Médecins de la Grande Guerre

Sommes-nous prêts ?

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Sommes-nous prêts ?[1]

       Quelques années avant la guerre, nous posions cette question au pays. Nous lui demandions s’il avait compris les nécessites de l’heure, s'il songeait aux périls qui le menaçaient, s'il avait jeté sur son armée un regard vigilant. On sait quelle fut la réponse, les révélations qu'amenèrent l’enquête et les débats officiels dont nous avions été les inspirateurs.

       Aujourd'hui, au moment ou nous allons déposer les armes que nous n'avions saisies que pour protéger notre sol, nous posons au pays la même question. Nos soldats vont rentrer dans leurs loyers, et gouter avec tous les Belges, les douceurs de la paix. Mais cette paix a elle aussi ses exigences, et les travaux qu'elle fait naître ne sont pas moins lourds que ceux de la guerre.

       L'heure est grave. En se retirant l’ennemi ne laisse que des ruines. Et la question se pose plus nette, plus angoissante que jamais.

Sommes-nous prêts ?

       Sommes-nous prêts à restaurer notre pays sur des bases nouvelles. Un labeur presque gigantesque s'offre à nous. Jamais à aucune époque de l’histoire, jamais chez aucun peuple, tâche plus noble et plus haute ne fut réservée. Nous avons tout à refaire, et nous sommes les maîtres de nos destinées. Nous avons tout à reconstruire, et nous sommes victorieux, et nous possédons l’estime et l’admiration du monde. Un souffle de jeunesse passe sur nous et nous transporte. Avec quelle joie sans doute, avec quel enthousiasme, nous allons entreprendre cette œuvre. Mais quelle énergie elle commande, quelle discipline, quelles méthodes elle nous impose ! Et d'abord

Sommes-nous prêts ?

       À abandonner nos vieille querelles politiques, ou du moins à leur imposer silence, lorsque l’exigera l’intérêt de la patrie ? A quoi aurait servi le  sang si abondamment versé, à quoi auraient servi la bravoure de nos soldats et le courage admirable de nos jeunes volontaires, si nous allions déchirer et meurtrir cette patrie si miraculeusement sauvée ? Et les morts, nos morts, que nous voulons honorer, oserions-nous, coupables de ce sacrilège, nous incliner sur leurs tombes ?

Sommes-nous prêts ?

       À aborder les problèmes qui demain se poseront à nous, avec un esprit exempt de préjugés, avec un esprit clair et sain. Certes, nous formons tous le projet intérieur de créer une Belgique plus grande, plus généreuse, plus libre. Nous sentons tous que nous ne pouvons la laisser languir dans l'immobilité et qu'arrêter le magnifique élan qui l’entraine serait la condamner à périr. Nous le répétons, il faut tout recréer et réformer : Constitution, finances, industrie, voies ferrées, enseignement, administration. Mais l’ordre et la raison, comme la justice et le progrès, doivent nous guider dans l’accomplissement de cette œuvre qui ne sera solidement fondée que si elle est juste et équitable.

Sommes-nous prêts ?

       À consentir les sacrifices que vont exiger les intérêts du pays, à réviser notre législation ouvrière, à remplir nos devoirs, tous nos devoirs, à l’égard des travailleurs et des humbles. Et ici encore l’appel s'adressera à tous, aux ouvriers qui doivent à la nation le secours de leurs bras et de leur intelligence, aux patrons qui doivent leur assurer le bien-être et ne pas leur faire regretter de n'avoir pas quitté une ingrate patrie.

       Et lorsque nous aurons construit l’édifice matériel que sera la Belgique restaurée nous songerons à élever l’édifice moral. La guerre nous a montré des tares ou plutôt des ignorances morales, qu'il faut résolument dissiper. Il faudra s'efforcer de donner à une partie de notre peuple un sens plus exact de la probité et de la solidarité sociale. Il y aura peut-être quelques rudes vérités à dire. Nous n'hésiterons pas. Il nous faudra encore acquérir des qualités qui nous manquent : la discipline, la méthode, et nous débarrasser de certains défauts, tels que la manie du dénigrement, l’esprit de mesquinerie, le particularisme étroit. Défauts de petit pays, dira-t-on. Nous ne le croyons pas. En notre temps, un pays ne se juge pas à l’étendue de son territoire mais à l’âme qu'il se forme

Sommes-nous prêts ?

       Enfin à remplir notre tâche toute notre tâche, si durs que soient les sacrifices des intérêts personnels qu'elle exigera peut-être. Souvenons-nous que l’Europe intéressée par notre vertu et nos malheurs, garde les yeux fixés sur nous. Nous lui avons montré que nous savions bien mourir, il nous reste à lui prouver que nous savons bien vivre.

LE SOIR.

 

 

 

 



[1] Editorial du journal « Le Soir » du 18 novembre 1918.



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