Médecins de la Grande Guerre

Témoignages sur Walthère Dewé.

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Témoignages sur Walthère Dewé[1]


Préface

     Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, les patriotes qui ont eu le privilège de servir sous les ordres de Walthère Dewé, ont émis le vœu qu’un monument commémoratif rappelle aux générations à venir les vertus et les mérites exceptionnels de ce grand Belge. La découverte dans ses archives personnelles du plan d’une chapelle dont il avait lui-même envisagé l’érection pour commémorer le souvenir de ses agents disparus dans la tourmente de 1914-1918, fournit des indications utiles au Comité du Mémorial et au talentueux architecte M. Roger Jacquemart qui s’était gracieusement mis à sa disposition.

     La réalisation du projet adopté devait néanmoins se heurter à des difficultés dont le Comité ne serait pas venu à bout sans l’intervention d’un homme à qui je suis heureux d’exprimer notre vive reconnaissance : M. Félix Hauterat, volontaire de guerre 1914-18, président de la Fraternelle du 11ème de ligne et ancien agent du S.R. Clarence.


Maurice Hauterat, volontaire du Front Intérieur, tombé en septembre 1944

     Le 18 mars 1951, au cours d’une manifestation à laquelle assistaient de nombreuses personnalités, deux cents de ses amis ont tenu à témoigner à ce Belge « de grande classe » leur profond attachement.

     Le mouvement d’enthousiasme collectif qui a groupé autour d’un homme tant d’ardentes sympathies, a été déterminé par autre chose que l’image classique du philanthrope au geste large et généreux. Une telle unanimité dans l’admiration et l’affection ne pouvait s’expliquer que par des raisons d’un ordre infiniment plus élevé ; c’était essentiellement et avant tout, un hommage à un homme de chez nous, fils de notre bonne vieille terre wallonne. Latin tour à tour caustique et plein de bonhomie, qui a réalisé au cours de son existence une formule d’humanisme où l’on retrouve à la fois les plus hautes élévations de l’esprit et les plus beaux élans de l’âme. Un homme de chez nous, tel que nous les aimons ; droit comme une épée, franc, jovial et cachant sous des dehors tantôt bourrus, tantôt réservés, une nature sensible et vibrante. Cependant, pourquoi ne pas l’avouer ? Tout l’attrait d’une personnalité riche et débordante de vie ne suffit pas à en expliquer l’extraordinaire rayonnement. On s’en rendit compte en lisant dans les regards des deux cents amis qui le fêtaient, la profonde émotion de tous ces « anciens » de 1914-1918 et de 1940-1945, rudes gars qui s’y connaissent en valeurs humaines parce que la dure école de la vie leur a appris le sens des choses et des mots. Cette émotion avait quelque chose de poignant : c’était à la fois de la fierté, de la gratitude, de l’affection et une immense tristesse. Chacun avait le sentiment que ce grand ami très sûr n’avait pas gagné le cœur de tous en donnant le meilleur de lui-même, mais en se donnant tout entier aux nobles Causes qu’il a voulu servir. Et c’est la pensée de ce don qui embuait bien des yeux... Il est en effet des sacrifices dont la seule évocation bouleverse les âmes les mieux cuirassées contre les surprises de la sentimentalité. Tandis que l’ancien volontaire de guerre, officier patrouilleur, résistant de 1940-1945 était là, entouré de ses camarades de lutte qui étaient venus lui redire leur ardente affection, l’image très chère d’un Absent était dans tous les esprits et éveillait de profondes résonances dans les cœurs. Tragique destin des luttes qui échelonnent sur deux générations les sacrifices des pères et des fils.

     En assurant la réalisation du Mémorial W. Dewé, vaste entreprise dont il fut la cheville ouvrière, M. Félix Hauterat s’est acquis des titres impérissables à la reconnaissance de tous les anciens agents et de tous les admirateurs de Walthère Dewé. C’est pourquoi la famille Dewé a exprimé le vœu que la chapelle qui sera inaugurée le 21 septembre prochain sur les hauteurs du Thier-à-Liège, soit dédiée à Saint Maurice, patron de son héroïque fils.

     Ainsi donc tant par les louables intentions qui lui donnèrent naissance que par les conditions où il fut érigé, le Mémorial Dewé, couronnement de tant d’initiatives et de gestes généreux, portera témoignage devant les générations à venir du grand Idéal de concorde, de fraternité et de paix qui ne cessa de guider le célèbre Commandant en chef de la Dame Blanche et du Service Clarence.

     C’est pour cette raison qu’à la veille de la grande journée d’inauguration, il importait de rappeler, par l’organe même de ceux qui en furent témoins, les rayonnantes splendeurs morales de ce destin hors série.

L. Lombard.

Hommage à un grand Belge

Du Capitaine Anglais Landau.

    M. Dewé est le fondateur du Corps d’Observation anglais au front de l’Ouest. Il en a été le chef depuis sa fondation en juin 1916.

     Le Corps d’Observation avait une mission essentiellement militaire : il était chargé de l’observation des troupes allemandes au repos, en arrière du front ouest, et de leur mouvement par route et par chemin de fer. Le front qu’il observait efficacement s’étendait de Verdun à la mer.

     Le corps était organisé comme une unité militaire de combat. Il se composait d’un Etat-Major, de huit compagnies d’observation, d’une compagnie de transmission et de diverses formations accessoires.

     Il comprenait, en 1918, environ 1.000 hommes, recrutés par son chef et ses collaborateurs.

     Le corps a pris une part active à la grande bataille de 1918, qui a amené la défaite des Allemands. A ce moment, 75 % des renseignements du pays occupé, obtenus par le Grand Quartier Général anglais, étaient donnés par lui.

     Le rôle joué dans le Corps d’Observation par M. Dewé est considérable. Ses vues larges, sa persévérance à étendre constamment le champ d’action, sa foi dans le succès, même dans les crises les plus difficiles, son commandement énergique, ont joué un rôle inappréciable dans l’efficacité des opérations du Corps.

     M. Dewé a montré, pendant l’occupation allemande, un exemple admirable d’énergie, de patriotisme dont tous les Belges doivent être fiers.

S.E. Monseigneur Kerkhofs,

Evêque de Liège


S.E. Monseigneur Kerkhofs

     Ce que j’admire et vénère en Walthère Dewé, ce n’est pas seulement le grand patriote, l’organisateur génial de la résistance, c’est aussi, faut-il le dire ? Le chrétien d’élite.

     Il ne m’a guère été donné de le fréquenter. Je le rencontrais aux messes, aux assemblées générales des Sociétés de Saint Vincent de Paul de Liège, ou pour traiter à l’occasion quelque question de son patronage paroissial. Mais depuis longtemps, depuis l’année 1926 où Léopold Levaux publia le Journal de sa conversion, je portais en moi la belle et noble figure de Walthère Dewé, figure de Christ du moyen-âge, à la fois énergique et douce. Regard droit, émanant de deux yeux d’un bleu limpide où se concentrait la flamme intérieure de son âme ardente. Voix au timbre grave, un peu brisé qui annonce un homme compatissant. Et au moral « un homme » simple et vrai, brûlé d’une foi forte et agissante qui n’exclut pas cependant une vision stendhalienne, réaliste et amère, de la vie et dont la tolérance n’est à aucun degré faite de tiédeur et de bienséance mondaine.

     Ce portrait suggéré par la lecture et que j’aurais pu croire idéalisé, ne perdait rien à être confronté avec la réalité. Si, au physique comme au moral, l’ingénieur Dewé était un beau type d’homme – esprit fin cultivé, technicien remarquable, caractère ferme et d’une noble droiture, haute valeur morale – toute cette richesse naturelle baignait dans une atmosphère surnaturelle de foi, de grâce, de charité. Il pratiquait sa religion sans forfanterie comme sans respect humain, et il fallait une vraie impossibilité morale pour le faire renoncer à sa messe et à sa communion quotidiennes.

     De par ce contact habituel avec le Christ, dans la prière, la lecture des livres saints, les sacrements, l’esprit du Maître et de l’Evangile passa de plus en plus dans l’âme et dans le cœur du disciple. N’est-ce pas là qu’il puisait cette préférence marquée pour les pauvres, qu’il aimait à visiter et à secourir à l’exemple d’Ozanam, et pour les enfants auxquels le dimanche il consacrait tant d’heures de ses rares loisirs ? Dans le prochain, dans les humbles et les petits en particulier, il voyait, il aimait le Christ. Comme il avait lu et relu la parole de Jésus sur le renoncement, comme il connaissait la parole de Saint Jean : « Si le Christ est mort pour nous, nous devons, nous aussi, donner notre vie pour nos frères », l’oubli de lui-même lui était devenu en quelque sorte naturel, et la mort elle-même, la mort au service de son pays et donc de tous ses frères, lui paraissait dans la logique de sa foi et de sa charité.

     Ceux qui vécurent avec lui, notamment pendant les rudes années de l’occupation, et qui furent témoins de sa constante sérénité, des délicatesses de sa charité, de sa sollicitude pour les autres, de son désintéressement total, de sa simplicité dans l’héroïsme, ont tous subi le mystérieux ascendant de sa personne et traduit dans une même formule ce quelque chose d’indéfinissable qu’ils percevaient en lui : Monsieur Dewé était un saint.

     N’est-ce pas l’illustration concrète de ce qu’écrit le Chanoine Leclercq : « Aujourd’hui encore, là où passe un bon chrétien, le parfum du divin se répand sur ses pas et fait palpiter chez les hommes la nostalgie d’une pureté qui n’est pas de ce monde. Sur ce chrétien repose cette « gloire du seigneur », reflet de ce que les disciples voyaient en Jésus ;  elle transparait de son âme dans ses actes, ses paroles et jusque dans l’expression de son visage. C’est elle qui attire, qui convertit ; c’est elle qui anime tout le corps de la Sainte Eglise, car elle est la vie divine passée dans les hommes ». (Chanoine J. Leclercq. Trente Méditations sur la Vie chrétienne. Casterman, 1946, p. 79).

Feu le R.P. Desonnay S.J.


Le R.P. Jean Desonay après son retour de captivité en 1919. (journal « La Dame Blanche)

     Le trait dominant de Walthère Dewé fut le caractère. Il fut éminemment l’homme du devoir. Il s’était fait des convictions éclairées et profondes, et il leur fut inflexiblement fidèle.

     Intelligence supérieure, facilement idéaliste ; et pourtant homme d’initiative et d’action. Sa formation d’ingénieur, sa carrière dans l’administration avaient fort développé son sens de l’organisation. Ses fonctions au P.T.T. ne furent pas un emploi : mais service dévoué à ses concitoyens ; du personnel qu’il commandait, il s’était fait des collaborateurs, et tout avancement dans la science de sa spécialité lui était occasion d’innovations heureuses. Sa foi lumineuse et chaude, avait orienté et renforcé la générosité de son cœur : dès sa jeunesse et jusqu’à la fin il s’est donné passionnément au peuple, à l’amélioration morale et sociale de sa condition. La politique ne l’attira pas : il répugnait aux compromis qu’elle nécessite.

     Habitué à aller droit au but, partageant le préjugé défavorable de ses concitoyens à l’égard de l’« espionnage », il n’avait pas été tenté par les services secrets au début de la guerre 1914-1918. Ce fut l’activité puis l’exécution de son parent Dieudonné Lambrecht, dont il savait la noblesse morale, qui l’inclina à se prêter d’abord, puis à se donner tout entier à l’organisation d’un service de renseignements.

     Il avait d’abord accepté de rencontrer un collaborateur direct de Lambrecht pour l’aider à retrouver  certains agents de celui-ci ; il se croyait sur la liste noire allemande et par là un danger pour le service nouveau. Peu à peu ses craintes se dissipèrent et il réalisa que les renseignements pouvaient s’obtenir d’autant plus exacts et sûrs que les procédés restaient plus honnêtes et moraux. Il accepta donc bientôt de partager le commandement à trois ; et comme ses qualités de chef s’affirmaient de plus en plus, d’en accepter peu après le titre. Mais le service s’appela Corps d’« Observation », et non pas d’espionnage. Un rapport fait à Londres par un agent du service pendant cette guerre-ci (1939-40) croit pouvoir donner Walthère Dewé comme un brillant élève de l’I.S. britannique. C’est montrer que cet agent ignore tout de 14-18. Les officiers de l’I.S. ne sont venus en contact avec le C.O.A. ou Dame Blanche, que fin 1917 et pour la seule transmission en et de Hollande. La Dame Blanche, principes procédés, lignes majeures, était entièrement montée et fonctionnait. C’est même l’originalité de l’organisation, sa solidité, sa haute efficience, qui retinrent l’attention de ces officiers et les déterminèrent à en faire leur chose. Avec eux le financement du service, la transmission des plis furent plus rapides et régulières, les demandes de renseignements plus précises ; grâce à cela le C.O.A. put prendre toute son ampleur et toute son efficacité et le Commandement plus d’assurance. Basé sur le devoir patriotique pur, sur un désintéressement absolu (ni chefs ni agents ne touchèrent ni primes ni salaires, et après la guerre le Commandement ne demanda aucune décoration pour aucun agent), le C.O.A., création belge et liégeoise, atteignit la fin de la guerre avec plus de deux mille agents, 49 arrestations et deux fusillés seulement, mais ayant fourni plus de 70 % des renseignements aux Alliés.

     En 39-40, Walthère Dewé, devançant l’invasion qu’il prévoyait remit le service sur pied dans le même esprit. Il a réalisé les plus hautes performances dans des conditions plus sévères : vivant en apatride, loin des siens, payant constamment de sa personne, il est finalement tombé avant la libération, à l’occasion d’une démarche audacieuse, que lui dicta son dévouement, à un collaborateur menacé.

     Il est tombé de la mort qui résume toute sa vie : victime du devoir et de la charité.

Feu le Général M. Modard,

Commandant du R.F.L.

     D’une intelligence très vive, d’un jugement très sain et très nuancé, aussi érudit que modeste, Walthère Dewé était doué d’une volonté de fer s’alliant à un tact très prenant et à une délicatesse touchante. Très rares sont ceux qui, comme lui, réunissent un tel ensemble de qualités portée à un potentiel si élevé. Elles étaient indispensables à la direction d’un organisme comme le Service Clarence ; elles en firent un chef respecté et vénéré de tous. Walthère Dewé ne donnait jamais d’ordre au sens strict du mot : il n’utilisait que la persuasion. Une persuasion imprégnée de tact. C’est celui-ci et sa grande bonté qui furent le secret de l’ascendant profond qu’il exerçait sur tous. Dans ma vie, jamais je n’ai rencontré un si grand Chef au sens le plus élevé du mot. Trois idées peuvent résumer toute son existence : Dieu, le devoir, servir ; elles en firent un héros d’une pureté exemplaire.

Feu le Baron Meyers,

Procureur Général Honoraire

     Idéaliste, Walthère Dewé le fut dans la bonne et belle acceptation du mot. Chez lui, l’idée partait de l’amour de Dieu et du prochain, engendrant l’amour de la patrie.

     Dans ce triple amour, Dewé trouvait l’inspiration de son activité. Il y puisa l’énergie d’un dévouement à toute épreuve et la force d’une mort qui fut le digne couronnement de sa vie généreuse et héroïque.

     On est heureux et fier d’avoir pu approcher d’un aussi noble exemple de grand chrétien et de bon citoyen.

Feu H. Heuse,

Avocat près la cour d’appel

Conseiller communal de la Ville de Liège

     J’ai connu Walthère Dewé au printemps 1919 et depuis lors ai entretenu avec lui les relations les plus cordiales. J’en conserve le plus cher souvenir, je suis fier de l’avoir approché. Il pensait avec droiture. Il jugeait loyalement, avec générosité. Modeste, il voyait grand. Pour lui, « servir » c’était se dévouer avec abnégation. Pour les humbles son cœur débordait de bonté. Il regardait les grands de la terre en face et jamais ne leur cachait la vérité, fût-elle brutale. Sa vie ne lui appartenait pas, il l’a donnée en exemple à ses concitoyens. Ceux-ci se doivent de conserver pieusement le souvenir de ce parfait homme de bien.

L’Abbé E. Druart,

Aumônier Général du Service Clarence

     C’est en 1921 que, par l’étude de l’histoire de Louis et Anthony Collard, je suis entré en rapport avec M. Walthère Dewé.

     Ce qui m’a frappé chez lui au premier abord, et cette impression n’a fait que s’accentuer, c’est sa droiture et sa loyauté, son ardeur chevaleresque, la ferveur et l’idéalisme pur de sa belle-âme. Il répugnait aux compromissions, voire aux demi-mesures ; il ne supportait ni le terre à terre ni la médiocrité ; il rejetait toute fraude, tout mensonge, toute injustice même pour aboutir aux résultats les meilleurs en apparence. Il avait en horreur la pusillanimité au point de trop mépriser, au gré de ses amis, la prudence. L’héroïsme l’attirait et animait sa vie.

     Depuis 1939 jusqu’au jour de sa mort tragique, recevant fréquemment sa visite, ayant le bonheur de l’hospitaliser parfois et l’honneur d’être un des confidents de son travail patriotique inlassable et si divers, j’ai pu constater l’élévation, la virilité de son âme qui n’en restait pas moins sensible...

     Il s’inquiétait de la situation matérielle de ses agents et de leur famille, des périls qu’ils couraient et qu’on pouvait leur faire éviter ; il admirait et soutenait leur bon travail ; il les aimait vraiment et leur était à jamais attaché.

M.  E. Rongvaux,

Ancien Ministre des Communications

     J’ai connu M. Walthère Dewé entre les deux guerres, lorsqu’il fonctionnait en qualité de directeur des téléphones à Liège. Sans l’avoir approché de très près, je le considérais quelque peu comme un fanatique et un démagogue. Il s’est passé, notamment au cours des grèves de 1936, des événements qui ont modifié mon opinion ; il a pris vis-à-vis de son personnel et de l’extérieur des attitudes telles que mes préventions à son sujet se sont évanouies. Il avait reconnu le bien-fondé des revendications de ses petits agents et les avait encouragés à exiger un salaire convenable.

     Je l’ai approché de nombreuses fois pendant la guerre. Nous connaissions l’un et l’autre nos opinions politiques et philosophiques et cependant nous nous sommes rencontrés dans une atmosphère de concorde, de collaboration, de confiance. Je lui ai apporté tout mon concours, je sentais devant moi un homme résolu, disposé à sacrifier sa vie s’il le fallait pour aider son pays.

     J’ai eu l’honneur de la voir encore quelques jours avant sa mort ; la même résolution froide se lisait dans ses yeux ; personne n’aurait pu penser à ce moment que sa fin était si proche.

     Tous nous avons été atterrés par la triste nouvelle qui nous est parvenue en janvier 1944 ; nous avons longtemps espéré qu’elle serait controuvée. Il a fallu se rendre à l’évidence.

     La Régie des Télégraphes et des Téléphones a perdu un fonctionnaire de tout premier plan, la Belgique a perdu un grand serviteur.

M.  Noël Dessard

     Tout qui a eu le bonheur d’être à l’Université l’ami de Walthère Dewé en a gardé le souvenir d’un camarade au contact duquel on ne pouvait que devenir meilleur. C’était l’ami par excellence, l’ami sur lequel on pouvait toujours compter. Le regard profond, concentré, d’aspect ascétique, tout en lui faisait deviner l’âme d’un apôtre et d’un noble idéaliste.

     Nous nous rendions compte que rien ne pourrait le détourner de la ligne droite que sa conscience scrupuleuse et son idéal lui avaient tracée. Rien, ni le martyre ni la mort.

     Avec lui, les conversations durant les intervalles des cours se déroulaient toujours sur des sujets d’un plan supérieur, la philosophie, la religion, la morale et toujours l’on retrouvait chez lui les mêmes principes droits, rigides, élevés.

     Walthère Dewé, nous le pressentions, devait devenir dans notre pauvre monde moderne le type le plus pur du chevalier sans peur et sans reproche.

M.  H. Chauvin,

Professeur à l’Université de Liège

Chef en second de la « Dame Blanche »

     Les situations tragiques de la guerre et particulièrement des services de renseignements, se présentent presque toujours au début comme des événements anodins, pour éclater brusquement ensuite. Parmi ceux qui ont délibérément accepté une responsabilité dans un de ces services, certains bridés par leur inertie, n’agissent pas ; d’autres plus conscients, interviennent comme ils le doivent, mais seulement après avoir longuement examiné la situation.

     Walthère Dewé n’était ni des uns, ni des autres : doué d’une clairvoyance extraordinaire, puisée sans doute dans son éducation philosophique et historique approfondie, il réalisait immédiatement la situation.

     Devant le danger qu’il avait compris, il ne fléchissait pas un instant ; ignorant toute crainte, il passait de suite à l’action. Son principe, qu’il répétait souvent, était « qu’il faut s’opposer au mal dès le début » ; il ne manqua jamais de l’appliquer.

     Son énergie et sa volonté étaient comme un mur inébranlable devant le doute, les hésitations ou les inquiétudes que son entourage pouvait manifester.

     Dans toute sa vie et particulièrement dans son action de guerre, il a suivi ce qu’il croyait son devoir, en passant par-dessus toutes les contingences, sans s’inquiéter de l’opinion de ceux qui ne voyaient pas comme lui et s’opposaient à son action.

     Ce sont ces qualités qui faisaient de Walthère Dewé un chef dans toute l’acceptation du mot, et qui lui ont permis, dans la conduite du groupe Clarence et surtout de l’important et efficace service de la « Dame Blanche » d’accomplir de si grandes choses pour la cause des Alliés.

     Combien de faits ne pourrait-on relater, qui illustreraient cette trop brève appréciation !

Le Lieutenant Général Mozin

     Grand, mince, peu soucieux d’élégance ou de coquetterie vestimentaire. Visage d’ascète, émacié, pâle. Les yeux d’expression douce, mais où brille une flamme lorsque sa pensée se concentre sur l’action qu’il mène ; des yeux qui révèlent une vie intérieure intense, fiévreuse, un cerveau en travail poursuivant sans relâche l’accomplissement de l’œuvre de sacrifice à laquelle il a voué sa vie. Voix prenante, qui convainc et ordonne sans commander. Ame noble, généreuse et vaillante, qu’habite une foi profonde.

     Tel était Walthère Dewé ; tel l’ont vu tous ceux qui l’ont approché et ont eu l’honneur de l’avoir pour chef dans la lutte secrète et opiniâtre qu’au cours des deux guerres il a menée contre un ennemi odieux. Un pur héros, dont la nation se doit de perpétuer le souvenir.

Madame Jeanne Goeseels,

Ex-condamnée à mort


Madame Jeanne Goeseels

     Bien des années ont passé depuis... et cependant comment oublier l’impression que je ressentis lorsque dans ma cellule de condamnée à mort me parvint le premier message du Chef : « Je vous félicite de votre attitude devant le Conseil de guerre. Différentes démarches sont faites afin que l’exécution n’ait pas lieu, mais si, malgré tout elles étaient vaines, restez ce que vous êtes : patriote et chrétienne. Sursum Corda ! » L’homme est tout entier dans ces quelques mots : quelle que soit la situation, savoir l’accepter.

     Je l’ai revu lors de l’arrestation de ses deux chères filles ; il était resté ce qu’il était trente ans plus tôt : prodigieusement calme et fort devant l’épreuve. Comme tous les agents, je considère comme un honneur inappréciable d’avoir pu servir sous les ordres d’un Chef aussi éminent.

Madame Simone Anspach,

Présidente du Conseil d’Administration du « Bastion de Liège »



Madame Simone Anspach

     De tous les émouvants souvenirs que nous conservons pieusement de notre chef Walthère Dewé, fondateur de la « Dame Blanche », fondateur du « Corps d’observation Belge », les plus caractéristiques peut-être sont ceux qui nous restent de son existence en exil. Quelle vie ressemble à celle-là : si grande à la fois et si simple, si tragique et si humaine ?

     Un homme traqué par l’envahisseur, lui échappant sans cesse, et lui faisant, dans ses propres lignes, une guerre acharnée : le harcelant partout, organisant un réseau de contre-espionnage irréductible. Continuellement sur la brèche, jamais en repos, jamais en sécurité. Déjouant les traquenards, bravant les dangers, contre-attaquant jour après jour, en opposant sa volonté à toutes les influences funestes et, gardant sa foi en la destinée de la Belgique il savait insuffler son audacieuse conviction aux plus timorés, aux plus incrédules. Dirigeant, ordonnant, prévenant – n’oubliant rien ni personne ; sillonnant le pays entier et n’ayant jamais pour s’abriter que des refuges éphémères, des foyers d’emprunt ; tel nous nous rappelons le Patron, gardant en éveil, à travers tout, ses clairvoyantes facultés de chef responsable.

     Ce n’est pas à son génie de grand capitaine, toutefois, que j’essaie de rendre hommage par ces lignes. Seuls d’autres capitaines de son envergure peuvent l’apprécier à sa valeur réelle. En évoquant Walthère Dewé, Le Proscrit, c’est à l’être excellent qu’il nous était si doux de suivre, que vont mes pensées ferventes, ma gratitude et mes indicibles regrets. Une âme d’acier, un cœur sensible, un esprit délicat : le héros que l’on révérait, l’ami à qui l’on confiait ses peines. Nous a-t-il assez réconfortés quand nous nous sentions à bout de courage ; nous a-t-il assez aidés à accomplir notre mission, à accepter nos épreuves ! Il tirait de nous le meilleur de nous-mêmes, sans jamais demander à personne plus qu’il ne pouvait humainement donner.

     Séparé des siens qu’il aimait tant, ne voyant que de loin en loin sa femme adorée, ses enfants chéris, lui qui avait plus que nul autre besoin de l’atmosphère familiale, il s’ingéniait à créer un sentiment de famille entre les éléments de son entourage. A la solennité des séances secrètes il donnait une ambiance amicale, confiante et joyeuse. Il n’avait garde d’y faire fi du pittoresque. Il ne manquait pas une occasion de parler wallon aux agents de chez nous, encourageait les anecdotes plaisantes, et ce grand austère ne dédaignait pas de nous révéler ainsi un côté de sa nature enjouée et débordante de verve. Il tâchait que nos relations d’affilié à affilié fussent toujours empreintes de bonne entente ; s’efforçant à ce qu’il y eut en notre exil des réunions charmantes où, dès les questions graves résolues, des moments de choix fussent réservés à la littérature, à la philosophie, à des causeries de franche cordialité.

     Il avait rencontré partout de l’estime, de la déférence, une obéissance exacte ; mais partout également il avait attiré des sentiments d’affection profonde. On avait tant de réconfort à le voir, on se réjouissait tellement de sa présence attendue. Dans tout son champ d’action, il possédait des amis dévoués pour qui l’honneur redoutable de l’héberger était la plus précieuse des faveurs. Il leur avait une extrême reconnaissance de l’accueillir, de le comprendre, de lui offrir la possibilité de se créer des habitudes. Rien n’est touchant comme l’aspect que M. et Mme Alfred Liénard, à Bruxelles, ont conservé à sa chambre de proscrit. C’est un musée en miniature, une façon de temple du Souvenir, où des mains pieuses entretiennent avec amour des reliques de son passage. Voici quelques fleurs et des feuilles séchées cueillies là-bas au Thier-à-Liège, disposées par lui au pied de son crucifix. Il était heureux de les revoir à leur place, à chacun de ses retours, lui que le destin condamnait à passer continuellement d’un endroit à un autre sans le loisir d’une halte salutaire au foyer. Voici des livres aussi. Des livres... compagnons chers dont il emplissait ses poches, sa valise et qu’il ne déposait qu’à regret lorsque son fardeau devenait trop considérable. Nous aimions tous son demi-sourire confus, quand il nous confessait : « Je me suis encore laissé tenter... ». Alors, tout à sa nouvelle trouvaille, il se délectait à nous lire un nouveau passage qu’il admirait.

     Nous avons vécu avec lui, pour lui, de lui, quand nous étions proscrits nous-mêmes – munis d’une fausse carte d’identité, gitant dans des logis de fortune – traqués parfois, presque toujours sur le qui-vive et souvent le cœur en détresse. Mais tant qu’il s’est trouvé parmi nous, sachant maintenir un contact constant entre nous et lui, nous n’avons connu ni les vraies angoisses, ni les écrasants désespoirs.

     Nous partagions avec une, si suave, émotion le bonheur des rencontres ménagées pour lui avec Madame Dewé, Marie et Madeleine ! Ces jours-là, c’était la haute récompense de sa vie uniquement vouée à la défense de notre pays et des pays de nos Alliés. Et l’on aimait de prendre un peu sa part du sourire angélique de celle qui portait avec un si doux rayonnement le nom de Dieudonnée.

     Ses filles, comme il en était fier à juste titre ! Elles arrivaient, apportant à son esprit enfiévré, à la dure tension morale, le rafraîchissement de leur bonne tendresse. Elles étaient si tranquillement héroïques, si gaiement, si sereinement jeunes !

     Ah ! chez Dewé, l’on ne se payait point des phrases pompeuses sur le Devoir, sur le Sacrifice, sur les Principes. On vivait ces choses avec un parfait naturel, journellement et sans rien en dire.

     Le chef tirait de ses proches ses principales satisfactions et puisait dans l’appui de leur attachement, la force d’accomplir toute sa tâche.

     Une épouse collaboratrice admirable, des filles faisant la guerre secrète au côté des parents. Un fils prisonnier militaire en Allemagne, un autre luttant dans la clandestinité : n’était-ce pas la famille dont tout autre eût tiré un immense orgueil ? Mais l’orgueil n’a jamais effleuré la pensée de Walthère Dewé. Pour lui, servir, voir servir les êtres chéris, aller ensemble au devant des périls, accepter les renoncements, aimer Dieu et la Patrie d’un amour infini, c’était chose toute simple et que l’on accomplit sans mérité.

     C’est pour lui et les siens que Flaubert semble avoir écrit les paroles prophétiques : « On monte au ciel le cœur percé, les mains en sang et la figure radieuse ».

Madame J. Orban-Englebert,

Présidente Nationale du Parrainage des Enfants des Fusillés

     La vie moderne, par son rythme essoufflant, par sa dureté croissante, est peu apte à créer ces historiques figures d’humanité dont l’équilibre du cœur et de l’esprit dominent non seulement leur entourage, mais encore projettent leur reflet sur toute une époque. Ces hommes de haute vertu et qualités intellectuelles suréminentes ont d’abord eu à construire leur personnalité, à l’accorder ensuite à leur temps pour enfin lui donner l’orientation créatrice qu’ils ont conçue dans la solitude de leurs méditations. Walthère Dewé fut une de ces « figures-forces » ; pas un battement de son cœur, pas un instant de sa vie n’a été distrait de son but : « servir sa Patrie ».

     Il n’est personne, quel que fût son âge et sa conviction, qui, le rencontrant, ne se sentit bouleversé par le rayonnement inouï qu’il émanait ; le souffle brûlant, pathétique de sa voix profonde faisait de suite ressentir que l’on rencontrait quelqu’un d’une grandeur hors la mesure, on se sentait petit, mais pas diminué. Au contraire, auprès de lui, chacun se sentait transporté, hissé presque à sa taille, toute la puissance de sa volonté, la subjugation de son regard était quelque chose de surhumain, doux et implacable, humble et majestueux. Il joignait à la vue d’ensemble et à la décision foudroyante du grand capitaine la souveraine prudence des hommes formés aux services secrets. Toute ma vie je retournerai avec piété à ces longues veillées de 1940 à 1944 où, assuré de l’avenir, certain de la victoire, il créa, dirigea un nouveau service digne continuateur de la « White Lady » de 14-18. Dans toute la grandeur du mot, il était le « Chef », adoré et obéi.

     Walthère Dewé était aussi un « Saint », un véritable saint dont la croyance, la ferveur et les actes ne le cèdent en rien aux images les plus vénérées. Pour reprendre une expression biblique, il « vivait en Dieu ». Tout ce qu’il a pensé, fait, souffert, était animé d’une foi totale ; son prodigieux sens du devoir n’était pour lui qu’une simple manifestation de sa religion. Tout lui était simple et facile, son âme reposant dans sa foi : La Providence, comme il disait, avait fait de l’espionnage sa carrière, l’information militaire était devenue pour lui son premier devoir d’état. On a dit un jour que Walthère Dewé était une sorte d’association de Saint Ignace de Loyola et de Saint Augustin ; du premier il avait la froide méthode intellectuelle, l’implacable discipline et presqu’une sorte de férocité orgueilleuse dans l’accomplissement de son devoir ; de Saint Augustin, il avait l’enthousiasme dévastateur, la charité douce pour les fautes d’autrui et ce particulier lyrisme qui le rendait si impressionnant pour son entourage. Je suis convaincue qu’il est le plus pure image du devoir patriotique et qu’il est une des plus grandes figures de notre combat. Walthère Dewé deviendra un de ces personnages légendaires qui honorent les fastes d’un pays, un de ceux dont on lit l’histoire aux enfants pour les éduquer à leurs devoirs envers la Patrie.

     Il avait la prescience de sa fin tragique qu’il envisageait sereinement comme l’accomplissement final de son œuvre.

L’Abbé Lissoir,

Curé de Sclayn,

Aumônier Général Adjoint du Service Clarence

     Tous ceux qui, comme moi, ont eu l’insigne privilège d’approcher de très près et d’être les confidents de Walthère Dewé, ont pu apprécier la valeur merveilleuse de ce grand homme, de ce patriote éclairé et intrépide, de ce chef à la volonté d’acier, de ce chrétien tout d’une pièce.

     Au cours de la guerre, après avoir parcouru les quatre coins de la Belgique, Walthère Dewé, dont j’ai ressenti la perte comme celle d’un très proche parent, aimait à venir chez moi se reposer des tracas et des transes innombrables que sa passion de servir totalement la grande Cause lui attirait. Se reposer n’est pas exactement le mot, car chacune de ses visites – et celles-ci s’espaçaient de 15 en 15 jours depuis juin 1941 jusqu’à sa mort tragique -  était pour lui l’occasion de voir divers agents du Service.

     « On n’a jamais fini de faire son devoir », se plaisait-il à répéter bien souvent. C’était aussi parfois pour le « proscrit » des rencontres avec les membres de sa famille, tout entière vouée, elle aussi, à la même Cause sacrée. Et quand le calme de la nuit enveloppait le presbytère dans des conversations intimes à jamais inoubliables, toujours sur la brèche, il échafaudait plans, élaborait de nouveaux projets, contait ses espérances et ne vivait que de cette unique pensée : sauver le Pays.

     La Belgique a perdu un grand homme, mais sa vie, ses exemples et son ardent patriotisme ont semé pour l’avenir.

M. François Capelle,

Directeur Général du Grand Bazar, Liège

     Nous nous connaissions depuis trente ans.

     Lors de la première guerre mondiale, je lui avais apporté une modeste collaboration que me permettaient déjà mes voyages dans différents coins de la Belgique.

     Il s’en était souvenu et lorsqu’en 1939 les hostilités commencèrent je me remis à sa disposition. Ce fut l’époque où je pus apprécier ses qualités, que je ne répéterai pas, mais qui faisaient de lui à mes yeux presqu’un surhomme. Il faut lui avoir remis des rapports, lui avoir donné des renseignements, pour se rendre compte de sa force morale et de son abnégation. Quel éclair brillait dans ses yeux lorsque dans un détail, il voyait déjà la possibilité d’autres renseignements à recueillir. Quelle joie reflétait son visage lorsqu’après de longues recherches, il trouvait ce qu’il avait peut-être mis des mois à obtenir. Mais aussi quelle affectueuse poignée de mains pour remercier ses collaborateurs lorsqu’il jugeait avec sa bienveillance coutumière, que ceux-ci avaient bien travaillé. Quel grand homme nous avons perdu !

M. Joseph Demarteau,

Directeur de « La Gazette de Liège »

     « Je sers qui j’aime », dit un adage breton.

     C’est parce que, dans son grand cœur, brûlait un ardent amour pour tous les hommes, ses frères, que Walthère Dewé les a servis tous si généreusement.

     Il les a servis dans les œuvres d’édification spirituelle et d’assistance sociale comme dans ses relations personnelles. Il les a servis dans l’exercice de sa profession, où, par un dévouement sans limite et sans défaillance, il fut le serviteur de ses subordonnés. Il les a servis dans le déploiement d’une activité patriotique sans égale, par quoi il eut une influence considérable sur l’issue de deux guerres mondiales et ainsi sur les destinées de l’humanité.

     Ainsi de sa jeunesse, témoin des premières manifestations de sa passion de servir tout ceux qu’il aimait, je joins avec émotion mon fervent témoignage à tous ceux que mérite ce héros de la charité la plus sublime.

M. Léopold Levaux,

     Cet homme de feu, qui devenait parfois un homme de fer, était plus que tout, un homme de cœur, un homme de compassion. La bonté brillait sur lui. Le nombre de personnes qu’il a aidées est incroyable. Le nombre de causes grandes et petites qu’il a défendues, en avocat libre et toujours désintéressé, en chevalier errant, est exceptionnel. Il était pour le caractère et réserve faite de ce qu’on pourrait appeler la chimère d’application, donc réserve faite des moulins à vent, un don Quichotte, c’est-à-dire un membre de l’authentique et presque défunte Chevalerie, un croisé.

M.  V. Coppens,

Ingénieur des T.T.

Et ses collaborateurs du Limbourg

     Si invraisemblable que cela puisse paraître, M. Dewé n’était pas un inconnu pour le Limbourg.

     Depuis juin 1940, le regretté défunt était en contact permanent avec nous.

     Que de fois n’est-il pas venu à Hasselt ? Que de fois ne nous a-t-il pas assistés de ses précieux conseils et de ses encouragements ! Il n’est pas superflu de dire que c’est grâce aux conseils et aux encouragements de M. Dewé que nous sommes parvenus à nous initier et à nous habituer à cette dure et difficile fonction d’observateur militaire clandestin, et même à aimer ce genre de travail, malgré les dangers y afférents, dangers dont lui-même personnellement ne se souciait guère.

     Par son enseignement, mais surtout par son exemple, il nous a montré le chemin du devoir et nous a fait comprendre l’intérêt primordial de notre activité.

     A chacune de ses visites, ce fut pour nous un vrai régal d’entendre M. Dewé, de sa voix profonde et prenante, exposer ses vues et ses idées sur les problèmes, non seulement du service d’observation, mais également sur tous ceux qui intéressent l’avenir et la grandeur de notre pays, et même de l’humanité.

     En dehors des multiples qualités dont était doué M. Dewé, tous ceux qui l’ont approché ont admiré son profond esprit religieux, sa dévotion exemplaire et la sincérité de sa conviction.

     Malgré ses dons innés de chef, il était d’une simplicité extrême, et s’intéressait au sort des plus humbles agents de son service ; malgré les soucis, que lui procuraient inévitablement ses fonctions de chef de réseau, et malgré les malheurs, qui se sont abattus sur lui et sa famille, il restait un père pour ses collaborateurs et s’occupait d’eux en tout ce qui pouvait leur être utile.

     Si, à son grand regret, tel qu’il l’a déclaré personnellement, M. Dewé ignorait la langue flamande, il ne faisait pas de distinction entre Belges Flamands ou Wallons. Il appréciait en tous, leur caractère propre, mais admirait surtout, chez tous, l’amour de la patrie commune.

     Pour nous, qui sommes fiers de pouvoirs nous nommer ses collaborateurs et amis, M. Dewé restera toujours l’homme exemplaire sous tous les rapports : nous nous laisserons guider par son esprit de travail, d’abnégation et de dévouement à toutes les belles et nobles causes.

     Les Limbourgeois qui ont travaillé sous ses ordres, n’oublieront jamais cette noble figure, ce défenseur du droit, ce sublime serviteur de notre Belgique.

Le Chanoine Achille Knood,

Directeur Diocésain des Œuvres Sociales de la Province de Namur

     J’avais seulement entendu parler de Walthère Dewé, au cours de l’autre guerre, par ses collaborateurs enthousiastes. J’avais toujours désiré rencontrer cet homme dont en m’avait dit tant de bien, mais l’occasion ne m’en fut pas donnée.

     Or, fin septembre 1940, Walthère Dewé me procura l’heureuse surprise d’une visite. Depuis, j’eus souvent l’occasion de la revoir et même de passer une bonne soirée en sa si intéressante compagnie.

     Il était d’une simplicité charmante et aimait à raconter, avec l’accent du terroir, les histoires savoureuses du bon peuple liégeois, auquel il était attaché. C’était un démocrate sincère, qui cherchait à élever le peuple et à soulager ses misères.

     Esprit d’une lucidité et d’une élévation remarquables, meublé de connaissances solides et extrêmement variées, sa conversation était un régal, qui s’agrémentait de faits précis et venant juste à propos.

     Mais ce qui frappait en Walthère Dewé, c’était l’homme de principes chrétiens, pour qui la vérité et la justice avaient des droits imprescriptibles, avec lesquels il ne biaisait jamais. Une fois qu’il avait conscience de son devoir, rien ne pouvait l’en détourner, quelque pénible qu’il fût. Il aimait à répéter qu’une charge acceptée en temps de paix pouvait comporter le sacrifice de la vie, en temps de guerre. Lui-même était prêt à la mort.

     Son abord un peu froid et son regard apparemment sévère s’adoucissait vite, parce que son grand cœur parlait, laissant à ceux qui l’approchaient un souvenir impérissable, le souvenir d’un grand homme de chez nous.

M.  A. Demoulin,

Conseiller à la Cour de Cassation

     M. Dewé, le Chef, ainsi que l’appelaient les membres du Service Clarence, alliait au suprême degré la sensibilité, la douceur et la simplicité à la force, à l’énergie et à la vraie grandeur.

     Croyant, sa tolérance était absolue.

     Chaque fois que, surgissant d’une allée, il arrivait chez moi, malgré le caractère champêtre et intime du décor, j’étais pénétré du rayonnement de sa personnalité, à la fois si puissante et si attachante.

     Lorsqu’en philosophie il analysait le livre qui avait occupé ses veilles ou appréciait l’événement du jour ou, sujet inépuisable pour son cœur aimant, parlait des siens, dont le devoir envers la patrie avait seul été assez puissant pour l’amener à se séparer, il s’exprimait doucement et dans des termes empreints de cette suprême distinction qui lui était naturelle.

     Mais s’il venait à retracer les événements de mai 1940, au cours desquels aux armées, il avait joué un rôle éminent, son ton devenait tranchant, ses yeux flamboyaient, son geste se faisait impératif et le conducteur d’hommes conscient de l’importance de sa mission.

M.  R. Boseret,

Avocat à la Cour d’Appel, Liège

     Walthère Dewé ! Une admirable synthèse des qualités de cœur et d’esprit !

     Il nous paraissait tellement grand, tellement supérieur à tous ceux qui nous entourent !

     Toutes ses actions étaient inspirées par le « Devoir », devoirs envers Dieu, devoirs envers sa patrie, devoirs d’état.

     So âme généreuse n’admettait pas de marchandage, il se donnait tout entier ; sa vie et sa mort glorieuse l’ont prouvé.

     Et ces qualités de bonté et de fermeté se reflétaient dans son regard étrangement profond.

Mlle Yetta Dupuich

     Je me sens incapable d’exprimer d’une façon digne de lui, la profonde admiration, l’estime et surtout la grande, très grande affection que j’éprouvais pour Walthère Dewé. J’avais eu le grand honneur de travailler sous ses ordres pendant la guerre 1914-1918 ; depuis il était devenu mon ami.

     Jamais je n’oublierai sa bonté, sa modestie. Il avait le don de vous élever au-dessus de vous-même, de vous inspirer une telle confiance que c’est avec joie qu’on obéissait, avec conviction qu’en ce faisant on suivait le droit chemin.

M. François Roland,

Ancien fonctionnaire des T.T.

     L’affabilité, la bonté tout paternelle avec laquelle il accueillait requêtes, plaintes et confidences tendait à devenir légendaire ou plutôt proverbiale ; car si l’aide protectrice qu’il apportait avec tant d’empressement à ceux qui avaient recours à sa bonté, évoquaient les belles légendes peuplées des génies tutélaires, sa générosité de cœur n’était pas illusoire comme ces fables poétiques, mais très belle au contraire, toujours active et efficace. Le bien qu’il faisait – très souvent à l’insu des favorisés – était accompli avec simplicité comme un devoir de sa charge.

     Aussi quel était son chagrin lorsqu’il se trouvait dans l’impossibilité de donner satisfaction à un solliciteur intéressant. Et combien le peinait l’obligation de réprimer une faute ou celle de prendre telles dispositions qui contrariaient l’un ou l’autre de ses subordonnés.

     Bien placé pour m’en rendre compte, je puis témoigner qu’il fallait des raisons tout à fait supérieures pour le forcer à prendre des mesures de rigueur, et il ne s’y décidait jamais qu’à contre-cœur. Il se soumettait, du reste, tout le premier aux obligations et aux devoirs qu’il exigeait des autres.

     Comme Clémenceau se disait au temps de son ministère, le « premier flic de France », notre Directeur se serait volontiers accommodé du titre de « premier ouvrier de la Circonscription », si sa modestie lui avait permis d’accepter cet adjectif « premier », qu’il aurait tenu pour un éloge exagéré.

     Son personnel ne s’y trompait pas ; le plus humble des agents comprenait instinctivement que ce directeur toujours prêt à encourager et à lui venir en aide, ce haut fonctionnaire qu’aucun genre d’activité ne laissait indifférent, le considérait lui, obscur sans grade, comme un collaborateur dont il appréciait en connaissance de cause, le concours.


Vue des Grandioses Funérailles de Walyhère Dewé

 

      

    

 

 



[1] Collection Nationale CIVISME, préface de M. Laurent Lombard, Président de l’Amicale W. Dewé. Publication Mensuelle – Septembre 1952 – N° 9



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