nous-prêter le vieux croiseur d'Entrecasteaux pour servir de Borda (navire-caserne-école) qui fut – conformément au traité naval de Washington, privé de ses hélices et de ses canons, puis remorqué jusqu'au bassin de Bruges ; l'événement fit sensation. On allait pouvoir transférer bientôt à cette base les éléments trop dispersés, introduire une solide discipline au corps, faire de vrais marins ; le gouvernement semblait prévoir même la construction de nouveaux torpilleurs et une fortification effective de la côte.

       Restait maintenant à opérer le transfert des unités mouillant dans l'Escaut. Ce fut une grave et délicate affaire ; les Hollandais, jaloux de leur souveraineté sur le fleuve, en refusèrent obstinément la descente à nos bâtiments de guerre ; or ceux-ci ne pouvaient passer, dans nos eaux intérieures, sous les ponts de fortune établis à côté des ouvrages d'art détruits pendant la guerre ; la perplexité était grande. Finalement, on démonta les superstructures des torpilleurs et on finit – mais à quelles peines – par les ancrer à côté du d'Entrecasteaux, puis l'on se mit à l'œuvre avec entrain.

       On ne dira jamais assez l'œuvre vraiment grande et belle qu'accomplirent les commandants et officiers du Détachement des torpilleurs et marins, avec des ressources infimes; l'esprit de devoir et l'entrain suppléèrent à toutes les carences.

       Fin janvier 1924, les deux derniers torpilleurs rejoignirent Bruges et le 12 mars, un de nos bâtiments, le A 42, prit la mer. Le corps avait alors, à l'effectif, 26 officiers en activité, 70 sous-officiers dont 58 à la base de Bruges et 12 à la flottille du Rhin, 585 quartiers-maîtres et matelots, dont 461 à Bruges et 124 en Allemagne ; 3 officiers et 22 maîtres et quartiers-maîtres français y étaient instructeurs. Sur les contrôles étaient inscrits 8 officiers de réserve et 2243 hommes. Mais, à cause du départ des officiers-marins, signalé plus haut, sur les 26 officiers et 70 sous-officiers présents, deux seulement possédaient leur diplôme au long cours, trois autres officiers avaient suivi les cours de l'Ecole navale française et un quartier-maître y avait été envoyé. Le mal résultait, répétons-le, de l'insuffisance des crédits affectés à la Marine militaire qui ne put plus envoyer des gradés en stage, et aussi du manque de statut, ce qui décourageait les candidats. Il avait fallu prendre les officiers où l'on pouvait et c'était principalement dans l'artillerie qu'on avait choisi les éléments les plus capables d'être mis à la tête des, services spéciaux, puisque le navire de guerre est surtout une batterie flottante.

       L'avenir de la Marine et de nos marins était fort incertain, on en était aux économies à outrance et les Annales parlementaires prouvent que notre flottille fut l'objet d'attaques passionnées aux Chambres ; elle y trouva également d'ardents défenseurs s'appuyant sur le bon sens et qui, tous, réclamèrent le statut tant désiré qui, au surplus, était, disaient-ils, tout prêt dans les tiroirs du ministre.

       A la suite de ces débats fut constituée la Commission de la Marine militaire composée de partisans et d'adversaires, de l'arme spéciale et de personnalités neutres ainsi que des officiers et des fonctionnaires compétents. Cet aréopage devait uniquement étudier le problème suivant : le matériel récupéré après l'armistice doit-il être utilisé, faut-il encourager l'œuvre entreprise et comment, peut-on en attendre une heureuse répercussion sur la formation de nos cadres et nos équipages de la marine marchande ?

       La Commission commença par discuter le premier point. Le chef d'État-major général Maglinse et l'inspecteur général de l'artillerie Kestens exposèrent sans ambiguïté qu'il fallait des éléments flottants pour parfaire la défense côtière ; de grandes discussions eurent évidemment lieu, certains adversaires naguère résolus, tel le directeur général Pierrard, se convertirent en toute sincérité, et, finalement, le vote se traduisit par 24 voix en faveur du maintien de la Marine, 2 non[2] et une abstention. Néanmoins, le 9 juillet 1926, parut un arrêté particulièrement laconique portant suppression du Corps des torpilleurs et marins à la date du 31 mars 1927.

       Cette décision ne fut portée à la connaissance des membres de la Commission que le 3 janvier 1927. Le ministre comte de Broqueville leur disait que leurs travaux, soigneusement conservés, constitueraient une précieuse documentation pour le jour où, la situation financière du pays le permettant, l'idée de la création d'une Marine militaire pourrait être reprise. Cette déclaration est à rapprocher de celle que fit Charles Rogier, le 4 avril 1862, lorsqu'on condamna la Marine royale à disparaître.

       Le colonel Renaux, découragé, avait déjà quitté le corps, cédant la place au commandant en second, le major d'artillerie Fabry. Par mesure d'économie, le d'Entrecasteaux avait été rendu à la France, qui l'avait aussitôt passé à la Pologne (il fut détruit en 1939). On liquida nos vedettes, qui furent rachetées par des sportsmen, quant aux torpilleurs qui n'avaient pas trouvé d'acquéreurs, ils tombèrent bientôt à l'état de vieille ferraille et ainsi se perdit un matériel valant un nombre considérable de millions. Les officiers et les marins passèrent à l'armée de terre où ils n'en coûtèrent pas moins cher. La défense de la côte même fut abandonnée.



[1] Extrait de : Notre passé. Louis Leconte, conservateur en chef du Musée Royal de l’Armée. La Marine de Guerre Belge (1830-1940). La Renaissance du livre.

[2] Les deux représentants, de l'Union des officiers et mécaniciens de la Marine marchande belge avaient reçu le mandat impératif de combattre la Marine militaire ; ils déclarèrent que, nonobstant toute raison même la plus évidente, leur attitude serait irréductible. Notons que, de tout temps, les officiers du commerce ont manifesté semblable hostilité : en 1856, le capitaine de navire Ch. Sheridan, dans son discours, prononcé à l'ouverture du Cercle nautique, à Gand, déclara déjà sans ambiguïté que, seuls, les officiers du commerce possèdent la science nautique, et il malmena ses collègues de la Marine militaire.

 



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