Médecins de la Grande Guerre

Le docteur Detournay.

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Le docteur de Tournay.

Déplacement de la colonne d’ambulance au début de la guerre.

Déplacement de la colonne d’ambulance au début de la guerre.

Déplacement de la colonne d’ambulance au début de la guerre.

Carte d'identité militaire

Ranst en 1914 à 8 km à l’Est d’Anvers – 2ème de dr à ga

Décès du Prince de Ligne Georges Alexandre Lamoral

A mon commandant, souvenir de la campagne 1914-1915-1916 – Dr Lambert, Linde le 27-04-1916

4 mai 1916 – Bords de l’Yser à Linde

Botaniste – graines de pavot

Dans la cuisine du frère de l’instituteur, porte la casquette

5 malades ou blessés ?

Isenberghe sous la tente, Collinet, Lambert, Huon, Van Egeoo et moi en casquette

Etude et lecture jusqu’à 1 heure du matin

On prend notre personnel en photo sur la butte de Isenberghe

On prend notre personnel en photo sur la butte de Isenberghe

Isenberghe - 1915

Devant le moulin

Devant le moulin

Isenberghe – 29 juillet 1915 – sous la tente

Isenberghe (écoles) ma tente sur la ligne de l’église

En bonnet de police

Un grand lecteur

St Riquiers

St Riquiers

La grange incendiée à St Riquiers

La grange incendiée à St Riquiers

St Riquiers

Le 12-01-1916 dans notre salle d’opération à St Riquien aidé du Dr Lambert et de Delrivière, je fais une injection intraveineuse de Novoarsenobenzol...

Cabane pour médecins à notre hôpital de St Requiers – 5 janvier 1916

St Requiers

Nos baraquements, dans le fond l’église d’Adinkerque et à gauche le moulin – La Panne le 10-02-1916

Dans un de nos baraquements

La plage de La Panne le 5-2-1916. A gauche la villa royale

La maman du Dr De Tournay

Le lieutenant Baets

Le lieutenant Baets

Souvenir affectueux – Dr Raveschot le 12-09-1915

Mon ordonnance Emile Baels

Tombe de Sénégalais – pas de nom – Ici repose un tirailleur du 4ème régiment Sénégalais

Raveschot, adjoint et ami

Départ pour Hondschoote

Mon adjoint logistique le lieutenant Franck

Visite de la Reine Elisabeth

La Reine Elisabeth parcourant les ruines

Visite de la Reine Elisabeth

Neuilly, en permission, dans la famille Gabelin

Paris en 1917

Abbaye de Valloires avec Marthe son épouse et ses deux filles ainées

Magnifique peinture réalisée, en 1916 à Valloires, par le Belge Baillière

Eau forte - Entrée de Valloires

Marthe et ses deux filles

Valloires – Sur les marches de la porte d’entrée principale

Moi avec ma pipe, Raveschot devant l’aumônier qui se trouve au piano

Dans son bureau à Valloires

Eau forte - L'abbaye de Valloires

Marthe et ses deux filles dans le cloître de l'abbaye

Melle Cuingnet qui a vécut quelques mois à Gaurain

L’Authie

Marie-Josèphe, 1908 – Cécile, 1911 – Louise, 1913 – Agnès, 1909. Photo prise en 1917.

Photo transmise par le lieutenant Gabriel

Photo de groupe à Valloires

Loo – intérieur de l’église

Loo – Fabrique en ruine

Au milieu Thérèse la 7ème fille du Dr Detournay entourée de ses enfants, neveux et nièces. (photo F. De Look)

Le docteur Detournay

 

Mes fonctions de médecin à la colonne d’ambulance de la 2ème division d’armée belge pendant cette guerre m’ont laissé des loisirs, votre pensée les occupait. Elle m’a si souvent reporté à Gaurain dans ce foyer béni dont vous faites tout le prix .En esprit j’y suivais chacun de vous, Marthe dans son ménage(…), Marie-Josèphe tricotant ou travaillant à ses devoirs, Agnès en perpétuel mouvement, Cécile jouant avec Agnès, et Louise promenant sa capricieuse personne d’un coin à une armoire d’un pas mal affermi. Le temps ni l’espace ni l’ennemi ne peuvent barrer le chemin à mon imagination. Elle m’emporte au milieu de vous et trompe ma solitude de tableaux attendris et de scènes de famille que vous animez

Le Départ

C’est le 31 juillet 14 que Marthe apporta à son mari le télégramme lui enjoignant de rejoindre l’hôpital militaire de Maligne. Cette fois le docteur sentait qu’il ne s’agissait plus d’une banale manœuvre comme il en effectuait chaque année durant cinq jours. Il avait toujours été passionné par la politique internationale et il avait déjà depuis plusieurs semaines pressenti l'imminence de la guerre.

« Il me semble qu’il est puéril de lui reprocher de l’avoir déchaînée, elle fut assez habile pour choisir son heure avant que ses ennemis fussent tout-à-fait prêts et accordés. Et à tout prendre, la précipitation de la catastrophe aura eu l’heureux résultat de mettre fin à l’angoissante attente de l’inévitable, en un perpétuel qui vive, s’accaparant de toutes les ressources et des énergies des peuples pour des armements toujours insuffisants, jetant la trouble dans le monde du travail et le malaise dans le monde de la finance. »

Le docteur décide de partir le jour même par le train de Tournai de 15 heures. Il a déjà prévenu dans les semaines précédentes ses malades  qu’à tout moment il pouvait être « rappelé » et qu’ils devraient alors faire appel à un confrère! Reste à préparer son barda et à faire les adieux à toute la famille. En mobylette il se rend chez sa maman et lui dit son au revoir. Elle pleure, c’est pénible pour le docteur qui se rend après chez Aimable et lui fait promettre de continuer à venir jouer aux cartes avec sa maman le dimanche. Les oncles et tantes sont ensuite visités avant que le docteur rejoigne son foyer où une dernière fois la table est dressée pour toute la famille. Le bénédicité est un peu plus solennel mais l’ambiance n’est pas triste, Marthe reste elle-même et les enfants sont plutôt amusés de voir leur papa en uniforme. Quand vint l’heure du départ, c’est  Paul qui conduit le docteur à la gare. Paul achète des revues à la gare et les offrent au docteur mais dans le train celui-ci n’a pas le courage de les lire. Il laisse son esprit nostalgique vagabonder au fil du paysage qui défile à sa fenêtre !

Je vois bien Rosière où j’ai passé tant et de si belles heures. Oh ! Le doux passé plein de confidences et d’épanchements, en ce fertile vallon au milieu de cœurs si chauds d’affections tendres. J’y ai vu le plus beau coucher de soleil dans le cadre de la grande porte de la cour. J’y ai appris l’art d’être papa en savourant les caresses de mes petites nièces et neveux et en leur donnant mes affections .Combien je dois  à ma chère grande sœur Lucidille , et au si bon Jean-Baptiste. C’est à rosières que je parlai à Marthe pour la première fois  de l’avenir rêvé ! C’était bien semer que de jeter le germe d’amour en ce repli de paradis terrestre, en ce foyer du vieux temps où régnait volontiers un tranquille bonheur, sous ce toit que j’aimais pour son calme, caché du ciel lui-même par le dôme feuillu et majestueux du chêne séculaire. Que de fois je fis ce chemin de Gaurain à Rosière si malaisé. L’assurance de douces heures à y passer m’y poussait avec délices, en ce cher Rosière, et je ne le quittais jamais qu’à regret. 

Le docteur est aussi nostalgique quand un peu plus loin il aperçoit  la  Baraque Auguste où, les beaux jours, dépoitraillé, en tenue de moissonneur, il sapait avec délice les épais blés murs dans un bain d’ardents rayons.

Vers 21 heures, il arrive à Malines. Les rues sont animées et à l’hôpital il retrouve le pharmacien  Dedeker qui lui renseigne l’hôtel « Caves de Munich » pour passer une bonne nuit.  Le lendemain le premier août, le voilà dès 8 heures à l’hôpital où il rencontre une foule de futurs brancardiers, instituteurs, séminaristes, jeunes prêtres qui dispensés de service en temps de paix doivent former les colonnes d’ambulance en temps de guerre. Le pharmacien Dedecker propose au Dr de prendre son repas tranquillement dans la Tisanerie de l’hôpital. Il est ensuite présenté au Dr Raeymackers qui deviendra son chef direct. 

Le lundi 2 août est un jour d’attente  et où le soleil règne en maître.

Le lundi 3 août, on répartit les postes dans la colonne d’ambulance. Le Dr Raeymackers médecin d’active au 5ème de Ligne devient le chef de la colonne de la 2ème armée. Il sera aidé par les drs Detournay et Holemans. 14 médecins ou étudiants sont en outre attachés à la colonne. Cette dernière possède  250 brancardiers, un aumônier, l’abbé Collinet (D’Anvers), un major des troupes d’administration, le major Cambier et 25 sous-officiers du corps de transport dirigés par le major Baekelmans. Le soir les occupants de l’hôpital  entendent un concert de carillon donné par Jef Delyn.  La brabançonne clôture le concert qui est follement acclamé par la foule pressée sur la grand-place. Bientôt Jef Delyn vient boire un verre dans le café où se trouve le docteur Detournay.

Un dernier concert avant la guerre par Jef Delyn, le carillonneur de Malines

Jef  est tout en sueur car son jeu l’oblige à frapper, des pieds et des poings sue un clavier de bois constitué de lourdes planches et qui grâce à des câbles en fer meuvent les lourds battants des cloches. Jef est un personnage à Malines, il y est très populaire. Il est considéré comme le meilleur carillonneur  du temps et est souvent demandé par les anglais.

Le 4 août, Louis file à Bruxelles pour aller acheter une vareuse.

Je souffrais beaucoup de ma tunique trop étroite car depuis 1899 j’avais plutôt fortifié, et par cette chaleur ! Je fus contraint à prendre mesure. Mon vêtement ne serait achevé qu’après 8 jours, les tailleurs militaires étant sur les dents !  Je me suis mis en quête d’une coiffure pour remplacer  mon pauvre képi usagé à l’extrême, coiffure horrible rappelant les képis des gardes champêtres. Pas moyen de trouver un bonnet de police. Rencontré devant la gare le Dr Henrard, vieille connaissance de 15 ans qui me reconnut le premier ! Le mouvement dans les rues a encore augmenté d’intensité. Nous lisons le soir que notre sol a été violé et que le parjure est consommé ! 

Le mercredi 5 août, voilà la colonne qui quitte Malines et marche à l’ennemi. Les officiers partent sur leurs chevaux réquisitionnés mais bien vite ils abandonnent leurs montures à leurs ordonnances pour la marche à pied ou pour le transport en automobile. Louvain est atteint vers 15 heures et Louis trouve refuge avec le Dr Raeymackers chez un cousin de ce dernier. Louis est étonné de retrouver sa bonne ville de Louvain et chaque rue lui rappelle un souvenir de gai luroin. Il profite de sa situation pour rendre visite à Guillaume, le tenancier du « Lyrique » où les étudiants se réunissaient deux fois par jour. On le reconnaît. Le soir, Louis ira aussi dire bonjour à son ancienne « baasine »  Madame Pelegrin à qui il joue la comédie d’être en fait  l’officier qu’elle doit sur réquisition héberger.. La vieille dame finalement reconnaîtra son ancien « koteur » !

La belle époque estudiantine est cependant bien passée et le Dr Martin , médecin divisionnaire le rappelle durement : il tient à ce que les médecins s’arrangent pour que  jusqu’à 8 heures du soir il puisse toujours trouver  au collège un des trois médecins responsables de la colonne, soit Raeymackers, Homlemans et Detournay.  

Le divisionnaire Martin perd la tête

La colonne restera à Louvain jusqu’au 10 août. Ce jour là, à 5h30, elle se met en route pour prendre position à Blanput.  Le soir, la colonne d’ambulance rentre à Louvain mais le lendemain elle repart sur ses positions et reçoit la visite du médecin divisionnaire Martin qui passe à cheval et  découvrant quelques médecins jouant au whist leur dit « quelle honte n’est-ce pas de jouer aux cartes en temps de guerre, je rougis d’un pareil scandale ! » Louis ne  partage l’indignation de son confrère. Il écrit :

Ce trait ridicule me paraît de plus stupide ; le divisionnaire semble avoir perdu la tête. N’est-il pas beau de voir l’insouciance de ces gens qui sont peut-être à la veille de se faire tuer ? Notre pauvre Mr Raeymackers est tout ébranlé par la colère du médecin divisionnaire, mais notre détermination d’en rire franchement lui rend l’assurance que la faute n’est pas énorme et ne peur avoir de conséquence fâcheuse même si elle est connu des hautes autorités. L’attitude de certains chefs me paraît singulière. Ils comptent sur la terreur pour obtenir la discipline plus que sur la persuasion ou l’attachement à leur personne..

 Est-ce pour cela que le divisionnaire impose aux médecins de la  colonne de donner  4 heures d’instruction sous un soleil de plomb ?

Le 12 août, c’est toujours la fournaise à Blanput mais un événement heureux vient rompre la monotonie de la journée. Louis voit arriver son frère Marius qui vient lui apporter  courrier, nouvelles, linge, fruits et même un bouquet de roses préparés par Marthe.

J’éprouve plaisir à respirer le parfum de ces fleurs, nos roses, que Marthe a aussi dû sentir et puis cette pensée délicate de m’envoyer cette fleur que j’aime met dans mon cœur une douce poésie.

Marius va passer la nuit étendu à côté de son frère et repartir le lendemain.

Je fais à Marius des adieux émus et le charge de mes affections pour mes trésors. Il emporte ma valise que j’ai remplacée par un coffre solide qui pourra supporter les chocs et qui est de dimensions plus grandes. Je me suis également procuré un bonnet de police, autrement confortable que mon hideux képi qui est un tourment et une stupidité.

 La colonne prend ce jour là un nouveau cantonnement à Cortrik Dutzel. Elle y restera jusqu’au 19 août. La chaleur est accablante et les routes voient défiler beaucoup de paysans qui fuient vers Louvain avec leurs charrettes chargées de mobiliers et de paquets.

Le 18 août la colonne est prise sous le feu d’un aéroplane ennemi. Le docteur Detournay est appelé en tête de colonne.

La mort du Prince de Ligne

J’y cours en vélo et trouve devant moi un homme étendu sur le dos, le cou saignant et râlant. A mon invitation, l’aumônier Collinet lui administre l’extrême- onction. Le pouls bat encore mais c’est la fin. La victime, le prince Georges de Ligne, âgé de 30 à 40 ans, bourgmestre de  Neuville lez Huy, s’était engagé au début de la guerre comme brancardier volontaire et servait sous nos ordres dans la colonne. Il regardait comme les autres l’aéro ennemi quant tout à coup, il cria « aie » un prêtre ! » et tomba dans les bras du jeune médecin Goemans qui l’étendit à terre. Une balle l’avait touché du côté droit du cou et avait tranché un vaisseau important de la région. Depuis qu’il était chez nous, le prince s’était fait aimer par sa simplicité et son ardeur à accepter le sort commun. Faisant les étapes sanglé de sa capote et armé d’un sabre court, il avait ma foi une allure encourageante .Il était grand fumeur et brûlait par jour 25 cigares, aussi avait-il le cigare aux lèvres quand il fut frappé. On transporta le cadavre au château Roberti (…). Ce fut la première perte de notre colonne et elle affecta péniblement chacun de nous !

Durant la nuit, vers minuit,  alors que toute la colonne essayait de trouver le sommeil en bivouac sous un soleil magnifiquement étoilé, l’ordre est soudain donné de se mettre en route vers Louvain. La colonne arrive épuisée à Haecht le 19 août, vers 9 h du matin, après une marche d’une dizaine d’heures .Les hommes se reposent comme ils peuvent étendus sur les trottoirs tandis que Louis trouve vers 13 heures à dîner chez le curé de l’endroit Le café vient d’être servi quand Louis reçoit l’ordre de regagner la colonne qui doit gagner Bonheyde. Le 20 août la colonne se remet en marche pour Lierre où la colonne va cantonner dans une grande ferme.  Parmi les officiers certains dorment très mal à cause de l’imposant major Baeckelmans qui ronfle bruyamment  en « sciant des nœuds » !

La dernière fois que Louis entendit sa femme

Le 21 août la colonne rejoint Ranst par Lierre.  Le 22 août, Louis  parvient à téléphoner chez lui !


Ranst en 1914 à 8 km à l’Est d’Anvers – 2ème de dr à ga

C’est Lucidille qui reconnaissant ma voix m’accueille avec une joyeuse émotion. Hélas, Marthe selon son habitude est allée au salut d e18 heures trente qui se dit tous les jours pour le salut de la Belgique. Je prie Lucidille de faire dire à la maison que je suis à l’appareil. Au bout de quelques minutes, on m’annonce l’arrivée de Marthe. Quelle émotion ! Quelle joie ! Je vais l’entendre et lui parler, elle semble elle aussi profondément remuée de l’aubaine inespérée. Nous ne nous voyons pas mais nous sommes presque ensemble. (…) Je mets dans mon adieu tout mon cœur. Marthe l’aura-t-elle noté ? Je réclame des lettres. A la dernière minute, elle me souhaite ma fête.

Le 22 août Louis tente une nouvelle fois un contact avec Marthe par téléphone mais les allemands ont coupé la ligne.  Le 24, la colonne doit retourner à  Donck. Les officiers s’installent à la ferme et Louis sa paillasse étendue, retourne bavarder en bas avec les aumôniers. Quant il revient dans sa chambre, il constate qu’on lui a pris sa place.

Une nuit avec le gros Braeckelmans

L’aspect du dortoir me fait fuir. Baeckelmans est couché sur le dos, il me paraît plus énorme que jamais et à côté des autres il paraît tel le Mont Blanc au milieu de taupinières, s’il se déplaçait, il pourrait ma foi laminer ses voisins tel un rouleau compresseur. Cette masse est couchée sur le dos, pieds nus découverts ; selon son habitude, il ronfle comme un obus de 42 et « scie des nœuds », d’autres lui donnent la réplique sur un ton plus élevé. Le major Cambier habituellement si difficile à contenter, si coquet, si propet, si recherché, voisine avec Baeckelmans; il est recroquevillé de telle sorte que sa poupe voisine avec la figure de Raeymackers et ses narines avec les orteils de Braeckelmans et à chaque mouvement respiratoire, notre major accordait son ronflement aux circonstances : « Hum – poah, hum- pouah ». Le sommeil ne lui a pas fait perdre la notion des réalités sensibles. Je fuis ce dortoir horrible décidé à m’accommoder de la belle étoile.

25 août : « Saint Louis c’est ma fête ». La colonne quitte donc pour Rymenam. Le lendemain 26  marche vers Peulis. Louis est affamé. « Nous allons cueillir des tomates à un champ voisin et préparons une soupe qui sera délicieuse. Elle bout dans un grand chaudron. Au moment où elle est à point ordre de marcher sur Lierre et nous laissons le tout au paysan qui ce jour là a dû faire bonne chère ! »

27 août, la colonne part à Lierre où elle reste cinq à six heures avant d’aller cantonner à Alleghem. Les hommes sont épuisés et des traînards arrivent à tout moment par petits paquets.

On n’a pas envie de sévir car ils paraissent pitoyables. De ce jour Raeymackers ne les appellera plus que les « Dispersés en temps de guerre ».

La colonne séjournera à Alleghem jusqu’au 31 août puis c’est la reprise de marches incessantes avec une journée de marche vers  Ranst, une autre  marche vers Kiel  et encore un retour vers Ranst.

Le 9 septembre la colonne est à Olleghem. Louis reçoit l’ordre d’aller loger à Baele.

L’héroïque mademoiselle Vanderborght de Betecom

A 18 heures, un  ordre arrive d’aller loger à Baele. Voyant ce village dévasté et les maisons brûlées nous le dépassons et poussons jusqu’à Betecom où on nous reçoit chez le secrétaire communal Vanderborght. Nous y avons des nouvelles du passage des allemands il y a quelques jours, et d’ailleurs ils ont laissé des traces. A deux pas d’ici 3 ou 4 maisons sont brûlées. Le secrétaire nous raconte leur arrivée dans le village. Les autorités, le bourgmestre en tête avaient fui. La veille de leur arrivée ou le jour même un des leurs était tombé frappé à mort par un de nos hommes cachés sur la rive droite du Démer et la troupe allemande avait tourné bride, c’étaient des Ulans, en abandonnant le cadavre. Revenus en force quelques heures plus tard, les allemands envahissent le village et annoncent qu’ils vont le brûler parce que les civils leur avaient tiré un homme. Protestation, vaine d’ailleurs, du secrétaire vieillard de 75 ans. Une des filles du secrétaire, gaillarde déterminée arrive à son tour et proteste par d’énergiques « nein nein » qui finissent par ébranler l’opinion de l’officier ennemi. Ce dernier demande à voire le cadavre du soldat allemand qu’on avait heureusement recueilli et décemment gardé et l’inspection de la plaie démontre qu’elle est due à une balle de mauser de guerre belge. La cause était gagnée mais pendant l’enquête un incendie était allumé au coin d’un pâté de maison et sur l’ordre de l’officier allemand ses soldats se mirent en peine de l’éteindre ! C’est dit-on à la détermination et à la vaillance de mademoiselle Vanderborght que Betecom doit ne pas avoir été détruit

 Bael, village entièrement détruit à cause d’un franc tireur ?

10 septembre. La colonne quitte Betecom pour Baele, il n’y reste qu’une seule maison intacte sur laquelle se trouve inscrit « Gute heuse ». Toutes les autres sont brûlées.

 Les gens d’ici ont la réputation d’être des batailleurs, des braconniers, les juges en savent quelque chose ; en jouant aux cartes, ils ont leurs couteaux piqués sous la table pour être plus vite prêts à en découdre. Ils nous regardent passer, ils sont peu intéressants en général,  à deux pas des ruines de leurs demeures ils paraissent indifférents. J’enquête auprès d’un groupe : Qu’avez-vous fait aux allemands pour être traités si durement ? Voyons, vous avez tout au moins tiré sur eux ? Naturellement, me répond-on ; ils sont arrivés seulement à 17 la première fois et nous les avons reçus à coups de fusil. Tout était expliqué écrit Louis.

La mort du jeune soldat Van Velsem

Après Bael, l’ordre parvient de rejoindre Wercher et là un ordre est transmis enjoignant d’envoyer les autos à vive allure à l’intersection des routes Wercher, Rotselaer, Wesemael. Sur le chemin, une voiture prend en charge le jeune Van Velsem qu’on transporte vers l’arrière et qui saigne de la poitrine. Ironie du sort : ce jeune homme avait peu de temps auparavant avant demandé à quitter la colonne pour devenir combattant et on avait accédé à sa demande. Le Dr Detournay avait même partagé un repas  le 19 août chez ses parents à Haecht. Le voilà maintenant mortellement blessé !

Au carrefour les autos et Louis qui a accompagné le convoi à cheval sont accueillis par un déluge de feu.

Baptême de feu

Je fais étendre mes brancardiers sortis des voitures dans un fossé et me tiens debout à côté d’eux. En quelques minutes la route est balayée. Mes autos se remplissent de blessés qui y montent d’eux-mêmes. Je vois arriver un jeune officier serrant sa jambe, un éclat d’obus l’a blessé fortement et il perd beaucoup de sang. Une place reste libre dans une de nos voitures, il l’occupe. Je m’apprête à l’y panser quand une nouvelle décharge  plus terrible l’affole. Il réclame son évacuation immédiate. « Nous allons nous faire tuer ici », dit-il.  Ma voiture part donc avec sa pleine charge. Je dois dire que les shrapnels et les obus m’ont laissé tout à fait calme, et mon attitude d’impassibilité  qui a je le sais vivement impressionné mes hommes   et n’est d’aucun mérite car c’est chez moi je pense affaire de tempérament et je n’ai pas dû me faire violence pour faire mon devoir au milieu de la fournaise. Le sifflement sinistre des projectiles a un effet moral certain, et me semblent agir plus par la terreur qu’ils provoquent que par les ravages qu’ils causent. Ils n’épargnent pas plus le trembleur que le brave et c’est sagesse et raison que de s’en remettre à la grâce de Dieu, tout en ne s’exposant pas sans nécessité, c’est toujours ce que je ne manquerai pas de faire. J’ai éprouvé, chose étonnante un certain bonheur indéfinissable à me trouver où j’étais et à y être resté presque seul en voyant filer tous les autres, j’avais subi le baptême de feu et j’étais satisfait de moi-même. Plaise à Dieu de m’avoir épargné !  La route est déblayée, je m’y trouve quasi seul, plus d’autos ni de brancardiers. Je remonte à cheval pour rejoindre le gros de la colonne vers Rotselaer.

Le 11 septembre les médecins sont hébergés à Betecom chez l’héroïque Mademoiselle Vanderborght. Le 12, départ pour Louvain en passant par Wesemael. Passé ce village, à la hauteur de la borne 8, une petite chapelle accueillait des blessés en attente d’être évacués. Le spectacle est assez hallucinant. Le docteur et ses brancardiers vont évacuer et panser durant une heure  avant de rejoindre un autre point de rassemblement de  blessés dans une école où il retrouve son confrère Raeymackers. A peine cette nouvelle évacuation finie, Louis entend dans la rue une vive fusillade et des soldats belges en retraite. Il faut se cacher des Allemands et Louis fait cacher ses hommes dans la paille en leur promettant qu’il partagera leur sort. Au bout de dix minutes, n’entendant plus rien les médecins prennent le risque d’essayer de rejoindre leurs lignes. Ils doivent hélas laisser dans l’école un mourant et un épileptique en pleine crise. A peine la troupe a-t-elle parcouru 200 mètres qu’on leur tire dans le dos .Heureusement personne n’est touché. Rentré à Betecom, Louis n’a pas fini son travail, on lui annonce que le couvent est rempli de blessés à panser et à évacuer. Louis en traitera entre 60 et 70  avant de trouver l’emplacement de sa paillasse chez mademoiselle Vanderborght occupé par un certain commandant Van Isabbeque du 26 de Ligne qui ne prétend rien savoir… Découragé Louis sort dans la rue  et par  bonheur rencontre le général Daufresne qui s’y  promène  tout en fumant le tabac que Louis lui avait donné une semaine auparavant ! Je laisse Louis raconter la suite :


Dans la cuisine du frère de l’instituteur, porte la casquette

Je lui expose nos mécomptes, trouve nos plaintes fondées  et oust ! En deux minutes il a déblayé le terrain. Van Isebbeque et consorts n’en menèrent pas large. Ils défilent valise en main brûlant de rage intérieure sous nos regards narquois.

La satisfaction de Louis n’aura hélas duré que quelques moments car à 22 heures l’ordre lui parvient de repartir. Il pleut à torrents et la colonne se met en route. Les six voitures transportent les 12 sœurs du couvent de Marie qui n’osent plus affronter une seconde fois les Allemands. Elles s’arrêteront dans une de leurs maisons à Heyst-op-den-berg.

Dimanche 13, traversée de Lierre. Les médecins logent à Ranst à la gendarmerie. Louis reçoit les félicitations du commandant de gendarmerie pour sa conduite sous le feu. Le lendemain 14, Louis reçoit des tristes nouvelles. Il apprend la mort des Tournaisiens Leduc et  Allard tous les deux fils d’avocat. Un mort aussi dans la colonne, il s’agit du capucin le Père Andries  tué d’une balle à la poitrine le 12 à Wezemael.

La colonne restera à Ranst jusqu’au 25. Surprise pour Louis, le 16, Paul viendra via le tram provenant d’Anvers lui dire bonjour et raconter des nouvelles du pays. 

Tout à Gaurain est calme et a été épargné. Naturellement, j’assaille Paul de questions et ne lui laisse pas de répit. Il me reproche de laisser tout le monde dans l’inquiétude. Et pourtant j’écris tous les jours de longues lettres, qu’il est pénible de savoir égarée cette laborieuse correspondance où je mets tant de mon coeur ! 

Le vendredi 25 la colonne part pour Edeghem, le 27  elle arrive à Contich et le 28 à Waelhem. Les canons du fort  tonnent  sans arrêt. La colonne va tenir ses positions à Duffel tandis que les médecins prennent leur logement à Linth chez les habitants. Les jours qui suivent sont dramatiques pour la forteresse d’Anvers dont les forts doivent cesser de tirer l’un après l’autre. Le premier octobre, Louis porte trois lettres à son confrère Holemans. Ces lettres proviennent de son épouse. 

Depuis  un jour ou deux notre ami me paraît sombre. Il ne s’est pas levé ce matin quoique nous ayons dû pousser une pointe vers contich.  A mon entrée dans sa chambre il éclate et fond en larmes. Je tâche de lui remonter le moral et n’y parvenant pas je l’engage à aller à l’hôpital d’Anvers. Il est surtout affecté de ne pas voir sa famille. Anvers est menacé, notre avenir incertain, notre situation pleine de péril, ce tableau sombre d’un temps prochain le déprime et l’épouvante ! Il ira à l’hôpital. Je l’y conduis  en passant chez son frère pharmacien rue des bateliers. De l’hôpital militaire  on nous envoie rue de l’hôpital n°11 dans un local aménagé pour les officiers. J’y trouve le docteur Portaels qui a reçu à  la cheville un éclat d’obus à Walhem. Il souffre beaucoup. Je lui recommande de remonter le moral au pauvre Holemans. Je fais la même demande au personnel de la maison et prends congé de ce pauvre camarade.  

Au service de la brigade anglaise à Anvers

Le 6 octobre, le Dr Raeymackers reçoit un pli qu’il lit  devant Louis.  « Le médecin de régiment Detournay de la colonne d’ambulance poit se mettre immédiatement à la disposition de la brigade anglaise pour toute la durée de la guerre. »

Une brigade anglaise est en effet  arrivée à Anvers pour renforcer la défense de la place forte. Pour soigner et transférer  leurs blessés dans nos hôpitaux, il faut un médecin belge qui puisse servir d’officier de liaison.… Louis est obligé d’obéir mais il demande de pouvoir faire cette mission, accompagné d’un jeune médecin de la colonne du nom de Librecht. L’inspecteur du service de santé Mélis accepte et le mercredi 7, les deux médecins prennent congé de la colonne d’ambulance qui se rend à Anvers. Le docteur Detournay, le docteur Librecht et l’ordonnance de  Mulder se mettent quant à eux à la recherche de l’état-major anglais. A midi les médecins sont présentés aux officiers anglais dans leur mess officier. On leur sert du mouton braisé et des confitures de toutes sortes. Dans l’après-midi, les deux médecins belges s’en vont à l’hôpital provisoire de la brigade anglaise et ils y retrouvent avec joie la première section de la colonne d’ambulance qui,  elle aussi, a été désignée en support de la brigade.   Vers 1 heure du matin, on amène un soldat belge qui vient d’être tué par un éclat d’obus dans une tranchée, il s’agit d’un nommé Wasseige d’Herquegies marié et père de famille. Un peu plus tard l’hôpital provisoire est bombardé mais Louis reste dans sa chambre estimant le repos plus utile que l’agitation mais c’était sans compter sur les nerveux.

J’ai compté sans les nerveux. Il y a des gens qui s’imaginent que le péril partagé est moins grand. La solitude les effraie dans les moments graves, ils sont affolés et quoiqu’ils sachent que les encouragements ou le calme des autres ne changeront rien à la situation ni à la destinée, il leur faut de la compagnie. Nous étions deux qui avons gardé nos lits et faut-il croire qu’on nous désirait ? J’entends frapper à ma porte, c’est le commandant De Coninck qui m’appelle ! « Docteur, mais n’entends-tu pas les obus ? » Parfaitement criai-je sans me lever, que veux-tu y faire ? » « Mais descends donc ! » Je puis peut-être leur être utile, je descends. A peine étais-je au rez-de-chaussée que les obus éclatent à 50 mètres.

Un peu plus tard Louis est chargé de sortir installer à l’extérieur de la ville dans une villa  tenue par 50 Anglais un poste de secours.  Il y est depuis une heure quand des shrapnels éclatent au seuil de la porte et blessent deux soldats. Louis les panse et les préparent pour leur évacuation. Bientôt la pluie de fer continue et un soldat, un des mieux cachés, tombe blessé à mort, le cou ouvert par une affreuse blessure. On creuse sa fosse sur place et le colonel prononce quelques paroles d’adieu. Une accalmie survient alors et Louis rejoint le grand jardin où il observe avec amusement du bétail confiné dans le parc. Faisant partie de ce bétail un bœuf roux et lourd  mâchonne  imperturbable malgré le   bombardement qui soudain  reprend et oblige Louis à regagner la cave.

Le soir tombe, les heures passées à proximité des soldats anglais apprennent à Louis à mieux les connaître.

A 18h30, on prend le thé. Quelques  officiers plus fatigués s’étendent sur des matelas. Des soldats vont spontanément à la recherche de couvertures pour couvrir leurs chefs. J’observe combien le soldat anglais aime et vénère ses officiers. L’officier parle à ses hommes sans éclats paternellement, les ordres mêmes sont donnés sur le ton de la conversation. En général les soldats parlent peu même aux heures des repas. Quand ils n’ont rien à faire, ils s’asseyent. Leur nourriture est de première qualité. Ils affectionnent le thé et les sucreries qu’ils ont en abondance. Ils reçoivent un tabac fabriqué spécialement pour eux et qu’ils ont dans des boîtes en fer blanc.

Le soir la troupe reçoit l’ordre de se replier sur Anvers. Anvers brûle et Louis est atterré.

Je suis atterré par ce fait inouï, cet événement inattendu, la chute d’Anvers ! La chute d’Anvers après un temps si court, de notre Anvers pourvu de vivres pour un an, entourée d’une double ceinture de forts et d’une enceinte épaisse, hérissé  de canons, couverte de travaux tout récents et redoutables  aux approches des forts et le long des routes. (…) Nous allons silencieux jusqu’au Steen. A côté de la flèche intacte de Notre-Dame. Le port de bateaux est devant nous. Nous passons le fleuve et descendons de voiture, nous partageons un morceau de pain noir et une boîte de sardines.

Le vendredi 9, les deux médecins ont rejoint la colonne anglaise  composée de 1.000 à 1.500 fusiliers marins. Il y a des soldats de cinquante ans. Une colonne de civils fuyants est bientôt rejointe. Les anglais se révèlent toujours aussi serviables et continuent à impressionner Louis.

Sur une même charrette j’ai vu une vieille de 90 ans la tête branlante, les traits sans expression, les yeux rougis et secs, et à côté d’elle sa fille, mater dolorosa, allaitant un enfant de 5 à 6 mois et tout autour 4 enfants de 4 à 10 ans se battant pour la meilleure place, puis riant et se montrant les scènes notables de ce drame. Le contraste me faisait saigner le cœur. J’ai vu bien des soldats anglais prendre du bras des mères des petits enfants et les porter eux-mêmes des lieues et les mioches surpris s’accommodaient du nouveau tuteur auquel la mère sans but faisait escorte. J’avais à côté de moi un capitaine qui devina ma tristesse et dit :

- Dear sir, don’t be sad, they will pay, they will pay for all that, till the last penny. England andall of us, you know, will make them pay.

-And our liberty and country? Dis-je.

 - Don’t mind. You will be independent and Belgium great as before and probably greater. England will so and so will it be.

Peu après, Louis prend une décision importante. Il quitte la colonne anglaise qui s’embarque en train à St Gilles Waes avec l’intention de rentrer en Angleterre. Avec son véhicule et toujours en compagnie de Librecht, il rejoints Assenede où il retrouve un confrère le docteur Henri Duffel qui lui raconte  son aventure. Ce docteur se trouvait à Duffel et s’était réfugié dans une cave avec des officiers durant un bombardement. Un obus toucha la maison qui s’effondra tout à fait en laissant 11 ensevelis peut-être encore vivants sous les décombres. Le docteur Duffel put s’échapper avec trois autres personnes.

Louis après une nuit à Assenede  atteint le 10 Eccloo où il trouve à passer la nuit chez Monsieur Deneyer marchand de casquettes sur la grand-place !  Le 11, il retrouve sa  colonne ambulance à Lophem  à la grande joie du docteur Raeymackers. 

 La colonne, comme toute l’armée belge se réfugie derrière l’Yser. A Furnes, le 13, le médecin divisionnaire annonce que la colonne est dissoute et que les médecins seront versés dans les unités.  Une petite colonne subsiste cependant  et est envoyée en France juste derrière la frontière belge (pour préparer une base arrière dans le cas où l’armée belge doit se réfugier en France). Louis dont on n’avait pas prévu le retour dans la colonne part avec cette colonne démantelée  et gagne le 13 mardi l’hôtel de France  à Braydune  il bénéficie d’une chambre. L’hôtel est mal tenu. 

Il fait humide et pluvieux et il devient pénible de s’immobiliser dans les appartements non chauffés. Nous trouvons par bonheur dans le voisinage une petite maison de pêcheur où nous allons au coin d’un bon feu passer nos loisirs à fumer des pipes et à lire nos journaux .Le vieux pêcheur Wallincks âgé de 65 ans est encore bien alerte, il cause avec plaisir de ses 27 voyages d’Islande et des particularités de son métier.

Un répit : le séjour aux Moeres en France


Un grand lecteur

Le mardi 20, Louis se rend aux Moeres à 7km de là dans les polders gagnés sur la mer. C’est à cet endroit que  ce qui reste de la colonne d’ambulances doit se concentrer. Louis loge chez le maire monsieur Vandewalle  et est fort gâté par sa jeune épouse.

Je recevais mille gâteries, desserts et douceurs dont j’exhalais la saveur d’ailleurs très réelle. A moi la meilleure chambre, les meilleurs morceaux et les plus tendres en me faisant servir par « maman » ma voisine de table.

Louis va aussi assister à la messe.

Un troupeau bêlant de jeunes filles y chante un peu moins mal qu’à Bray. Le 25 j’ai été à la communion et à la messe basse avec la mairesse dont je conduisais la voiture. La messe de 7 heures finit à 9 heures moins le quart. Le sermon fut interminable et suivi de prières en chaire : trois pater pour nos morts, trois pour les vivants, trois pour la France, trois pour les alliés et encore une douzaine d’autres par série de trois pour des intentions diverses. Au bas de l’autel, après la messe, Monsieur le curé se rappelant sans doute quelque intention louable renouvelle son pieux exercice de la chaire .Le brave curé faisait l’édification de ses paroissiens dont il était l’idole. Il y a peu d’hommes aux offices.     

Louis voit durant ces jours aux Moeres tout le village paniqué à l’idée d’être inondé. Deux officiers avaient informé le maire le 26 de l’imminence d’une inondation. (Sans doute la Belgique a-t-elle informé la France de sa décision d’ouvrir les écluses afin d’inonder la plaine de l’Yser. L’inondation n’arrivera pas jusqu’aux Moeres). Louis aide le maire en demandant à une section de brancardiers de monter tous les objets de la ferme à l’étage. Ordre est donné à  Louis de rejoindre Broukerke à 15 km de là.  Le mardi 27 il y loge chez le boucher.

Notre hôtelier, le boucher est toujours en route pour ses affaires que font prospérer les émigrants et les nombreux soldats résidant à Broukerke. La femme a quatre enfants et s’occupe toujours de ses clients et ne peut donc nous servir. Elle nous gâte des meilleurs mets. Je m’offre à surveiller l’apprêt de nos repas. Je fais des frites et fais cuire la viande. Les frites sont mon triomphe et mes commensaux déclarent n’en n’avoir jamais mangé d’aussi savoureuses.

Le 2 novembre, l’aumônier Reyleboer de la colonne dit la messe solennelle de requiem. Louis est particulièrement fervent.

Prions pour qu’on prie pour nous, car qui peut en ces temps de massacres se promettre un lendemain? Priez vite, priez beaucoup car vous ne savez même pas si vous ne priez pas pour des morts insoupçonnés. Mes larmes roulaient pressées et douces et cette pensée de prier pour des insoupçonnés faisait passer toute mon âme dans mes conjurations. Dieu entendra mon appel et nous nous retrouverons.

Louis va rester à Broukerke jusqu’au 4 novembre date à laquelle il retourne en Belgique à Ghyvelde.

Le centre d’évacuations des blessés à la gare de Furnes

Son nouveau  travail va consister à charger les blessés de la bataille de l’Yser dans  les trains en gare de Furnes. Les trains sanitaires une fois remplis se dirigent vers la France.

Je dirige le service à la gare, aidé de deux médecins, de deux pharmaciens et de 15 à 20 brancardiers .Dans une salle, se trouvent deux tables d’opération, des caisses à médicaments et à pansements et tous les instruments nécessaires à toute intervention. Le pansement est-il récent et en bon état on n’y touche pas, et le blessé est transporté sur son brancard dans la salle voisine où il peut recevoir des boissons. Les blessés souffrent surtout de la soif. Les blessés restaurés sont mis dans le train qui est à quai. Certains wagons du train sont aménagés pour recevoir les blessés étendus sur leurs brancards. Nos trains ont fait l’admiration des officiers français à qui un jour je les ai fait visiter. Je dois ajouter que tous les échelons de notre service médical ont fonctionné en perfection, et que nous fûmes souvent félicités par les autorités belges et copiés par les français dont le service, m’a-t-il semblé présentait bien des défectuosités et entre autre de l’insuffisance de matériel. Nous eûmes à soigner beaucoup de blessés français, quoique nos alliés eussent installé dans notre voisinage un service identique au nôtre. Mais ils ne possédaient pas de cantine, ils n’avaient pas assez de pansements et leurs brancards étaient peu confortables.  

Pour Louis, le centre d’embarquement des blessés à la gare de Furnes est l’endroit idéal pour comparer les réactions à la souffrance des blessés des différentes nationalités.

Le blessé belge est généralement courageux et calme. (…) L’Anglais lui et surtout le Français sont incomparablement moins stoïques. Les plus drôles sont les gens de couleurs, qui se plaignent beaucoup pour de petits bobos et qui prennent des attitudes et des mines apitoyantes, aussi ils s’accrochent aux délices à notre buffet où ils se gorgeraient si l’on ne dosait pas raisonnablement les cordiaux. J’ai vu aussi des Allemands ; ceux-ci sont farouches et vous ne sauriez leur arracher ni une plainte ni un sourcillement. (…) Pour ce que j’ai pu en voir, l’énergie du soldat allemand est magnifique. (...) Lâche le soldat allemand craignant la mort, redoutant la baïonnette, démoralisé ? Toutes inventions !

Le six novembre, Louis déménage car il a trouvé une maison vide à Furnes. Il s’agit de la maison de la famille Pil-Derudder qui a rejoint la Normandie. Leur départ précipité a laissé la maison avec toutes ses richesses. La cave est pleine de charbon, pommes de terre et vins.

Nous chauffons nos appartements à l’anthracite et nous y recevons tous les jours les nombreux amis qui vivent la vie d’hôtel et qui aspirent à jouir  pendant quelques heures de notre hospitalité. (…) Le père Pil est heureux de voir d’honnêtes gens occuper la maison de son fils dont on respectera les biens. (…)

Nous prélevons du caveau à vins une bouteille tous les deux jours ce qui ne nous paraît pas excessif.

Louis après son dur travail à  la gare fait donc table d’hôte. Son caractère n’y est pas pour rien lui qui essaye de mettre un peu de joie et d’espoirs partout autour de lui !

Louis spécialiste de la touquette

Quelqu’un veut-il s’approvisionner en tabac, il me demande d’apprécier sa qualité. Ce qui m’ a valu d’être remarqué c’est que je fumais beaucoup, que mes pipes étaient soignées, que je bourrais mon fourneau de certaine façon (la touquette, la pipée à mousse) et que j’allumais mon tabac au charbon ou au tisonnier. La façon dont j’aspirais la fumée indiquerait même pour un foin observateur, que mes sens jouissaient avec évidence d’être agréablement flattés .J’aurais en fumant l’attitude du gourmet, du fumeur savant qui fait par plaisir ce que tant d’autres ne font que pour s’occuper ou par esprit d’imitation.   Il y en a tant qui veulent s’instruire dans l’art de bien fumer, et pénétrer le secret de se le rendre délectable. En homme convaincu et dont l’expérience est déjà bien longue, je tâche de les initier et leur révèle des aperçus par eux insoupçonnés. Mes leçons ne furent pas sans succès. Beaucoup de fumeurs tâtèrent de la touquette, elles leur réussirent mal au début, soit qu’ils la bourrassent trop dur, soit qu’ils ne parvinssent pas à l’allumer, soit qu’enfin la touquette ne tint pas dans le fourneau. Et à la suite de tentatives malheureuses, admirant mes pipées débordantes ils me demandaient une leçon de bourrage. Et maintenant tout le monde fume des touquettes et le divisionnaire lui-même quand il me voit me demande de lui bourrer la pipe.

Les typhiques à La Panne  et le rétablissement miraculeux du Dr Truyens


La plage de La Panne le 5-2-1916. A gauche la villa royale

Le jeudi 3 décembre on annonce à Louis qu’il va être désigné pour diriger une section d’hospitalisation pour les typhiques à La Panne. Le 7 décembre il assiste à une conférence destinée aux médecins et qui traite de la vaccination antityphique. Toute la division en repos sera réunie à LA Panne le vendredi suivant. Les médecins injecteront à 6.500 hommes 0,5 cm³ du vaccin et 8 jours plus tard 1 cm³. Ne pourront vacciner que les médecins diplômés.

Le 8 décembre, Louis se rend à La Panne pour y visiter le service des typhiques qu’il doit reprendre le lendemain. Ce service est situé dans la villa des Sablines au sommet d’une dune et compte 15 malades dont un moribond ! Le docteur Detournay logera quant à lui à la villa des mouettes. Sa chambre donne sur la mer. Un jeune médecin l’assiste, c’est le Dr Rubay qui assurera la garde de nuit. Le vendredi 11 décembre, on lui adjoint en plus les Drs Lambert de Namur, Truyens de Bruges et l’étudiant en médecine Lecomte de l’université de Liège.

Le Dr Truyens revient d’Angleterre. Il a reçu un éclat de shrapnel dans le dos et un moment on avait cru le perdre. Il fut blessé à Moerbeke le 10 septembre pendant la bataille d’Anvers. Tombé de cheval, toute sa colonne fuit sans s’occuper de lui. Il resta étendu au milieu de la route sur le point d’être 100 fois écrasé. Un conducteur en eut pitié, le traîna au bord  de la route et l’y abandonna. Un aumônier et un jeune médecin apprenant son sort, rebroussèrent chemin pour lui porter secours. Ils le retrouvèrent couché dans une cave où l’avait amené des paysans .On l’y soigna et à sa demande il reçut les derniers sacrements. Puis à grand peine on l’amena à Bruges, de là à Ostende et enfin à Plymouth où il parvint après six jours de voyage et de souffrances, sans que son pansement eut été renouvelé une seule fois. Il fut enfin opéré. On lui retira du voisinage du poumon un éclat d’obus de 3 cm de longueur ayant l’aspect d’un mâche fer. La guérison ne tarda pas et il revint d’Angleterre charmé de son séjour dans ce pays.

La vie du Dr Detournay est calme et agréable. Le matin il fait son tour de salle, l’après-midi promenade équestre le long de l’estran.      

L’infirmerie divisionnaire à Vinckem

Le 23 décembre, cette vie calme est interrompue car on charge le docteur d’aller créer une infirmerie divisionnaire à Vinckem. Est aussi en charge de cette mission le docteur Nemery. Les deux médecins logent à l’école des sœurs transformée en infirmerie. .

Lever à 7 heures ; 9 heures visite des malades qui ne restent jamais longtemps chez nous. Ils nous arrivent des régiments de la division ; nous sont envoyés pour affections peu graves qui doivent guérir en trois ou quatre jours. Ils doivent être dirigés sur Calais si leur cas devient plus sérieux. Nous ne sommes pas bien loin de la ligne de feu en sorte que nos malades étant près des lignes, nous les renvoyons après guérison. Notre local peut en contenir 30 au plus, nous l’avons installé dans une école des sœurs annonciades. Sure six chaises d’église à haut dossier et à siège bas nous étendons une paillasse rembourrée de paille et voilà un lit. J’ai dans ma colonne 2 voitures renfermant des paillasses et des couvertures en laine, deux tentes assez grandes pour abriter neuf malades couchés de sorte que même en plein champ si nous n’avions pas d’abri nous pouvons établir une installation de fortune. Je crains fort que plus tard quand nous devrons cantonner dans des pays dévastés par l’ennemi, nous en soyons réduits à cette extrémité. Chaque jour on nous amène 10 à 15 malades et nous en renvoyons à peu près le même nombre au front. Notre visite nous prend 1heure à 1h30 y compris le temps requis pour la besogne administrative ; puis généralement à 11 heures nous arrive le divisionnaire qui fait causette jusqu’à midi parfois. A 12h30 dîner en tête à tête avec Némery. Nous faisons 2 commensaux bien accouplés, frugals tous deux, contents  de peu et de tout. Notre domestique qui paraît entendu dans l’art culinaire nous fait la cuisine et varie habilement notre ordinaire. Nous vivons sur un pied de 2 à 3 frs par jour. Après-midi je ne sors guère car le pays est une mer de boue et il faut à tout moment se garer des autos et des camions. Que je regrette nos chevauchées sur le sable fin de la mer où quel que soit le temps on n’a pas à craindre d’être crotté. (…) L’après-midi je reste dans notre salle à manger à lire, à étudier ou à jouer une partie d’échecs ou de hist. Cette salle à manger est notre domaine, elle sert de parloir aux sœurs et communique avec nos salles de malades qui sont des classes. Nous soupons à 19 heures.  A 21 heures, le Dr Nemery  va se coucher et j’ai le plaisir à me retrouver seul jusqu’à tard dans la nuit. Ces heures de solitude sont les meilleures .C’est alors que je pense à Marthe, à mes chers loups, à maman, Jeanne, à tous mes frères et parents à Gaurain. Quand les reverrai-je ?

31 décembre 1914. Il y a cinq mois que Louis a quitté la maison.

C’est la première fois de ma vie que je  passerai cette soirée ailleurs qu’à Gaurain. C’est qu’à cette date, nous aimions à revoir le toit paternel où tous se donnaient rendez-vous. Marius de Roubaix et moi de Louvain apportions la vie dans la maison et la joie dans les cœurs. Et  quelle soirée de réveillon ! Que de joyeuses causeries autour du feu bienfaisant au centre de notre cercle. Que papa et maman étaient heureux alors, comme je voudrais l’être plus tard. Oubliés alors les peines, les soucis, les douleurs, les inquiétudes, les doutes en l’avenir, les efforts de la vie, l’âpreté des devoirs. Dans une foi commune, sous la garde d’une Providence à  qui nous avons tout confié !

S ous le coup de l’éloignement, Louis  se met à réfléchir aux longues heures d’absence qu’il imposait à sa famille avant la guerre pour animer le cercle paroissial de Ramecroix

Tu m’as souvent reproché d’aller à Ramecroix trop souvent et avec trop de plaisir et je ne pus jamais te convaincre que je n’y allais que par devoir, pensai-je. J’ai souvent constaté qu’on abusait de moi et que les prétextes multipliés pour m’attirer à Ramecroix devenaient obsédants .Je constate moi-même à l’heure qu’il est que ma bonne volonté a été prise par toi pour de la complaisance car je me gardais bien de te marquer l’ennui de ces rappels répétés et à Ramecroix même je faisais bonne mine à ce mauvais jeu. Personnellement je sais bien que j’avais peu à y gagner et le seul motif qui m’y conduisait n’était que d’aider à l’apostat de ce cher curé de Ramecroix et au développement de ses œuvres. (…) C’était profit pour moi cela forme beaucoup et me sert encore à l’heure présente où j’ai à vivre au contact de beaucoup de gens qui vous heurtent. Je ne prétends pas me dérober à mes devoirs de soldat de la bonne cause, mais je saurai faire à l’avenir les parts plus équitables et saurai résister aux mises en demeure injustifiées ou intempestives d’amis ou de personnes qui voudront m’absorber ou m’exploiter comme une aubaine.

Samedi 2 janvier.

Louis se rend à cheval aux Moeres pour saluer le Maire et son épouse. Deux officiers de cavalerie liégeois sont justement les hôtes du maire. L’un, des deux, montre à Louis la pique de la hallebarde du suisse de Pervyse  trouvée dans les décombres de l’église.

Les jours suivants, Louis partage ses loisirs entre l’écriture et des visites aux Moeres lorsque le temps le permet. Le 7 janvier, il se rend à cheval à Furnes et chez le tailleur prend des mesures pour une vareuse et une clotte de cheval. C’est ce jour là que le docteur Nemery lui apprend leur prochain départ pour Alveringhem.

La samedi 9 janvier, Louis reçoit François Durieux atteint de sciatique. Peu de temps auparavant Louis avait reçu de lui un appel au secours. Il avait alors écrit au médecin de son bataillon pour le faire transférer  auprès de lui.

Ma lettre l'a aidé à arriver jusqu’ici. Le pauvre garçon est tout attristé et pleure même, je le remonte et le case confortablement. Je lui annonce qu’on devra l’envoyer à l’arrière pour y recevoir les soins que comporte son cas.

 L’infirmerie divisionnaire à Isenberghe du 12 au 25 janvier


Isenberghe sous la tente, Collinet, Lambert, Huon, Van Egeoo et moi en casquette

Le 12 janvier, Louis et son infirmerie divisionnaire déménagent. La première étape est Isenberghe. On loge le docteur chez l’instituteur Baes. Une infirmerie sera installée dans les locaux de l’école. Le 13, tout le personnel est à la besogne et à 9h30, on peut admettre les premiers malades. Le 16, Louis fait preuve d’initiatives et donne des cours d’anglais aux médecins et pharmaciens de la colonne.

Nos élèves sont pleins d’entrain. Le soir Whist, souper à 19 heures. Etude et lecture jusqu’à 1h du matin. J’aurai 43 ans demain !

Le 20 janvier, Louis reçoit la visite d’Antoine Letellier et lui prête 20 francs. Ces gestes sont habituels su docteur qui révèle ainsi sa grande générosité  pour  tous les soldats qui proviennent de son « pays ». Le samedi 23, une voiture de son collègue Némery est prise sous le feu d’un bombardement à Furnes.  La voiture est détruite et un de ses chevaux tué. Le même obus blesse un soldat français et emporte la cuisse d’une infirmière hollandaise.

L’infirmerie divisionnaire à Pollinchove

Le 25 janvier, le médecin divisionnaire annonce le départ de la colonne et le 26 celle-ci se met en route pour Saint-Riquiers à 3 km de là. Les médecins trouvent un abri dans une ferme. Louis se couche très tôt car il est souffrant. Le lendemain, il prend un purgatif et se met à la diète lactée car il souffre de gastroentérite. Il prend 4 centigramme d’opium et va se coucher tôt. Le lendemain 28 janvier, le divisionnaire prescrit du repos à Louis qui commence à se sentir mieux le samedi 30 janvier juste à temps pour se mettre en route le 31 avec sa colonne qui doit  déménager l’infirmerie divisionnaire à  Pollinchove. Il fait grand froid lors de cette transhumance et Louis est repris par les coliques et ne pouvant plus tenir à cheval est obligé de marcher à côté de celle-ci.  L’infirmerie trouve asile dans les quatre salles de classe de l’école tenue par les sœurs enseignantes de la charité.  Les lignes sont proches et on entend les obus qui tombent à 1.500 mètres de là. Le 1er février, Louis se sent rétabli et surveille les travaux d’aménagement. Le cours d’anglais est malheureusement supprimé. L’officier payeur passe et Louis verse sa solde à la caisse d’épargne sur les différents comptes de ses enfants. Des avions allemands bombardent les environs de l’infirmerie et jettent des bombes sur la voie du tram et sur le pont du canal situé à 300 mètres. Le temps est peu clément, les officiers ne sortent guère de leur infirmerie et de leurs logements. Le Dr Raveschot de Menin a de quoi se réjouir : il apprend qu’un quatrième enfant lui est né. Un peu de joie aussi pour tout le monde quand le 14 février la Reine envoie une caisse de cadeaux. Louis reçoit deux mouchoirs, un portefeuille, une chemise de nuit et un petit sachet rempli de fleurs de lavande.

Le 15 février, arrivent à la colonne de jeunes recrues ayant terminé leur formation en France. Louis écrit un abondant courrier à toutes ses connaissances sous le drapeau.

Beaucoup de Gaurinois m’écrivent. Jules Duart pour me crier famine, envoi de 5 frs.  J.B Degransart pour me parler de sa maladie et de son découragement. Je lui réponds dans une lettre de réconfort .Il loue beaucoup le personnel hospitalier anglais. Il souffre d’une pleurésie, c equi me paraît être très sérieux et me donne beaucoup d’inquiétude. Rien en tout cas ne lui fera défaut. Fernand Tangre m’annonce que grâce à mon appui il a été nommé masseur dans un hôpital. Wattiez Edouard me dit qu’il est arrivé sur le front avec compatriotes  de Gaurain. Alphonse  Bauffe est malade en France. Je réponds aux lettres de tous ces gars.

Le 9 mars au soir l’église de Reninghe brûle, atteinte par des obus incendiaires. Mouvement intense de troupes. Le 12 mars, Louis reçoit de Léo Delaunoy une lettre lui annonçant la mort de sa maman.

Chère maman ! Elle aura eu une douce vieillesse, entourée de tous ses enfants se disputant à lui donner le plus de joie. Elle fut gâtée de la Providence ici-bas, et nous eûmes la joie de la posséder longtemps. Avec quel calme je reçois le coup ! Serait-ce un présage qu’elle a déjà reçu sa couronne et ses prières du haut du ciel continuent-elles leur œuvre ?

Le 14 mars, il écrit encore son chagrin !

Je prie beaucoup pour nos chers défunts. On dit ce matin la messe pour le repos de son âme. Je suis si loin de ceux que j’aime et tant d’objets capitaux me sollicitent que mon deuil immense ne m’abat pas trop. Et si souvent la mort de ma chère maman n’était un épouvantail qu’elle a dû la voir venir comme l’aube attendue d’un jour sans ombre. Elle se sera détachée de la vie ou plutôt Dieu l’aura prise, comme le jardinier cueille avec sollicitude et sans brusquerie un fruit de choix qu’il apprécie et qu’il veut garder jalousement.

Le 19mars, il a neigé pendant la nuit et au réveil de Louis tout est blanc. Le lendemain il reçoit une lettre désespérée de Jean Baptiste Degransart  hospitalisé en Angleterre.

Pauvre enfant, je crains que ses parents ne le voient plus de cde monde. Je me félicite d’avoir conservé ses nombreuses lettres, elles seront pour ses parents de précieuses reliques !  

Le premier congé : en Angleterre

Le 24 mars, quand son confrère le Dr Raveschot lui annonce  qu’il partait à Calais avec une voiture de ravitaillement de médicaments, Louis veut profiter de l’occasion pour prendre un peu de congé. Le 25 mars le voilà à Calais et le soir même à Londres. Un certain Mr Webb rentrant de France s’offre à conduire les permissionnaires  au Queen’s Hotel à  Leicester Square.

Le lendemain, Louis se rend à Woolwich, au Herbert Hospital, pour visiter son ami J-B Degrandsart.  La rencontre est très émouvante.

Avant de m’avoir vu, le pauvre enfant reconnaît ma voix ; aussi je le trouve rouge d’émotion joyeuse aussitôt que je le vois, je l’embrasse et il se met à pleurer. Quelle surprise ! Je suis payé de mes peines car j’étais pour lui à ce moment le rayon de soleil qui égaie son réduit. Revenu de sa secousse, il commence son récit très maladroitement car il ne sait par où commencer ! Je l’arrête pour lui éviter toute fatigue et commence le premier le récit de mes campagnes que d’ailleurs je lui avais déjà écrit. Il était toutes oreilles. A son tour il me dit que blessé à Linth, il fut conduit à Anvers et de là à Hayes (Kent, Angleterre). Il y fut l’objet de mille gâteries. Depuis son transfert ici, on continue à) lui écrire. Une dame anglaise voudrait l’avoir dans son hôtel pour l’y soigner elle-même avec l’aide de son médecin particulier. D’autres soldats belges soignés dans le même hôpital, mais dans des salles différentes viennent souvent le voir

Le lendemain c’est au couvent d’Olney qu’il se rend. Il doit y rencontrer sœur Jean, une parente de son épouse Marthe.

Je heurte le guichet de notre brave sœur qui a les sentiments à fleur d’âme et s’exclame joyeusement. Le branlebas est donné et telles les âmes dociles à l’appel des trompettes du jugement dernier, nos bonnes sœurs en essaim serré, joyeuses et curieuses se hâtent vers moi. Elles m’explorent de leurs yeux avides, déconcertées de me voir dans cet accoutrement guerrier, souillé par place des boues de l’Yser. Je satisfais aux questions les plus pressantes et promets de faire lire à la communauté mon journal de campagne que j’ai apporté.

La Mère supérieure procure un logement à Louis dans une maison occupée par deux familles parentes du bourgmestre de Lierre. Une de ces familles  vient de perdre un petit garçon né à Olney et qui fut enterré dans le cimetière des sœurs. Le père de l’enfant était fabriquant de brosses à Lierre et venait d’installer ici une usine fournissant en brosses l’armée anglaise.

Le lendemain dimanche 28 mars c’est la messe avec la bénédiction des palmes puis suite à l’insistance de sœur Jean, Louis s’en va visiter les familles belges installées à Olney.

L’aumônier Allan, bienfaiteur de la communauté belge d’Olney

L’aumônier des sœurs le père Allan est l’âme du comité charitable qui s’occupe ici des Belges et les empêche de sombrer dans la misère.

Le 30 mars, conférence à la communauté et visite à l’école des sœurs où les petits garçons sont impressionnés par l’épée de Louis.

Je détachai l’arme, la retira du fourreau. Les ah ! d’effroi des petites filles et de joie des garçons m’amusèrent beaucoup. Quelques garçons esquissent un mouvement pour toucher la lame brillante. Je vois bien qu’ils la désirent et je consens à leur laisser l’arme. On fait cercle autour, on en tâte la pointe et le tranchant, on se la dispute on la brandit à bout de bras. « How many Germans have you killed with It, Sir? » Cette question devait venir. Trois répondis-je. Du coup ma belle épée a toute la vénération de nos bambins qui la caressent et me la  remettent à regret.

Le congé de Louis est court, il quitte les religieuses d’Olney le 31 mars. Les religieuses  bourrent sa valise de friandises et  veulent même lui faire prendre du linge de corps qu’il a du mal à refuser !

 Retour à la réalité du front : la mort du brancardier Blum

Le lendemain soir il est de retour à Calais  puis arrive le soir même à Isenberghe à 21h45  où il est accueilli par ses officiers!  Gros émoi, on informe Louis que Pollinchove a été bombardé quelques heures après son départ pour l’Angleterre.

Or donc, le dimanche 28 mars à 14h 30, les officiers de ma colonne prenaient le café dans notre mess. Franc seul était dans le couloir de l’hôpital, sur le seuil de la porte extérieure causant avec un infirmier debout à l’extérieur près de la voiture de pharmacie. Les obus tombaient sur Loo d’abord puis peu à peu les projectiles suivants se rapprochèrent de notre établissement, jusqu’à 100 mètres environ, ils tombaient à intervalle régulier de 7 minutes. Nos officiers parlaient obus et attendaient la montre sous les yeux l’obus suivant. Il arriva à son heure sur le soubassement en pierre de l’hôpital à 25 cm du sol et à 15 cm de l’angle du pignon auquel notre mess était adossé à 2 mètres en retrait de la façade, en sorte que si l’obus était arrivé de 25 cm sur la gauche, il tombait sur notre mess. Toutes les vitres volent en éclat, le mess se remplit d’une fumée noire et épaisse, on eut l’impression que tout le bâtiment se soulevait. Remis de la secousse on constate que l’infirmier près de la voiture de pharmacie gît presque décapité, deux autres sont légèrement blessés. Le tué est un nommé Blum, séminariste luxembourgeois qui nous était arrivé de Calais depuis deux jours. Au moment où éclatait l’obus, Blum courait avec Franck, ce dernier sous la poussée des gaz pirouetta et son tour accompli vit Blum gisant sans vie à un mètre. Un infirmier placé à côté de Blum reçut à la hanche un éclat qui fit un trou assez grand pour y loger un poing, il guérit cependant très bien de son affreuse blessure !

Le Mécène anglais Webb

La routine reprend pour le Dr Detournay jusqu’au 15 avril, jour où il apprend qu’un anglais désire lui parler.  Il s’agit en fait de Mr Webb, cet anglais philanthrope rencontré sur le bateau qui avait amené Louis en Angleterre. Au cours de ce voyage Louis avait dressé une liste d’instruments qui lui manquaient. Quelle surprise de voir ce monsieur lui amener une caisse entière d’instruments médicaux ! On devine comment Mr Webb fut fêté au mess des officiers !   

En visitant le lendemain l’hôpital Mr Webb s’aperçut de l’absence de lits. Les paillasses étaient étendues sur le carrelage à l’exception de quelques lits aménagés avec six chaises d’église à hauts dossiers. Là aussi Mr Webb promit une amélioration notable : il se chargeait d’offrir  30 lits avec matelas  et aussi une voiture cuisine ! 

La Fête de Pâques le 18 avril est chantée solennellement mais pas seulement à la messe ! 

On bombarde Loo avec fureur, 4 personnes y furent tuées hier. Pollinchove a aussi reçu 20 ou 30 obus. On prend deux photos de notre personnel sur la butte du moulin d’Isenberghe


Devant le moulin

La canonnade reste constante. La deuxième bataille de l’Yser  fait rage et les médecins apprennent avec stupéfaction le premier emploi des gaz. On charge Louis de la fabrication en urgence pour la division de masques à gaz. Ils seront carrés de 8 épaisseurs de gaze ordinaire de 10 cm de côté et munis aux angles de cordonnets qui seront noués derrière la nuque. Le 17 avril le général médecin  félicite Louis pour l’ardeur consacrée à la confection des masques.

Notre colonne a battu tous les records grâce au personnel féminin que j’avais intéressé à l’affaire. La canonnade est moins violente. Les Allemands voulaient y percer nos lignes, mais d’ores et déjà tout danger est écarté…

Le 29 avril. Le printemps est vraiment là avec une journée superbe mais la guerre continue impitoyable. Le 4 mai, Louis pense au huitième anniversaire de son mariage qu’il ne peut pas fêter. Le 9 mai il mentionne dans son journal que l’on a fusillé à Pollinchove un soldat belge coupable d’insubordination et que celui-ci a subi sa peine avec courage ! Le 26 mai, il est appelé en consultation chez Médard Baes, frère de l’instituteur chez qui il loge à Everinghe. Le diagnostic du docteur est clair : il va mourir de péritonite. Fin Mai, Louis raconte avec sans soute une petite pointe de jalousie :

Courageuse madame Leroy

Il y a ici, venue rejoindre son mari gendarme ; madame Leroy, née Lecoq, fille de Casimir, ancien Boucher à Vaulx. Elle a quitté Vaulx le 22 février et après beaucoup d’ennuis elle est arrivée ici en mars. Elle n’apprit ma présence ici que longtemps après son arrivée et est venue me saluer. Elle m’a donné sur notre région un tas de détails rassurants.  

La casquette de la reine

Les médecins reçoivent début juillet une tenue kaki

On est venu prendre la mesure. On dit beaucoup de bien de la nouvelle tenue, elle sera belle et pratique, elle a été beaucoup étudiée. On en a supprimé tout ce qui est chamarrure et elle aura moins l’air d’une livrée ou d’un déguisement carnavalesque. Tant mieux, sera-t-on une bonne fois sérieux. La casquette me semble peu solide, la visière, si elle est en carton ne résistera pas au trempage des pluies, c’est la reine qui en avait choisi le modèle.

La photo de Marthe

Louis reçoit le 5 juillet une nouvelle photo de Marthe qui l’émeut profondément

Ce portrait ne me quittera pas. Le front de Marthe est un peu ridé et les deux sillons des joues sont un peu creusés, plus que quand rien ne l’agite, elle aura eu une pensée émotive au moment de la pose, comme par exemple celle de vouloir paraître ce qu’elle aurait été si je me fusse tout à coup trouvé à ses côtés. J’imagine que ces portraits ont été faits à mon intention. Je sais que Marthe est indifférente à ces objets, puisqu’elle a cru inutile lors de notre mariage de nous faire photographier, le grand motif  de m’envoyer cette relique l’aura  seule décidée.

Madame Leroy obligée de quitter son mari

Madame Leroy m’annonce qu’un arrêté pris contre les étrangers l’obligera à quitter la zone des armées. Elle a fait une démarche pour obtenir de continuer à séjourner ici, à côté de son mari, mais elle s’est vu réfuter cette faveur. Elle ne s’en afflige pas à l’excès, car elle ira rejoindre son fils âgé de cinq ans qu’elle a laissé à Vaulx et auquel elle se consacrera. Déjà beaucoup de soldats du Tournaisis ont appris son prochain départ et lui ont remis des mots écrits sur des feuilles à cigarette qu’elle a dissimulés dans un ourlet de son tablier.

31 juillet 1915 : un anniversaire

Il y a un an que suis parti de Gaurain, et l’on dit avec conviction que la guerre n’est pas à moitié de sa durée

22 août : nouvelle permission en Angleterre : visite à son ami J-Baptiste à Hauwell.

Je parle longuement de son cas aux médecins de l’hôpital et leur confie que le malade refuse d e guérir ou plutôt d’accepter de la nourriture par crainte des tranchées. Nous sommes d’accord pour reconnaître que le pauvre garçon aura bien de la peine à s’en tirer. Nous prenons sur nous de lui promettre que jamais plus il n’ira aux tranchées. Il attache à notre promesse une importance capitale et se met à sourire. L’obsession lui laissera l’esprit tranquille et il me promet de tout faire pour guérir, m’avouant qu’il joue la comédie et qu’il n’est pas plus malade que moi. Pauvre enfant  quelle illusion ! Avec des températures d e 38 à 39. Je cause longuement du pays et lui parle beaucoup de ses parents. Il est absolument remonté et déclare qu’il a confiance en la promesse que je lui ai faite qu’il n’aurait plus jamais à aller dans les tranchées et que tous ses efforts vont tendre à la guérison.

L’infirmerie de Saint-Riquiers


St Riquiers

Après une nouvelle visite chez les sœurs d’Olney, Louis reprend le bateau le 30 août et rejoint le front. L’infirmerie divisionnaire doit quitter Isenberghe pour Saint-Riquiers où l’on a construit trois pavillons. Le 10 septembre, il remet son service de Pollinchove au Dr Nemery  et s’installe à Saint Riquiers. On nettoie les salles, dresse les tentes. Le major de génie Cambier fait creuser un puit pour accéder à l’eau. Tout est compliqué au grand désarroi de Louis

J’éprouve toutes sortes d’ennuis et ne sais à quel saint me vouer. Je n’arrive pas à faire adopter une attribution définitive à chacun de nos locaux. Chacun émet son avis qui renverserait les plans arrêtés la veille. 15 malades.

Il semble bien que l’installation prévue devra cette fois  être conçue pour un long terme.

On a installé trois grands baraquements pouvant recevoir chacun 30 malades ou blessés. Ensuite on a construit deux autres baraques dont l’une d e24 mètres de long devant servir de cuisine, réfectoire, ma chambre de mon bureau, dentisterie, pharmacie, chambre d’examen pour les yeux, oreilles etc.,l’autre plus petite sera un logis pour 4 ou 6 officiers de santé. Il y aura encore d’autres constructions à faire dont on s’occupera plus tard. Tous ces bâtiments se trouvent sur le verger de la ferme Van Hee près d’Hoogstaede .Ce verger comporte 2 à 3 hectares, est clôturé de haies et bordé de hauts ormes. On y accède par un chemin empierré partant du côté est de la grand route à 400 m au nord d’Hoogstaede. Je suis logé pour le moment chez un vieux rentier dont la femme a dû être internée pour folie. Gustave, ce brave homme très hospitalier habite seul et vit de l’exploitation de quelques lopins de terre. Ma chambre mansarde en planches est au grenier et prend jour par le pignon est. Les souris et les rats se livrent à de fantastiques ébats au-dessus de ma chambre et cela pendant toute la nuit. Gustave avait deux chats superbes, disparus depuis l’arrivée de la troupe et qui auront sans doute fait les frais d’un menu soldatesque. Mon ordonnance Emile Bels  loge au grenier à côté de moi. J’ai un petit bureau confortable au rez-de-chaussée, il me sert de salle à manger.

Le 2 novembre 1915 : jour des morts et office solennel à Hoogstaede.

Messe à 4 prêtres, absoutes. Oraisons funèbres prononcées par un de nos aumôniers dans les deux langues. Puis en cortège, sous une pluie battante on se rend au cimetière. Le général, au nom de la Belgique et de son armée prononce une courte allocution et tourné vers les tombes déclare que le souvenir des martyrs du droit et de la justice vivra dans les cœurs et dans l’histoire. On défile ensuite après une brabançonne le long des ruelles des tombes de belges, anglais, et français dont les tombes nouvellement creusées sont couvertes de fleurs. Cérémonie touchante, pèlerinage pieux au milieu de cette moisson de jeunesse et de sacrifices. (…) tout rêveur je prie et crois que Dieu notre Père commun recevra un jour ces victimes, sacrifiées en hécatombes par la bête humaine.

Vendredi 12 novembre : un  incendie dramatique

Pluie et tempête. J’ai très mal dormi. Nous recevons 5 blessés. Ils logeaient dans un grenier de ferme, un incendie s’y déclara vers 9 heures. L’alarme fut donnée alors que le feu s’étendait déjà aux ¾ de la grange. Les soldats se précipitèrent vers l’unique et étroite fenêtre du grenier, l’échelle étant venue à se rompre, ils se jetèrent dans le vide  de 4 mètres de haut. Un homme se fit de sérieuses lésions au crâne, il fut dirigé vers l’arrière, trois brûlés nous restèrent et un contusionné à l’épaule.  Au matin on retrouva un cadavre carbonisé  et un autre soldat manque à l’appel. On attribue l’incendie à une bougie qu’avait oublié d’éteindre un sergent qui lui-même est un de nos brûlés.


La grange incendiée à St Riquiers

Dimanche 14 novembre : annonce de la mort d’un gars du pays

LetellierAntoine m’annonce la mort de Charles Leclercq fils de la cadresse à Ramecroix, tué d’une balle dans le poumon droit pendant qu’il réparait le parapet de la tranchée. Sa pauvre mère sera bien désolée, car elle aime beaucoup ses enfants et son Charles était un bon fils.

Une cruelle monotonie

 On reçoit peu de correspondance de la Belgique. L’accès et la sortie de l’Angleterre sont beaucoup plus difficiles. Nous vivons dans une cruelle monotonie.

7 décembre Anniversaire du décès de maman

Il y a un an aujourd’hui à 17 heures que maman a quitté cette terre. Quelle prière ardente j’adresse à dieu pour son repos éternel. Que de journées d’angoisses lui furent épargnés ; dans l’attente de mon retour elle n’aurait pu que végéter tristement.

Samedi 25 décembre : Réflexions sur la guerre

Nous avons réveillonné jusqu’à 3 heures du matin : Nachtergael, Franck et moi. Nous avons joué des manilles, fait des réussites, causé de sujets variés. (…) Paix aux hommes de bonne volonté. A ceux qui ont la bonne volonté de suivre la loi de charité du christ amour, la loi de l’humilité du dieu Pauvre. Tout n’est donc qu’orgueil et que cupidité, que haine et envie. Et le vermisseau humain dans sa folie profane l’œuvre de Dieu. Malgré les champs dévastés, malgré le nombre de victimes, malgré l’énormité des engins de destruction, malgré le perfectionnement inouï des méthodes, que l’homme paraît petit et bête ! Qui sera ébloui par ce génie, cette science au service de la cruauté ? Quel progrès moral sera réalisé par ces horreurs ? L’esprit de l’homme s’ingénie à se détruire  et quand on s’arrête à le juger par ses fruits, qu’il est méprisable ! La guerre est une invention purement humaine, elle n’a rien de Dieu, elle tient tout de la brute. Et c’est une chimère d’en rêver la disparition. Mais cette guerre à laquelle je prends une  part n’agite pas mon cœur. J’y sens régner une grande paix  et s’accroître l’humilité. Ah, comme nous sommes bien dans les mains de Dieu des jouets, des fléaux en même temps. Et il me reste au bout de ces réflexions un devoir de charité à accomplir pour mes frères, c’est prier Dieu de leur envoyer la bonne volonté de l’entendre pour qu’arrive le règne de la paix.

 Dimanche 26 septembre : triste nouvelle pour Louis qui apprend que St Riquiers doit être abandonné car la division part en repos. Plus question d’investir dans les installations qui seront occupées bientôt par une autre division. Cette mentalité fait bondir Louis qui écrit

Au milieu du péril commun, on oublie l’essentiel, la patrie ! Chacun travaille pour soi, pour son grade, son non renom, pour sa gloire souvent vaine, pour s’attirer plus  l’affection que l’estime de ses chefs et il est rare de trouver comme but final de tout mouvement l’amour de la patrie. (…)

Et il cite l’exemple de cet officier d’état-major :

Un officier d’état-major trop bien choyé !

Il venait de recevoir un éclat d’obus de shrapnel au front. C’était un officier d’état-major qui, parait-il, était personna gratissima dans les hautes sphères, officier de valeur m’assura t’on et ayant déjà été blessé. Il était très influent à l’état-major de la division et le général qui l’appelait Charles ne jurait que par lui. Un coup de téléphone le matin apprend au quartier général que Charles vient d’être blessé ! Voilà tout le monde en alarme. Le général requiert le médecin divisionnaire de l’accompagner aux tranchées vers lesquelles on se hâte dans la meilleure auto de la colonne d’ambulance automobile pour ramener le blessé ! Rendu sur les lieux, le général larme à l’œil se précipite vers Charles et manifeste un intérêt paternel au blessé qui semblait loin d’être moribond. Le médecin divisionnaire nous revient bientôt et donne l’ordre pour que hâtivement le plus beau local de l’hôpital soit aménagé sur le champ pour recevoir ce blessé de marque. On a vite fait d’exécuter cet ordre et quand s’aidant d’une canne le blessé nous arrive boîtant un peu, tous ceux qui savent de quel bois se chauffer, se précipitent pour l’accueillir en parfaits  courtisans, car leur empressement dépassait les bornes de la politesse apitoyée pour prendre les airs de la servilité. Le blessé est installé dans son boudoir, étendu sur son lit et je n’ai eu garde de perdre le moindre détail de la scène. Sous l’œil du médecin divisionnaire qui ne cesse d’encourager le patient et de lui demander force détails je lève le pansement et mets à nu l’écorchure, je l’ai bien en vue et l’ai vite jugée. Je dis au blessé qui nous avait raconté avoir retiré le projectile, qu’il n’était pas possible que celui-ci eut pénétré ; oh ! de très peu, réplique-t-il.  A son tour le médecin divisionnaire inspecte, fait des remarques multiples et des recommandations détaillées. Il faudra prendre les températures trois fois par jour ! C’est inouï. Encore si toutes ces attentions avaient été pour remonter ou encourager le blessé, mais celui-ci n’avait aucun besoin de traitement moral car il semblait et il était très entrain et très loquace ; il n’avait d’ailleurs pas grand effort de volonté à faire  pour dominer son mal. S’il eut été sérieusement blessé sa tenue eût pu imposer, mais il est bien excusable de vouloir passer pour un homme qui s’arrête peu à des considérations de blessures ou de douleur, c’est si guerrier et si viril !  Il ne faut pas s’imaginer que le médecin divisionnaire était dupe, je le tins pour trop bon praticien pour ne pas s’être rendu compte de la grandeur du « désastre » au premier coup d’œil. La comédie n’en est que plus savoureuse, ne faut-il pas que l’acteur tienne bien son personnage ? Le général commandant la division fait chaque jour visite au blessé, lui fait mille recommandations de prudence comme il en fait de vigilance aux médecins. Il est remarquable que le pauvre blessé ne se soit pas cru touché à mort. On a pris note de l’attitude du général pour se régler. Le général fait interdire les visites au héros et lui fait dire par le major H de ne pas quitter son lit. Que craint-on ? Que prépare-t-on ? Nous touchons au dénouement. A 15 heures grand branle bas. Sa majesté le Roi, accompagné par le général vient faire visite au blessé et le décore de son ordre. Tous les témoins de la scène, excepté nous les médecins en sont émus. Puis le général à voix basse s’entretient avec le Roi au chevet du blessé pendant dix minutes .Je ne sais rien de ce qui a été dit durant cet a parte .Notre nouveau chevalier avait l’air plutôt gêné, l’encens l’étouffait. A trois jours de là, il quittait notre hôpital pour continuer à recevoir des soins dans son appartement. Cinq à six jours après, il partait en congé de convalescence emmené par le général et fut rencontré chez la générale dans une ville de France. Sic iturad astra !  

L’infirmerie divisionnaire à Adinkerke

Janvier 1916. La 6 ème division relève la deuxième et occupera donc l’infirmerie de Saint Riquiers. Louis est muté à Adinkerke. Il visite ses nouvelles installations le 10 et le 19, charge son matériel sur deux gros camions. Le 22 janvier tout est en ordre.

Ma chambre est la première du 2ème de nos cinq baraques. (…) J’y ai mon lit, lit américain dit « télescope », deux coffres, une table, une chaise, un fauteuil pliant des sœurs. Un poêle Godin occupe un des coins. Elle est tout entière ne bois de sapin, peinte au blanc de zinc et a plancher recouvert de linoléum de très mauvaise qualité. Il n’y ferait pas tenable sans feu. C’est comme chef d’hôpital que j’ai droit à un poêle mais le combustible est à mes frais. J’ai une bonne lampe belge me donnant un excellent éclairage. Mon sort est très supportable et d’ailleurs envié par beaucoup de mes collègues. Je suis à 1 km au nord de la gare d’Adinkerke à l’est de la route menant à La Panne et tout contre les premières dunes. Je vais tous les jours après mon dîner faire une promenade dans les dunes sauvages et même en cette saison j’y trouve des jouissances. Je prends avec quelques uns de mes officiers mes repas au mess que nous avons organisé dans nos locaux. Nous jouons une manille tous les soirs jusqu’à 22 heures et rentré chez moi je lis généralement jusqu’à minuit. Mes lectures sont des plus variées. (…) Ces lectures et études me font paraître le temps bien court.

Travail à l’hôpital le matin, promenades l’après-midi, la vie à Adinkerke se déroule dans une routine bien rodée d’autant plus supportable  que l’hiver est clément.

Aucune maladie grave n’éclaircit les rangs. C’est la grippe qui nous en amène le plus sans nous en tuer aucun.   


Mon adjoint logistique le lieutenant Franck

Le 12 février cependant l’hôpital est bombardé mais sans succès pour l’ennemi. Après le bombardement Louis se rend avec son officier gestionnaire Franck à 100 mètres de  l’hôpital où il constate le trou de 2 à 3 mètres de diamètre  fait par un obus .On suppose que l’ennemi visait la gare ! Le bombardement par un avion suscite beaucoup plus d’émoi que les canons.

Les soldats redoutent bien plus  les bombes d’avion que les obus ou shrapnels. Ceux-ci tombent  à certains endroits  et il est possible de s'en garer  jusqu’à un certain point  dès que l’on a observé les premiers coups, mais l’avion invisible  sans coup de départ laisse  tomber l’engin terrible, et malheur  à vous si vous vous trouvez à proximité.

Le 20 février nouveau bombardement. Il tombe 40 à 50 bombes mais pas de victimes ni de dégâts dans l’hôpital. Le 21 févier c’est Furnes qui est bombardé. La tour de l’église est atteinte et trois observateurs belges y perdent la vie. La division termine son repos et les médecins de l’infirmerie divisionnaires doivent déménager à Linde. Le confort y sera nettement moins grand qu’à Adinkerke et il faudra à nouveau patauger dans la boue. Autre nouvelle regrettable, la mort de Louis Renard.

Hommage à Louis Renard

Je reste tristement impressionné par la fin de ce vaillant lutteur catholique que les fatigues et les émotions des luttes politiques ont prématurément abattu. Le désir généreux qui poussait ses fils à joindre nos rangs, l’aura aussi affecté, car il s’employa, dit-on à le réprimer. Pauvre Louis, ses jours auront été tourmentés et combien il va manquer à ses jeunes fils ! Dieu ait son âme en sa grande miséricorde.    

L’infirmerie divisionnaire à Linde

 Le 28 février, on déménage l’infirmerie à Linde

L’après-midi nous nous installons avec peine car hormis deux baraquements neufs toutes les autres constructions  sont de sales et bas baraquements ayant servi d’écurie. A nous de tirer parti de ces moyens.

De sa fenêtre Louis voit le clocher de Pollinchove. Dans sa chambre les souris ont trouvé refuge et un piège en a ramené six en une seule heure !  Des canalisations sont creusées pour améliorer les chemins. L’hôpital se rempli a vite rempli de malades. Louis se rend le 14 mars  chez les sœurs de Pollinchove chez qui il avait trouvé refuge il y a un an. Il y rencontre l’admirable sœur supérieure :

Accueil de la Mère supérieure vraiment amical. Elle gardé de nous un excellent souvenir et se rappelle encore dans leur ordre d’âge les noms de nos petites filles.

Le courrier tient une très grande place dans l’emploi du temps de Louis qui en ce 18 mars se tracasse fort pour son admirable épouse.

Je reçois de Marie une lettre charmante où elle exalte ma chère femme modèle de vaillance de charité et d’activité. Elle se dévoue au service et au soulagement de Germaine dont la santé doit être bien mauvaise. On n’a plus d’espoir que dans le miracle et on veut l’obtenir par la prière. Que Dieu ait pitié de ce nid bâti par l’amour, peuplé pour sa plus grande gloire et confié à sa Providence paternelle. Pauvre Paul et pauvres petits, l’idée que le coup qui, hélas est en suspens pourrait me frapper me glace et rend ma prière plus pressante. Seigneur, éloignez d’eux ce calice ! Mater misericordiae, vita dulcedo et spes nostra salve ! Je sais que Marthe fera beaucoup pour eux. Mais j’ai peur pour elle. J’ai peur de sa charité, de son abnégation, de son sacrifice et dans ma lettre de réponse je le lui dis.

Il faut lutter contre le cafard mais aussi plus prosaïquement contre les poux.

J’ai été bien tourmenté toute la semaine passée par les poux de vêtements. On nous aura renvoyé de la Panne du linge insuffisamment désinfecté et beaucoup d’entre nous souffrent de morsures cuisantes. J’ai pris des bains et ai fait passer mes vêtements et toute ma literie au désinfecteur Newman au formol, sans succès complet car j’ai dû répéter la désinfection. On se fait difficilement une idée de l’incommodité de ces insupportables parasites. C’est surtout en haut du dos, aux bras et aux jambes qu’ils s’attaquent .ils déposent leurs œufs dans les coutures des vêtements et sont en grand nombre sur les cols encrassés des vareuses. Il faut pour en avoir raison des vapeurs formolisées agissant une heure.

La boue est aussi un ennemi terrifiant et Louis se réjouira le 30 mars que ses installations soient enfin débarrassées des voitures  de la C.A.H.B qui  ont trouvé un autre parking que les abords de son infirmerie. Les emplacements réservés aux véhicules deviendront des jardinets et des terre-pleins fleuris.

Le payeur passe régulièrement payer les soldats. Louis touche le Premier avril 793 frs 81 qu’il s’empresse de reverser en grande partie sur les comptes d’épargne de ses enfants. Le printemps arrive ce qui nous vaut ce beau texte écrit par Louis le 1er avril.

Temps superbe et ensoleillé. Les aubépines poussent leurs feuilles et le printemps arrive triomphant, se riant de nos fureurs et de nos petitesses. Rien de nos emportements ni de nos agitations ne trouble les lois du créateur. Tout ce qui est indépendant de nos volontés arrive à sa seconde : riant soleil, étoiles profondes, saisons, fleurs et fruits. Et notre terre qui tremble au loin sous nos boulets et nos obus nous emporte toujours avec une pareille régularité. Dieu qui règle tout a sans doute voulu punir l’homme et c’est l’homme qu’il a fait exécuteur de ses décrets. C’est bien choisi. Quels vers de terre nous sommes, et quels ridicules jouets et si nous fûmes les chefs d’œuvres de Dieu, que nous sommes donc déchus ! Toutes les forces de l’élite de l’humanité sont tendues vers la destruction et ordonnées par des chefs, des conducteurs de peuple, vers le massacre et l’anéantissement. Je crois qu’il est chimérique d’espérer jamais que la guerre un jour ne sera plus connue des hommes, cela ne pouvant arriver tant qu’il y aura 2 hommes en présence. Cependant a bien y réfléchir il semble qu’il y a remède au fléau, qui sans le faire disparaître le rendrait plus rare, j’entends remède humain. Parmi les vingt millions d’hommes qui se tuent à cette heure, il n’en est pas 100 qui ne veuillent la paix, tous aussi désirent la victoire mais plus encore la paix qui est plus nécessaire que la victoire. N’est-il pas vrai que bien souvent la victoire prépare de nouvelles guerres et qu’un peuple vaincu ne vit que pour venger sa défaite. (…)

Soldat tu es pied pour marcher, tu es bras pour frapper, quand cette autorité te dit marche ou frappe, tu n’as qu’à obéir et encore obéir si elle te dit meurs. On te dit bien que tu peux tuer sans remords, c’est pour te rapprocher de la brute, faire de toi une chose sans raison, toute au service d’une tête qui seule a le droit de penser. C’est par elle que sont réglés nos desseins et dirigés nos actes suivant l’intérêt d’un petit nombre. On sent tous les jours davantage la puissance du nom et des influences et que l’intérêt particulier dans les démarches prime le bien-être général : ce sont toujours les humbles qui sont sacrifiés et les puissants qui se défilent. Que de rancoeurs accumule l’injustice qui, ne pourront qu’éclater après la guerre. Que je suis loin du remède que j’annonçais, je me creuse en vain pour trouver, décidément le mal est à la racine, au cœur de l’homme par nature corrompu.

Permission à Paris

Le 9 avril Louis arrive à Paris pour profiter de quelques jours de permission. Il se rend à Montmartre et fait ses dévotions au Sacré Cœur puis va souper avec le pharmacien Vanderlinden avant d’assister au spectacle de variété, un vaudeville ayant pour titre « le Dindon ».

Le lendemain il flâne au quartier latin, promène en bateau sur la Seine. Le surlendemain c’est une visite à la famille Gabelin qui l’occupe. Madame Gabelin vante les fusiliers marins de l’amiral Ronarch. Il s’en suit une petite discussion dans laquelle Louis prend la défense des soldats belges en insistant que la victoire de novembre 14 n’aurait pas eues lieu sans les seuls fusiliers français. Et puis ces derniers n’étaient pas tous des héros comme le raconta Louis à Madame Gabelin.


Neuilly, en permission, dans la famille Gabelin

L’héroïsme des Belges discuté autour d’une table à Paris

A un certain endroit, la nuit, pendant le chaud de l’affaire de Dixmude arrive un groupe de fusiliers marins battant en retraite et demandant la direction de Dunkerke à des soldats belges, qu’ils essaient d’emmener avec eux. Un major belge sort de son abri, tire son révolver et dit : « Belges, je suis votre seul chef ici, nous ne connaissons pas la route de Dunkerke, ne  connaissons que celle de la Belgique et le premier de mes hommes qui fuit sera abattu par moi »

Ces paroles imposent, les fusiliers marins hésitent, sont ramenés dans le devoir et contribuent aussitôt avec nos hommes à faire prisonniers un gros groupe d’Allemands qui avaient passé dans la brèche faite dans nos lignes par la fuite des marins. Je ne puis permettre qu’on gaspille nos lauriers. Je rechercherai des précisions sur cet épisode .Un fait à peu près pareil s’est passé à Steenstraetre et là le colonel Mahieu du 3ème de Ligne a ramené au feu les Français fuyant devant les gaz asphyxiants en leur donnant en exemple les petits Belges qui faisaient à ce moment un vrai massacre d’Allemands. Je dois ajouter, qu’au dire des narrateurs, il fut facile de ramener les fuyards au combat. Les Gabelin furent charmants et ne me tinrent pas rigueur de ma mise au point.

Louis se promènera à Paris jusqu’au 15 avril. Il aura aussi l’occasion de revoir d’autres habitants de Gaurin et  le père Ecrepont miraculeusement échappé de la mort et amputé de la jambe droite.

Retour à Linde

La routine a vite repris. Louis aime réfléchir profondément à l’actualité internationale et il transcrit avec soin ses nombreux commentaires à son sujet sur son cahier. Le 5 mai, par exemple il détaille notamment l’insurrection irlandaise maîtrisée et  le raid des zeppelins sur l’Angleterre qui continue.  

Le 12 mai, il semble y avoir une recrudescence du travail médical car :

La fièvre typhoïde a fait son apparition dans notre division, j’ai fait évacuer trois cas ce matin. Assez nombreux cas de méningite cérébro-spinale.   

Dispute linguistique

Le 14 mai surgit un scandale dans la formation médicale. Le docteur Lambert, adjoint de Louis se laisse aller à des injures publiques contre l’aumônier parce que disait-il, il n’avait d’attentions que pour les Flamands.

Je n’ai pas été témoin de l’affaire mais Mr l’aumônier s’en plaint à moi verbalement. Je lui déclare que je trouve l’attitude de Mr Lambert blâmable en tous points.

Une enquête sera menée par Louis et au terme de celle-ci l’adjoint du Dr Lambert, le Dr Collinet doit quitter la colonne d’ambulance.

Le Dr Raeveschot dépressif


Souvenir affectueux – Dr Raveschot le 12-09-1915

 Le 18 mai, coup dur pour Louis qui apprend que son ami et adjoint le Dr Raeveschot est muté pour rejoindre l’hôpital de Valloire près d’Etaples.

Cette séparation m’est sensible. J’avais dans mon adjoint un collaborateur fidèle, dévoué et sûr. C’était de plus un chrétien fervent, communiant tous les jours et de piété édifiante. Malheureusement, les dangers de tous les jours, la privation de nouvelles de sa femme et de ses 4 enfants, l’avaient rendu nerveux et mélancolique et ses efforts tendirent à se faire envoyer plus à l’arrière du front de bataille. Dieu veuille qu’il trouve là-bas quelqu’un qui lui remonte le moral. Il broie du noir à plaisir, s’alarme et s’attriste sur les tendances matérielles du genre humain et s’étonne de trouver si peu d’anges dans notre pauvre humanité. Souvent je le réconfortais et tâchais à dissiper son humeur sombre par mon quiétisme mais mes discours n’avaient pas de longs effets.

Devant le conseil de guerre

Le 30 mai, Louis est appelé à comparaître comme témoin devant le conseil de guerre pour un soldat qui s’était volontairement provoqué un abcès du genou.

Achat d’un vélo  

Le 2 juin, Henri Colette, vétérinaire à Antoing me fait visite. Sa femme est venue le rejoindre en septembre 15. J’accepte son invitation à dîner pour demain en son domicile à Hondschoote. Visite du Major Cambier. Je me dispose à acheter un vélo B.S.A que je commande à Birmingham.

Mr Colette est privilégié d’avoir son épouse auprès de lui :

Madame Colette a pu quitter la Belgique pour venir faire une cure en Suisse, où deux fois par semaine elle devait aller constater sa présence par un consul allemand. …après avoir subi en Allemagne pas mal de rebuffades brutales et indignes, elle arriva en Suisse d’où par Evian elle gagna Paris et de là Hondschoote. Elle loue ici un appartement de trois places au prix de 60 frs par mois. Son mari à son service à Houtem rentre tous les jours à Hondschoote en moto. Cela lui est très facile car Hondschoote n’est qu’à trois kilomètres  d’Houtem. Madame Colette espère un bébé pour la fin de l’année.  

Louis perd sa place de chef

Le 4 juin, on annonce à Louis que le major Nemery rentrant incessamment prendra la direction de la colonne et que dès lors le chef actuel de celle-ci le colonel Houzé reprendra la direction de l’infirmerie de Linde.

Seriez-vous froissé de cela me demande le médecin divisionnaire. Je suis amené à cette décision car je ne puis donner que ce poste à Mr Houzé. Je réponds qu’il m’est absolument indifférent de servir sous le colonel Houzé, mais que je désire vivement finir la campagne au poste où je l’ai commencé, que j’espère que cette mesure ne sera pas le prélude de mon exode  de la colonne.

Un arrêt-loi qui peut faire peur

Un arrêt-loi, pris à l’unanimité des membres de notre gouvernement a appelé sous les armes tous les Belges de 18 à 40 ans. Cette mesure grave va jeter dans la terreur beaucoup de compatriotes qui ont fui en Angleterre ou en France devant l’envahisseur. Emile Detournay marié et habitant Londres tombe sous le coup de cette loi nouvelle et m’en écrit

Pas d’accord avec les militaires qui décident de la guerre alors que ce sont les civils qui la font

Le 9 juin, Louis est invité à dîner chez le général Drubbel  qui se déclare enchanté qu’en Belgique au moins, on ne doit pas compter avec l’élément civil  et que les chambres législatives n’ont pas la possibilité de se réunir.

C’est bien là le point de vue militaire auquel beaucoup se refusent à juger les choses. J’estime quant à moi que le pouvoir civil serait à cette heure un heureux tempérant à la dictature du militarisme omnipotent. On peut dire des Belges ce que l’on dit des Français : « Ce sont les militaires qui ont préparé la guerre et ce sont les civils qui l’a font. » et c’est un peu vrai. On compte sur les doigts les militaires médecins de l’active qui travaillent au front tandis qu’à l’arrière ils sont légions à travailler aux endroits où jamais le canon ne gronde et loin de tout danger. Voilà pourtant des confrères qui se sont senti le goût des armes mais qui se défilent à souhait et cèdent leurs postes de combat aux pauvres civils rappelés qui n’ont aucun soutien dans le monde militaire. Un pouvoir civil vraisemblablement mettrait bien des gens à leur place ce que redoute par-dessus tout la gent qui, du métier militaire qu’elle a volontairement embrassé, n’aime que la dorure du galon.

Le vendredi 16 juin, Louis est obligé de céder sa chambre au nouveau chef le Dr Harze.

Mon nouveau supérieur me fait d’amicales protestations. Il entend que nos rapports soient ceux d’un chef à un collaborateur, et s’adressant aux officiers que je lui présente, fait de mon individu un éloge trop flatteur.

Le lendemain, le Dr Harze répartit le travail, il s’occupera des malades tandis que Louis sera responsable des blessés. L’arrangement ne dure pas longtemps car voilà que le 25 juin, le Dr Harze doit remplacer le médecin divisionnaire parti en congé…

Je fais donc toutes les visites des blessés et fiévreux et celui des malades des yeux et des oreilles et du nez. Leclef et Nachergael eux aussi étant en congé. Ce dernier a été appelé d’urgence par sa femme pour l’aîné de ses enfants très sérieusement malade.

Le mois de juillet n’offre pas beaucoup d’autres choses que la routine. Louis note cependant dans son cahier l’observation d’un phénomène météorologique qu’il n’avait encore jamais vu. 

J’ai vu (le 11 juillet) pour la première fois des trombes. Il faisait très lourd, vers midi le ciel s’assombrit de plus en plus , vers 14 heures du côté d’Oostvleteren et à l’est vers Pollinchove de grands nuages gris foncé, tranchant sur un fond sombre se formèrent tout à coup. De ces nuages singuliers descendirent des colonnes à bouts inférieurs amincis et tendant vers le sol sans l’atteindre pendant longtemps. Ces colonnes s’étiraient et se contractaient sans beaucoup progresser. Tout à coup, l’une d’elle celles du sud pousse sa pointe vers le sol et nous voyons autour d’elle tourbillonner toutes sortes d’objets soulevés du sol, une pluie diluvienne se mit à tomber et le phénomène disparut.  

Le 31 juillet est un jour triste. Louis s’aperçoit de  l’anniversaire de son exil qu’il a commencé trois ans auparavant. Il  revoit et décrit toutes les souffrances endurées lorsqu’il quitta son foyer. 

Rien ne me laisse supposer que ce sera la dernière année. J’ai toujours présentes les circonstances de mon départ et mes adieux à maman ; J’ai mis tout mon cœur dans mon dernier baiser pressentant que ce serait mon dernier. Elle a pleuré mais comme je me suis montré ferme et rassurant, elle s’est vite reprise. Mon oncle Jean-Baptiste lui, m’a formellement prédit que je ne la reverrais plus dans ce monde. Chers vieux disparus, qui avez tenu dans nos affections les plus pures, une telle place, que doivent être ardentes vos supplications dans votre éternelle félicité. Et Marthe entourée de nos petits enfants et de nos parents, trop ahurie sous le coup de mon départ précipité pour réaliser l’horreur des conjonctures. Ah ! si elle avait pu savoir mes angoisses ; Dieu a permis que je restasse de bronze dans ce déchirement et que j’eusse la consolation et l’assurance de voir ma pauvre femme entourée de protecteurs, de conseillers et d’amis qui lui rendront les jours de guerre moins sombres.

A ce triste anniversaire  s’ajoute l’enterrement d’un de ces confrères.

La mort du jeune docteur Renard de Tournai

Un jeune médecin de dernière année de doctorat Renard, rue de Cologne à Tournai a été grièvement blessé par une balle allemande. Il revenait des lignes avancées où il était allé prendre des photos. La balle lui traversa le poignet, pénétra dans l’abdomen où elle éclata perforant l’intestin à 7 ou 8 endroits. 

Le docteur Renard avait été opéré le 28 juillet sans succès.  Son enterrement le 31 se fait en grandes pompes.

On a enterré aujourd’hui le jeune Renard. Le major Riese, le docteur Glibert, le médecin divisionnaire ont prononcé un discours élogieux, le général Drubbel a décoré le corps. Mon service m’a empêché d’aller aux funérailles. Pauvres parents. Leur fils s’est bien distingué pendant la guerre et a été proposé deux fois pour la décoration par son major. Mais étant médecin, il aura été passé outre. On juge que les médecins sont d’une essence spéciale et que les décorations ne sont pas faites pour eux. Cette appréciation de la gent militaire est dédaigneuse. Montrons-nous en flattés et retournons le trait en faisant fi de ces hochets souvent dispensés inconsidérément. Un médecin ne doit pas être enfant. Est-il besoin qu’on reconnaisse ses services par l’octroi du bijou ! Son titre de médecin vaut  plus que toutes les récompenses s’il est un médecin digne !  Chacun de nous est fier de la corporation. Son devoir, elle l’a fait superbement j’en ai été témoin. Les médecins ont d’ailleurs, après l’infanterie, payé le tribut le plus sanglant à la rage humaine, et chose remarquable, les plus remarquables ont été les médecins civils qui occupent surtout les postes avancés.

Le docteur Detournay  n’a jamais vu sa fille Louise

Le 3 août est la date  d’anniversaire de sa fille Louise. Louis ne l’a jamais vue !

Ma petite Louise a aujourd’hui trois ans. Cher petit ange qui ne pourrait pas me reconnaître que je te chéris !

L’entrée en guerre de la Roumanie suscite un immense espoir

Le 30 août, Louis n’a plus connu  depuis longtemps pareille bonne nouvelle !

Grande nouvelle qui jette la joie dans tous les cœurs et qui fait de ce jour maussade un des plus beaux de toute la guerre. La Roumanie a déclaré la guerre à l’Autriche et met à notre service ces 600.000 hommes. (…) De notre côté jamais, même au moment de l’intervention italienne, on n’a tant exulté. C’est que la fin à laquelle on aspire tous, la victoire, qu’on aperçoit encore vague dans l’avenir précipitera sa course.

Louis ne se sent pas bien

Le cinq septembre, Louis se fait visiter par le médecin divisionnaire car il souffre des genoux.

Peut-être et à regret solliciterai-je un poste dans un climat sec. Je n’oserais jamais écrire cela à Marthe. Sans doute quelle souffre aussi de son infirmité et je ne suis pas là pour lui prodiguer mes soins.

Louis est muté à Valloire


Valloires – Sur les marches de la porte d’entrée principale

Le 15, il sollicite d’être affecté à un poste dans un climat chaud et sec. La décision tombera deux mois plus tard le 9 novembre et trois jours après Louis fait ses adieux avant de rejoindre son nouveau poste à Valloire.

J’ai été hier prendre congé de mes confrères de la division, du médecin de régiment Dupont de la 2ème S.H à Leysele et de son personnel. Du docteur Drousie à l’H.E d’Isenberghe. Du vicaire Braset, de la famille Baes à Isenberghe. Je retire de mon bagage à Isenberghe quelques objets que j’emporterai à Valloire ; du médecin de régiment Bastin de la 1 S.H à Ghyverinchove. Je vais aujourd’hui dîner à notre quartier général, invité par le médecin divisionnaire et prendrai congé du général et des nombreux amis que j’y ai. Tous me témoignent beaucoup d’attention et de regret de me perdre. Le médecin divisionnaire me dit au moment de mon départ, qu’il perd en, moi le meilleur élément de sa division et de son service et me souhaite d e réussir dans mon nouveau poste. Tous les officiers, Cambier du génie, Lavaillable du C.tr., Degend de l’E.M. me marquent beaucoup d’amitié. Le colonel Lavaillable m’offre sa voiture automobile qui me prendra demain matin à Linde pour me conduire à Dunkerke. Je quitte le quartier général avec Lavaillable et vais avec lui visiter les ruines de Reminghe et rentre à 7 heures à Linde. Je passe ma dernière soirée avec Franck. Le 13 novembre, je me rends dans mes salles et y fais en français et en flamand un petit discours d’adieu à mes malades. Puis de même au bureau je prends congé du personnel infirmier, puis à la salle de garde je reçois les vœux de tous mes officiers médecins et pharmaciens .Le capitaine pharmacien Vanderlinden au nom de tous me dit tout le bonheur qu’ils ont eu de vivre avec moi. Je leur réponds tout ému, triste sincèrement de les quitter. La voiture est là, je vais chez l’ami Franck et je prends congé de lui. Voilà deux ans que nous vivons ensemble, aussi ce brave père de famille pleure-t-il en me serrant la main. J’abrège car je me sens moi- même touché de mon émotion et saute en voiture et je pars vers l’inconnu.  

 Le mercredi 14 arrivée au soir à Valloire. Louis fait la connaissance de l’ancien chef deValloire, le Dr Dejardin. A 10heures messe solennelle, c’est la fête du roi. Te Deum. Mr Dejardin prend congé des malades réunis au réfectoire puis du personnel subalterne ; il me reste l’impression que le docteur Dejardin était aimé de tous. Quoique non pratiquant, le docteur Dejardin est dans les meilleurs termes avec le curé qu’il estime beaucoup, pour ses idées larges et ses allures dégagées et bonhommes. Le Major nous quitte définitivement à 13 heures pour rejoindre la 2ème S.H à Leysele. Je fais de plus ample connaissance ace le personnel. Le gestionnaire, capitaine pensionné Maréchal, autrefois au 12ème d e Ligne a repris du service actif au début de la guerre et possède toute sa famille à Buire le Sec, à 5 kilomètres d’ici, il rentre en famille tous les soirs, il m’a été vivement recommandé par Mr Dejardin. Le pharmacien Schoenmacker célibataire 28 ans est très lié avec Mr Dejardin. L’aumônier abbé Cornil du diocèse de Tournai et originaire de La Louvière, 33 ans plaisait beaucoup à Mr Dejardin. Je prends possession de mes appartements, ce sont ceux de l’évêque d’Amiens, c’est-à-dire qu’ils sont vastes et ont dû être somptueux, mais les liquidateurs ont dû les ravager et en enlever des marbres et des sculptures de prix. Je passe mon temps à vider mes coffres.

Description de Valloire et de sa chapelle

Valloire dépendant de la commune d’Argoules, (400 habitants) département de la Somme, sur l’Authie est un endroit tr ès pittoresque et qui dit être charmant dans la splendeur de l’été. Site très accidenté, industrie agricole exclusive, on y cultive le froment et la betterave. Le pays  est humide et peu fertile, d’ailleurs infiniment plus mal cultivé que le nôtre, qui m’a toujours paru être un des mieux exploités  qui soit. L’abbaye de Valloire date du 18ème siècle, isolée de 1 à 2 km de toute agglomération est bâtie sur un coteau vers l’est et descendant ers l’Authie qui coule à 800 mètres d’ici. C’est un vaste bâtiment sans style, d’aspect massif à un étage, bâti de pierres crayeuses et de briques cuites. La chapelle est ce qu’il y a de plus remarquable, elle est surmontée d’une tour qui domine tout le reste et possède à l’intérieur des orgues magnifiques. Celles-ci sont en vieux chêne tout sculpté par un moine autrichien, en Louis XV et d’un goût exquis. Elles ont sûrement 15 mètres de haut et un majestueux David la harpe en main couronne ce meuble somptueux. Le jeu des orgues de Valloire est moelleux et puissant mais hélas il fut dévasté par l’abandon et quelques dégradations non réparées. Une grille sépare le vaisseau de transept elle est en fer forgé et œuvre des moines .Elle est superbe, haute de 7 à 10 mètres et de toute la largeur de la chapelle. Il faut la voir à distance pour goûter le charme de ces couches gracieuses et si harmonieusement ordonnées. Du plafond de transept pend un lustre lampadaire en fer forgé soutenu par un câble lui-même tenu par deux anges aux ailes déployées et de grandeur naturelle, c’est du meilleur effet. Les boiseries des confessionnaux et des stalles du choeur sont moins richement sculptées que les orgues par le même moine autrichien. La salle de chapitre est toute lambrissée du vieux chêne Louis XV bien fouillé. Autour de l’abbaye court un mur de trois mètres de  haut en pierres crayeuses englobant un vaste domaine de 15 à 20 hectares  en partie boisé. Le reste est prairie, verger, potager. Le bois très sauvage est mal entretenu est ma promenade favorite. Il n’y a que dix ans que les moines furent chassés d’ici par un gouvernement sectaire et les ruines et la dévastation ont déjà commencé leur œuvre. L’enclos seul a été vendu pour la somme de 60.000 francs. La chapelle et ses trésors d’art ont été réservés. Avec les moines sont partis le bien-être et la moralité des habitants. La plupart des bâtiments sont occupés par nous. Ils ont été mis gracieusement à la disposition du gouvernement belge. Sous les combles sont remisées les richesses artistiques enlevées de nos églises de Flandres et soigneusement étiquetées. Les quatre grands couloirs de l’étage sont nos dortoirs. Dans les chambres logent les officiers. Nous pouvons hospitaliser 300 malades. Nous en avons d’ordinaire 120 à 150. Je reçois l’après-midi la visite du colonel Huger des lanciers anglais et du médecin de régiment Storey qui désirait voir la chapelle. Le colonel met à ma disposition un de ses chevaux de promenade et m’invite à dîner samedi à 19 heures. Le régiment a combattu sous Ypres et dans la Somme et cantonne ici pour se refaire. Il a été fortement éprouvé en Somme où il a perdu 14 officiers.

Dimanche 19

J’ai été dîner chez mes voisins anglais du 16ème lancier. Réception courtoise et fraternelle

Visite au château de Petit Préaux

Je retrouve quelques officiers du 16ème lancier qui sont ses hôtes, je veux dire qu’ils cantonnent  ici .Mr de Drance, 35 ans, mobilisé comme père de cinq enfants fait son service à l’arrière.. C’est un gentleman farmer peu fortuné mais qui un jour héritera de son père qui demeure près d’ici à Maintenay. Madame de France, dame superbe de 30 à 35 ans ; mère de famille et bonne chrétienne, bâtie en robuste flamande. Mr le curé d’Argoules est des convives .Je suis en relation d’affaire avec le château  qui nous fournit la grande partie  de notre lait. Nous revendons nos déchets de cuisine. Petit Préaux est à vingt minutes d’ici.

Messe macabre à Saulchy

Le 17 septembre messe à l’église de Saulchy à 1/2h d’ici ; c’était le salut. Le curé fit une longue lecture aux dix personnes présentes, lecture de guerre, histoire d’un prêtre soldat qui a perdu un oeil. Cela traîne pendant des pages pour aboutir à l’opération devenue nécessaire de l’enlèvement du deuxième œil ! Certes le patient fait preuve d’une chrétienne résignation, mais pareille lecture en chaire ? Il paraît que cela est à la mode dans ce pays et que les gens  n’écoutent plus les sermons. L’état moral et religieux des populations est lamentable. Ah ! notre Belgique, notre pays de Charleroi lui-même est à cent coudées de ce peuple.

25 décembre pensées de Noël pour sa famille

Petit Jésus est passé ce matin et a laissé des traces sur le lit de Louise, de Cécile, et d’Agneau. Marie-Josèphe est déjà si grande ! Il n’apporte pas encore la paix au monde mais il la verse à flots dans nos cœurs. Je l’ai reçu ce matin à la Sainte Table et je l’ai tant prié pour que son règne arrive, son règne de paix et d’amour sur les hommes de bonne volonté. Qu’il daigne réaliser les espérances qui viennent d’éclore en moi : une paix prochaine et durable. Il peut tout lui, roi du ciel et maître souverain des rois et des peuples .Que d’ardentes prières je sens monter de vos lèvres chère Marthe et de celles de nos enfants, elles sont parties du même divin banquet ce matin et ont ensemble atteint le cœur compatissant du Jésus de Bethléem. Nous fêterons ensemble le prochain Noël !

Le 31 décembre 1916

Bénissez-moi Seigneur et bénissez ma chère Marthe et nos petites filles. Gardez-nous tous pour votre service et pour notre salut commun. Faites qu’il me soit donné de les revoir et de les presser bientôt sur mon cœur. Que nous nous adorerons et bénirons ce jour-là. Ma douce Marthe mon aimée il est dix heures, tu dors déjà à cette heure  et sans doute Marie-Josèphe est à tes côtés dans notre grande chambre si gaie si ensoleillée. A deux pas, Agnès, Cécile et Louise dorment du sommeil de l’innocence. Peut-être aussi le jour étant une étape marquante du temps, auras-tu prié plus ardemment avec Marie-Josèphe avant de fermer tes yeux. Moi aussi je suis plus fervent aujourd’hui mais j’achève seul ma prière et le vent qui hurle dans les combles de l’abbaye  répond à mes supplications

Les visites protocolaires aux voisins

1er janvier 1917

Mon adjoint, et ami Joseph Raveschot m’a réveillé ce matin en me faisant ses souhaits .Visite au curé d’Argoules. Dîner un peu plus solennel.


Eau forte - L'abbaye de Valloires

Visite à Mr et Mme de France et aux officiers du 16ème lanciers. Je vais souper ce soir à la cure  de Maintenay avec notre aumônier.

Mercredi 3 janvier

Je suis rentré cette nuit à minuit et demi de Maintenay. 35 minutes de marche. Ma soirée d’hier a été délicieuse .Nous avons été reçu somptueusement par les officiers du 5ème lanciers. L’aumônier a été invité par le colonel à bénir le dîner (cuivres et violon). On clôtura par la Brabançonne, la Marseillaise (il y avait un invité français, Mr Aubrian, percepteur des contributions à Maintenay) et le God Save. On passa au fumoir. Où l’on prit le café et fuma d’excellents Havane et où l’on raconta quelques histoires plaisantes. Le docteur anglais contait en français et moi en Anglais ; nous eûmes assez de succès.

Jeudi 4 janvier

Promenade  à  pieds avec le capitaine Maréchal et visite à Maintenay au receveur des contributions avec lequel le capitaine m’a conseillé de nouer des relations. Monsieur et Madame Obré  et leur fille me reçoivent aimablement et s’offrent à me procurer toutes sortes d’agréments, chasse et pêche.

Visite à la colonie belge de Montreuil

Lundi 15 janvier

Voyage à Montreuil (Pas de Calais). Le médecin belge Joulet de Liège nous fait prendre une auto pour assister à une opération, puis me retient à déjeuner.  L’établissement est un ancien couvent de chartreux dans lequel le gouvernement belge a installé une colonie de réfugiés. Il s’y trouve donc des Belges de tout âge, la plupart du pays de Flandre occidentale. Il y a plus de 100 enfants en âge d’école qui reçoivent l’instruction dans leur langue. La colonie comprend 88 Belges et le docteur Joulet est le directeur.

L’anniversaire du docteur  et une  séance de cinéma offerte par les Lanciers anglais.

Le lieutenant Franck passe quelques jours à Valloire chez son ami. Il visite les services de l’hôpital.

J’ai aujourd’hui 45 ans. Au moment du dîner, tous mes officiers réunis me reçoivent au réfectoire et en leur nom Joseph Raveschot mon adjoint et ami  me présente des souhaits d’heureux anniversaire, m’offre un bouquet et un banquet fraternel. Cette petite surprise m’a beaucoup touché. Après-midi je vais à Maintenay avec Franck faire visite au colonel du 5ème Lanciers. Ce monsieur m’offre demain une séance  cinématographique pour nos malades. Il fera prendre en camion ceux d’entre eux qui ne pourront marcher.

Anniversaire de Marie-Josèphe : un espoir déçu

Samedi 3 mars

Louis avait espéré mettre ces deux grandes filles à Olney en Angleterre chez les sœurs. Il semble bien que sa proposition ne fût pas acceptée par son épouse ou qu’elle se soit révélée trop compliquée à mettre en œuvre.

Marie-Josèphe a aujourd’hui 9 ans. Où est-elle ? Que fait-elle ? Quel regret j’éprouve de n’avoir pas pu l’amener en Angleterre avec Agnès. J’aurais pu surveiller son instruction et j’eusse été sûr de son avancement.

Mort d’Emile Boval

Ce 19 mars. Emile Boval  est mort subitement au Havre. Pauvre ami ! Il s’est surmené dans le poste important qui lui était confié au ravitaillement des cantines des hôpitaux et des fournitures d’articles de bureau. Il m’a écrit il y a trois mois, j’aurais voulu le revoir !

Pêche aux brochets

Ce 20 mars, depuis quelques jours, avec la permission du propriétaire je vais pêcher dans une vieille tourbière sur la rive droite de l’Authie. J’ai déjà pris 8 brochets qui servent à améliorer notre ordinaire.


L’Authie

Nouveau Noël après de longs mois de silence

Pourquoi ai-je été si longtemps muet. J’en ai du remords (…) Me suis-je laissé aller au gré du temps sans rien retenir de ces secousses ? Il y a peut-être ici une part de vérité. La résignation, un peu de fatalisme m’ont pris et m’ont durci le cœur et émoussé le sentiment pour ce qui ne vous touche pas de près, ô mes biens aimés et la vie ici est si égale que j’en suis comme engourdi.(…) Et chaque jour qui passe et qui allonge notre séparation est comme un chaînon nouveau ajouté à nos liens de cœur pour en fortifier l’union et en resserrer l’étreinte. Notre amour est à l’épreuve du temps et de l’éternité, car sa source n’est pas de ce monde et est intarissable.

Les richesses du  potager de Valloire

Pendant toute cette saison, je me suis occupé spécialement de la mise en rapport de notre vaste potager. Les connaissances de jardinage acquises avant la guerre me furent de grand profit. Aucun de mes officiers n’avait de compétences en cette matière et il est certain que si je  n’avais pris cette partie en mains, on n’y aurait beaucoup perdu. J’obtins de superbes résultats malgré le temps très défavorable, ce que se plaisaient à constater de nombreux visiteurs. Légumes superbes, et tabac excellent ! Je faillis avoir des difficultés avec le fisc français qui averti par lettre anonyme me fit prier par trois inspecteurs de vouloir bien détruire ma récolte. Mais celle-ci était séchée ; je pus sans peine la soustraire du désastre par un petit jeu diplomatique. Ces messieurs se laissèrent convaincre sans trop de peine que 300 plants de tabac, destinés à être fumé par des Belges ne pouvait en aucune sorte nuire au trésor français.

Nos récoltes donnèrent partout satisfaction : 25.000 poireaux, 3.000 choux, salades, carottes et oignons, pommes de terre etc.   

Jusqu’en septembre, je n’eus à soigner que des malades ou des blessés convalescents évacués de l’année de campagne. Pour des raisons d’économie on vint à décider la suppression de nombreux hôpitaux de l’arrière .Un rapport que je fis, sur les heureux résultats de nos travaux de jardinage au point de vue économique et thérapeutique sauva Valloire. J’avais souligné quel bien moral les hommes retiraient d’un travail modéré au grand air et j’avais de notables exemples à citer ; d’hommes qui, arrivés à Valloire se montraient indisciplinés par désoeuvrement et ennui, et qui bientôt occupés à des travaux au jardin, y prenaient un tel plaisir, qu’ils pleuraient amèrement quand leur rétablissement m’obligeait à les renvoyer au front. Je suis porté à croire que ce rapport attira l’attention de mes chefs car on m’annonça que Valloire serait maintenu mais qu’on l’affecterait à des malades nerveux. J’aurais aussi à voir s’il ne serait pas possible d’étendre l’exploitation agricole en louant dans le voisinage des terres en jachère. Ce sera à voir.

Le 4 octobre arrivée de 150 patients nerveux ou mentaux à Valloire

 Le 4 octobre, on m’adressa un contingent de 150 hommes nerveux ou mentaux. Quelle journée ! Quelle désillusion ! Etait-ce donc des fous, des bandits, et espérait-on que j’allais tirer parti de ces malheureux. Hier encore je faisais de beaux rêves. Valloire et Argoules allaient devenir des exploitations modèles, j’allais réaliser d’immenses bénéfices, j’allais montrer aux indigènes de la Somme ce que les Belges savaient tirer de leur sol si mal cultivé et pourtant fertile. Les bras me tombèrent de découragement. Mouvement de faiblesse que je me reproche et qui m’étonne, jamais les enfants ne vous y laissez aller et dites-vous toujours qu’on peut tirer quelque chose de toute situation. Et même qu’échouer devant l’obstacle rapporte le très grand profil moral d’avoir osé et de n’avoir pas douté de soi. Sans doute, quand il vous est permis de choisir d’accepter ou de refuser une entreprise, il faut l’étudier, peser les circonstances, car la prévoyance et la sagesse, attributs précieux de la raison, vous diront qu’il ne faut pas tenter d’escalader le ciel, mais qu’une affaire vous soit imposée ne dites pas qu’elle est impossible à première vue si elle vous parait difficile. Tant mieux si elle exige de vous volonté, audace, et activité, car l’échec lui-même, indépendant de vous, vous laissera plus grand et plus fort. J’essaierai donc de faire pour le mieux, et l’on verra bien.

Des vols à Valloire

28 décembre. J’ai passé une bonne partie de la journée à enquêter à propos d’un sac de farine qui nous a été volé.  Le 26 j’ai reçu l’auditeur militaire qui est venu enquêter à la suite d’un vol d’effets militaires que j’avais découvert. Car il faut dire que la catégorie de malades que j’ai à traiter renferme de nombreux éléments peu honnêtes. Je suppose qu’ils auront été habitués antérieurement à une discipline très relâchée et auront pris de mauvaises habitudes. Il en est toujours ainsi. Porté par son instinct vers le mal l’homme s’y laisse aller avec complaisance quand l’autorité fait défaut ou que la volonté de se vaincre ne joue pas. Mon devoir étant de maintenir la discipline je dois bien sévir et réprimer. Les éléments dont je disposais jusqu’ici ne me permettaient pas de le faire avec succès, car il me manquait la force armée et mes gens étaient terrorisés et n’auraient osé me prêter main forte, et devant un échec j’ai souvent fermé l’œil. Mes supérieurs mis au courant de la situation m’ont envoyé six gendarmes et un nouveau médecin, j’aurai bientôt un personnel infirmier spécial et l’on va me construire 4 salles de détention nouvelles .Vous voyez où j’en suis ! La nuit il arrive que l’on vient sous mes fenêtres crier « a mort » mais le lendemain je passe bien calme au milieu des déchaînés et ils sont doux comme des agneaux et mon assurance leur impose. Dès ce moment je pourrai essayer de « serrer la vis » ce qui veut dire réprimer les écarts.

Révolte à Valloire

29 décembre. Grand émoi aujourd’hui à Valloire. Rencontrant vers 11h30 deux hospitalisés porteurs d’énormes gourdins, je les invite à me les remettre. Ils s’y refusèrent et s’enfuirent à l’étage. Accompagné de deux gendarmes, car on m’en a donné six, je les y suivis et ordonnai aux gendarmes de les conduire au cachot. Ce fut fait. Mais les 200 autres s’étant concertés se partagèrent en deux bandes et l’une d’elle força le cachot, délivra les détenus pendant que l’autre poussant des clameurs de sauvages vint assaillir la porte des cloîtres et la défonça. Derrière cette porte, les gendarmes, la carabine à la main, attendaient. Je me précipitai au devant des émeutiers et à force d’exhortations pus éviter une effusion de sang. Les gendarmes furent admirables de bravoure et de calme, mon personnel pitoyable. Trois hommes seuls étaient à mes côtés. Le chef des gendarmes me déclara qu’il aurait pu maîtriser les rebelles mais au prix d’un massacre. Cette scène exigera de nouvelles mesures et j’en ferai rapport.

31 décembre. Mon adjoint est lamentable. La scène de samedi l’a anéanti ! Pauvre garçon, il n’a jamais eu l’étoffe d’un soldat, il est victime de son éducation première dont les femmes surtout se sont occupées. Il est décidé à solliciter son changement ne pouvant plus  supporter le spectacle de ces déchaînements.

Louis est nommé major

Après ces durs moments, Louis entame 1918 avec courage. Il a reçu des encouragements car il vient d’être décoré de la croix de guerre et de celle de chevalier de l’ordre de la couronne. Fait très exceptionnel fin de l’année 1917, on le nomme major en dépit des règlements qui interdisaient ce grade aux officiers de réserve. Le général Thooft, commandant de la place belge de Calais vient lui même à Valloire, annoncer cette nouvelle à Louis.

Le premier janvier, Louis effectue ses visites protocolaires.

J’ai fait des visites le jour de l’an chez Monsieur Robert de France à qui j’avais demandé la permission d’offrir à ses enfants un cadeau de Noël, pour voir un sourire d’enfant. J’ai dîné chez Mr Obré où je reçois toujours un accueil très amical. J’ai visité ensuite Mr le baron de France dont j’ai soigné les filles, puis le Père Belpaume à Soulchay puis Mr le curé d’Argoules qui va me loger bientôt. En qualité d’officier supérieur, je devrais payer 2 francs par jour pour ma chambre) Valloire, alors que jusqu’ici j en payais qu’un franc. Je trouve avantageux de prendre mon domicile ailleurs quoique mon confort doive en souffrir

Louis loge chez le curé

J’ai logé à la cure d’Argoules pour la première fois le deux janvier, jour où j’ai été avec la famille de France le commensal du pasteur à dîner. J’ai un lit excellent où j’enfonce, dans une grande chambre de dix mètres carrés regardant au sud. J’ai un poêle qui la chauffera facilement quoique à faible tirage. Toute l’ordonnance de ma vie sera bien modifiée. Je déjeune dans ma chambre puis me rends à Valloire à 14 minutes d’ici. J’y travaille, y dîne, y prends mon courrier et reviens ici pour mon souper. J’ai ici du pain, du beurre, des œufs, des confitures dont je me suis approvisionné pendant l’été, un filtre et je prépare moi-même mes repas ce qui est pour moi une petite distraction.

Le personnel de nouveau terrorisé par les malades

Jeudi 10 janvier

Il dégèle sans pleuvoir. Le vent souffle du sud-ouest et ce soir il ne reste que peu de neige. Hier soir mes fous ont forcé une fenêtre de la boulangerie et y ont volé 20 pains. J’ai sollicité de pouvoir faire un voyage à Château Giron, maison aménagée pour mentaux et j’attends anxieusement réponse. Mon personnel, à part 3 ou 4 hommes, est terrorisé.

Les conséquences de la révolte du 29 décembre

Mardi 15 janvier

J’ai toutes sortes d’ennuis. Le 29 décembre 1917 mes fous s’ameutèrent parce que sur mon ordre on avait mis au cachot l’un des leurs qui, la veille, avait refusé de me remettre un gros bâton dont il était porteur. On alla cueillir l’individu au dortoir avec les gendarmes et ce fut le signal du tumulte. Il était midi environ, j’étais au mess avec les autres officiers prêt à me mettre à table quand un tintamarre horrible se déchaîna accompagné et renforcé de coups sonores comme des coups de eu du côté du vestibule. Je sors à la hâte et trouve devant moi six gendarmes la carabine à la main et un autre arc-bouté contre la porte des cloîtres pour l’empêcher de s’ouvrir sous la poussée des émeutiers. J’ordonnai d’ouvrir un battant et me mis au travers du passage. J’avais devant moi 60 déchaînés tout ahuri de me voir leur tenir tête. Je tâchai à les calmer du geste et de la voix. Au bout de 15 à 20 minutes la tempête s’apaisa. De tout mon personnel le gestionnaire Marchal et le médecin Simon parurent à mes côtés et m’aidèrent. Un seul sous-officier de tout mon personnel et ils étaient 13 se fit voir. Je fis rapport aux autorités en signalant le manque de décision de mon personnel. En suite de mon rapport le médecin général vint enquêter et de graves punitions furent infligées au pharmacien J.., au lieutenant D…et à quatre sous-officiers. L’enquête menée par le général Wilbin dura deux jours et demi et mit tout le monde sur les dents. Tout ce qui arrive doit être attribué à la lenteur qu’on apporte à aménager l’établissement pour les malades qu’on y reçoit, et à me fournir le personnel propre et suffisant pour les garder. Je dois diriger l’établissement avec beaucoup de tact. Je ne puis punir, n’étant pas sûr de pouvoir tenir  les délinquants sous les verrous et je dois veiller à maintenir la discipline.

Le temps passe, les choses ont l’air de s’arranger à Valloire  car  Louis  ne parle plus de ses malades !

Le 3 mars il pense particulièrement à sa fille aînée

Anniversaire de sa fille aînée


Marie-Josèphe, 1908 – Cécile, 1911 – Louise, 1913 – Agnès, 1909. Photo prise en 1917.

Marie-Josèphe a 10 ans aujourd’hui. Mon grand loup te verrai-je à ton prochain anniversaire ! C’est toi qui aura le plus souffert de mon exil car tout à coup tu as été privé de caresses de ton papa. Plus de jeux, plus de promenades, plus d’exercices, plus de chevauchées à bicyclette ou en moto. Et non plus  de leçon, plus de direction mais au moins tu as une vaillante maman que Dieu aide et dont tu fais la joie par ton obéissance et l’exemple que tu donnes à tes petites sœurs.

La mort de Georges Letellier

Un peu plus tard Louis est saisi par l’émotion quand il apprend à quelques jours d’intervalles des nouvelles de son ami Georges Letellier.

11 mars. Reçu réponse de Georges Letellier, ah ! le brave cœur ! Il rentrait fourbu des tranchées quand on lui a remis ma lettre. Il fut tellement transporté de joie qu’il en oublia toutes ses fatigues.

Vendredi 15 mars. Affreuse nouvelle ! François Durieux m’apprend que Georges Letellier a été tué d’une balle à l’œil. Pauvre mère ! J’aurai à lui remettre les quelques lettres de son fils si affectueux. Ce seront d’attendrissantes reliques. Je bénis le ciel de m’avoir inspiré de lui écrire les nouvelles rassurantes sur le sort des siens que m’a communiquées Mademoiselle Cuingnet . Le cher et vaillant soldat aura eu par moi quelques derniers jours de joie bien pure. La guerre fauche les meilleurs.

La dernière offensive allemande

Vendredi 29 mars. Les Allemands sont à 29 km d’Amiens. Ils avancent encore tous les jours mais moins vite cependant. La résistance est héroïque et acharnée. Amiens est évacué. La population des nouveaux pays conquis par l’ennemi reflue jusqu’ici. Je reçois l’ordre d’évacuer  d’ici sur Soligny la Trappe et Auvilliers la Guéronde 129 de mes malades les plus valides. La nouvelle se colporte dans le pays et y sème l’émoi.

Samedi 1er avril. Temps superbe ici. On a organisé une petite fête à Valloire. Quelques civils y ont assisté. Elle a marché à souhait. Des Anglais venus du front de bataille sont venus ici se refaire de leurs fatigues.

Un renfort bienvenu pour maintenir la discipline

Mercredi 3 avril. Ce matin arrivent du camp d’Auvours 40 soldats armés et équipés  qui aideront au service de police. Je les logerai provisoirement dans la grange qui est isolée dans la prairie.

Merveilleuse visite d’une gaurinoise, mademoiselle Cuingnet

Lundi 8 avril. J’arrive à Conchil à 9 heures. Il y a quelqu’un qui m’attend à l’usine, une dame. Mon cœur bat vite. Elle se lève à mon entrée, on nous laisse seuls. « Mademoiselle c’est moi qui suis le docteur Detournay, un léger mouvement de déception, vite dissipé, elle enlève son chapeau et demande à m’embrasser pour tous ceux dont elle porte les messages d’affection. Elle me croyait bien plus grand et plus gros me dit-elle. Elle m’assure que j’ai maigri depuis que j’ai fait ma photo parvenue à Gaurain et puis Agnès  lui a dit au moment de son départ de chez nous : « Tu verras comme mon papa il est grand ! »  Je m’assieds près d’elle et l’écoute, quel charme, je n’ai pas à l’interroger. Elle sait quoi me dire et me fait passer les plus belles heures que j’ai connues de la guerre.  Nous partons pour Valloire, son couvert est à notre table et c’est elle qui donne à mes officiers des détails très intéressants de la vie en Belgique. J’ai pris des dispositions pour son séjour ici. Elle ne partira que samedi, logera dans ma chambre au presbytère, y déjeunera et y dînera. Je viendrai la rejoindre les après-midi. J’arrive à la cure, nous en saluons tous les habitants, puis montons à ma chambre où tout à fait seuls, elle dit, raconte et répond aux plus pressées de mes questions .On soupera chez moi en tête à tête. Elle redescend causer avec le curé pendant que je prépare notre plantureux souper ; elle remonte et à table ! Le curé la suit presque. Pauvre petite, elle ne paraît pas avoir un bien grand appétit. Le curé ne nous quitte pas, ce qui fait que la soirée est un peu gâtée. Je pars à 23 heures.

Grande est la joie de Louis ! Après trois ans et demi d’absence de son pays voilà enfin quelqu’un avec qui partager les nouvelles de la famille autrement que par écrit ! Difficile pour nous d’imaginer cette joie pour nous qui sommes déformés par la facilité avec laquelle nous entendons nos proches grâce au téléphone et GSM !  A travers la   joie immense de Louis nous entrevoyons aussi tous les sacrifices  entraînés par la longue séparation d’un homme avec sa famille !

Le 9 avril, Louis malgré le temps détestable se rend avec mademoiselle Cuingnet au cimetière d’Argoules où quatre Belges reposent. Le 10 avril, c’est la photo dans le jardin de la cure puis une visite chez la famille Obré. Le jeudi 11, journée  d’excursion durant laquelle  Louis ne se lasse pas d’écouter sa visiteuse. Quels récits ! Des détails adorables. Je revis leur vie là-bas.

Le vendredi Louis fait visiter à mademoiselle la chapelle de Valloire et on refait une photo chez le curé car la première est ratée. Derniers récits et répétitions de tout ce qu’il est encore possible de dire. Mademoiselle Cuingnet quittera Valloire le samedi. Louis avoue avoir passé là la plus délicieuse semaine de tout son temps de guerre.

Le 23 mai  Louis doit quitter le presbytère D’Argoules car la chambre est réquisitionnée par l’armée anglaise. Louis trouve à se loger à cent mètres de la cure dans un réduit autrefois occupé par un jeune horloger sous les drapeaux.

Il est infect mais nos hommes du génie et mon fidèle ordonnance Collard en ont fait un gentil boudoir bien solitaire et isolé ; c’est une vraie cellule d’ermite. Je n’y gênerai personne. J’ai quitté le presbytère d’Argoules sans trop de peine. J’ai eu souvent lieu de constater que je gênais mes hôtes malgré l’attention que j’apportais à ne pas me faire sentir£. Mademoiselle L. sœur du curé était particulièrement grincheuse, et beaucoup d’autres que moi, n’auraient pu faire chez elle un séjour de huit jours. Le curé ne m’a pas paru non plus un modèle de patience. Décidément plus je vais et plus je constate combien notre clergé du diocèse de Tournai l’emporte sur celui de France.

Le 7 juin. Le docteur Raveschot  est muté à Dinard. Il est remplacé par le docteur Berte de Roebecq.  

Les mois suivants sont plus calmes. Après le travail à l’hôpital, il y a  pour distraire Louis les visites à ses amis. En été il prend l’habitude d «’aller se baigner dans l’Authie  avec le frère Timmerman (Jésuite)

Le 24 août, il reçoit une magnifique photo de ses enfants  via un soldat belge de Gaurain  prisionnier en Hollande (Mr Hornebecq). En lisant la lettre qui accompagne la photo, Louis découvre pour la première fois  l’écriture de Marie-Josèphe

4 septembre : Louis assiste comme témoin aux noces de Fernand Tangre (il ne précise pas si c’est un Belge infirmier ou un Belge réfugié) avec une fille du pays Madeleine Pecquet fille de l’instituteur de Petit-chemin (Argoules).

Le 16 septembre. Visite du Général Wibin à Valloire. On annonce à Louis qu’il va devoir évacuer tous ses  « nerveux » vers Soligny La Trappe pour recevoir les « dysentriques ».

Le 22 septembre, c’est au tour du général Thoft de visiter Valloire et de se montrer satisfait. Louis a porté la capacité de l’hôpital à 400 lits.

Mort du Dr Gouban de Neuville. 

Mardi 24.

J’ai fait visite à la jeune veuve à Montroeuil. Elle a pu assiter son mari pendant ses  derniers jours. Gauban, il y a trois semaines avait fait visite à sa femme qui était allée faire ses couches en Bretagne  il y a trois mois ; 2 jours après son retour à Montroeuil, il s’était senti plus souffrant et avait dû s’aliter. Son état s’empira sans cesse jusqu’au 21, jour de sa mort. Il fut emporté par la fièvre typhoïde contre laquelle il avait négligé de se faire vacciner.  A 10 heures, funérailles et discours par le Dr Joulet. Je rentre à Valloires en auto à 12h1/2. Nous avons reçu ce matin 200 convalescents de dysenterie et avons reçu ordre d’évacuer ce qui nous reste de nerveux.

Mercredi 25

On nous annonce pour demain l’arrivée de 250 malades. C’est l’encombrement en plein. Je dois déjà évacuer des malades que je viens de recevoir pour faire place aux nouveaux car je ne saurais hospitaliser convenablement plus de 421 hommes.

La grippe de Louis

Le 14 octobre Louis est atteint par la grippe. Il remet son service au médecin de bataillon Berte et restera fiévreux jusqu’au 27

La fin de la guerre

Louis se tracasse du sort des siens durant la libération de la Belgique.

Dimanche 10 novembre

Je suis à leurs côtés, dans la cave peut-être où ils recherchent un abri et qui sait, loin peut-être à l’arrière chez l’étranger, en exil. J’apprends pendant la journée que Warchin et Antoing sont tombés, Vaulx de même. On marche donc sur Gaurain. Il me reste l’espoir que les Allemands poussés de toutes parts ne pourront s’arrêter sur une position voisine et qu’ils précipiteront leur retraite.

11 novembre :

J’écris à l’inspecteur général du service d’être affecté à l’hôpital de Tournai.  (...) Que les heures sont longues !

12 novembre.

Le colonel anglais m’a fait gracieusement tenir les clauses de l’armistice. A midi, j’ai fait rassembler tout le personnel et les malades. J’ai fait apporter notre glorieux drapeau, j’ai lu les clauses de l’armistice, ai adressé une patriotique allocution à notre troupe, puis ai prescrit le service de dimanche.

14 novembre

Rien encore de Gaurain

16 novembre

Le sergent Gabriels me presse de le laisser partir. Je le sais débrouillard et comme je puis de mon autorité seule le lui permettre, je me hasarde à lui accorder un congé pour Lille. Je le charge d’importantes missives. 1° d’aller à Gaurain et d’y remettre le premier volume de mon journal de campagne, d’y raconter les détails de notre vie et de me rapporter sans tarder des foules de détails et des lettres et des photos…

17 novembre

Messe à 10 heures à Maintenay. L’église est assez jolie et c’est la première fois que j’y rentre. Note aumônier officie et y lit une lettre pastorale de l’évêque d’Arras .Il y est dit que c’est depuis que des prières publiques ont été prescrites en Angleterre, Amérique et en France par les autorités civiles qua la victoire s’est déclarée pour nous ! Pour l’Angleterre et l’Amérique, il est bien vrai que le roi Georges et le président Wilson ont prescrit des prières, mais jamais les autorités gouvernementales ne se sont immiscées dans le spirituel, seul le clergé français a recommandé notre cause aux prières de ses fidèles.  Notre aumônier à l’occasion  du te deum du 15 écoulé, nous a lu une lettre de l’aumônier divisionnaire où il était dit que c’était les prières qui avaient forcé la victoire. Ce passage fit mauvaise impression sur les officiers qui étaient présents et dont la foi religieuse est peu vive si tant qu’ils en aient. Je partage un peu leur mécontentement (…).

Louis ne reçoit toujours aucune nouvelle de Marthe ! Qu’ils sont durs aussi ces jours qui suivent l’armistice !

20 novembre

Mes projets de retour sortent de l’imprécis. J’ai décidé de partir d’ici le 2 ou 3 décembre. Il me serait difficile de partir plus tôt et cette date me permettrait de fêter St Nicolas avec mes chères petites.

Ici s’arrête le carnet de guerre de Louis. Il nous reste à imaginer son retour à Gaurain début décembre. En janvier il dut retourner à Valloire. Marthe et ses deux filles aînées l’accompagnèrent. Louis loua pour deux mois une maison à Argoules.  Marthe fut tellement choyée par tous les amis du village qu’elle eut une crise de foie telle que jamais plus de sa vie on ne la vit manger un morceau de chocolat. Une cinquième fille Thérèse naquit en septembre 19. Une sixième Lucie en mai 21. Le docteur Detournay dut accompagner l’armée en occupation en Allemagne. C’est pendant son séjour là-bas que Thérèse contracta à Gaurain une diphtérie qui lui fut fatale. Chagrin immense du papa qui n’avait pas été là pour la soigner ! 

En octobre 23 une 7ème fille naquit et fut prénommée Thérèse. En août 1925 naquit un fils Ignace qu’il avait toujours espéré. Ce petit garçon mourut hélas en 1928. Quant à Louis Detournay, il ne put profiter longtemps  de son retour en famille. Il mourut le 10 octobre 1925.

 

 

Nécrologie parue dans le Courrier de l’Escaut du 11 octobre 1925

 

Aujourd’hui est pieusement décédé à Gaurain à l’âge de 53 ans, le lieutenant colonel médecin principal de l’hôpital militaire de Tournai. A l’ouverture des hostilités, le défunt était rentré dans le service de santé de l’armée et avait fait toute la campagne. C’est une figure très sympathique qui disparaît ainsi prématurément. Entouré de la considération générale, le lieutenant colonel Detournay s’était spécialement acquis de profondes sympathies dans l’armée par son amabilité et son empressement à rendre service à quiconque s’adressait à lui. C’était aussi un chrétien dans tout le sens du terme, pratiquant la religion avec ferveur simple et d’autant plus édifiante.

 

Discours du directeur du journal l’Indépendance en hommage au Dr Detournay Officier de l’Ordre de la Couronne

Monsieur le Major.

     C’est une tâche bien lourde que celle que j’ai acceptée de vous exprimer notre admiration pour votre conduite, si belle durant les événements terribles qui se sont déroulés depuis 1914, mais votre indulgence pour les braves gens de Gaurain, qui ont une place privilégiée dans votre cœur m’encourage et, si je ne puis vous dire convenablement les sentiments qui nous animent à votre égard, nos instruments suppléeront à mon insuffisance pour vous répéter combien nous sommes fiers et heureux de vous avoir parmi nous. Oui, Monsieur le Major, nous sommes fiers de votre grand rôle dans la lutte héroïque que nos frères et amis ont soutenue pour défendre notre territoire, pour recouvrer notre indépendance et nos précieuses libertés. Des le début des hostilités, alors que l’ennemi apparaissait dans toute sa barbarie, au mépris de tout danger, vous avez paternellement soigné nos braves, au milieu des hordes sauvages, imposant par votre exemple, l’accomplissement du devoir à votre entourage. Durant la, si malheureuse et pénible, retraite de nos divisions décimées abandonnant notre réduit national, votre ardent patriotisme et votre inébranlable confiance dans le succès de nos armes ont su maintenir tous vos compagnons dans le chemin de l’honneur, malgré les difficultés effroyables et presque insurmontables de la route à suivre.

     Et sur le front, dans la tourmente de fer et de feu qui, malgré la distance, nous faisait frémir, durant des mois et des mois avec une endurance et vaillance sans égales, vous avez arraché à la mort des centaines de nos soldats. Votre bonne humeur, les divertissements que vous procuriez à nos chers blessés, les soutenaient, relevaient leur moral et hâtaient leur guérison. On nous a même assuré que bien souvent vous ouvriez plus que votre cœur pour soulager les grandes détresses.

     Tant d’abnégation patriotique ne pouvait rester sans récompense : promu au grade de Major, devenu chevalier de l’ordre de Léopold, vous avez obtenu la Croix de guerre belge, la Croix de l’Yser, la Croix militaire, la Croix civique de première classe, la Croix commémorative et la médaille de la Victoire.

     Mais une décoration remarquable entre toutes, c’est la Croix française des épidémies que notre grande alliée du Sud vous a accordée pour avoir prodigué vos soins à ses enfants atteints de la fièvre maligne qui a fait tant de victimes en ces derniers temps.

     Il y a quelques jours notre Roi-Soldat vous a créé officier de l’ordre de la Couronne et ce qui révèle encore bien plus en quel degré d’estime vous êtes tenu par nos hommes d’Etat c’est que, seul des officiers de santé de la réserve, vous passez dans les cadres de l’active : pourrait-on affirmer d’une façon plus éclatante que nul, n’a mieux que vous, rempli toutes les obligations de sa charge.

     En apprenant toutes ces distinctions, l’Indépendance à laquelle vous accordez depuis si longtemps un concours généreux, ne pouvait rester indifférente : Elle vient vous adresser ses chaleureuses et cordiales félicitations, et, en témoignage de son admiration et de sa reconnaissance, elle vous prie d’agréer ces quelques fleurs. Que leur charme vous dise que nous souhaitons ardemment vous voir jouir d’une vie longue parfumée par les joies de la famille. Vive Monsieur le Major ! Vive Madame Detournay et leurs chers enfants !

    

    

Discours prononcé par le Général Philippe

à l’occasion du décès du Dr Detournay

     J’ai le pénible devoir de venir, au nom de l’armée et spécialement au nom des officiers et des militaires de la garnison de Tournai, apporter un tribut d’hommages au regretté Lieutenant-Colonel Médecin Detournay qu’un mal inexorable vient d’enlever si prématurément à l’affection des siens.

     Detournay entre dans l’armée en 1897 et sert dans les cadres actifs du service de santé jusqu’en 1901, puis passe dans la réserve.

     En août 1914, il délaisse les charges de famille qui pesaient sur lui, et répond à l’appel du Pays en détresse ; il prodigue d’abord pendant deux ans ses soins aux nombreux blessés et malades qui passent par l’ambulance de la 2ème Division d’armée, puis est attaché à l’hôpital de Valloires, où sa science et son dévouement sont particulièrement appréciés.

     La guerre terminée, il a la grande joie de rentrer dans son pays natal et de se voir confier la direction de l’hôpital militaire de Tournai où il se signale par ses précieux services. C’est que le Docteur Detournay est un praticien habile et expérimenté, doué d’une conscience professionnelle remarquable, aussi est-il pour ses jeunes confrères un mentor des plus sûr et des plus averti ; il est l’homme du devoir dans l’acception la plus élevée du terme.

     Connaissant sa grande bonté ; ses façons simples, son humeur toujours égale et l’exquise courtoisie de ses relations, chacun de nous allait à lui avec la plus entière confiance.

     Et puis nous savions tous qu’il était excellent époux, père de famille modèle aimant profondément son foyer dont il avait fait le centre des vertus familiales les plus pures et les plus solides.

     Sa mort a révélé combien discrète était sa générosité à l’égard des humbles.

     Parlerai-je de l’âme délite qu’était le docteur Detournay ? Sachant depuis longtemps, lui médecin, l’impuissance de sa science à le guérir, il puisa dans sa foi chrétienne la force de supporter avec un admirable courage le mal qui devait le conduire au tombeau.

     Calme et serein il vit approcher la fin avec stoïcisme et encourageait ses proches et ses amis. Une fin aussi édifiante doit être pour les siens une source où ils puiseront les plus grandes consolations.

     Que Madame Detournay et ses chers enfants veillent accepter l’expression de nos profondes condoléances. Puissent les membres de sa famille trouver dans l’émotion causée par la disparition du regretté défunt et dans les témoignages de sympathie qui affluent autour de son cercueil, puissent-ils trouver dis-je une consolation de plus dans leur perte irréparable. Et toi mon cher Docteur, au moment ou tu quittes cette vallée de larmes, pour aller là-haut goûter l’éternel repos, m’inclinant avec respect devant ta dépouille mortelle, je t’adresse le salut ému que nous soldats, jadis là-bas de l’autre côté de l’Yser, nous donnions aux braves et je te dis adieu !  



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