Médecins de la Grande Guerre

L’exploit de Mabel St Clair Stobart : avec son hôpital mobile, elle suivit l’armée serbe dans sa retraite vers l’Albanie

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L’exploit de Mabel St Clair Stobart : avec son hôpital mobile, elle suivit l’armée serbe dans sa retraite  vers l’Albanie



       En plus d’être humaniste, Mabel Ct clair Stobart fut une féministe convaincue. Elle eut le mérite de mêler la pratique à la théorie afin de prouver la capacité des femmes à exercer les mêmes responsabilités que les hommes.

       Mabel est née en 1862. Elle se maria en 1884, eut deux enfants et partit avec son mari en Afrique du Sud pour gérer une ferme. L’entreprise ne réussit pas et Mabel revint seule en Angleterre en 1907. Peu de temps après, son mari mourut. Mabel devint alors une féministe convaincue, luttant pour le droit de vote des femmes. Elle s’engage alors dans une unité de femmes volontaires, « the First Aid Nursing Yeomanry » dont le but est de prêter assistance aux civils et militaires connaissant des situations de crise. Rapidement, elle devint une des leaders de ce mouvement puis résolut de créer sa propre association, « the Women’s sick and wounded convoy Corps » (Unité féminine pour le transport des malades et blessés). En septembre 1910, Mabel avait réussi l’exploit de réunir 50 femmes pour un exercice d’une semaine à la campagne. La discipline et le mode de vie s’apparentait à celui des soldats. Elles possédaient un uniforme, un casque, marchaient au pas et logeaient sous tente. Réveillées à 6 heures du matin par le clairon, la matinée était consacrée aux exercices de brancardage et de pansements tandis que l’après-midi était partagée entre leçons théoriques et séance de natation. Peu après ce camp qui fit l’objet de beaucoup de commentaires dans la presse, Mabel se remaria avec le barriste retraité John Greenhalgh. Un second camp fut organisé durant l’été 1912 et, en octobre de la même année, Mabel se déclara prête à intervenir avec son unité aux profit des blessés de la guerre des Balkans qui venait d’éclater. Elle alla donc offrir ses services au Président de la Croix-Rouge britannique, Sir Frederick Treves. Mais celui-ci dédaigna la proposition de Mabel en lui faisant remarquer qu’aucune femme ne devrait pouvoir se trouver près d’un champ de bataille. Mabel renonça à toute approbation et vexée, partit au plus vite au front à la tête de son unité féminine. Elle installa son convoi près d’Adrianople et malgré de nombreuses difficultés, parvint à se rendre utile. Au printemps 1913, la guerre se termina et Mabel rentra en Angleterre, fière de ce premier succès. Elle relata immédiatement son expédition dans un livre intitulé « War and Women » et conclut avoir fait la démonstration qu’une unité de femmes composée non seulement d’infirmières, comme dans la guerre de Crimée, mais aussi de médecins, de conductrices, de personnel subalternes féminins et d’administratrices, pouvait prendre en charge l’entièreté d’un hôpital sur le front. Quand la Première Guerre Mondiale éclata, Mabel créa une nouvelle organisation, « The Women’s National Service League » (Ligue du Service National Féminin, qui n’obtint toujours pas l’approbation du Président de la Croix-Rouge. Cette nouvelle unité était presque entièrement féminine mais elle y avait admis quelques hommes puisque, expliquera Mabel, elle avait déjà apporté la preuve que les femmes pouvaient constituer comme les hommes une unité fonctionnelle et autonome. Sir Frederick Treves n’ayant donc pas changé son opinion, Mabel décida d’offrir directement son aide à la Croix-Rouge belge. Elle partit en avant-garde sur le continent et atteignit Bruxelles juste au moment où les Allemands y rentraient. Peur d’être arrêtée, elle quitta alors Bruxelles précipitamment mais, près d’Hasselt, elle est emprisonnée comme espionne. Ses jours étaient sans doute comptés, mais après une nuit d’enfermement remplie d’angoisse, elle put miraculeusement retrouver la liberté. Elle rejoignit alors Anvers et y trouva son unité entretemps. Avec une autre unité médicale de volontaires, la « St John Ambulance association », un hôpital fit installé dans la salle de concert philarmonique d’Anvers.




       Les soldats belges furent heureux de recevoir cette aide inespérée qui, ne dura cependant que quelques semaines. Début octobre, les Allemands pénétraient dans la ville et Mabel dut abandonner l’hôpital. Tout son matériel fut perdu mais elle réussit à évacuer tous ses blessés et son personnel vers la côte. Un nouvel exploit à son compte !

Un nouvel hôpital à Cherbourg.

       De retour en Angleterre, l’intrépide Mabel, rassembla à nouveau du matériel et une équipe et se réembarqua pour le continent, cette fois pour Cherbourg où, pendant quatre mois, elle fera fonctionner un hôpital dans le château de Tourlaville. Le travail sembla cependant pour Mabel trop routinier. Un jour elle lut qu’une épidémie de typhus fait des ravages dans l’armée serbe qui avait grand besoin d’un renfort en personnel et en hôpitaux. En février 1915, elle prend sa décision. L’hôpital de Tourlaville est laissée entre de bonnes mains, Mabel rejoint l’ Angleterre pour refaire une autre unité, cette fois destinée à Serbie !

Le départ pour la Serbie.



Le personnel de l’hôpital Stobart en partance pour la Serbie. Mabel St.Clair Stobart est au centre du second rang avec de gauche à droite, le Dr King-May, Payne, Marsden, Atkinson, Tate et Coxon. Il manque le Dr Hanson

       Il y avait 45 membres dans le staff de la nouvelle unité dont 7 femmes médecins, 18 infirmières, des cuisinières, des interprètes masculins, des chauffeurs et brancardiers appartenant des deux sexe. Le matériel consistait principalement en 60 tentes dont certaines étaient conçues pour les besoins spécifiques de la radiologie, de la chirurgie, de la cuisine. Le matériel et les membres de l’unité arrivèrent mi-avril à Salonique où le consul de Serbie leur annonça leur destination : la ville de Kragujevatz. Le 19 avril, l’unité se mit en marche et le 21 était à pieds d’œuvre. Rapidement, le site choisi se couvrit des tentes placées en deux quartiers, l’un pour le logement du staff, l’autre pour le logement des blessés et malades. Entre les deux quartiers se trouvaient les tentes techniques (salle d’op, RX, cuisines). L’hôpital reçut comme première tâche de soigner les blessés et non les victimes de la typhoïde qui faisait rage. Un premier arrivage de 50 blessés arriva mais, quelques jours après, l’hôpital comptait déjà 130 patients. Mabel eut la surprise de constater que les patients acceptaient sans problèmes d’être soignés uniquement par des femmes. L’ambiance de l’hôpital semblait leur convenir parfaitement. Les convalescents se plaisaient dans les tentes doublées où il régnait une bonne température. Ils tuaient le temps avec un jeu de cartes qu’ils appelaient Jeanne d’Arc ou encore jouaient s’ils en étaient capables avec un jeu de palets. La cuisine était sous la supervision de Miss S. Stanley, le dispensaire sous celui de Miss Wolseley, la buanderie sous l’autorité de Miss Johnstone, la lingerie sous l’autorité de Mrs Deamer. Le service de radiographie était dirigé par le docteur Tate et le service hospitalisation dépendait de Miss B. Kerr. Rapidement, l’hôpital devint un modèle d’organisation qui reçut la visite de nombreuses personnalités dont le Prince héritier Alexander. Sa visite donna lieu le soir à une fête animée par la récitation d’épisodes de l’épopée serbe qui était accompagnée du banjo national appelé « Gusla ». Ses mélopées étaient interminables puisqu’elles reprenaient l’histoire des Serbes depuis 1389 mais les soldats pouvaient les écouter pendant des heures entières. La soirée se termina par un « Kolo Dancing », danse traditionnelle à laquelle tout le personnel de l’hôpital finit par participer.

La « Slava fête » étonne la féministe Mabel.

       Les autorités militaires ne ménagèrent pas leur peine pour faciliter le travail de Mabel, particulièrement le Major Dr.Protitch, directeur du Shumadia Military Hospital. Mabel se vit un jour invitée pour la « Slava fête » de sa famille. Cette fête commémore l’anniversaire de la conversion des ancêtres de la famille au christianisme. Elle débutait par une prière et une aspersion d’eau bénite sur les objets et sur les personnes à l’exception… de l’épouse. Ensuite le prêtre traça une croix sur un des cakes préparés pour l’occasion puis le bénit et par trois fois le présenta au chef de famille et à son fils qui à chaque fois embrassèrent la croix. Il y eut encore de nombreuses prières et la cérémonie se termina sans que l’épouse n’ait eu un mot à dire. Un repas succéda où l’on mangea les cakes aux maïs et aux noix. La coutume voulait que ce cake soit consacré aux défunts. Tout le monde peut en manger à condition de ne pas porter comme prénom celui d’un certain archange que les Serbes considèrent comme n’ayant jamais connu la mort. La féministe Mabel fut étonnée et sans doute un peu choquée lorsqu’elle entendit le major présenter sa femme par ses mots : « Voici ma femme, Dieu me pardonne » et le reste de sa famille ainsi : « J’ai trois fils et, Dieu me pardonne, trois filles ». La modeste considération envers femme et filles provient, d’après Mabel, qu’elles sont propriétés de l’homme et l’expression « Dieu me pardonne » provient du fait qu’un Serbe doit être très humble lorsqu’il évoque, devant Dieu, ses possessions. Bien évidemment, la mère d’un Serbe n’est pas considérée comme une propriété et d’elle, on peut parler avec beaucoup d’orgueil. « C’est malheureux, ajoute Mabel dans ses mémoires, que peu de moments se prête à expliquer les conceptions féministes et en tout cas ce n’était pas le moment de le faire pendant cette fête. »

       Les fêtes et le bon accueil de l’unité par les autorités serbes ne faisaient cependant pas oublier les misères de la guerre. A quelques centaines de mètres de l’hôpital se trouvaient quatre mille nouvelles tombes de victimes de la typhoïde. Les Serbes ne sont pas fatalistes. Ils ne qualifient pas les évènements comme « la volonté de Dieu ». Cette particularité provient de leur histoire nationale. Pendant des centaines d’années, leur malheur eut une cause bien humaine : l’occupation turque. Et Mabel conclut sa réflexion sur le fatalisme par cette phrase : « Lhomme cherche trop Dieu à l’extérieur, nous ne pouvons le trouver, écrit-elle, parce qu’il occupe une place trop intime dans nos cœurs ».

La légende de Saint Ilya racontée à Mabel.

       Les soldats Serbes avaient parfois des explications amusantes sur les phénomènes naturels. Pendant un orage, ils se mettaient à prier pour ne pas être tués. Ils étaient convaincus que le tonnerre provenait de St Ilya. Ilya était un paysan et un soir en revenant du travail, il rencontra successivement sur son chemin trois qui le félicitèrent chacun à leur tour du fait que sa femme venait de prendre un amant. Furieux, Ilya voulut rentrer à la maison pour tuer sa femme et l’amant de celle-ci. Il vit deux formes humaines dans son lit et se précipita pour les tuer. Le mal accompli, il s’aperçut que c’étaient ses parents qu’il venait de trucider. Comme punition, Dieu le fit « passeur d’eau ». Un jour un passager de sa barque se révéla être un diable pressé car devant au plus vite provoquer un divorce. Ilya tua le diable et jeta son corps à l’eau. Dieu cependant pardonna à Ilya et le pris comme serviteur au paradis pour provoquer le tonnerre et les éclairs dont la lumière exterminaient les diables. Seul survivait finalement un diable handicapé qui s’était bien caché. Ce diable obtint de Dieu d’être épargné car il lui avait fait remarquer que, seuls, les pauvres et les malades comme lui le priaient. Dieu, sensible à cet argument, lui fit alors la promesse que jamais il ne serait tué par Ilyia. C’est la raison pour laquelle Ilyia, avec ses tonnerres et éclairs, continue et répète toujours aujourd’hui une vaine chasse au diable qui ne prendra jamais fin.

Le bombardement de l’hôpital Stobart.

       L’hôpital connut une attaque aérienne pendant que Mabel était au lit atteinte de la typhoïde. La ville était souvent la cible de l’aviation allemande car elle était connue pour posséder un arsenal et pour héberger le Prince Héritier. Lors de cette attaque, en ville, 5 personnes furent tuées et 18 blessées. Cette attaque pouvait se renouveler, Mabel mit au point un plan d’évacuation .

       Lors de l’alerte suivante survenue quelques jours après, les patients furent embarqués dans les voitures ambulances, dans deux camions et dans les charrettes tirées par les bœufs. Tous furent mis en sécurité à bonne distance de l’hôpital. Restèrent sur place uniquement quelques médecins et infirmières. Le nouveau bombardement atteignit cependant une baraque en bois dans lequel se trouvait du matériel. Quant à la ville après avoir été surprise deux fois, elle installa une défense antiaérienne qui connut une revanche rapide en parvenant à abattre un Taube trop confiant.

La mort de Madame Dearmer et de nurse Feriss.

       L’hôpital travaillait en pleine épidémie de typhus et avait consacré une tente à l’isolement des patients qui étaient suspects d’en être atteints. Le staff qui soignait ces malades portait des longues bottes, des gants en caoutchouc et une tenue imperméable huilée. Et contre la typhoïde, l’eau était minutieusement bouillie. Malgré toutes ces précautions, une épidémie de typhoïde éclata aussi dans le personnel sans doute par la transmission du microbe via des légumes non cuits comme la salade. Le 1er juin, une des nurses et Mabel  furent atteintes de la typhoïde et cela malgré la vaccination reçue deux mois auparavant. Finalement 17 femmes du staff furent atteintes et trois décédèrent. Aucun patient ne fut attaqué. Ce fut un cauchemar pour Mabel malade sur son lit, de voir une après l’autre des collègues défiler dans la tente des isolés. Les autorités militaires serbes furent tout ce qu’ils purent pour aider Mabel. Un spécialiste des maladies fiévreuses, le Dr Antitch fut dépêché auprès de l’hôpital Stobart. Quant au Major Protitch, il se démena pour amener de la glace, denrée très rare ici. Malgré cela, Mrs Dearmer et la nurse miss Ferisse succombèrent. Nurse Ferisse comptait se marier à son retour de Serbie. Elle décéda le 4 juillet. L’enterrement fut l’occasion pour les autorités serbes de montrer toute la sympathie qu’ils éprouvaient pour l’hôpital anglais. Le cercueil fut tiré par un magnifique attelage jusqu’à la cathédrale de la ville où la cérémonie anglicane eut lieu en présence d’une foule nombreuse dont un représentant du Crown Prince. Ensuite le cortège conduisit l’infirmière vers sa dernière demeure. Les autorités promirent d’élever après la guerre à cet endroit un monument à la gloire des médecins et infirmières anglais qui donnèrent leur vie pour la Serbie. Quand le staff retourna à l’hôpital, ce fut pour s’apercevoir que madame Dearmer présentait un dangereux pic de température.

       L’histoire de madame Dearmer est émouvante. En Angleterre, fut organisé avant le départ de l’unité Stobart un office religieux en guise d’au revoir. Le chapelain qui célébrait était monsieur Dearmer qui, avant le service, venait juste de demander à Mabel de pouvoir l’accompagner en Serbie au titre de chapelain pour les Britanniques. Juste après la cérémonie, alors que Mabel se promenait, elle vit son épouse venir la trouver, les larmes aux yeux. Elle lui fit alors part des causes de son chagrin : « Je viens d’entendre que mon mari va vous accompagner en Serbie. Je vous supplie de m’emmener aussi avec vous. Mes garçons sont sur le front, et si mon mari part je dois aussi partir ». Mabel eut beau la décourager, rien n’y fit. Finalement, elle engagea madame Dearmer comme brancardière et la désigna pour la lingerie où elle montra un talent manifeste d’organisatrice malgré le tempérament artistique qui était le sien. Il faut savoir que madame Dearmer, avait connu auparavant le succès comme comédienne, dessinatrice et romancière.



Mabel Dearmer en 1890 (photo Wikipedia)

       Le 9 juillet, après des améliorations et des rechutes, l’état de santé de madame Dearmer empira malgré l’oxygène et d’autres traitements essayés sans succès. Mabel passa deux nuits dehors à proximité de la tente pour se sentir proche de la malade qui était devenue son amie. Elle veillait aussi au renouvellement de l’oxygène fourni par l’hôpital militaire serbe. Hélas madame Dearmer succomba d’une pneumonie ayant compliquer sa fièvre typhoïde. Qu’allait devenir son mari ? Ces deux là se connaissaient et s’aimaient depuis leur enfance.

       Mabel  ne  pouvait admettre que la mort soit la fin de tout… Commentant la mort de son amie, elle écrivit dans ses mémoires, ces belles pensées :

       « La mort n’est rien. La mort provient d’une erreur de notre raisonnement intellectuel. Le corps ne peut pas mourir car il n’a jamais vécu. Le corps est de la matière, inerte. La vie est une force, une force qui ne peut mourir. Le corps n’est que l’habitation de cette force de vie mais le départ de cette force de vie du corps n’est pas la mort. Rien n’est mort, parce que rien n’a cessé de vivre. La force de vie ne peut mourir sinon ce ne serait pas une force de vie. Le corps ne peut pas mourir parce qu’il n’a jamais vécu. OUI, oui, la mort est une tromperie. Le mot mort comme celui de lever ou de coucher du soleil ne reflète qu’une ancienne ignorance. Le soleil ne se lève pas, il ne se couche pas et le corps ne meurt pas. Pourquoi alors parler de la mort comme une fin ? C’est en fait le passage de la force de vie du visible à l’invisible. Aussitôt que la matière commence à se désintégrer, la force de vie migre et c’est tout. C’est ce que je comprends ».

       Les funérailles furent encore cette fois menées dans la cathédrale mais cette fois selon le rite orthodoxe qu’accepta son mari, le chapelain Dearmer, qui faisait ainsi preuve d’un large esprit de tolérance. La musique du Crown Prince rehaussa la cérémonie. Monsieur Dearmer  connut encore une grosse peine quelques mois plus tard quand il apprit qu’un de ses deux fils soldats venait de périr à l’ennemi.

Des dispensaires créés tout autour de la ville pour les malheureux civils.



Mabel ST. CLAIR STOBART occupée à parler à des patients le long de la tente dispensaire établie sur le côté de la route à Kragujevatz. Les docteurs et infirmières sont à gauche


Ce plan montre les dispensaires établis par Mabel autour de la ville

       Mabel réalisa que l’infrastructure médicale pour les civils était désastreuse. Elle établit d’abord un dispensaire pour les civils sur la route qui menait à la ville. Une tente, un docteur, une infirmière et un interprète constituèrent un dispensaire qui en quelques semaines totalisa 12.000 consultations. La diphtérie fut particulièrement combattue car elle faisait des ravages dans la population et le dispensaire possédait le sérum salvateur. Bientôt la petite tente ne suffit plus et il fallut la remplacer par une plus grande qui fut divisée en trois places, l’une pour le diagnostic, l’autre pour le cabinet médical et la troisième pour les soins. Le succès de ce dispensaire donna l’idée à Mabel de créer une véritable ceinture de dispensaires autour de la ville pour couvrir les soins médicaux de toute la région. Ce fut fait progressivement et Mabel fit même venir d’Angleterre un renfort en médecins et infirmières pour combler la nouvelle demande en personnel que ces dispensaires exigeaient. Quant aux ambulances, Mabel en commanda une pour chaque dispensaire. Elles arrivèrent le 17 septembre. Le sixième dispensaire fut créé le 4 septembre à Rekovatz et tenu par la doctoresse Steward qui, d’après Mabel, était la femme idéale pour ce travail car animée par la patience, l’enthousiasme et le sens de l’humour.

Création d’un détachement de l’unité Stobart pour constituer un hôpital mobile.   



       Le 25 septembre provoqua un gros changement dans l’unité Stobart. L’Etat-Major demanda en effet à Mabel de constituer une colonne mobile d’ambulances pour rejoindre le front car les Bulgares s’apprêtaient à envahir la Serbie. L’intrépide Mabel accepta. L’hôpital mobile reçut le nom de « The first Serbian-English Field Hospital ». Deux médecins, six infirmières, six chauffeurs, deux interprètes et deux brancardiers furent choisis pour constituer cette nouvelle unité. L’armée serbe compléta l’effectif en fournissant des brancardiers et du matériel. Mabel fut nommée chef de cette colonne. La colonne disposait de six ambulances motorisées, de deux chariots à bœufs et d’un chariot avec deux chevaux. Le tout fut convoyé par train pour atteindre le 3 octobre la première destination, Pirot près de la frontière bulgare.



En route vers Pirot, Mabel chef du convoi. (Photo: Imperial War Museum)


En partance vers Pirot. Sur cette photo, on distingue la cuisine roulante devant les ambulances motorisées

       La ligne de front se modifia cependant très rapidement et le 6 octobre, l’ordre vint de rejoindre Stananitza. Mabel reçut alors quatre chevaux de course pour commander sa colonne et pouvoir trotter le long de celle-ci, de la tête à la queue. On ne lui demanda si elle savait monter. Heureusement, elle était bonne cavalière.

       Rapidement, Mabel se rendit compte que son hôpital ne resterait jamais longtemps au même endroit. Il fallait sans cesse se mettre en route en suivant les ordres de l’Etat-Major. Les blessés étaient pansés puis rapidement évacués par les ambulances motorisées vers les hôpitaux fixes. Quand à maintenir une colonne harmonieuse sur les routes, c’était impossible, les véhicules voulaient aller vite, les bœufs lentement et les chevaux ni lentement, ni rapidement.



Blessé serbe provenant du champ de bataille de Dobridol et débarqué dans l’hôpital Stobart d’une ambulance motorisée


Blessé serbe provenant du champ de bataille de Dobridol et débarqué dans l’hôpital Stobart d’un char à bœufs.


L’hôpital aux environs de Dobridol avec à gauche les tentes des blessés


Une des doctoresse examinant un blesse arrivant du champ de bataille de Jagodina

       Les étapes se succèdent donc :  Stananitza, Medua, Knasharevatz, Malca, Nish. A Nish, le 11 octobre, Mabel apprend que Belgrade vient d’être prise par les Allemands. La colonne reprend un train qui l’amène à Velika Plana. Ce sera le dernier voyage ferroviaire de l’expédition. Palanka est ensuite atteint par la route et un site de camp choisi pour l’hôpital qui accueillera une foule de blessés qui sont soignés puis évacués par ambulance vers la ville. Le 16 octobre l’ordre vient de partir à nouveau, cette fois vers Barchinatz. Là, Mabel reçoit l’ordre de se diriger non plus vers le front mais vers le sud, vers Dobrido. Cela signifie le début de la retraite de l’armée Serbe. Elle est cependant loin de penser que cette retraite va durer près de trois mois. A Dobrido, le 18 octobre, la colonne mobile reçoit encore un afflux de blessés. Le 20 octobre, la colonne atteint Gliebovatz et le 21, Palanka ou on laisse la colonne s’installer dans le casino pour quelques heures avant de la muter à Ratcha. C’est à cet endroit que Mabel dut faire preuve de son autorité envers un ses soldats serbes de sa colonne. Saoul, il se montrait très agressif. Il fallut lui confisquer son arme mais cela n’alla pas de soi. Le soldat furieux menaçait de détruire tout l’équipement de l’unité et il fallut placer des gardes autour de l’ambulance dans laquelle Mabel se réfugia pour la nuit. Les choses finalement s’arrangèrent par la mutation du soldat. A Ratcha, la colonne reçut à soigner une cinquantaine de soldats gravement blessés qui arrivèrent couchés sur des charrettes à bœufs.  Palanka venait d’être pris par les Allemands et il fallut s’éloigner d’eux en continuant la retraite. La route de Gradatz passait par un pont dégradé, sans garde-fous et extrêmement étroit. Il fallut vider les véhicules de leur matériel et de leurs blessés pour ne pas verser dans le vide. Les blessés furent mis sur brancards et retrouvèrent les véhicules en aval du pont. Un camp fut ensuite installé à Berzan. Mabel entretemps avait reçu des nouvelles de son unité resté à Kragujevatz. Tout le personnel avait pu fuir et sous la direction du docteur Curcin s’était mis en marche à travers les montagnes pour atteindre Scutari, Medua puis Brindisi. Le personnel du dispensaire de Lapovo avait pu aussi rejoindre le Dr Curcin dans sa fuite.

       Le 29 octobre, Bagrdan fut atteint et le 30 un camp fut installé dans la boue à côté de Kriva Alpregam mais le 31 l’ordre vint de se rendre à Voliovtza. 96 blessés sont pris en charge par la colonne. Et toujours, la route sans fin à reprendre ! Treshnitza est atteint le 3 novembre, puis Shanatz, Varvarin. Sur la route encombrée par une armée en déroute Mabel est étonnée de la dignité qui y règne.

       Les soldats serbes ne chantent pas, ne parlent pas. On entend seulement les conducteurs des chars à bœufs crier « Svetko, Belia, napred, desno, levo » (Vetko, Belia, en avant, à droite, à gauche !)  L’armée est accompagnée dans sa retraite par un immense flot de réfugiés qui complique la marche vers le sud. Mabel est impressionnée par les femmes qui tirent elles-mêmes des charrettes. Une d’entre elles transportait 8 enfants. La cohue entraîne parfois des spectacles affreux. Ainsi, une maman qui transportait un enfant sur son dos s’est vue rattrapée par un char à bœuf. Plus moyen pour elle d’avancer ou de reculer. Ecrasée, l’enfant sur son dos a finalement été transpercé par les cornes d’un des bœufs. Mabel est partout le long du convoi. Il faut parfois trouver des planches pour reconstituer le plancher d’un pont de montagne. Plus tard, il faut franchir la gorge étroite de Maidevo. C’est l’endroit rêvé pour une embuscade par l’ennemi. Heureusement ce ne sera pas le cas mais il ne faut s’attarder là sous aucun prétexte. Lorsqu’une charrette est embourbée, pour ne pas ralentir la colonne, on verse le véhicule dans le vide avec tout son matériel.



The lady of the black horse, Georges Rankin, British Red Cross Museum

       Lorsque le soir, on faisait halte, Mabel trouvait en son ami, un major d’artillerie, un réconfort précieux. Devant les flammes du bivouac, il leur arrivait d’avoir de longues conversations philosophiques. La présence de la mort autour d’eux les faisait réfléchir aux grandes vérités. Pourquoi celles-ci sont-elles si bien cachées de notre conscience intelligente ? Est-ce Dieu qui les maintient cachées ? Est-ce Dieu qui permet cet holocauste en Europe ? Est-il tout puissant ? La toute-puissance n’implique-t-elle pas d’exister sans aucune règle ? Pourquoi alors implorer un Dieu tout puissant ? La toute-puissance ne conduit-elle pas à la Jalousie, à la colère, caractéristiques humaines dont nous revêtons la divinité ?

       Les germes de notre évolution humaine dans notre âme n’existent-ils pas pour que nous les développions ou les négligions ? Eve était libre de prendre ou de rejeter le fruit de l’Arbre de la connaissance matérielle. Quant à nous, sommes-nous libres de prendre ou de rejeter le fruit de l’Arbre de vie, de la vie ? C’est largement parce que nous avons appris que nous sommes sans pouvoir de nous-mêmes pour nous-mêmes que nous tombons dans les crimes et le militarisme. Nous abandonner aux mains de dieu est souvent une excuse pour la paresse et le résultat fera que nous nous retrouverons dans les mains d’un seigneur de la guerre. Si le Royaume de Dieu est à l’intérieur de nous, le roi des Cieux doit aussi y être, régnant non en solitaire dans un espace vide mais bien avec chacun d’entre nous. Les âmes des hommes sont des prismes dans lequel se réfracte la lumière de l’Esprit de Dieu et nous ne devons pas être étonnés quand, en temps de troubles, le spectre humain ne montre que des lignes noires. Si nous connaissions mieux les lois de la nature, nous saurions que les lignes noires sont dues aux conditions locales et qu’elles sont la preuve de la Loi Universelle de la Lumière.

       La guerre provient essentiellement du fait qu’il est impossible pour la civilisation humaine de vivre avec deux standards de conduite différentes, à savoir un standard individuel d’une grande moralité et dans laquelle on révère l’honneur et la justice et le standard des nations qui est constitué d’une cynique amoralité dans laquelle le meurtre, le déshonneur et l’injustice sont considérés comme de très grandes vertus. Nous devons augmenter le standard des nations, sous peine de déconstruire le standard individuel des droits de l’homme. Le militarisme s’oppose à l’évolution humaine. Cette lutte est comme le travail qui précède la naissance d’une nouvelle race. Nous prions Dieu que la naissance ne soit pas celui d’un mort-né et pour cela la délivrance ne doit pas être prématurément forcée. Les alliés de l’axe, tenants du militarisme doivent être vaincus. Le militarisme doit être exterminé, la racine comme la branche si notre humanité ne veut pas régresser dans une sous-humanité monstrueuse. Le problème est qu’il est beaucoup plus facile de transformer la haine en action que de transformer l’amour et la sympathie en actions. Les partisans de la guerre ont un avantage par rapport aux partisans de la paix. Les premiers ne parlent pas, ils agissent tandis que les partisans de la paix n’agissent pas mais parlent.

       Il ne fallait pas s’attarder dans le défilé pour des raisons de sécurité mais pourtant on vit le convoi devenir de plus en plus lent puis s’arrêter. Mabel décida d’aller voir l’endroit qui bouchonnait. Elle remonta sa colonne puis d’autres unités pour atteindre finalement une portion de la piste bloquée par des bœufs couchés sur le sol et qui avaient décidé de se reposer. Mabel descendit alors de son cheval et de ses grandes bottes, lança des coups de pieds dans le flanc des bœufs tout en criant sur les conducteurs. Il ne fallut que peu de temps pour que chacun soit à nouveau sur pieds. La colonne put alors reprendre sa marche et atteignit Maidevo situé dans une ouverture de la gorge qui par après se resserrait à nouveau. Au bivouac, Mabel constata que les bœufs épuisés n’étaient pas suffisamment soignés car on négligeait leurs fers. Elle donna l’ordre d’y remédier et on trouva rapidement un maréchal ferrant dans une colonne voisine de celle conduite par Mabel. Il fallait qu’elle soit partout à la fois. Lors d’une halte, Mabel dut encore une fois faire preuve d’autorité en ordonnant une peine de fouet pour un soldat en service dans la cuisine que l’on avait surpris en train de jouer aux cartes. Le défilé franchi enfin, le 14 novembre, la colonne atteignit Blatzi puis Tulari. A partir de là, les bœufs de plus en plus épuisés commencèrent à mourir et leurs cadavres jalonnèrent la route.

       Quelques jours après, la colonne atteignit Pristhina puis le champ de bataille du Kosovo ou en 1389 les Serbes furent vaincus par les Turcs qui leur ravirent ainsi leur pays pour plus de 500 ans. Ce ne fut qu’en 1878, que les Serbes regagnèrent leur indépendance.

Après la plaine du Kosovo, les montagnes du Montenegro à franchir.

       Le 20 novembre, avec de moins en moins de bœufs, Mabel dut se résoudre dut abandonner sa grande tente brune pour alléger les charrettes. La fuite vers le sud se poursuivit sans laisser de répit à la colonne. Le 23 novembre, Mabel eut beaucoup à faire pour conduire son convoi à travers une route inondée. Des charrettes se renversèrent avec leurs bœufs. Leurs conducteurs durent aller dans l’eau jusqu’aux genoux pour crier et taper leurs animaux de trait afin qu’ils se relèvent. Une fois la route franchie, conducteurs et bœufs n’eurent pas l’occasion de récupérer des forces, il fallait se remettre en route immédiatement pour ne pas bloquer la retraite infernale. Plus loin, le pont de la rivière Drin constituait un véritable nœud d’étranglement pour toute l’armée car les charrettes ne pouvait passer qu’une à la fois tant le pont étroit…. Il fallut donc des heures de patience pour faire franchir le pontaux 5.000 véhicules.



Sur cette photo, on peut voir apercevoir un pont interrompu quelque part dans le Monténégro tout près de l’Albanie. Le convoi est obligé de franchir la rivière à gué.

       Le froid devenait terrible et lors d’un bivouac, il n’y avait pas suffisamment de bois pour établir le feu. Un soldat serbe aurait donné son âme pour un feu de bois de la même façon que les tommies avaient besoin de leur « long » drink. Mabel dut consentir à ce que l’on brûle un des charriots. Arrivés à Petch, le froid devint encore plus intense et le matin, il fallait d’abord dégeler les bottes devant un feu si on voulait les enfiler. Pour continuer la route avec de moins en moins de bœufs, on résolut de n’emporter que la moitié du matériel sur les charrettes qui furent coupées en deux. Des poneys furent aussi achetés.



A Petch, les hommes s’affairent à scier les charrettes en deux


Le matin, après un bivouac de nuit, il faut se remettre en marche. (Entre Petch et Roshai)

       Le 3 décembre, il fallut se résoudre à abandonner les ambulances motorisées qui furent laissées aux mains du Préfet de Petch. Mais toutes ces mesures ne suffirent pas encore et bientôt il fallut uniquement se contenter du matériel transporté sur les dos des poneys. Mabel sauva de justesse les instruments de chirurgie qu’un soldat avaient extrait de leur caisse. Il commençait à distribuer à ses amis tout ce qui ressemblait à un couteau quand Mabel survint. Finalement, elle garda ces instruments dans ses bagages personnels pour mieux les surveiller.



La colonne de Mabel au Monténégro, à l’arrêt et n’ayant plus de véhicules. Tout le matériel est porté à dos de poneys ou de bœufs


La route en Albanie jonchée de pierres et parsemées de trous dans la boue. On distingue un cheval mort à l’avant.


Mabel conduisant à pied sa colonne à travers les montagnes. D’autres colonnes sont visibles au loin descendant une côte sur la gauche de la photo.

       Le parcours sillonnait maintenant en plein montagne et il y avait des descentes très dangereuses. Dans une de celle-ci, Mabel roula avec son cheval et se releva miraculeusement. Le soir, il fallait dormir en prenant la précaution de placer à ses pieds un petit mur de bois ou de pierres pour être sûrs de ne pas dévaler couché pendant son sommeil. Il y a avait aussi le risque d’être attaqué par des bandes de bandits Albanais nommés « Arnauts ». Ils attaquaient des colonnes isolées pour ravir leurs malheureux biens. Ainsi Mabel apprit qu’une de ses connaissances, un major serbe avait péri sous leurs mains avec son épouse et les huit enfants qu’il avait pu emmener avec lui dans sa retraite. Deux de ces enfants étaient de jeunes garçons pour lesquels la maman avait confectionné des uniformes de soldat.

       Le 6 décembre, Mabel mentionne que la piste est maintenant jonchée de soldats morts gisant dans la neige. D’après elle 10.000 morts trouvèrent leur dernier repos dans ces montagnes. L’eau aussi était rare et la découverte d’une rivière non gelée faisait la joie des animaux et des hommes qui pendant plusieurs jours durent se contenter de neige. La nuit le spectacle des étoiles détonnait avec la rudesse de la vie. Elles brillaient de tous leurs feux avec une supérieure indifférence. Il était facile pour elles, mentionna Mabel dans ses mémoires, d’être pures et brillantes… car elles n’avaient pas à patauger chaque jour dans la boue des Balkans.

La fin du voyage interminable.

       Le 11 décembre, la colonne épuisée arriva à Andreavitza.



L’armée serbe en retraite traversant un pont près d’Andreavitza


Sauvetage d’un poney tombé d’un pont à côté de Jabuka

       Le 13, elle atteint Yabuka et puis enfin ce fut la descente finale vers la vallée où se trouvait la ville de Podgoritza et un peu plus loin le lac de Scutari. Epuisés le personnel de l’hôpital remit tout le matériel sauvé à l’armée, puis rejoignit la côte à Medua, où l’attendait le dernier steamer en partance pour l’Italie.

L’exploit de Mabel St Clair Stobart.

       Mabel et ses collègues avaient réalisé un véritable exploit. Certes, ils n’avaient pu utiliser leur hôpital mobile de façon optimale mais ils avaient accompagné l’armée serbe dans sa douloureuse retraite de trois mois. N’est-il pas vrai que soigner est aussi simplement accompagner, se maintenir aux côtés de la personne qui souffre. Si l’on envisage les choses de cette façon, Mabel Stobart et son équipe ont excellé dans «  leurs soins ». La présence de ces femmes anglaises au sein de leurs convois en retraite fut d’un grand réconfort moral pour les Serbes. Grâce à ces femmes, l’Angleterre fut témoin direct du courage du peuple serbe et de sa petite armée. Celle-ci finalement fut transportée.

       Quant à Mabel, cette expédition la conforta dans ses idées pacifistes et féministes. Voici quelques paragraphes du dernier chapitre de ses mémoires.

       La guerre signifie le sang, la brutalité, les difformités, et toujours la mort, la mort, encore la mort. L’homme serait-il jaloux de Dieu pour qu’il détruise son œuvre ? Quand les Germains détruisirent à Louvain les œuvres de l’homme, un hurlement d’horreur s’éleva partout mais quand des milliers d’exemplaires uniques d’œuvres de Dieu sont détruits chaque jour, nous sommes toujours en attente du hurlement d’horreur qui devrait tous nous saisir.

       L’autre jour, ondes témoins me racontèrent que dans une tranchée 800 hommes avaient été tués en trois minutes. Et pourtant ces hommes provenaient du dévouement du sacrifice, de la patience, de la dévotion de femmes qui durant de longues années avaient façonné les âmes, les intelligences, les corps de ces créatures à l’image de Dieu. Toutes ces précieuses vies, finies en pièces, 800 en moins de trois minutes ! Voilà, à quelle fin à conduit la sagesse de l’homme. La sagesse de la femme pourrait-elle mener à un abysse plus profond ? Pour chercher le remède que l’on désespère de trouver, ne doit-on pas faire appel à la femme pour empêcher la vie de sombrer dans cet abysse ?

       La guerre n’est pas un conflit entre armées rivales. La guerre est un conflit entre des armées suréquipées et des femmes et enfants sans protection ; la guerre est un conflit entre des armées suréquipées et la civilisation avec comme résultat direct la destruction de cette dernière.

       L’idée du suffrage pour les femmes n’est pas, en ce qui me concerne, une idée issue de mes petites expériences, c’est la nécessité de votes en faveur de la vie, de la justice, de l’humanité. La guerre doit être supprimée et les guerres ne seront jamais supprimées par les hommes seuls. L’homme disait Bacon adore le danger plus que le travail ; l’homme disait Nietzche aime plus le danger que le jeu. Les hommes regardent les batailles comme un magnifique jeu de football ; la guerre est pour les hommes un sport glorifié, comme certaines lettres du front en témoignent trop souvent : « L’esprit de nos garçons fut splendide. Ils aimaient simplement le fun ». « Il allait de droite à gauche et tirait comme si il était dans champ de foire. C’était le plus beau spectacle de tir qui me fut donné » (du Daily News, samedi 8 juillet 1926). (…)

       La société a failli dans sa première fonction, qui est celle d’épargner la vie. Les sociétés sont toujours contrôlées uniquement par les hommes et ces derniers ont toujours été plus soucieux de produire la mort que de préserver la vie. (…)

       La protection de la vie avant et après la naissance a été donnée par Dieu et par l’homme à la femme. La femme a toujours protégé la vie individuelle ; ne doit-elle pas maintenant, dans une large mesure, protéger aussi la vie de l’ensemble de l’humanité ?

       Les écritures disent que c’est la femme qui eut le courage de goûter à l’arbre de connaissance. La femme fut de ce fait blâmée par Dieu et par l’homme mais l’homme certainement ne voudrait pas retourner au stade de la vie infra-consciente d’où il est sorti grâce à la femme et grâce à Dieu qui permit cet acte. Et aujourd’hui, l’arbre de vie (la vie spirituelle) est toujours inaccessible. Les poètes de la genèse nous disent que le chemin vers cet arbre se trouve barré par une épée en feu. Aucun homme, avec sa force physique n’est encore parvenu à éteindre ses flammes qui, n’ont jamais été aussi importantes qu’aujourd’hui. L’homme a failli parce que l’extinction du feu ne nécessite pas de forces physiques mais de forces spirituelles. Et aujourd’hui, ce sont les femmes qui ne regardent pas leurs intérêts mais l’intérêt de l’humanité qui suggèrent avec humilité que si on veut atteindre l’arbre de Vie, la force spirituelle de la femme doit être ajoutée à la force physique de l’homme dans un effort volontaire pour éteindre pour toujours l’épée flamboyante.

La vie de Mabel Stobart après la guerre.

       Après la guerre, Mabel devint une passionnée du spiritisme et de l’histoire des religions. Elle essaya notamment de prouver que le spiritisme n’était pas interdit dans la religion chrétienne en recherchant dans la bible les nombreux exemples où les vivants avaient pu s’entretenir avec leurs morts.



       Mabel se consacra aussi à améliorer le bien-être des plus démunis car elle fit construire plusieurs « hôtels » destinés à accueillir les chômeurs sans abris. Elle décéda le 7 décembre 1954 à l’âge vénérable de 92 ans.

Que devinrent les soldats de l’armée serbe en retraite ?

       L’armée serbe, arrivée en Albanie, fut embarquée pour l’île de Corfou. Avec l’aide de l’armée française, elle reprit des forces, se réorganisa et fut rééquipée. A partir du mois d’avril 1916, les troupes serbes à nouveau opérationnelles seront progressivement transférées sur le front de la Macédoine pour constituer quatre divisions aux ordres du commandant du front d’Orient, le général français Sarrail. Au terme de deux années de guerre de position, l’armée serbe vint à bout de l’armée bulgare. La Bulgarie se retira alors du conflit, demanda l’armistice et évacua la Serbie. Cette dernière n’est plus alors défendue que par des forces austro-allemandes qui seront défaites avec une rapidité impressionnante par une armée franco-serbe qui parvint à réoccuper Belgrade le 1er novembre 1918.

Dr Loodts Patrick, août 2018

 

Source :

The Flaming sword in Serbia and Elsewhere, Mrs. Mabel. St. Clair Stobart, 1916, Houdder and Stoughton, London Nex York  Toronto.

 

Liste du courageux personnel de l’expédition Stobart.

Stobart Hospital at Kragujevatz

(SERBIAN RELIEF FUND UNIT 3)

 

LIST OF PERSONNEL

 

DIRECTRESS

Mrs. St. Clair Stobart

 

SURGICAL AND MEDICAL STAFF

Atkinson, Mrs. King-May, M.B., Ch.B.

Coxon, Miss Beatrice, D.R.C.P.S.R.

Hanson, Miss Helen B., M.D., B.S., D.P.H.

King-May, Miss Mabel Eliza, M.B., Ch.B.

Marsden, Miss Edith Maude, M.B., Ch.B.

Payne, Miss Catherine, M.B.

Tate, Miss Isobel, M.D. (N.U.I.)

 

NURSING SISTERS

Bury, Miss E. V.

Leveson, Miss Alice.

Booth, Miss Alice B.

Lawless, Miss Katherine.

Browne, Miss Alice.

McGrow, Miss Mary.

Collins, Miss Ellen.

MacLaverty, Miss M.

Clifton, Miss F.

Newhall, Miss Dorothy.

Dickson, Miss Isabelle.

Read, Miss Ada.

Ferris, Miss Lorna.

Thompson, Miss Isabella.

Hill, Miss Emily.

Willis, Miss Constance.

Kennedy, Miss Jessie.

de Wasgindt, Miss Jessie.

 

WOMEN ORDERLIES

Beach, Miss Anna J.

Maw, Miss F. B.

Benjamin, Miss Cissy (Head Orderly).

McGlade, Miss Anne (Secretary).

Bradshaw, Miss Laura.

Picton, Miss D. M. (Cook).

Brindley, Miss D. E. (Cook).

Stanley, Miss Monica (Head Cook).

Burton, Miss A. K.

Cargin, Miss E. M.

Shakespeare, Miss Phyllis (Cook).

Dearmer, Mrs. Percy (Linen).

Johnson, Miss Lorna A. (Laundry).

Warren, Miss Fairy.

Wolseley, Miss Minnie (Dispenser).

Kerr, Miss Beatrice (Sanitation).

Hon. Treasurer.—Mr. J. H. Greenhalgh.

Hon. Chaplain.Rev. Dr. P. Dearmer.

 

MEN ORDERLIES

Agar, Mr. (X-ray).

Colson, Mr. (Chauffeur).

Black, Mr. (Head Chauffeur).

Korobenikoff, Mr. (Medical Student).

Beck, Mr. (Refugee clothing).

Vooitch, Mr. (Interpreter).

 

 

DISPENSARIES' STAFF

 

SURGICAL AND MEDICAL

Cockburn, Miss H., M.D., C.M.

Hall, Miss H., L.R.C.P.I. and L.M., L.R.C.S.I., L.M.

Muncaster, Miss A. L., M.B., Ch.B., Edin.

Macmillan, Miss A. J., M.B., Ch.B., Edin.

Maclaren, Miss G. D., M.B., Ch.B., Edin.

Stewart, Miss M., M.B., Ch.B., Belfast.

Iles, Miss Mary M. G., M.D. (Lond.) B.S., D.P.H.R.C.P.S.I.

 

DISPENSER

Mr. E. Stone.

 

NURSING SISTERS

Bainbridge, Miss.

Price, Miss M.

Cockrill, Miss.

Smith Lewis, Miss.

Chapple, Miss E.

Stone, Miss.

Downes, Miss.

Stewart, Miss M.

Gambier, Miss.

Wells, Miss.

Giles, Miss E. B.

Willis, Miss.

Hall, Miss.

Wren, Miss.

Henley, Miss.

 

WOMEN ORDERLIES

(Cooks)

Aldridge, Mrs.

Mansel-Jones, Miss.

Barber, Miss.

Tatham, Miss.

Chesshire, Miss.

Tubb, Miss.

Dawn, Mrs.

 

MAN ORDERLY

Rev. E. S. Rogers.

 

CHAUFFEURS

Boone, Mr. G. D.

Jordan, Mr.

Dickinson, Miss E. K.

Little, Rev. J.

Holland, Miss G.

Marshall, Mr. A.

Holmstrom, Mr. O.

Sharman, Miss.

Hulett, Mr.



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