Médecins de la Grande Guerre

Marcel Houlteaux : une tête de réseau de 1914 à 1916.

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Marcel Houlteaux : une tête de réseau de 1914 à 1916.

La correspondance de Marcel Houlteaux

Provenant d'une autre source, cette vue de l'ancienne sucrerie de Visé pour un texte qui complète bien notre propos. Ces phrases apportent un témoignage de plus sur les efforts entrepris pour soulager et rapatrier les Visétois innocents des accusations allemandes et retenus prisonniers à Munster et puis à Celle dès la mi-décembre 1914.

Plusieurs Visétois ne survivront pas aux affres de la guerre. En 1919, le retour du cercueil des Visétois victimes des offensives fut salué par tous les habitants et par les Anciens Arquebusiers. (Doc. Jean Vansantvoort)

Un million de Belges ont fui aux Pays-Bas. Les Belges réfugiés à Valkenburg (Fauquemont) entourent les autorités communales et les membres de la Croix-Rouge. (Doc. Mme Van Leent)

Les ‘barricades’ de la place du Marché vues par les Allemands. A droite, la ruelle qui donnera naissance au futur boulevard des Arquebusiers.

Orchestre du camp de Munster composé de Français, de Russes et de Belges dont : 1. Emile Maes 2. Louis Maes (père de l’architecte Georges Maes) 3. Félicien Maes (père de José Maes) 4. Joseph Maes 5. Joseph Nélissen 6. Caprasse (Il n’était pas musicien mais se faisait passer pour) (Coll. Georges Maes)

Un petit mot en wallon de Denis Jaminet

Les ruines de la collégiale Saint-Martin en 1914. (Coll. Eddy Bruyère)

Georges Martin, arquebusier et frère de Marcel Martin, tombé au champ d’honneur le 17 novembre 1917.

Autre vue des ruines de la Renaissance.

Marcel Houlteaux dans sa tenue d’empereur.

Le pont de Visé détruit.

Les Allemands occupent Visé.

Carte-type envoyée (franc de port) par le Comité international de la Croix-Rouge à Genève au Rep. Famille Lhonneux c/o Mr Theunissen-Orban, Place Verte à Eysden – Hollande le 28 mai 1915.

Le prisonniers visétois en Allemagne : 4ème du dernier rang (barbu), Charles Simonon (père de l’abbé Simonon) – 12ème et avant dernier du rang, Martin Simonon.

L’église Saint-Martin en ruines.

Marcel Houlteaux à Auvours.

A Barneville.

Marcel Houlteaux en tenue de combat.

Marcel Houlteaux en uniforme. (Doc. N. Lacroix)

Trois arquebusiers héros de la guerre 14 : Marcel Houlteaux (empereur), Marcel Martin (à l’époque aide-de-camp) et le sergent Merx (confrère – il fut le volontaire de guerre le plus âgé des armées alliées). LSM.

Marcel Houlteaux : une tête de réseau de 1914 à 1916[1]

Par  Antoine Léonard et Eddy Bruyère

     L’intérêt suscité, notamment, par les articles consacrés à de grandes figures de la résistance aux Allemands dans notre région nous conduit à persévérer et à parler cette fois de Marcel Houlteaux.

     Marcel Houlteaux, prématurément décédé en mars 1938, a été une figure importante chez les Arquebusiers[2]. Il était né à Visé le 8 février 1889 et il terminait ses études de droit lorsque la guerre de 1914 a été déclarée. Membre du Cercle Saint-Hadelin et de l’Avant-garde, il fût très actif dans les domaines citoyen et politique avant et après la guerre. Petit-fils de l’empereur Nicolas Thonon, il prêta le serment de cadet en 1901. Confrère puis officier, il devint lui-même empereur de la Compagnie en 1923.

     Grâce aux petits enfants de Marcel Houlteaux, nos archives se sont enrichies de dizaines de lettres expédiées par des Arquebusiers pendant les premières années de la guerre 14-18. Cette correspondance est adressée à Eysden où Marcel Houlteaux est ‛militarisé en pays neutre’. Membre du service d’espionnage, il collabore aussi au Mot du soldat. Il sert ainsi d’intermédiaire entre de très nombreux Visétois pour faire circuler nouvelles et messages jusqu’à ce qu’il parte à son tour vers le front[3]. Les lettres parlent tour à tour de l’espérance en la victoire, de la longueur de la guerre, de la souffrance, des bons souvenirs et des liens amicaux. L’intérêt de ces témoignages venus de la Belgique libre, de France, des Pays-Bas[4], des camps de prisonniers en Allemagne, de la Belgique occupée et d’Angleterre a poussé le Papegaie à consacrer une large place à la publication de ces textes émouvants.

     Nous publions en premier une lettre expédiée par le futur tambour-major de la Compagnie. C’est en quelque sorte la lettre type où se retrouvent à la fois l’inquiétude pour les siens, la soif de savoir, l’exaspération et la colère contre l’envahisseur. Le rappel des bons moments, le souvenir des connaissances communes sont aussi une façon d’essayer de retisser des liens et de recréer des repères dans ce monde bouleversé.

Ce 13-7-16

Monsieur Marcel Houlteaux, avocat, Eysden



La correspondance de Marcel Houlteaux

     Je prends la respectueuse liberté de vous adresser ces quelques mots afin de savoir si vous n’auriez pas la bonté de me donner quelques renseignements sur la situation de mes parents, étant privé de leurs nouvelles depuis bientôt un an.

     J’ai cherché vainement à correspondre par différents moyens sans jamais obtenir de résultat, je m’adresse à vous cette fois d’après le conseil de monsieur Gorly fils de Devant-le-Pont, qui est ici également.

     Je suppose que vous vous rappelez de moi. J’habite à Devant-le-Pont, en face de la sucrerie, route de Lixhe, n° 5. J’ai participé à l’Avant-garde[5]pendant près de 5 ans. Si même vous connaissiez des nouvelles défavorables pour moi, n’ayez crainte de me les déclarer, je voudrais être fixé exactement sur leur sort, j’ai comme un pressentiment qu’il leur est survenu quelque chose de banal, mais gare pour la revanche, car je crois que les têtes de boches vont voler, nous espérons tous, bientôt revoir notre pays, il n’en serait d’ailleurs que temps n’est-ce pas.

     Espérant recevoir une réponse favorable à ma demande, recevez monsieur Houlteaux en même temps que mes remerciements anticipés, l’expression de mes bons sentiments.

Votre dévoué compatriote, François Van den Born

2ème Compagnie de mitrailleuses – B265 – Armée belge en campagne.

     Le 11 novembre 2008 verra la commémoration du 90ème anniversaire de l’armistice qui mit un terme à tant de souffrances. De nombreux documents existent encore qui rappellent cette période noire des années 1914-1918. Des lettres et cartes postales, des papiers griffonnés traduisent les angoisses et le courage des Visétois dispersés par la guerre. Conservées par les familles ou retrouvées dans des collections, ces reliques émouvantes retracent une part de l’histoire de Visé et des Visétois. Ces écrits nous racontent les inquiétudes, les espoirs, les souvenirs tant des soldats du front que des prisonniers d’Allemagne, des réfugiés aux Pays-Bas ou des Visétois restés au pays. Ils répandent encore ou infirment des rumeurs. Le Papegaie a souhaité publier une série de lettres choisies pour rappeler au mieux cette période calamiteuse. De nombreuses photos viendront illustrer les témoignages conservés par Marcel Houlteaux principalement. Il est important de rappeler que les courriers étaient sondés par la censure militaire et c’est pourquoi nous retrouvons très peu de détails et de descriptions de la situation exacte de l’expéditeur.

     Un des mérites du Fonds Marcel Houlteaux cédé à nos archives par la famille est de constituer un ensemble de témoignages des différentes situations, et de rassembler des écrits expédiés des cinq pays où étaient dispersés les Visétois. De nombreuses lettres évoquent notre Compagnie ou le Cercle Saint-Hadelin notamment. Ce qui souligne leur place dans le souvenir et le moral des Visétois et Visétoises exilés loin de leur foyer.

Pendant deux ans, Marcel Houlteaux, réfugié à Eysden, s’est occupé de l’aide aux réfugiés, de la recherche des disparus avec l’aide de la Croix-Rouge suisse et de la retransmission des messages aux familles et aux amis. Gaspard, son propre père, avait lui été déporté en Allemagne. Lorsque Marcel Houlteaux partira vers le front, sa sœur Maria poursuivra la tâche pendant deux ans et demi. Marcel fera son instruction à Auvours (Sarthe) avant de rejoindre son unité. A la fin de la guerre il sera blessé, heureusement assez légèrement.

Notes : voici la liste des expéditeurs repris dans le fonds d’archives Marcel Houlteaux :



Marcel Houlteaux en uniforme. (Doc. N. Lacroix)

Joseph Leroy, Martin Charlier, Pierre Lorquet, Denis Jaminet, Hoseph Thys, Pierre Humblet, Barthélemy Plusquin, Laurent Lambert, Jean Longle, Edouard Leroy, Jean Lehaen, Jacques Danthine, Albert Navez, Joseph Dubois, Marcel Martin, François Heuchenne, Jean Lemlyn, Lois Demarteau, Marcel Houlteaux, Walthère Roujob, Jacques Duchêne, abbé Bodson.

Des copies de lettres de Marcel Houlteaux et quelques photos complètent cet ensemble. Le musée de Visé conserve d’autres lettres pareillement expédiées à Marcel Houlteaux par des Visétois.

Lettres choisies – année 1915.

Le 15 juin 1915.

Mon cher Marcel,

J’ai bien reçu ta carte qui m’a trouvé en bonne santé en espérant que cette lettre te trouvera de même. Quelle joie j’ai eue en la recevant !

Tu me dis que je n’ai pas changé ! C’est vrai car on est toujours aussi « Rouge » et aussi « Calotin » qu’avant la guerre. Et je te dirai qu’il y a même des jours, qu’on se disputerait pour les partis, malgré les mauvais moments que l’on a à passer.

Cher Marcel, j’ai entendu dire que notre beau local du cercle n’était pas détruit. Ah ! si c’était vrai ! Comme on me l’a dit, pour que, si on a le bonheur de se retrouver ensemble, nous puissions vite reformer notre belle jeune Garde, espérant que nous n’aurons pas beaucoup de disparus. Je n’ose y penser, Cher Marcel, tellement nous y étions attachés !

Pour notre belle Compagnie, c’est triste de penser dans quel état elle se trouve pour le moment, car j’ai vu quelques vues de notre Vieux Visé et j’ai vu notre belle Renaissance ! Et bien, cela m’a fait de la peine en voyant ce vieux local arrangé comme il était ; penses-tu, Cher Marcel, que si nous avons le bonheur et que le bon Dieu nous donne la grâce de reformer notre Vieille Compagnie, que nous aurons encore ce beau local que nous avions avant cette terrible guerre ?

Je suis sûr, Cher Marcel, que tu auras entendu parler de la mort d’un de nos amis : Sauvage Léonard ; je sais, Cher Marcel, que c’est une triste nouvelle à te faire savoir, car cela m’a causé une si grande peine en le sachant parce que c’était un camarade digne de notre estime.

Surveillant au patronage avec lui, c’était un ami dévoué et c’était un futur membre de notre jeune Garde, car il me disait tous les dimanches au patronage qu’il se réjouissait d’avoir fini son service pour entrer dans nos rangs.

Enfin si nous nous retrouvons après cette guerre, nous ne l’oublierons jamais dans nos prières, car c’est une victime de ces boches.



Provenant d'une autre source, cette vue de l'ancienne sucrerie de Visé pour un texte qui complète bien notre propos. Ces phrases apportent un témoignage de plus sur les efforts entrepris pour soulager et rapatrier les Visétois innocents des accusations allemandes et retenus prisonniers à Munster et puis à Celle dès la mi-décembre 1914.

Tu me fais savoir la mort du vieux Hallet et celle de notre vieux président, Martin Scaff. Il y avait déjà longtemps que je savais la mort de ce vieux rouge. Ainsi que la mort d’Eugène Jowat de la rue Haute que j’ai aussi appris.

Cher Marcel, j’ai à te féliciter pour le dévouement dont tu fais preuve car, quoique ce n’est pas la même chose, je ne puis manquer de te dire que tu as toujours été dévoué comme Président de notre jeune Garde.

Enfin, Cher Marcel, en attendant toujours de tes bonnes nouvelles le plus vite possible, reçois les amitiés de celui qui a toujours été dévoué, surtout comme Commissaire de notre Jeune Garde et ne m’oublie pas dans tes prières.

Bien à toi, ton camarade

Denis Jaminet

 

***

                                                                     

Le 9 juillet 1915.

Mon cher Marcel,

Je viens de recevoir ta lettre du 28 du mois dernier qui m’a trouvé en très bonne santé en espérant que la mienne ira te trouver de même.

Cher Marcel, le temps devient extrêmement long avant de se revoir, car quand je pense que voilà bientôt un an qu’on s’est quitté. C’est tout de même dur, nous qui étions habitués de se voir si souvent et surtout de bien nous arranger comme dans notre Jeune Garde, par exemple !

Mon Cher Marcel, notre belle salle du cercle est, comme tu me dis, brûlée comme tout le reste mais espérons que bientôt nous travaillerons ensemble pour la reconstruire plus belle que jamais, ainsi que notre belle Renaissance. Cher ami, tu me dis que après cette guerre, tu t’attacheras tout spécialement à nos œuvres de jeunesse, je t’en félicite car en toi, on peut compter un ami dévoué pour nos chères traditions, du reste, nous en avons eu la preuve, pas bien longtemps, hélas, dans notre Jeune Garde St Hadelin. Mais je pense aussi à mon cher patronage qui lui n’est pas détruit vu qu’on y dit la sainte messe. Moi, qui étais un surveillant si dévoué et que Monsieur le Vicaire Troisfontaine m’avait déjà tant félicité pour mon dévouement à cette œuvre de Jeunesse.

Cher Marcel, tu voudrais bien essayer de faire parvenir de mes nouvelles à notre cher vicaire et lui faire part de ma conduite au front, comme ça va lui faire plaisir à mon cher directeur du Patronage !

Si vite que tu sauras la nouvelle avec mon papa, ainsi que nos chers amis de Visé, fais le moi savoir. Si tu pouvais faire parvenir mes amitiés à notre vaillant directeur de la dramatique, monsieur l’abbé Bodson ; n’oublie pas de les lui remettre.

Cher Marcel, je te remets un petit souvenir, un beau trophée de drapeaux de toutes les nations alliées.

Dans ta prochaine lettre, si tu l’as reçu, fais le moi savoir et en attendant, reçois, cher Président, mes meilleures amitiés.

Ton commissaire, Denis Jaminet

1ère Cie mitrailleuses Hotekkiss – 3 D.A.B.

Vive les Alliés – Vive la Belgique.

 

***

Le 2 août 1915.

Mon Cher Marcel,

Je viens de recevoir ta carte qui m’a fait un immense plaisir d’autant plus que tu me dis que tu as vu maman et qu’elle est toujours bien portante et qu’elle t’a bien confirmé le retour de papa qui lui aussi est toujours en très bonne santé. Cher Marcel, je te dirai que j’ai reçu la photographie de papa et je puis te dire qu’il n’est pas changé, car il a toujours sa petite mine souriante d’en temps de paix, mais ce qui m’a touché, c’est que ces sales Prussiens lui ont rasé ses beaux petits cheveux, lui qui était encore si fier de se coiffer comme un jeune homme !

Quand serons-nous quittes de tous ces vauriens ? Car on commence à en avoir assez de ces Teutons. Pour le moment, on a confiance qu’en un seul « en Dieu » car ce sera Lui qui devra juger tout ceci et je crois bien qu’il saura punir tous ces barbares. Mais qu’il n’oublie pas ce Guillaume II car, au moment où je t’écris, je voudrais l’avoir une heure à ma disposition pour pouvoir l’arranger à ma manière ; je saurais jouer à la flèche sur sa « panse » avec ma baïonnette (pardonne-moi mes expressions, mais il le mérite).

Tu m’as fait bien plaisir en me disant que tu avais vu monsieur l’abbé Bodson et que tu lui as remis mes amitiés. Je suis bien loin de vous tous, mais ou je suis, je pense à beaucoup de choses de notre Visé.

Mon cher Marcel, quand tu auras le plaisir de voir ta chère fiancée, n’oublie pas de bien lui faire mes amitiés ainsi qu’a monsieur Albert et Madame et tu leur diras bien que je n’ai pas oublié nos vieilles traditions, que je ne les oublierai jamais et crierai toujours comme auparavant : Vive St Martin, vive l’arquebuse.

Et puissions-nous bien vite chanter ensemble comme avant :


Traduction : (par Francis De Look)

Gardez votre vieil outil

Nous ne vous l’envions pas

Mais que notre chère Patrie

Aime le fusil Comblain

En attendant toujours de tes bonnes nouvelles, reçois cher Marcel, mes amitiés.

Denis Jaminet.

 

***

 

 

     Le Front le 26 août 1915.

Mon Cher Marcel,

J’étais bien heureux, hier, à mon retour des tranchées de recevoir de tes nouvelles et aussi des nouvelles du pays. Aussi, je m’empresse de répondre et c’est de notre cher sol de la Belgique que je t’écris ces quelques mots qui, j’espère te feront plaisir.

Parlons pour commencer de la guerre. Sur les huit mois que je suis au front, j’ai vu beaucoup de choses qui, en tout autres temps, nous feraient rendre l’âme, mais jamais encore, je n’avais pu me rendre compte de l’effet qu’occasionnent sur nous les gaz asphyxiants que les boches lancent depuis quelques mois aux Français.

Et bien mes 4 derniers jours de tranchées m’ont donné l’occasion de faire connaissance avec ces grosses boules puantes. Ils ont lancé plus de 300 obus à gaz sur les tranchées du secteur que nous occupions. Les obus ont premièrement les mêmes propriétés que les obus percutants et deuxièmement, ils dégagent un gaz qui, à mon idée, renferme du chloroforme et de l’ammoniaque. Ces gaz commencent à vous prendre à la gorge et puis au cœur. On remet tout ce qu’on a mangé et puis ce sont les yeux. Oh, mon Cher Marcel, c’est terrible ! Les yeux pleurent et piquent à ne plus pouvoir les tenir ouverts et puis tu comprends tout le reste. La fuite épouvantée vers l’arrière.

Donc, comme je te le disais, ils ont lancés de ces obus et heureusement pour nous que le vent soufflait parallèlement aux tranchées car, s’il avait chassé le gaz vers nos avant-postes, les boches auraient pu mettre pied dans nos tranchées comme chez eux.

Entre nous, je crois que s’ils parviennent à faire tourner russe en guerre de tranchées, les milliers de soldats qu’ils auront alors de trop en réserve seront envoyés ici et ce seront encore les petits Belges qui recevront le grand choc et il sera terrible ce choc car si eux sont préparés à cette attaque, nous autres, nous sommes préparés et prêts à les recevoir.

Nous avons eu hier soir une grande représentation du « Mariage de Melle Beulemans » par une troupe d’artistes français. C’était magnifique, surtout depuis le temps qu’on est privé de cette sorte de plaisir. Et cela à 5 kilomètres du front !

Mon oncle Lambert est donc revenu ! Quel bonheur pour ses petites !



Plusieurs Visétois ne survivront pas aux affres de la guerre. En 1919, le retour du cercueil des Visétois victimes des offensives fut salué par tous les habitants et par les Anciens Arquebusiers. (Doc. Jean Vansantvoort)

Mon cousin François Heuchenne, où est-il ? Que fait-il ? Fais-lui bien mes compliments et dis-lui de m’écrire des nouvelles de la famille ; que je serais si heureux de pouvoir lire de ses nouvelles.

Quant à moi, cher Marcel, je suis pour le moment un peu faible avec toutes ces privations que l’on doit endurer ici et puis ces gaz, ce n’est pas difficile à comprendre.

Marcel Martin.

 

***

Wijlre, le 6 octobre 1915

 

Monsieur Houlteaux,

J’ai l’honneur de vous rappeler que, suite à notre entretien du 27 septembre dernier, vous aviez promis de me faire parvenir les certificats de vaccination de mes cinq enfants.

Il est à remarquer que ces pièces me sont réclamées d’urgence par M. le Directeur de l’école de Wijlre.

Persuadé que vous tiendrez à me donner satisfaction, sans plus tarder, je vous prie, Monsieur Houlteaux, d’agréer l’assurance de mes sentiments distingués.

Signé : Barthélemy Plusquin.

 

***

Le 18 octobre 1915.

 

Mon cher Marcel,

C’est avec un bien grand plaisir que je viens de recevoir de tes nouvelles et de te savoir, toi et les familles, toujours en bonne santé. Pour moi, c’est toujours la même chose, je me porte toujours très bien en espérant que cela continuera jusqu’à la fin de la guerre.

Comme tu me dis, notre vieux Visé, comme toujours est très tranquille, espérant que cela continuera pour nos chers Visétois.

Bien heureux de savoir que les sœurs de Notre Dame vont venir s’établir dans notre cher local. C’est donc que nos murs étaient bien solides pour résister ainsi. Comme ça, nous aurons de l’avance après la guerre. Nous pourrons nous réunir tout de suite pour pouvoir s’assurer du nombre de disparus de notre Chère Jeune Garde. Espérons que nous n’en compterons pas beaucoup ! Pour ma part, j’espère reprendre moi-même mes fonctions de Commissaire. Car j’étais trop attaché à cette Jeune Garde, du reste, tu le sais bien toi-même, je n’étais jamais le dernier à nos petites réunions. Tu pourras voir le petit sceau que j’ai dessiné au-dessus de ma lettre.

Pour notre église, tu me l’as déjà dit, j’en ai même été très heureux. Comme tu me dis, ils veulent changer notre ville ! Laissons-les faire et comme tu dis, nous y ferons un immense monument en mémoire de nos chers Visétois tombés sous les maudites balles de ces sales gens. Ah ! ils pourront venir le voir après guerre, ce monument, et, s’il le faut, nous leur casserons très bien leurs sales gueules pour qu’ils puissent retourner ainsi avec un souvenir des Visétois.



Un million de Belges ont fui aux Pays-Bas. Les Belges réfugiés à Valkenburg (Fauquemont) entourent les autorités communales et les membres de la Croix-Rouge. (Doc. Mme Van Leent)

Je suis bien triste d’apprendre la mort de la femme Navez ! Que veux-tu faire hein ? C’est malheureux pour la famille, surtout déjà, dans ces tristes moments où ils se trouvent maintenant.

Je te remets donc les deux cartes de mon petit ami et en attendant toujours de tes bonnes nouvelles, reçois, mon cher Marcel et président en même temps, les meilleures amitiés de ton dévoué.

Denis Jaminet.

 

***

     La correspondance avait pris une importance considérable pour les Visétois dispersés par la guerre de 14[6]. La publication de quelques lettres choisies dans le fonds Marcel Houlteaux[7] et expédiées en 1916, sera précédée d’un témoignage précieux. Florent Vliegen, emmené comme 600 Visétois par les Allemands vers les camps de prisonniers, a tenu un journal. La relation des événements et des situations est complétées par des notes personnelles[8]. Les nombreuses mentions relatives au courrier confirment si besoin est l’influence de celui-ci sur le moral des prisonniers. Mais l’intérêt de l’ouvrage se prolonge par les descriptions et souvenirs liés à Visé. Nous avons choisi quelques extraits qui expliquent mieux les sentiments des prisonniers et la vie en captivité.

Rappelons aussi que Marcel Houlteaux est lui-même parti à l’instruction puis au front vers le mois d’octobre 1916.

Les Arquebusiers en captivité.  

     Un passage du livre de Florent Vliegen concerne la Saint-Martin et les Anciens Arquebusiers. En date du dimanche 15 novembre 1914, il raconte :

     Il a gelé. Les carreaux de nos fenêtres sont couverts de glace. Dès quatre heures, pourtant, un prisonnier qui n’a point dormi, siffle, dans l’écurie voisine, le réveil des rouges de Visé (Note bas de page : Gilde des anciens arquebusiers visétois fondée en 1579). C’est bien aujourd’hui l’anniversaire de la Saint-Martin et la vieille gilde fêtait, à cette date, son patron vénéré. L’église était garnie de plantes où les chrysanthèmes dominaient, répandant leur parfum automnal. Fête remplie de souvenirs, déroulant à travers les vieilles rues du vieux Visé, son cortège désuet de sapeurs, de drapeaux vétustes et d’officiers pantalonnés de rouge. Et, de chaque maison, s’échappait le fumait d’une gibelotte alléchante[9]et sur toutes les tables, à la rentrée des Vêpres, la traditionnelle tarte noire se présentait. C’était alors l’heure des émotions suaves entre la nuit et le jour, pendant que de loin, arrivaient les échos de l’Harmonie centenaire...



Orchestre du camp de Munster composé de Français, de Russes et de Belges dont : 1. Emile Maes 2. Louis Maes (père de l’architecte Georges Maes) 3. Félicien Maes (père de José Maes) 4. Joseph Maes 5. Joseph Nélissen 6. Caprasse (Il n’était pas musicien mais se faisait passer pour) (Coll. Georges Maes)

Péniblement on s’endort, pendant que le même prisonnier, dans la même écurie voisine, siffle la retraite des anciens arquebusiers visétois.

Autre document, une photo[10] publiée plusieurs fois dans le Papegaie, nous montre des membres prisonniers en Allemagne et entourant une représentation de Saint Martin. Le souvenir d’une manifestation arquebusière et d’une marche d’offrande dans le camp même de Celle est resté vivace même si la date ne peut vous être fixée. Sinon que Florent Vliegen qui était au courant de tout ce qui concernait les Belges prisonniers n’en parle pas. Comme il a été libéré en juillet 1915, la date de cette célébration est postérieure à son départ.

La distribution du courrier.

A de nombreuses reprises[11], Florent Vliegen raconte dans son livre l’impatience et la fébrilité dans l’attente du courrier.

-         Vendredi 2 octobre ... Vers 5 heures, grand émoi dans le camp[12]. Les uns pleurent, les autres rient avec des larmes plein les yeux. On distribue un paquet de cartes et de lettres. Chacun en reçoit. Oh ! les nouvelles des êtres chéris qu’on a laissés là-bas. Comme elles sont suaves. On réunit, on résume, on quintessencie les nouvelles. On tire des conclusions. On évoque les souvenirs. On est chez soi. J’apprends par l’intermédiaire d’un ami que mon père et ma sœur sont toujours chez les Ursulines d’Eysden. Je deviens quelque peu inquiet de n’avoir rien reçu ; mais c’est facilement explicable. Les miens n’ont pas reçu encore mes premières correspondances et ne sachant pas où m’écrire ils attendent, autant inquiet que je puisse l’être. Mais pour le moment, le vieux Leroy doit être rentré porteur de nouvelles rassurantes[13].



Les ‘barricades’ de la place du Marché vues par les Allemands. A droite, la ruelle qui donnera naissance au futur boulevard des Arquebusiers.

-         Dimanche 25 octobre 1914. Jour aux nouvelles et jour de grande documentation. Dès le matin on distribue les correspondances. Une lettre porte en signature « Georges Ysson pettés ». Lisez « ils sont battus ». Et la censure, dans son inconscience, a laissé passer la carte.

-         Lundi 9 novembre.   ...Maintenant, nous recevons communément des cartes de Visé en ruines. Aujourd’hui même, c’est le tour de notre « rue Haute ». La carte passe de main en main et chacun y cherche l’emplacement de sa chère demeure. On revit sa vie passée...

-         Mardi 17 novembre.  ... Depuis samedi, on ne nous a plus distribué de correspondances ; aujourd’hui le paquet en est énorme et la foule immense est impatiente, qui stationne devant notre baraque. Une carte-vue est remise à un prisonnier ; elle représente l’intérieur de notre église brûlée et dévastée. Un « Teuton » a posé dans les décombres ; il est odieux de ricanement et de bravade.

-         Dimanche 31 janvier. J’ai réclamé pour l’irrégularité dans les correspondances. On me mande au bureau du « Lageroffizier ». Il me dit que les lettres vont souvent de Munster à Soltau[14]et de Soltau à Celle[15]. Les retards doivent être ainsi expliqués. Voilà l’organisation allemande !

Le courrier clandestin.

Le départ des premiers prisonniers visétois vers la Belgique fut, notamment, l’occasion de correspondre par une voie non censurée, mais interdite, avec les familles. Florent Vliegen raconte chaque fois les préparatifs des prisonniers visétois libérés avant lui :

-       Dimanche 27 septembre.  ... Mais le vieux Leroy, parti hier, arrivera bientôt à Visé et distribuera les rassurantes missives que nous avons dissimulées dans ses vêtements.

-       Dimanche 18 octobre 1914.  ... On empaquette, on s’occupe de provisions de voyage et on s’embrasse. Furtivement, M. Jaradin glisse dans la doublure de son paletot lettres et billets ; c’est défendu, mais qu’importe : on s’habitue à tous les dangers.

-       Jeudi 22 octobre.  ... Mes collègues[16] Nizet et Charlier, prisonniers militaires, pris comme ambulanciers au fort de Barchon, m’ont écrit : c’est la seconde fois, qu’en fraude, j’ai la chance de recevoir de leurs nouvelles.

-       Jeudi 1er juillet 1915. Notre dernier jour au camp[17]se passe dans l’affairement. On dissimule toutes mes notes dans la caisse à double fond. Nous sommes nantis de missives nombreuses à faire parvenir aux quatre coins de la Belgique, malgré la consigne rigoureuse et la menace de suspendre le retour si on trouve le moindre billet. Dans un bloc-notes je transcris des adresses de parents à visiter, à rassurer avec de multiples recommandations concernant les envois de victuailles, d’argent etc. On me renseigne maints moyens ingénieux que je révélerai aux intéressés pour tromper la censure.

Les journaux.

Des journaux allemands parviennent régulièrement aux prisonniers mais également des journaux hollandais, belges ou édités par les Belges aux Pays-Bas.

-       Vendredi 26 mars 1915. J’ai le plaisir de recevoir en lecture un numéro de l’ « Echo belge » journal édité en Hollande. Le moindre entrefilet, la plus imperceptible ligne nous sont intéressants à nous qui depuis sept mois cherchons des nouvelles sérieuses et impartiales.

-       Vendredi 28 mai. Nous citerons « Les Nouvelles », journal belge quotidien, publié à Maestricht par un groupe de journalistes liégeois. Le numéro du 21 mai nous est arrivé dans une boite de café. Il circule de mains en mains, incessamment...

-       Vendredi 9 avril. « Le Bruxellois » du 3 avril est arrivé. Il consacre à Visé un touchant article qu’il est agréable au cœur d’un Visétois de reproduire in-extenso...

Lettres choisies – année 1916.

Lettre écrite par Marcel Martin.

Le 23 février 1916.

Mon Cher Marcel,

Je reçois à l’instant ta grande lettre du 13 février que tu me dis avoir été ouverte par la censure ! Et bien la tienne a eu, si je puis dire, la même farce !

Je suis heureux de te savoir en bonne santé ainsi que tous les tiens.

Chez moi, personne n’est malade, pas même le petit « Piko » resté en Hollande et qui et qui a eu encore 6 jeunes dernièrement.

Mes parents habitent : « Rue Gambetta, 23 à Dieppe. »

Je suis très touché des attentions qu’a Monsieur Meurice à mon égard. N’oublie pas ma commission pour Joseph Meurice sitôt que tu le pourras, de même pour Monsieur le curé Jos. Barla. Quant à Mademoiselle Paulus, j’en avertis immédiatement mon père (c’est encore 5 frs de plus par an).

Les gens de Maestricht se résignent donc assez facilement à supporter les petites misères que la guerre les forces à accepter, mais elle n’est pas encore finie, loin de là je crois ;  les opérations présentes sur tous les fronts ne sont-elles pas autant de preuves de ce que j’avance ?

Ici la neige a fait son apparition et pas en petite quantité. Les gelées sont très fortes et avec cela, beaucoup plus de rats dans nos abris. Cela doit te faire rire !

Mais si tu savais, mon cher Marcel, comme nous en sommes envahis ! Tu en tremblerais. Ainsi, il y a quatre jours, pendant une seule nuit, j’ai tué 9 de ces rongeurs avec ma baïonnette, dont le moins lourd pesait, sans mentir, de 600 à 750 grammes.

Quand à la vie militaire, elle est très monotone depuis quelques temps et, à part 12 heures passées dans l’eau glacée jusqu’aux genoux sans pouvoir ni nous asseoir ni parler, je n’ai plus eu d’accident.

Mais ce qui est curieux, cher Marcel, c’est de voir une foule d’hommes telle que l’armée belge, souffrir et endurer autant de misères sans même murmurer.

Et il ne fait pas te faire d’illusion sur leur moral. Il est aussi bon qu’aux premiers jours. Tous, ils savent que la guerre va encore durer pendant bien des mois et malgré tout, ils continuent à marcher sans broncher.

Les soldats de Visé sont assez rares dans la division, ainsi je n’ai pas encore pu voir Célestin qui se trouve à 3 ou 4 kilomètres d’ici.

Mon Cher Marcel, je termine ; bien des choses à ta chère famille et reçois une cordiale poignée de main de ton ami.

Marcel.

Lettre écrite par Martin Charlier.

Le 4 mars 1916.

Cher ami Marcel,

J’ai très bien reçu votre lettre du 20 février et je suis toujours content que vous êtes en bonne santé ainsi que mes parents.

Je vous remercie aussi pour la carte-réponse que vous m’avez envoyée et aussi pour les compliments de Monsieur Meurice à qui vous remettrez mes meilleures amitiés.

C’est bien dommage aussi que les fronts des boches ne soient pas descendus cette fois avec les eaux. Pourtant, ils n’ont pas beaucoup de chances ! Il faudrait qu’ils soient tous noyés, comme cela on serait un peu tranquille. Mais courage ! On les aura bientôt ! Car ici le moral est bon et on attend qu’une chose, c’est de bondir hors des tranchées et passer ces bandes de b..... à la baïonnette et leur reprendre notre petite Belgique et revoir nos chers parents et nos camarades.

En attendant, je crois bien partir ces jours-ci pour quelques jours auprès de Léonard Lorquet.

Recevez, Cher ami, une grosse poignée de main.

Martin.

Lettre écrite par Jean Lehaen lorsqu’il se trouvait en Angleterre.

Milnrow, le 21 avril 1916.

Mon Cher Marcel,

Ta gentille lettre du 19 mars est bien en ma possession. Je te dirai avec regret que Léonard ne peut encore venir à présent, les congés ayant été à nouveau supprimés. C’est triste pour lui car c’était son tour et il avait cru arriver près de moi le 11. Enfin, je ne désespère pas quand même car son chef lui a promis qu’il serait le premier sur la liste dès que les congés reprendraient.

Je suis heureux d’apprendre que tu reçois toujours des nouvelles de nos anciens amis ; moi, je corresponds avec Martin Charlier et Pierre Lorquet qui, comme à toi, me font savoir qu’ils vont toujours très bien.

Martin m’a également annoncé qu’il croyait venir passer quelques jours en Angleterre mais ne va-t-il pas être vu comme Léonard ? Ce serait bien regrettable pour lui aussi !

Si tu écris un jour à Georges Martin, notre ancien président, présente-lui mes bonnes amitiés.

Que fait Lambert à Rijckholt ? Est-ce qu’il a du travail ?

Tu me dis qu’une bande de voyous s’enrichit en venant en aide à ceux qui ont brisé tout ce que nous avions de plus cher, mais comme tu dis : « malheur aux lâches car ils seront massacrés ». Va, je t’assure qu’ils ne profiteront guère de leur richesse, à moins qu’ils ne se sauvent en Allemagne avec leurs semblables !

En tout cas, nous devrons faire une demande à notre Gouvernement afin qu’il confisque tous les biens de ceux qui se sont enrichis en profitant du malheur des autres.

As-tu toujours des nouvelles de Joseph Lehaen et de Guillaume Lensen ? Tu sais que j’aime de savoir comment les amis se trouvent là-bas.

Quant à moi, c’est toujours « quif-quif », au début, je me suis beaucoup chagriné mais maintenant, cela va mieux. I speak English a little (je parle un peu l’anglais).

Je suis sûr que tu attends ma réponse car elle se fait attendre, mais il m’était impossible plus tôt de t’écrire car j’ai travaillé jusque 10 heures du soir pendant 15 jours. En revanche, nous avons 4 jours de repos à l’occasion de la fête de Pâques, aussi, je n’en suis pas moins content car cette semaine, j’ai travaillé 93 heures.

Bien des choses à tes parents et à toi une bien cordiale poignée de main.

Ton ami pour la vie.

Jean.

Lettre écrite par Denis Jaminet.

(Au verso de la première feuille de sa lettre il ajoute un petit texte en wallon que nous reproduisons ci-dessous.)



Un petit mot en wallon de Denis Jaminet

Traduction : (par Francis De Look)

Oui vieux camarade Marcel, nous allons encore arriver à la fête-Dieu, je suis si beau avec mon pantalon rouge. Mais ce jour-là je n’oublierai pas de chanter :

Quand le devoir l’appelle

L’arquebusier fidèle

Dès que tambour bat

Se trouve toujours là

Vive les rouges

Vive les vieux arquebusiers

Le 12 mai 1916.

Mon Cher Marcel,

J’ai été heureux de recevoir de tes nouvelles et de te savoir en bonne santé. Quant à moi, je te dirai qu’il y a un petit changement et qu’il me va un peu mieux et j’espère que cela voudra bien continuer ainsi car, on est déjà si malheureux de se trouver seul, si loin des siens.

Tu me fais aussi savoir que le vieux Moureau de la rue du Perron est mort ! Il ne marchait plus mais il nous donnait toujours l’argent, ce qui était bon pour nous.

Les Bleus ont fêté St Georges, et bien, cher Marcel, ce sera bientôt au tour des Arquebusiers restés à Visé de fêter notre fête Dieu, qui est proche.

Et maintenant, que me dis-tu ? Louis Maes aurait la franchise d’aller jouer une messe en musique[18] ? Tu m’étonnes ! Ses idées sont peut-être bien changées ?

Cher Marcel, j’espère que tu auras été bien content en recevant la photo que j’ai mise dans la lettre du petit Collin. J’en avais profité, vu qu’à ce moment nous étions ensemble.

Je te remercie pour la carte que tu m’as encore envoyée. Je termine donc ma lettre en te serrant bien fort la main de loin et reste ton ami pour la vie.

Denis.

Carte écrite par Emilie Becq depuis l’Angleterre à l’adresse de Marcel Houlteaux.

Hornsey, le 30 juin 1916.

Monsieur,

J’ai appris par Ernest, avec beaucoup de regrets, que vous alliez quitter Eysden pour le service militaire.

J’espère et je souhaite bien, que ce ne sera pas pour un poste trop dangereux. Je vous souhaite bonne chance dans votre nouvelle vie et bon courage, car le début est toujours plus ou moins dur, surtout dans ces temps malheureux.

Je viens, par la même occasion, vous présenter mes remerciements pour toute l’amabilité que vous avez eue en voulant bien vous charger de faire parvenir l’argent à ma mère.

Pour ne pas déranger monsieur votre père, qui, je suis sûre est bien attristé de votre départ, je pourrais à l’avenir, envoyer, par l’intermédiaire d’une société de Rotterdam, je sais, par des compatriotes, que c’est un moyen absolument sûr.

Je vous prie de présenter tous mes respects à votre famille et avec mes remerciements et mes bons souhaits, agréez, monsieur, mes salutations respectueuses.

Emilie Becq.

Pour terminer, voici une poésie envoyée (et écrite ???) par Monsieur Fr. Feuchenne, directeur gérant du syndicat agricole liégeois, à Marcel Houlteaux, en décembre 1916, poésie de circonstance en cette deuxième année de guerre.

Sa voie puissante et souveraine

Tonnait sur les monts et la plaine.

Son langage semait l’émoi :

C’était alors les jours d’effroi !

Et pourtant on l’aimait, sa voix grave et profonde

Où l’on sentait vibrer l’âme d’un peuple entier,

D’un peuple qui, s’offrant en holocauste au monde,

Payait avec son or, ses pleurs, son sang altier,

L’éclat de son drapeau ! – Dans la nuit triste et noire,

Il rugissait, semant l’émoi :

C’était alors les jours d’effroi...

C’était aussi les jours de gloire !

Médusant le monde étonné,

Vomissant ruines et flammes,

Au loin, longtemps il a tonné,

Broyant nos fils, brisant nos âmes,

Clamant sa force et son orgueil...

C’était alors les jours de deuil !

Et maintenant encore il gronde

Et l’on aime sa voix profonde

Car sa rude clameur

Aujourd’hui parle au cœur

Un langage nouveau, langage d’espérance

Où tintent les doux noms : Patrie et Délivrance !

Il gronde après les jours de deuil,

Il tonne comme aux jours de gloire,

Il a brisé des Huns les rêves et l’orgueil

Et sa grande voix vibre en un chant de victoire !

Cette suite d’article peut une fois de plus être qualifiée de série ‛à tiroirs’ car à chaque fois nous pouvons compléter nos informations par de nouveaux documents. Cette fois encore, des précisions et des écrits nous ont été apportés par des lecteurs.

Nous avions parlé de la photo prise à l’occasion d’une manifestation organisée par les Arquebusiers le jour de leur fête traditionnelle, dans le camp même de Celle. Adressée par Martin Simonon[19] à son père, Martin Simonon-Lenoir, la carte illustrée[20] portait un message bien laconique : « Bonne et heureuse année ».

La date de la prise de vue peut en être précisée car au revers, l’original porte la date de l’envoi, le 20 décembre 1915. La photo prêtée par Martin Purnode, qui regroupe les Anciens Arquebusiers autour d’une image de Saint Martin, a bien été prise en novembre 1915. Le Courrier de la Meuse, dont nous parlons par ailleurs, précise en septembre 1915, qu’il restait encore 125 Visétois prisonniers à Celle. Nous savons aussi que si ce sont des Arquebusiers qui figurent sur la photo, des Francs arquebusiers ont également participé à la manifestation[21]. La solidarité entre Visétois avait évidemment joué.

Nous avions cité quelques journaux publiés par des Belges en exil aux Pays-Bas. Grâce à Jacques et Nany Schyns-Lacroix, nous avons pu compulser un précieux recueil relié du Courrier de la Meuse imprimé à Maestricht pendant la guerre à l’initiative de Dieudonné Thonon, un Visétois, neveu de l’empereur Nicolas Thonon. Marcel Houlteaux notamment a collaboré à la rédaction du journal.

Sorti de l’imprimerie Maestrichtoise, sise Kapoenstraat, le Courrier de la Meuse était essentiellement consacré à la politique et aux événements liés à la guerre. Il était un lien entre les réfugiés et la chronique On demande des nouvelles était réservée aussi bien aux recherches de personnes disparues qu’aux informations, parfois camouflées par des pseudonymes, liées à des déplacements ou des changements de fonction. Les textes à suivre de La destruction de Visé (La mobilisation, On fait sauter le Pont, L’arrivée des Allemands, Les premiers incendies...) méritent certes une analyse que probablement nous aurons l’occasion de publier dans les prochains numéros du Papegaie. Mais nous nous arrêtons cette fois à un texte en wallon, composé sans nul doute par un Visétois, qui montre que malgré les drames, l’humour restait présent.



Les ruines de la collégiale Saint-Martin en 1914. (Coll. Eddy Bruyère)

Belgique – Lettre des Fronts :

Lette à Mayanne.

Mi vîle geûye di souk !

Les grandès novèles vis parvinès fwert rat’mint a çou qu’dji veu. Li « Courrier de la Meuse » qui d’ja l’plaisir dè lère chaque djou, est l’meyeuse des proûves qui v’s estez raksègnis chiq’mint so tot çou qui s’passe. Min vochal ine grande novèle « que les journaux ne disent pas ». Et qui v’va rècrester. Djiso, comme on dit à ‘l’ordre du jour’. Ci d’vreut esse pu vite à l’ordre dè l’nute,ca c’est vè mey’ nute qui çoula s’a passé. D’jesteu don èvoye, avou m’camarôde Dèniss noss caporal, wèti divins l’cwène d’on bwès si aveut brammint des Prussiens. Tot nos hertchant so noss vinte, nos arrivans a ‘ne dihaine di mètes di zels. Estit là ‘ne qwinzinne, magnant come des rayeux qu’ont djuné dispoy sih grossès saminnes. L’occâsion est bèlle, disje à m’camarâde. Pif, paf... Vo’nnè la cinq... so leû prussien. Adon tot candjeant nosse vwès, come si aveut tote ine kipagneye, nos k’minçant a brère di no pu reud : « I les fât sprâtchi so l’côp » - « Turto l’cou-z-en haut » - « Flahant dans l’houpeau ! » Les sept kaizerliks qui n’avis nin cos tu aduzé, accorèt vè nos autes tot lèvant les bress « Kamarade italiens pas nous tuez ! » et nos les fis turtos prisonnirs. I fât creure qui l’déclarâtion d’guerre di l’Italie è l’zi fait sogne d’on maîsse côp. Et vola k’mint qui l’wallon chèv d’timps in timps à n’saqwè. Divans deûs meus, vos m’ètindez, nos l’irans djâser à Lidge.

Li côp qui vint, dji v’s’èvoyer’rè ‘ne pitite tchanson qui dja fait so l’air dè Tradèri dèra. Bonne et franke pouhneye âs camarâdes et por vos ine cakèye di grossès bâhes. Vosse pitit bouname ‘pour la vie’ Erness Disovré – Villa des Foyons.

Traduction : (par Francis De Look)

Lettre à Marie-Anne.

Ma vieille gueule de sucre !

Les grandes nouvelles vous parviennent fort bien à ce que je vois ! Le « Courrier de la Meuse », que j’ai le plaisir de lire chaque jour, est la meilleure des preuves que vous êtes renseigné « chiquement » sur tout ce qui se passe. Mais voici une grande nouvelle « que les journaux ne disent pas », et qui va vous « rehausser ». Je suis, comme on dit à « l’ordre du jour ». Ce devrait plus vite être à « l’ordre de nuit », car c’est vers minuit que cela s’est passé ! J’étais donc parti avec mon camarade Denis, notre caporal, regarder au coin du bois s’il y avait beaucoup de Prussiens. En nous traînant sur notre ventre, nous arrivons à une dizaine de mètres d’eux. Ils étaient là une quinzaine, mangeant comme des arracheurs qui ont jeuné depuis six semaines. L’occasion est belle dis-je à mon camarade. Pif, paf ... en voilà cinq ... sur leur Prussien. Alors tout en changeant notre voix, comme si il y avait toute une compagnie, nous commençons à crier de notre plus fort : « Il faut les écraser tout de suite » - « tous le cul en l’air » - « Frappons dans le tas ». Les sept « Kaizerliks » qui n’avaient pas encore été secoués, accourent vers nous tout en levant les bras « Kamarades italiens pas nous tuer ! » et nous les fîmes prisonniers. Il faut croire que la déclaration de guerre de l’Italie leur fait vraiment peur. Et voilà comment le Wallon sert de temps en temps à quelque chose. Avant deux mois, vous m’entendez, nous irons le parler (le wallon) à Liège.
La prochaine fois, je vous enverrai une petite chanson que j’ai faite sur l’air des Tradéri déra. Bonne et franche poignée de main aux camarades et pour vous un paquet de grosses bises. Votre petit bonhomme pour la vie. Ernest Disovré – Villa des Taupes.

Lettres des années 1917 et 1918.

Lorsque Marcel Houlteaux quitte Eysden pour rejoindre l’armée et le service actif, sa sœur le remplace avec efficacité. Si certaines lettres sont encore adressées à Marcel, rapidement la nouvelle est connue et le courrier sera adressé à Mademoiselle Houlteaux jusqu’à la fin de la guerre.

Lettre de Martin Charlier.

Le 8 janvier 1917.

Cher ami Marcel,

J’ai très bien reçu votre lettre du 21 écoulé qui me fait plaisir de vous savoir toujours en bonne santé et je vous remercie d’avoir remis ma carte pour mes parents et aussi d’avoir fait votre possible pour me trouver la pièce.

Je suis très content aussi que le concert organisé à Eysden a très bien réussi. Moi, je l’aurais bien dit d’avance, avec des hommes de talent, des vieux habitués tels que vous, Humblet et M. Heuchenne ! Je dirais bien comme monsieur l’abbé Barla dans le temps au Cercle : il faut que ça marche !

Je vous ferai savoir aussi, cher ami que j’ai été en congé chez Léonard Lorquet en Angleterre, qui a été content de me revoir et moi, encore plus content de pouvoir partir dix jours comme ça en arrière pour un peu reprendre la vie du temps de paix.

Car, j’ai été reçu là-bas on ne saurait être mieux. Ils ont vraiment tout fait pour m’être agréable ; aussi, je n’oublierai jamais. Je ne saurais trop les remercier tellement ils ont bons et quel plaisir ils m’ont fait ! J’ai pu revoir la couleur du vieux « pêquet » qui m’a goûté on ne peut mieux, aussi je me suis très bien amusé, tellement bien que je ne pourrais te le raconter ! Tu comprends bien, depuis le 29 juillet 1914 que je suis parti de Visé et que l’on trimballe ici dans l’eau et la boue, le bonheur que j’ai eu en arrivant chez Léonard. Je n’aurais pu dire un mot, tellement j’ai été touché. Et pour les quitter, c’était encore bien pire car j’ai pleuré comme un enfant qu’on aurait battu lorsque j’étais dans le train. J’ai dû me faire très fort pour ne pas pleurer devant eux. Ils ont été vraiment mes parents pendant 10 jours.

Je termine avec l’espérance que cette année sera celle de la délivrance et de la victoire triomphante pour les alliés.

Recevez, cher ami, mes meilleures amitiés.

Martin Charlier.



Georges Martin, arquebusier et frère de Marcel Martin, tombé au champ d’honneur le 17 novembre 1917.

Lettre de Jean Longle.

Le 26 décembre 1917.

Mademoiselle Houlteaux,

Je viens de recevoir votre lettre me demandant si la carte était bien pour moi, vous l’avez bien expédiée, je vous remercie de bon cœur.

Je vous dirai que notre ami Georges Martin est tombé au champ d’honneur comme un brave. Cet après-midi, nous allons écrire à tous les copains de Visé pour faire une collecte entre nous.

Comme je dois partir, je termine ma lettre en vous annonçant qu’il fait très froid.

Recevez mes salutations sincères.

J. Longle.

Lettre de Pierre Lorquet.

Le 24 juin 1918.

Chère Mademoiselle Houlteaux,

Voilà bien longtemps que je n’ai plus reçu de vos nouvelles ! Est-ce que les frontières seraient fermées ? Je croyais, quand le courrier de Hollande est arrivé, avoir deux ou trois lettres mais je dus encore me mettre la ceinture !

Je vous dirai que je suis toujours en bonne santé et que, ici, sur notre front, il fait assez calme car depuis le mois d’avril, les boches n’ont plus recommencé leurs aventures. Peut-être que cela leur coûte trop cher mais, ce qui nous laisse pas tranquilles ce sont les avions.

J’espère que vous avez bien reçu ma photo ? Comment la trouvez-vous ? Je remets, ci-joint ... (illisible) pour la Belgique car ils ne savent quoi penser sans doute car les boches doivent afficher leurs placards pour annoncer leurs victoires qui ont coûté très cher et Paris n’est pas encore pris. Quant à prendre ce qui reste de la Belgique, ils ont du retard car chez nous, on ne peut arriver qu’avec des sous-marins et encore, car les canons ne sont pas rouillés comme on pourrait le croire. Ils savent entrer dans la danse au bon moment ! Les boches en savent quelque chose.

J’ai reçu des nouvelles de Marcel. On dirait qu’il s’amuse dans la vie militaire ! C’est que dans les camps, ils sont très bien malgré qu’ils claquent beaucoup d’exercices mais une fois ici : exempt de dormir toutes ses nuits tranquille ; quand ce n’est pas les avions, ce sont les obus ou bien les gaz. Aussi, vite la paix pour mettre fin à toutes ces misères-là !

En attendant de vous lire, je reste votre tout dévoué et reconnaissant.

Pierre Lorquet, 12ème Cie z133

PS : Je vous remercie aussi pour vos bons souhaits, espérant que nous nous retrouverons bientôt ensemble. Si vous n’avez pas reçu ma lettre dans laquelle je vous souhaitais une bonne année, je vous la souhaite avec l’espoir qu’elle sera meilleure que les précédentes.



Autre vue des ruines de la Renaissance.

Lettres de Pierre Lorquet.

Le 1er mars 1918.

Mademoiselle Houlteaux,

J’ai très bien reçu vos deux lettres, celle du 11 et celle envoyée à Criel. Je vous en remercie vous dirai que je suis toujours en bonne santé et j’espère que la présente vous trouvera de même. Aujourd’hui, je vais écrire un mot à Marcel.

En attendant de vous lire, je reste votre tout dévoué et reconnaissant.

Pierre Lorquet.

Lettre de Bernard Louis.

Le 5 septembre 1918.

Mademoiselle Houlteaux,

Je reçois avec plaisir votre gentille lettre et vous ne sauriez vous figurer comme vous m’avez rendu heureux en me faisant savoir que je pouvais écrire une lettre. J’ai reçu aussi une carte de votre frère mais il n’était pas encore aux tranchées (rien ne presse !). Il en avait encore pour quelques semaines et il se réjouissait d’être en face des boches.

Malheureusement non, je n’ai pas reçu les chansons de mon frère ! La cause en est à ce qu’elles sont en « Wallon ». C’est triste mais c’est comme cela d’après les autres et pourtant, il n’y a rien de contraire, que bien loin de là !

Ici, tout le monde rayonne et aussi en Angleterre de voir la pile que les boches reçoivent et, nous croyons fermement que nous serons bientôt A MON NOS AUTE ! (chez nous autre).

Malheureusement, mon congé n’a pas encore eu lieu, toujours à cause de la futilité que j’ai eu ; mais je crois partir dans quelques jours.

Ce que vous me faites connaître avec les choses qui se sont passées à Liège, cela ne m’étonne pas car n’y a-t-il pas un proverbe qui dit « Qwand deux paumés s’aidaient, li bon Dieu reye » !!

Dans quelque temps je vous écrirai la carte que vous avez eu l’amabilité de joindre.

Avec tous mes sincères remerciements, recevez, Mademoiselle, toutes mes civilités respectueuses.

Bernard Louis.

 

Si nous avons clôturé le survol du courrier lui adressé pendant la guerre, nous n’en avons pas complètement terminé avec Marcel Houlteaux. En effet, il va collaborer à un journal qui sera créé et sortira de presse à Maestricht. Malheureusement, très rares sont les articles signés, peut-être par peur de représailles pour les familles restées en Belgique. Il est donc impossible de déterminer l’importance de sa collaboration ni de savoir si, lors de son passage au front, il eut encore un rôle de correspondant.

Le Courrier de la Meuse s’adressait en français à la population belge réfugiée dans le Limbourg hollandais. Le quotidien avait été fondé par un parent de Marcel Houlteaux, Dieudonné Thonon. Ce dernier dirigera le journal pendant toute la guerre et, heureusement, ses descendants ont conservé un exemplaire de chaque parution classé et relié par année.

Le montage de l’entreprise fut rapidement bouclé car dès la fin de septembre 1914, le journal paraissait. Il était tiré à l’Imprimerie Maestrichtoise et il était notamment financé par des publicités de commerçants de la ville de Maestricht.

Nous y avons particulièrement relevé une description de l’atmosphère précédant l’invasion allemande et des exactions de ceux-ci dans Visé. L’intérêt des récits est d’autant plus grand qu’ils sont publiés quelques semaines seulement après le drame. C’est pourquoi nous les publierons dans leur intégralité.



Marcel Houlteaux dans sa tenue d’empereur.

Le courrier de la Meuse.

Organe quotidien, littéraire illustré

Jeudi 24 septembre 1914  -  N° 2

Le N° ; 10 centimes.

Les Horreurs de la Guerre – Destruction de Visé. (de notre correspondant)

Je viens  de parcourir ce qui fut l’une des plus coquettes cités de la vallée mosane : Visé… Ce n’est plus qu’un amas de ruines. De la ville, il ne reste qu’un petit faubourg, au Sud.

Qui ne connaissait Visé, la gare frontière, la jolie ville wallonne ! … Qui ne s’y est arrêté ne fusse que quelques heures pour jouir du charme de ses promenades ou pour goûter son « plat » renommé !…

Hélas !... plus rien aujourd’hui !... Disparus les deux beaux hôtels qui égayaient la place de la gare dont l’aspect riant accueillait le voyageur ;  disparu l’édifice historique qui servait d’hôtel de ville, d’un cachet vraiment original ; disparue aussi la belle Collégiale avec son chœur monumental du plus pur style gothique, restauré il y a dix ans à peine ; disparue enfin, la ville elle-même : ses maisons, ses rues, ses places. Tout n’est que ruines et amas de décombres.

Oh ! loin de nous la pensée de vouloir quant à présent du moins, porter un jugement sur les causes de cette vraie catastrophe. Les responsabilités, nous n’en doutons pas, s’établiront un jour, mais qu’il nous plaise de reconnaître que la guerre a de terribles conséquences et que rarement, fléau plus terrible s’abattit sur l’humanité.

Mais que sont donc ces ruines matérielles à côté des victimes humaines…

Une pauvre femme, mère de famille, me racontait que son mari resté paisiblement chez lui pendant ces jours troublés, avait été pris, comme tous les autres d’ailleurs, et conduit sur la place de la Station. De là, avec plus de sept cents hommes et jeunes gens, il était parti à travers les rues en flammes. Arrivé dans le haut de la ville, on permit au groupe de prisonniers de s’arrêter un instant pour jeter un dernier coup d’œil sur leur chère cité… Hélas !... Quel tableau s’offrit à leurs yeux !...Un immense brasier s’étendait jusqu’à la Meuse… La ville presqu’entière était en feu et il semblait à ces malheureux que c’était quelque chose d’eux-mêmes qui s’anéantissait à jamais dans les ruines. Plusieurs détournèrent les yeux, quelques-uns contemplaient l’horrible spectacle d’un regard fixe et comme perdus dans une pensée profonde, les autres pleuraient…

Et comme je lui demandais pour quelles raisons on avait détruit la ville et emmené les hommes, elle répondit : « On prétend que quelques Visétois ont tiré sur des soldats, mais ici personne ne le croit, attendu que toutes les armes avaient été jetées par ordre et que d’ailleurs, personne n’aurait osé s’exposer aux plus terribles représailles. » - « D’ailleurs, Monsieur, ajoutait-elle, non sans une certaine naïveté, laissez revenir les troupes allemandes qui sont passées ici après l’incendie, vous entendrez comment leurs officiers critiquaient l’attitude de ceux qui les avaient précédés. »

La pauvre mère, louait ensuite la conduite des soldats allemands chargés actuellement de la garde de la ville… Elle venait précisément de solliciter l’un d’eux afin qu’il s’informât de son époux. Mais, le brave troupier, père de famille lui-même, avait hoché la tête et une larme perlait à sa paupière tandis qu’il caressait encore la chevelure ébouriffée d’un gros bambin qui essayait de lui décrocher le fourreau de sa baïonnette.

Oh ! la guerre, quelles situations elle crée, quelles horreurs elle engendre !...

Et tandis que lentement l’ombre du soir s’abaissait sur les ruines comme pour dissimuler au regard du passant une chose effrayante, je me découvris.

Au loin, j’entendais le son d’une cloche, probablement l’angélus, qui résonnait dans le clocher d’un village épargné par la guerre et dont le timbre pieux prenait essor vers le Ciel comme pour supplier le Dieu de paix, d’abaisser sur la terre un regard de compassion et de miséricorde.

La destruction de Visé.

A la suite de l’article de notre correspondant, sur la situation actuelle de Visé, divers témoins oculaires des pénibles événements dont la petite ville fut le théâtre, nous en ont fait le récit. Nous allons coordonner leurs déclarations et donner à nos lecteurs, l’histoire des derniers jours de la malheureuse cité mosane.

La Mobilisation.

Les premières troupes allemandes sont arrivées à Visé, le mardi 4 août vers midi.

Depuis plusieurs jours déjà, la gendarmerie de Visé était sur les dents, des patrouilles parcouraient la région réquisitionnant les chevaux pour le service des transports de l’armée quand, dans l’après-midi du vendredi 31 juillet, communication fut donnée au commandant de la brigade de Visé que les Allemands venaient de couper les fils télégraphiques à Herbestal.

Immédiatement, une dépêche fut transmise au ministère de la guerre et dès minuit, le tocsin annonçait partout la mobilisation générale de l’armée.

La mobilisation !... Avec quel accent ce mot retentit à nos oreilles, quelle perspective angoissante il laisse entrevoir : le départ, la séparation, les fatigues, les privations, la bataille et qui sait, la mort peut-être… Moment douloureux, heure grave, scène déchirante pour bien des cœurs d’épouse et de mère !...

Et pourtant, il est une circonstance qui rend cette heure plus solennelle encore : la nuit !... La ville repose. Sur la campagne environnante, la nuit sombre a étendu son voile épais. Quel calme !... quel silence !...Tout à coup, on perçoit vaguement le bruit d’une chevauchée, le bruit se rapproche, un cavalier passe au galop de sa monture… Qu’est-ce donc ?

En tout autre temps, cela passerait inaperçu, mais en ces jours troublés, à ces heures d’attente anxieuse, le moindre fait naturel prend les proportions d’un événement… Aussi, on tend l’oreille, on se redresse…quelques-uns se lèvent en hâte et nerveusement regardent dehors…

Qu’entendent-ils donc là-bas ? Un bruit sourd…, un roulement dirait-on !... Mais, oui, c’est le son lugubre et mat d’un tambour. On croit rêver… on appelle… on s’interroge, quand tout à coup, dans la nuit profonde, retentit le son d’une cloche : c’est le tocsin !... Des cris s’élèvent dans la nuit : la mobilisation est décrétée ! Moment d’indicible émotion !...

Mais déjà, les premiers réservistes se précipitent vers la caserne de gendarmerie tandis qu’au loin, le son des cloches se répond de village en village.

Dans le calme de la nuit, cet appel du pays, volant de clocher en clocher, a quelque chose de profondément émouvant.

Le cœur se serre d’angoisse mais je ne sais quel autre sentiment répond aussitôt, calmant les craintes, exaltant l’âme : un sentiment de confiance, un sentiment d’amour et d’attachement au sol natal.

Inquiétude – Les raisons d’espérer.

Dès cet instant, l’inquiétude devint assez vive chez nous… Les précautions prises étaient telles qu’on s’imaginait difficilement qu’on fut très rassuré en haut lieu sur le respect de la neutralité belge.

D’autre part, beaucoup savaient que Visé était sur le passage tout indiqué des Allemands dans le cas d’une invasion éventuelle, mais on espérait malgré tout, on se rappelait les paroles rassurantes de l’empereur Guillaume aux représentants  du roi des Belges, venus pour le saluer à Aix-la-Chapelle. D’autres s’en allaient répétant : « En 1870, les belligérants ont respecté notre neutralité, pourquoi agiraient-ils autrement aujourd’hui ? »

On fait sauter le Pont.



Le pont de Visé détruit.

Hélas ! Il fallut bientôt abandonner tout espoir de sécurité.

Dans la nuit du 3 au 4 août, une terrible explosion se fit entendre réveillant toute la population de la cité d’ordinaire si paisible… C’était le pont qu’on venait de faire sauter…

Tout au moins, c’est le cri d’effroi qui se répandit bientôt en ville. Disons de suite que l’explosion ne produisit presque pas d’effet et que le travail fut à recommencer.

Mais dès cet instant, il apparut clairement que la situation était critique, on courut aux informations. L’anxiété se peignait sur tous les fronts… Plusieurs s’efforçaient de la calmer en montrant que la population n’avait rien à redouter.

Vers 4 heures du matin, tout était prêt pour tenter une démolition définitive du pont… Cette fois, la population prévenue, avait pu prendre certaines précautions indispensables, et ce fut heureux. Le déplacement d’air produit par cette seconde explosion fut tel que la toiture de plusieurs s’écroula et que les vitres furent brisées à plus d’un kilomètre à la ronde.

L’arrivée des Allemands.

Dès cet instant, beaucoup ne doutèrent plus de la terrible réalité : les Allemands étaient entrés en Belgique. Ils allaient passer ici.

Ils vinrent en effet, précédés de l’épouvantable réputation que leur avait valu la destruction des villages de Warsage, Bombaye et Berneau.

C’était le mardi 4, vers une heure de relevée.

Visé ressemblait à une ville morte, de nombreuses maisons avaient clos leurs volets… presque personne en rue. Tout à coup la fusillade crépite dans le haut de la ville… Qu’est-ce donc ?... Aucun soldat belge ne se trouve cependant ici… Et tandis qu’anxieusement ces réflexions traversent les esprits, les balles sifflent aux oreilles des habitants assis tranquillement dans leurs demeures ou blottis dans les caves, et font éclater la maçonnerie et le plâtre à quelques pouces parfois de têtes enfantines. Et la fusillade continue tandis que, plus morts que vifs, hommes, femmes et enfants se réfugient dans tous les coins.

Hélas, la fusillade avait fait plusieurs victimes déjà et elle se poursuivait partout dans la ville. Les soldats allemands tiraient sans discontinuer dans les fenêtres des maisons et par les soupiraux des caves. (On apprit plus tard qu’ils prétendaient que des Français s’y étaient embusqués.)

Dans l’entretemps, ils avaient fait sortir les habitants, les menaçant du fusil ou du révolver, s’étaient emparés de quelques hommes qu’ils contraignirent à les piloter dans la ville et en avaient fusillé plusieurs, les uns parce que leurs charrettes avaient été employées aux barricades, les autres parce qu’ils n’obtempérèrent pas assez vite aux ordres reçus.



Les Allemands occupent Visé.

Précédés de quelques civils, les patrouilles allemandes parcoururent la ville, l’arme au poing… A proximité du pont où les attendait posté sur l’autre rive de la Meuse, un détachement belge, des balles sifflèrent à leurs oreilles… Pour les soldats allemands, il n’y eut aucun doute : les civils tiraient…

Ils fouillèrent toutes les maisons avoisinantes et fusillèrent plusieurs habitants. Mais, le trait le plus caractéristique de cette visite domiciliaire fut l’envahissement de la propriété Horion, près du pont.

Il faut savoir que depuis le 2 août, Monsieur Horion et sa famille étaient partis pour Bruxelles. La maison était donc inhabitée… Rien n’y fit, les Allemands prétendirent qu’on avait tiré de cette demeure et contraignirent quelques civils à y pénétrer sous la menace de leurs baïonnettes.

On força les portes, on fouilla de la cave au grenier et quand ils furent convaincus que personne ne se cachait là, les Allemands s’y installèrent en disant : « Cependant, on a tiré d’ici ! »

Le courrier de la Meuse II.

Nous poursuivons la série d’articles extraits du Courrier de la Meuse. Ces lignes tragiques racontent les malheurs de Visé et des Visétois au moment de l’invasion des Allemands en août 1914. L’intérêt de ces textes réside tant dans le contenu que dans le peu de temps qui s’est écoulé entre les événements et la narration. Les textes ici reproduits ont été publiés dans les éditions successives du ‘Courrier de la Meuse’ dès septembre 1914 mais ils ont également été annotés et complétés manuellement dans le tome relié de la première année de parution  qui nous a été soumis. Les différentes ajoutes et corrections sont chaque fois signalées : entre parenthèses pour les parties barrées et en italique pour les textes ajoutés et collés.

Nous avions précédemment souligné  l’importance que pouvaient prendre le courrier et les informations transmises de proche en proche. Les articles parus dans ‘Le Courrier de la Meuse’ créé et dirigé par Dieudonné Thonon participent à cet effort de communication. Plusieurs journaux sont nés du fait de la guerre, le plus connu étant ‘La libre Belgique’. Bien plus circonstancielles, quelques publications ont été imprimées aux Pays-Bas au bénéfice des réfugiés belges francophones. Leur nombre et leur succès confirment le besoin de contact et d’information des Belges dispersés en Belgique, aux Pays-Bas, en France et en Angleterre ou prisonniers en Allemagne.

Le ‘Courrier de la Meuse’ a été fondé par Dieudonné Thonon[22], né à Visé le 10 mai 1882. Il a été très actif au patronage Saint-Joseph et au Cercle Saint-Hadelin (sections chorale et dramatique ainsi qu’au Cercle Utile Dulci) mais surtout le promoteur et le président de la section de gymnastique ‘L’avant-garde’ en 1906. Il fut aussi un des fondateurs et le rédacteur en chef du journal ‘Le pays de Visé’. Mobilisé, il fit retraite avec son régiment, le 14e de ligne[23]. Malade et démobilisé, il rejoignit sa famille à Maestricht[24]. Il fonda ‘Le courrier de la Meuse’ qu’il dirigea jusqu’à la fin de la guerre : journal des réfugiés belges, qui, introduit clandestinement en Belgique, nous apportant le réconfort et l’espérance, contribuait de façon très efficace à soutenir le moral de la population dans ces heures angoissantes et tragiques…



Carte-type envoyée (franc de port) par le Comité international de la Croix-Rouge à Genève au Rep. Famille Lhonneux c/o Mr Theunissen-Orban, Place Verte à Eysden – Hollande le 28 mai 1915.

Après l’armistice, Dieudonné Thonon partit s’installer à Herve. Petit-fils de notre empereur Nicolas Thonon et sympathisant des Arquebusiers, il a cependant laissé peu de traces dans les archives[25] de la Compagnie.

La Destruction de Visé (suite)[26]

Les premiers incendies.

Le premier combat.

L’entrée des armées impériales sur le territoire de Visé fut marquée par d’autres désastres. Les soldats firent flamber trois maisons dont l’ancienne et vaste ferme du Temple, sur le plateau de Lorette, la ferme L… à la porte de Lorette et la maison M… au-dessus de la rue de la Trairie.

Tandis que les incendies s’allumaient sur les hauteurs, une vive fusillade éclata tout à coup sur la Meuse. Voici se qui se passait :

Les troupes d’avant-garde allemandes s’étaient portées en hâte vers le pont, espérant encore le trouver intact. Elles furent accueillies par un feu nourri de la rive gauche du fleuve où un bataillon du 12ème de ligne avait pris position. Habillement dissimulés derrière les matériaux provenant de la démolition du pont, les fantassins belges prirent d’enfilade la troupe allemande et lui occasionnèrent des pertes sérieuses.

Bientôt, les mitrailleuses d’un côté, les forts de l’autre, prirent part à l’action et, pendant quelque temps, le bruit fut assourdissant. Les obus tombaient sur la ville où ils endommagèrent quelques maisons, tandis que les habitants réfugiés dans les caves se demandaient anxieusement quel sort les attendait.

Bientôt cependant le feu cessa. Le petit détachement belge s’étant aperçu que l’ennemi mettait des canons en batterie abandonna la place.

Sans être autrement inquiétés, les Allemands purent prendre possession de la ville.

Ordre fut donné à la population d’avoir à laisser ouvertes les portes des maisons et les hommes furent prévenus qu’ils devaient se réunir à l’église, le soir à 8 heures, le commandant des troupes d’occupation voulant personnellement communiquer ses instructions. Les hommes se rendirent à l’église, mais … le commandant ne vint pas.

Ajoutons encore que le bourgmestre fit publier une proclamation invitant la population au calme. Lui-même se dépensa personnellement pour rassurer ses concitoyens et leur porter ses encouragements et ses conseils.

On ne finirait pas, si on devait raconter par le menu, les mille épisodes de tous genres, les uns dramatiques et sanglants, les autres parfois burlesques auxquels donna lieu l’arrivée des troupes allemandes… En règle générale, les habitants étaient contraints de sortir de leur maison, les bras levés. On ne les approchait que le fusil à la hanche ou le révolver au poing.

Beaucoup furent « collés » au mur et nombre de fois, on fit le simulacre de les passer par les armes ; d’autres moins heureux furent tués sans autre forme de procès, et leur corps restèrent sur la chaussée jusqu’au lendemain bien tard. Avant de les emporter, les Allemands contraignirent la population à défiler devant les cadavres.

***

Un fait qui a frappé tous les témoins des événements de Visé, c’est que les Allemands, officiers comme soldats, avaient l’idée préconçue que les civils tiraient sur eux.

A priori, tous les habitants étaient suspects, chacun devait prouver son innocence.

On conçoit aisément les difficultés que créait à des gens surexcités, ignorant la langue des maîtres du jour, une semblable situation.

Plusieurs échappèrent à une mort certaine grâce à leur connaissance de l’allemand et aux explications qu’ils purent fournir ; d’autres moins favorisés sous le rapport linguistique furent purement et simplement passés par les armes.

Une première nuit d’angoisse.

La nuit allait-elle apporter une détente nécessaire après une journée si agitée ? Hélas, l’heure du repos était à peine sonnée que de vives pétarades se produisaient sur différents points de la ville. Des soldats postés en rue et sur les places tiraient dans toutes les directions visant surtout les fenêtres des étages…

Tous les habitants se réfugièrent dans les caves.

Dare dare, ils improvisèrent des couchettes de fortune et tant bien que mal, plutôt mal que bien, femmes et enfants s’endormirent tandis que les hommes veillaient derrière les portes ou les soupiraux des caves…

Que de petits enfants passèrent ainsi dans des caves humides trois nuits consécutives, ayant pour berceau une couverture, quelques sacs vides, voire un peu de paille.

Ajoutons à cela la terreur provoquée dans la population par le sifflement des shrapnells qui passaient au-dessus de la ville et dont l’artillerie des forts criblait les positions ennemies.

La destruction de Visé.

Le matin, on put sortir le cœur léger et se risquer aux environs. Quelques maisons s’étaient écroulées sous les obus des forts mais les projectiles belges n’avaient pas fait de victimes belges. Cà et là se voyaient des traces sanglantes, quelques objets perdus ou oubliés dans la hâte du départ.

Le matin souriait calme et limpide sous un ciel pur et l’on aurait pu croire à quelque mauvais rêve. Mais pour dissiper toute illusion, de temps à autre un avion prussien souillait l’azur matinal de sa noire silhouette de vautour.

Le pont de bateaux.

Cependant au nord, à quelque distance de la ville, près de la frontière hollandaise, les troupes allemandes n’avaient cessé d’arriver. Des milliers d’hommes occupaient la campagne s’échelonnant le long des routes, arrêtés par l’écroulement du pont. Force était bien aux  Allemands de recourir à l’établissement d’un pont de bateaux.

(Cependant c’est à l’autre bout de la ville que nous devons porter notre attention.

Tout au nord, presque à la frontière hollandaise, allait se passer un événement gros de conséquences pour la suite.

Depuis douze heures, les troupes allemandes  arrivaient presque sans discontinuer. Des milliers d’hommes occupaient la campagne, s’échelonnaient le long des routes… Toute la nuit les forts de Pontisse et de Barchon avaient été en action contre l’ennemi, dont la marche en avant était arrêtée par l’écroulement du pont. Force fut bien aux Allemands de recourir à l’établissement d’un pont de bateaux.)

Oh, ils avaient prévu la chose. Le matériel nécessaire accompagnait les troupes…

Navagne, où s’élevait autrefois une forteresse importante, commandant le passage de la Meuse, Navagne inscrit en outre dans l’histoire par le séjour qu’y fit Louis XIV, lors d’un siège de Maastricht, devait de nouveau jouer un rôle important dans la guerre mondiale qui se déroule à l’heure actuelle. C’était l’endroit tout indiqué pour tenter le passage du fleuve : le courant y était peu rapide et surtout, c’était le point le plus éloigné des forts…

Le génie se mit donc à l’œuvre… Déjà le pont s’arcboutait solidement à la rive ; déjà même, il s’élançait par-dessus les flots jusqu’au milieu des eaux, lorsque tout à coup, éclata comme un bruit de tonnerre suivi bientôt de la chute d’une masse lourde dans le fleuve à quelques pas des travailleurs ; puis un second coup, mieux pointé – car c’était, comme on le devine, les grosses pièces du fort de Pontisse qui reprenaient leur action – envoyait un obus au beau milieu du pont et détruisait l’ouvrage.

Péniblement sous le feu des forts, l’ennemi s’éloigna. Mais déjà, sa grosse artillerie occupait les forts de Liège.

Cette circonstance, jointe au danger de lancer des obus en territoire hollandais permit aux Allemands de reprendre le travail interrompu. Plusieurs fois encore leur pont fut démoli par le feu de Pontisse. Mais celui-ci, de plus en plus occupé à se défendre et à balayer les routes et les campagnes où grouillaient les forces ennemies ne put éternellement s’opposer au travail du génie et, le pont achevé,   de nombreuses troupes massées depuis longtemps à la Meuse allèrent renforcer les contingents déjà respectables qui, depuis le début, avaient pu gagner la rive gauche en nacelle.



Le prisonniers visétois en Allemagne : 4ème du dernier rang (barbu), Charles Simonon (père de l’abbé Simonon) – 12ème et avant dernier du rang, Martin Simonon.

De temps à autre, les forts essayaient d’arrêter la marche de l’ennemi et lançaient sur la ville des shrapnels dont le sifflement, bien que belge, n’était pas sans effrayer la population. Aussi, trois jours encore, on resta prudemment cloîtré dans les caves. La nuit surtout, on y déposait ses couchettes, loin du soupirail tout contre le mur, car on craignait toujours les balles allemandes.

Avant de clore le récit des événements de cette première semaine d’occupation allemande, nous manquerions à un devoir si nous ne signalions la courageuse attitude de Monsieur le Directeur du Collège St. Hadelin.

Le jour de l’irruption des troupes ennemies dans la ville, Monsieur l’abbé Goffin assista au péril de sa vie, des gendarmes belges mortellement blessés.  Sous une pluie de balles, il se précipita pour leur donner l’absolution suprême.

La destruction de Visé.

Dès que le feu eut cessé, aidé par deux jeunes américains, pensionnaires de l’établissement, il transporta les blessés au Collège qui depuis lors est transformé en ambulance où, Allemands comme Belges reçoivent les soins les plus empressés. Il en fut de même à l’hospice des vieillards et à …illisible.

Monsieur le docteur Labeye, M. Moens, pharmacien, et les membres de la Croix Rouge s’étaient, dès les premiers jours, chargés du service de santé.

Depuis lors, Mr le docteur Labeye a été emmené prisonnier et les autres n’ont échappé à l’exil qu’en se réfugiant sur le sol hospitalier de la Hollande.

***

« Les derniers jours de la semaine, nous raconte un visétois, tout se passa normalement. Les troupes ennemies passaient, passaient sans cesse, mais la ville était calme. Le vendredi, le conseil communal tint une séance, la dernière, hélas, dans notre bel Hôtel de ville. Il prit diverses décisions, fixa notamment les prix des denrées de première nécessité et promulgua un arrêté ordonnant le dépôt des armes.

Le dimanche 9 août, j’assistai à la messe comme à l’ordinaire, Monsieur le Doyen, du haut de la chaire, donna à ses paroissiens de précieux conseils, les exhortant au calme et à la confiance, recommandant aux cafetiers de s’abstenir de la vente de boissons enivrantes. Il ajouta que ceux qui posséderaient encore des armes devaient s’en débarrasser afin de ne pas s’exposer au moindre soupçon d’agression ou de révolte.

Oh ! – je frémis quand j’y pense – qui aurait dit alors que nous entendions la sainte messe dans notre chère église pour la dernière fois. » … Et notre interlocuteur essuie une larme que, dans son émotion, il ne peut contenir.

L’incendie de l’église.

L’église de Visé dont on attribue la fondation à la princesse Berthe, fille de Charlemagne, a été maintes fois restaurée. L’église, elle-même, assez grande, ne présentait rien de remarquable, mais le chœur, l’un des plus beaux et des plus vastes du pays, était classé comme monument. Il appartenait au style ogival et sa construction était très antérieure à celle de l’église actuelle. Il fut restauré il y a quinze ans, sous le décanat de feu Mr le Chanoine Telders (dont le corps repose au cimetière de Maastricht) et doté en 1905, d’un riche autel en cuivre frappé, sorti des ateliers Wilmotte, de Liège.

Les cinq grands vitraux modernes étaient aussi fort remarquables, de même d’ailleurs que le grand lutrin.

Mais ce que les Visétois préféraient à la pureté du style du monument, c’était le trésor de l’église consistant en une châsse très antique et un buste plus moderne renfermant les reliques du patron de la cité : saint Hadelin.

L’an dernier, à pareille époque, des cérémonies grandioses, rehaussées par la présence de plusieurs évêques, prélats et vicaires généraux, furent célébrées pour commémorer le 550e anniversaire de la translation des précieuses reliques dans la vieille cité mosane…Quel contraste aujourd’hui !.. Mais n’anticipons pas.



L’église Saint-Martin en ruines.

Le lundi 10, des contingents allemands auxquels le fort de Pontisse notamment, envoyait des shrapnels, continuaient à arriver. Les coups portaient si juste que les Allemands prétendirent que des signaux étaient faits du haut de la tour de l’église. (Cela est démenti par les personnes autorisées)… On crut un instant………(partie cachée)

L’émotion que cette nouvelle provoqua  en ville fut indescriptible. L’envahisseur frappait au cœur même de l’antique cité. De légitimes protestations s’élevèrent, des supplications furent adressées, rien n’y fit. Ajoutons encore que des ouvriers de la ville s’étaient offerts pour scier, en deux heures, la partie de la tour qui pouvait gêner les Allemands.

La seule chose que l’autorité militaire voulut garantir, c’est qu’elle n’en voulait qu’à la tour de l’édifice  et que l’église serait épargnée. On va voir comment cette promesse fut respectée.

Vers une heure de l’après-midi, ordre fut donné aux habitants des rues avoisinant l’église, de se retirer vers le quartier de la station, afin d’échapper au danger de l’explosion.

On fit ainsi évacuer le voisinage dans un rayon de 400 mètres avait on dit d’abord, mais qui ne fut en fait que de 200 mètres. Un témoin oculaire nous raconte que, de la rue du Collège, il apercevait le sommet du clocher. Deux violentes explosions se firent entendre. Rien n’avait bougé ; plusieurs coururent à la place et revinrent rayonnants : elle avait résisté, la vieille église qui vit pendant tant de siècles se succéder tant de générations, où les vieux parents reçurent l’eau du baptême sur leur front d’enfants et les prières suprêmes sur leur cercueil ! Elle avait résisté ; à peine quelques ardoises s’étaient soulevées comme des oiseaux affolés et s’en étaient allées s’écraser au loin. Peut-être l’ennemi allait-il revenir sur sa décision brutale. L’illusion fut courte ; un peu de fumée sortit de la flèche, puis se furent des lueurs rougeâtres et enfin d’immenses flammes se tordant dans d’épaisses volutes de fumée noire. Le feu gagna bientôt la toiture jusqu’au chœur. La vieille église brûlait ! Et dans les gerbes d’étincelles qui s’élançaient en tourbillons vers le ciel pour se répandre en noires escarbilles dans toute la vallée, on sentait s’envoler à jamais tous les chers souvenirs du passé et il semblait que l’âme de la vieille cité s’élançait vers le ciel.

***

Avant de poursuivre la reproduction du récit de l’invasion allemande et de la destruction de Visé publié dès 1914 dans Le Courrier de la Meuse, voici encore quelques précisions qui concernent Marcel Houlteaux dont nous avons beaucoup parlé :

-          Marcel Houlteaux était hébergé chez monsieur Spauwen, place De la Gare, 4 à Eysden. Il était responsable de l’aide aux réfugiés, de la recherche des soldats disparus avec l’aide de la Croix Rouge suisse et de la retransmission de messages vers les familles ou vers les amis communs.

-          Son bureau était situé rue de Breust, 181 à Eysden.

-          Il a été rappelé fin 1916 (loi du mois d’août 1916), suivra la formation au camp d’Auvours (Sarthe) et sera incorporé à Barneville (Manche).

-          Après son départ, sa sœur Maria (1885-1960) le remplaça et assura la transmission des nouvelles. 

Les derniers jours de la ville[27].

L’église était détruite, l’autorité ecclésiastique représentée, en l’absence du vénéré doyen[28], par Monsieur l’inspecteur Lenssen[29] et Monsieur le Vicaire Troisfontaine, avaient décidé d’affecter au service du culte l’ancienne chapelle du couvent des Sépulcrines, aujourd’hui l’Ecole moyenne.

Le 15 août, l’Assomption ! Jour de grande solennité religieuse, jour de fête dans toute la chrétienté, mais là, particulièrement où comme à Visé, le culte de la Mère de Dieu s’est manifesté par l’établissement d’une chapelle consacrée à la Vierge.

Aussi, nombreux, les paroissiens se pressent vers leur nouvelle église… Ils vont invoquer Marie en ces jours d’affliction. N’est-elle pas la Consolatrice des affligés… Quand l’horizon s’assombrit, quand l’orage gronde et que la tempête se déchaîne, le matelot cherche l’étoile qui seule peut le guider et le conduire au port.

Et la prière fervente s’échappe de toutes les lèvres : « Etoile de la Mer, priez pour nous, soyez notre guide, conduisez-nous sans danger à travers les écueils, éloignez de nous la tempête. »



Marcel Houlteaux à Auvours.

La prière répand dans les âmes comme un baume d’espérance. Les figures s’épanouissent, le calme et la confiance descendent dans les cœurs. A l’issue de l’office divin, on s’aborde presque gaiement.

***

Hélas, la joie fut courte… A l’autre côté de la ville, vers le quartier de la gare, une tragédie se préparait dont les conséquences devaient être terribles.

Quelles en sont les causes ?... Nous laisserons à une enquête impartialement menée, le soin de les fixer, mais le fait certain c’est que le soir du 15 août – de nombreux témoins l’affirment – des militaires se livrèrent à de copieuses libations ; d’autre part, un malheureux présentant tous les signes de faiblesse mentale provoque des incidents, futiles en tout autre temps, extraordinairement dangereux dans les circonstances présentes. Quelques jours après d’ailleurs, un soldat fut exécuté au camp de Navagne pour complicité dans les événements que nous allons exposer.

Mais laissons la parole à un témoin du drame terrible dont Visé fut le théâtre les 15 et  16 août.

Le soir du 14 août, dit cette personne, notre attention avait été attirée par des rires et des cris venant de la direction du pont.

Nous nous approchâmes et assistâmes à un singulier spectacle. La propriété Horion était envahie par de nombreux soldats joyeusement attablés. Quelques-uns avaient revêtu des vêtements féminins.

Le lendemain dans le courant de l’après-midi, des troupes nombreuses arrivèrent en ville et se massèrent surtout dans les rues du Pont et de la Station. A maintes reprises, on nous fit sortir les bras levés pendant que les soldats visitaient les maisons.

Vers le soir, des officiers se présentèrent et nous demandèrent de donner le logement  à des soldats. Personnellement, j’en reçu dix auxquels, aidée de mon mari, je procurais de l’eau, du linge, etc.… bref  tout le nécessaire à des hommes ayant fourni une longue étape. Ils nous remercièrent et s’apprêtèrent à prendre du repos. Nous étions à peine redescendus au salon qu’une vive fusillade éclate dans la rue, des balles viennent s’aplatirent sur les murs… le crépitement redouble… nous croyons notre dernière heure arrivée, instinctivement nous nous serrons les mains…

Mais voici du bruit dans l’escalier, je m’avance… Ce sont nos soldats qui se dirigent vers la porte de  sortie. Je leur demande de rester… « Non Madame, répond l’un deux, nous devons nous rendre compte de ce qui se passe » et les soldats sortent…

Prudemment, je tire le verrou derrière eux et je rentre au salon. Nous y étions à peine réunis que des coups violents sont frappés à la porte de la rue… Inquiets, nous allons ouvrir… Un officier, de très forte taille nous interpelle vivement : « Vous cachez des Français ici ! -  Pardon, répond mon mari, il n’y a ici aucun Français. Il y avait dix soldats Allemands mais ils sont partis en entendant le bruit de la fusillade » - « Je vous dis qu’il y a des Français dans la cave », répond l’officier. – « C’est bien simple », dit mon mari s’avançant vers la porte de la cave qu’il ouvre. « Descendez et voyez vous-même ». – « Descendez le premier, répond l’officier, je vous suis. » Et mon mari descend mais veut s’arrêter avant d’atteindre les dernières marches, car par suite de la rupture des canalisations, l’eau s’élevait dans la cave à environ cinquante centimètres, mais l’officier le poussant violemment, il dut sauter dans l’eau suivi d’ailleurs par l’Allemand chaussé, lui, de hautes bottes. Inutile d’ajouter qu’il n’y avait pas un seul soldat dans la cave, pas plus d’ailleurs que dans les autres places que l’Allemand voulut visiter l’une après l’autre…

Rassuré enfin quant aux « Français », l’officier sortit pour continuer ailleurs ses visites domiciliaires…

Mais ce nouvel incident ne nous avait donné aucune envie de nous coucher, mon mari, mouillé jusqu’aux genoux s’apprêtait à aller se changer quand « nos » dix Allemands rentrèrent ; au lieu de monter à leur chambre, ils s’arrêtèrent embarrassés et celui qui parlait un peu le français me dit : « Madame, voulez-vous que nous vous conduisions en lieu sûr ? » - « Oh, Monsieur, répondis-je, et mon mari ? » - « Lui peut rester. » - « En ce cas, je reste avec lui. » - « Eh bien, reprit le soldat, venez tous deux, nous vous protégerons. »

Plus morte que vive, je m’appuyai au bras de mon mari et nous sortîmes entourés de soldats… La rue était bondée de troupiers. Il y régnait une animation extraordinaire. Difficilement, « nos » soldats nous frayèrent un passage et ce n’est qu’après plusieurs arrêts que nous parvînmes au carrefour des rues du Pont et de la Station. Là, un spectacle horrible s’offrit à nos yeux… tout le quartier de la gare était en flammes…



A Barneville.

Avec d’autres personnes de la rue qu’on avait amenées comme nous, on nous dirigea par l’escalier du Pont vers la rue de Navagne. De nombreux hommes, femmes et enfants s’y trouvaient déjà… Tremblants, les yeux hagards, ils contemplaient le triste spectacle qui se déroulait sous leurs yeux. Le feu mis à deux hôtels de la place et à diverses maisons se propageait rapidement… bientôt on pressentit que toute la rue allait devenir la proie des flammes…

Il était environ onze heures du soir… Des habitants continuaient à arriver…Bientôt, le froid de la nuit se fit sentir, je frissonnais… Pour comble vers 11h1/2, la pluie commença à tomber. Afin de nous abriter un peu, nous nous approchâmes du mur, ce que voyant, un soldat de garde à la barricade me passa son caban… Etonnée, je le remerciai et lui demandai d’en couvrir les épaules d’une fillette que je voyais à mes côtés, légèrement vêtue, souffrant du froid et pleurant… Avec une serviabilité vraiment admirable, le soldat attacha son caban à la barricade, le tendit et en fit une sorte de petite tente sous laquelle la fillette et moi, nous pûmes nous abriter… Mais cet acte de douceur et de compassion déplut sans doute à l’un des chefs du soldat qui lui commanda de reprendre son caban… La sentinelle resta impassible… Un instant, j’appréhendai une scène terrible, mais le sous-officier, sans doute distrait ou peut-être honteux de son intervention, détourna la tête…

Je suppliai le soldat de reprendre son manteau afin d’éviter une punition dont je ne voulais pas être la cause… Alors, avec un accent étrange, en un français très pur ce brave cœur, dont je n’oublierai jamais le regard, à la fois si doux et si triste, me répondit « Non madame, gardez mon caban… Si cela dépendait de moi, jamais des atrocités pareilles ne se passeraient ».

Et son geste indiquait la foule terrifiée des femmes et des enfants, gémissant sous la pluie battante et dont les tristes lueurs de l’incendie éclairaient les visages sur lesquels se peignaient la frayeur et la souffrance.

***

Avant de continuer ce douloureux récit, ajoutons que la fusillade qui fut le point de départ de la catastrophe avait coûté la vie à plusieurs personnes, notamment à un patron-peintre de la rue du Pont, monsieur R... Celui-ci donnait abri à huit soldats allemands. Sorti en hâte  au moment de la fusillade, il reçut dans le ventre une balle qui lui occasionna une plaie affreuse. Les soldats qui logeaient chez lui, le transportèrent dans une dépendance de sa demeure où il resta longtemps, perdant du sang en abondance… Après quoi, on ne sait pour quelles raisons et malgré les dénégations des soldats qui l’accompagnaient, monsieur R… fut accusé d’avoir tiré sur la troupe. On le transporta sur un matelas de l’autre côté de la rue et en présence de ce malheureux grièvement blessé, on fit flamber sa maison. Les mêmes soldats transportèrent le pauvre père à l’ambulance du Collège d’où il dut être évacué le lendemain sur l’hôpital de Maastricht. Il mourut quelques jours après, laissant une veuve et deux petits enfants.

Que de scènes semblables se sont passées durant cette nuit tragique… Il en est une qui doit être racontée encore. On ne sait exactement pour quelles raisons, un homme de la rue de la Station, presqu’un vieillard, monsieur D… fut solidement garrotté et attaché à la colonne en fonte qui se dresse au milieu de la place. Le lendemain, il fut passé par les armes.

***

Mais revenons au groupe de prisonniers massés rue de Navagne.

Vers deux heures du matin, continue cette personne, la pluie tombait à verse, on se décida à nous abriter. On sonna violemment monsieur S…, habitant la maison en face et, comme on ne venait pas ouvrir assez vivement au gré de nos gardiens, ils enfoncèrent la grille.

En quelques minutes nous fûmes parquées dans toutes les places et – je dois l’ajouter à l’éloge de plusieurs Allemands – des soldats nous donnèrent de l’eau et distribuèrent aux enfants des bonbons et du chocolat…

L’aube pourtant s’annonçait. Nous la saluâmes avec bonheur pensant qu’elle apporterait un terme aux angoisses de la nuit. Hélas !...On ne nous délivrait pas… Finalement, vers 9 heures, on donna l’ordre de sortir. On nous conduisit place de la Station. Là, attendait déjà une foule considérable de concitoyens qu’on avait amenés depuis la veille de tous les points de la ville…

Tout à coup, des ordres sont donnés. « Les hommes par ici, les femmes et les enfants par là » Quelques-uns s’exécutent, d’autres hésitent. Mais déjà les baïonnettes se lèvent menaçantes. En un instant, les hommes et les jeunes gens à partir de l’âge de 15 ans sont rangés dans le haut de la place tandis que les femmes et les enfants restent le long des bâtiments de la gare.

Alors une scène indescriptible se produit. Quelques ordres brefs et la colonne des hommes s’ébranle par la rue de Sluse. Les épouses, les mères, les enfants devinant la triste réalité se précipitent poussant des cris effrayants, mais une rangée de baïonnettes s’applique sur  leurs poitrines et durant quelques instants, c’est un tumulte épouvantable.

Des femmes faiblissent, d’autres bousculent les soldats, des mères tendent leurs petits enfants vers ceux qui s’en vont… Les enfants eux-mêmes s’accrochant aux vêtements de leur maman poussent des cris qui vous brisent le cœur…

Pleurez pauvres épouses !... Lamentez-vous, petits enfants !... Vos maris, vos frères, vos fils partent pour la terre étrangère. Ils s’en vont, le ventre creux, la bourse vide, la plupart, à peine vêtus, vers les prisons d’Allemagne, vous abandonnant, vous les mères, vous leurs enfants au milieu des ruines de la cité que leur labeur persévérant avait faite si belle, si attrayante, si prospère… Ils n’auront même pas la consolation de penser que vous irez prier pour eux dans la vieille église, ils la savent détruite… Et pourtant, voyez-les se ressaisir, voyez-les relever la tête et regarder en face leurs gardiens dont beaucoup baissent les yeux… Ont-ils peur ces hommes ?... Non, ils ont confiance, confiance dans la justice immanente, confiance en Dieu.

Les Ruines.

Mais un nouvel ordre retentit… « Les femmes et les enfants sont libres. Ils peuvent rentrer… » Cruelle ironie !... Rentrer où ?

Déjà la rue de la Station n’est plus qu’un amas de ruines… Le feu habillement allumé de maison en maison fait rage… Le spectacle est terrifiant.

Et bientôt c’est une course chevelée à travers les rues, c’est à celle qui arrivera encore à temps pour sauver quelque chose. Les privilégiées entassent sur une charrette à bras du linge, des vêtements, des couvertures ; d’autres font de même sur des brouettes, quant à celles qui n’ont pas même le secours de cet humble véhicule, elles doivent se borner à emporter leur argent et leurs bijoux… Que de pauvres mères, pourtant, n’ont pu emporter aucun objet, préoccupées avant tout de mettre en lieu sûr, un trésor autrement cher à leur cœur : leurs petits enfants.

… Restée seule, continue notre interlocutrice, je voulus à mon tour rentrer chez moi pour enlever quelque vêtement… La chaleur que dégageait l’incendie rendait impraticable la rue de la Station. Je voulus me diriger par la rue sous l’Eau. Parvenue sous le pont, je constatai que le feu se propageait aux maisons de la rue des Récollets et que l’Hôtel de ville lui-même était menacé…



Marcel Houlteaux en tenue de combat.

Je rebroussai chemin et par la rue de Sluse, je me rendis à l’ambulance établie au Collège où je reçus quelques réconforts…

L’après-midi, je m’acheminai vers Eijsden où je trouvai en même temps que la sécurité, un abri et des vivres.

Cependant, toutes les habitantes n’eurent pas le sort que cette honorable dame… Certaines furent embarquées sur des pontons et conduites sous escorte dans une grange à Lixhe où elles furent relâchées après vingt-quatre heures d’angoisses ; d’autres furent retenues dans les étables sanitaires de Navagne pendant huit jours et durent partager le régime alimentaire de la troupe.

Ce régime consistait en pain noir très dur et en viande crue et hachée provenant des animaux réquisitionnés dans la ville.

D’autre, enfin, avaient pu se réfugier à l’Hospice des vieillards et durent se frayer un chemin à travers les routes encombrées de cavaliers, de fantassins et de transports de tous genres. Ce n’est qu’après une longue heure de marche difficile et dangereuse que ce triste cortège de femmes et d’enfants arriva à la frontière hollandaise où les malheureux furent accueillis avec compassion par un comité de secours que dirigeait avec leur générosité bien connue, Monsieur et Madame la comtesse de Geloes.

La Destruction de Visé.

Un des réfugiés de l’Hospice de Visé nous a fait le récit des jours d’épreuve passés dans cet établissement.

Les religieuses qui desservent l’Hospice furent admirables de courage et de dévouement. Pendant plusieurs jours, elles purent secourir une cinquantaine de femmes et d’enfants.

Le dimanche 16 août, leur maison, comme toutes les demeures privées, fut visitée par la troupe. A l’officier qui lui demandait de remettre les armes qu’elle détenait, la supérieure répondit, montrant son chapelet : »Voilà la seule arme que nous possédons !» Cependant, elle eut fort à faire pour démontrer au militaire qu’on n’avait pas tiré du haut de la tourelle comme il le prétendait. Elle fit venir tous ses vieux pensionnaires et demanda à l’officier s’il croyait que l’un d’eux fut capable de faire le coup de feu.

Les religieuses et les vieillards purent rester jusqu’au mercredi 19 août mais, d’une part appréhendant des tracasseries, d’autre part, les vivres faisant défaut, les saintes femmes furent obligées de partir elles aussi, emmenant leurs hospitalisés. Disons de suite, qu’elles ont pu reconstituer ici dans le Limbourg, leur œuvre de miséricorde et de charité.

Mais voici qu’un autre cortège s’avance sur la route encombrée… Pas de cri, pas de geste. Seul un doux murmure de prières s’échappe des lèvres de ces pieuses femmes. Ce sont les religieuses de Notre-Dame fuyant elles-aussi l’incendie. L’une d’elles a pu enlever à temps le Saint Sacrement. Soigneusement, elle l’a serré sur sa poitrine et entourée des membres de la communauté dont l’une conduit sur une brouette quelques objets sauvés en hâte, elle s’avance à travers la ville… Voici le petit cortège silencieux engagé sur la grande route… A son passage, les soldats s’écartent, quelques-uns saluent…

Je les ai vues venir ces douces religieuses. Avec leur robe noire et leur coiffe blanche, je les comparais aux hirondelles fuyant un soir d’automne, des climats meurtriers, venant chercher asile sous un ciel plus clément.



Trois arquebusiers héros de la guerre 14 : Marcel Houlteaux (empereur), Marcel Martin (à l’époque aide-de-camp) et le sergent Merx (confrère – il fut le volontaire de guerre le plus âgé des armées alliées). LSM.

Soyez les bienvenues chères sœurs ! Un jour aussi, comme ces mêmes hirondelles, vous retournerez vers votre chère contrée. Par une claire matinée de printemps, vous reprendrez votre vol vers la patrie ensoleillée, douce, accueillante.

Comme « ces oiseux du bon Dieu » aussi, vous vous remettrez à l’œuvre sans tarder. Chaque saison ils bâtissent leur demeure sur les ruines de l’autre. S’il arrive que les rafales d’hiver l’ont respectée, on dit qu’ils aident les autres membres de leur chère famille ailée, si bien que bientôt la cité est reconstruite et la vie reprend laborieuse et féconde.

L’agonie de la Cité.

Mais déjà, Visé agonisait… Le feu continuant ses ravages dévorait lambeau par lambeau le corps même de la cité. Déjà tout le bas de la ville est un brasier ; le bel Hôtel de ville, d’une architecture si caractéristique n’est bientôt plus qu’une ruine. Si au moins sa destruction épargnait la cité…

Mais non, les soldats ne s’arrêtent pas là. Continuant leur œuvre, ils projettent dans l’intérieur des maisons et de préférence dans les cages d’escalier, le pétrole ou la benzine ou y jettent des mèches enflammées. C’est maintenant au tour de la place de l’église et de la partie haute de la ville dont bientôt il ne restera plus que quelques murs branlants.

Telle fut la rapidité du travail des pionniers que le mardi matin, la ville avait cessé d’exister… Sur huit cents maisons, il n’en reste plus qu’une centaine (dans le faubourg de Souvré). Sauf le collège St Hadelin et l’hospice des vieillards, tous les grands établissements sont détruits.

Ce spectacle lamentable fait monter les larmes aux yeux du visiteur dont le cœur se serre de tristesse et dont l’esprit se remémore presque instinctivement le détail des scènes historiques d’antan, lues souvent distraitement et sans trop de foi. Il se demande s’il ne va pas voir se dresser sur ces amas de pierres, la face dure et terrible des guerriers d’autrefois dont les exploits paraissaient à jamais tombés dans le domaine de la légende.

Au Camp Allemand.

C’est la nuit ; une nuit sombre… C’est à peine si l’on distingue à la lisière du champ les arbustes dont les feuilles bruissent sous la poussée d’un léger vent du sud…

Là-bas, le ciel se colore d’une lueur blafarde, d’abord incertaine… Bientôt cependant, une vive clarté surgit illuminant la région dont les moindres détails se dessinent : c’est l’incendie.

L’incendie !... Quel flot de pensées ce mot éveille dans nos esprits ; la fuite éperdue des habitants affolés, le sauvetage, le dévouement des voisins, de tous les concitoyens s’efforçant d’enrayer l’élément destructeur et de lui arracher sa proie…

Ici rien de semblable. Le feu se déclare, s’étend, fait rage et personne pour le combattre, aucun effort pour l’enrayer !

Avec une rapidité effrayante, les flammes courent le long des boiseries, détruisant tout sur leur passage, ne laissant que cendres et poussière, là où hier se dressaient de splendides demeures, de vieux édifices qui avaient défié les rafales des siècles… Silencieux, au fond d’une maisonnette obscure et délabrée dont une large baie où autrefois s’encastrait une fenêtre, donne vue sur la petite ville, deux hommes contemplent l’épouvantable spectacle qui se déroule là-bas. Instinctivement, ils se sont rapprochés, chacun devinant l’angoisse mortelle qui déchire le cœur de l’autre. Cette ville qui brûle, cette cité qui disparaît, c’est leur paroisse, c’est leur commune à eux doyen et bourgmestre de ce malheureux Visé, hier encore si calme, si prospère.

Oh ! qui dira la torture de ces deux cœurs en cet instant douloureux ! Si, au moins, ils étaient là pour consoler les leurs, les encourager, leur venir en aide. Mais non, un ordre implacable les retient loin de tout ce qu’ils aiment, loin de cette bonne ville à laquelle ils ont voué leur affection et leur existence. Quel sort affreux !...

Alors dans une commune pensée, ils unissent leurs prières. S’adressant à Celui qui, plus puissant que les armées, commande aux éléments, ils supplient Dieu d’épargner au moins les habitants de leur malheureuse cité.

Et pourtant, ils n’étaient pas à la fin de leur martyre.

Je ne le décrirai pas, n’ayant aucune raison de raviver leur douleur, nous disait une personne bien placée pour en savoir long. Momentanément, oublions avec eux, pour nous réjouir avec leurs parents et leurs amis d’une délivrance des autres prisonniers de Navagne et l’attention compatissante de certains officiers et soldats.

Grâce à Dieu, ils sont aujourd’hui rendus à la liberté.

***

Nous  avons demandé à un autre témoin des terribles événements s’il pouvait nous indiquer l nombre des victimes. Selon lui, vingt-cinq à trente visétois auraient perdu la vie au cours de la première quinzaine du mois d’août. Parmi ces victimes, il en est dont l’odyssée fut particulièrement pénible, telle est notamment celle du petit C… trouvé mort dans un bois encore porteur du costume de fête qu’il avait revêtu pour assister à la distribution des prix. Son père avait été fusillé par les Allemands le soir même de leur arrivée à Visé.

A une autre question, concernant les réquisitions, le témoin nous dit que de fait les Allemands en firent concernant des choses de toute nature : cigares, vin, bicyclettes, etc…, mais qu’en général, ils saisirent en ville tout ce qui pouvait leur convenir.

***

Rappelons que les articles du Courrier de la Meuse furent déjà publiés entre septembre et décembre 1914.

Nous arrêtons ici l’histoire – trop incomplète – des événements qui ont abouti à la destruction de Visé.

Selon la règle que nous nous sommes imposée, nous ne porterons à présent aucun jugement. Nous avons exposé impartialement les faits. Nos lecteurs apprécieront.

 

 



[1] Article parut dans « Le Papegaie » (du n° 103 au n° 110)  le journal des Anciens Arquebusiers de Visé.

[2] Cité dans la liste des membres avant 1914.

[3] C’était en septembre ou octobre 1916 : nous ne pouvons déterminer le moment précis. Mais il s’y distingua là aussi.

[4] Les Pays-Bas sont restés neutres en 14-18, ce qui explique la distribution aisée du courrier venu des pays alliés. Par contre, des filières clandestines permettaient vaille que vaille de correspondre malgré de la fermeture de la frontière entre Visé et Eysden.

[5] Importante et dynamique section de gymnastique du Cercle Saint-Hadelin.

[6] Notre belle petite ville comptait un peu plus de 4.000 habitants avant la guerre 14. On estime le nombre de réfugiés, la plupart en Hollande, à environ 1500, le nombre des prisonniers en Allemagne à 600. La tragédie de Visé – opus cité-page 138.

[7] Rappelons que la famille a offert à nos archives la correspondance adressée à Marcel Houlteaux, tête de réseau à Eysden et expédiée par des Arquebusiers.

[8] La tragédie de Visé et la captivité des civils en Allemagne. Histoire vécue (août 1914 juillet 1915). 172 pages – s.l.n.d. La préface de Louis Cons, professeur à l’université de Princeton, est datée de mai 1919. Le récit est complété par le Chœur des Prisonniers de Joseph Martin. Ce dernier fut libéré le 27 mars 1915 et il écrivit pour la gazette de Liège notamment des articles sur la détention en Allemagne. Après la guerre, Florent Vliegen prononça encore quatre discours qui ont été publiés par J. Joskin – éditeur – rue de la Trairie, 27 à Visé.

[9] Gibelotte : fricassée au vin blanc, généralement de lapin.

[10] Florent Vliegen signale qu’à côté du camp de Celle : un hôtel et deux trois petits magasins en planches qui, par temps ordinaire vivent exclusivement du camp. Aux confins de la voie, un atelier de photographie... La tragédie de Visé page 21.

[11] Plus de vingt-cinq mentions, sans compter les références aux nouvelles et journaux introduits clandestinement.

[12] Munsterlager – région de Hanovre, à proximité du camp de Soltau. Partis à pieds le 6 août, les Visétois y sont arrivés en train le 20.

[13] Trois vieux Visétois ont été rapatriés le 26 septembre. Seul le dénommé Leroy rentrera effectivement à Visé. Martin Scaff, vice-président des Anciens Arquebusiers, et monsieur Lensen, tous deux malades, mourront avant d’avoir atteint Visé.

[14] La plupart des soldats belges prisonniers à Munster avaient été dirigés vers Soltau.

[15] Celle : au nord-est de Hanovre – Basse-Saxe.

[16] Florent Vliegen-Clerdent a été professeur et directeur du pensionnat de l’Ecole Moyenne de l’Etat à Visé.

[17] Camp de prisonniers de Celle (Cellelager). Les Visétois avaient quitté le premier camp de Munster (Munsterlager) le 13 décembre 1914.

[18] Louis Maes avait dirigé l’harmonie des Francs Arquebusiers, avant la guerre. C’est ce qui explique le ton de la phrase.

[19] Martin Simonon était le grand-père de Martin Purnode. Il fut tambour dans la Compagnie jusqu’à sa mort en 1953.

[20] Document tout à fait exceptionnel par ce qu’il a de symbolique, cette vue a été tirée à plusieurs exemplaires et expédiée vers les familles des prisonniers ainsi photographiés.

[21] Ce qui prouve une nouvelle fois qu’en l’absence des éléments extérieurs qui étaient en grande partie responsables du départ des Francs, une solution raisonnable eut pu émerger.

[22] Nous remercions sa famille qui a permis la parution de ces souvenirs par le prêt de la collection de journaux et de documents se rapportant à Dieudonné Thonon.

[23] Tous ces renseignements sont tirés du mensuel ‘Le signal’ de la Fédération nationale des sociétés catholiques de gymnastique de Belgique – février 1934.

[24] Sa maison avait été incendiée et son père ainsi que ses deux oncles avaient été emmenés en captivité avec les autres Visétois.

[25] Comme nous l’avons signalé, Dieudonné était fortement impliqué dans de nombreuses associations, avec de nombreux autres Arquebusiers notamment.

[26] Comme pour la première partie, celle-ci reprend les textes de trois numéros du Courrier de la Meuse.

[27] Nous n’avons pas retrouvé de signature dans cette suite d’articles parus dans Le Courrier de la Meuse à partir de septembre 1914. L’auteur, qui est une femme, serait-elle madame Davister- Klenen dont parle Urbain Dodémont dans « La Quinzaine tragique » page 9 ?

[28] Il s’agit du révérend doyen Charles Lemmens. A ce moment, il était retenu avec le bourgmestre Meurice par les Allemands à Navagne. F. Goffin dont la Gazette de Liège a publié le propre récit de l’arrivée et de l’installation des Allemands à Visé était directeur du collège. Il sera nommé à la tête du doyenné de Visé après la guerre.

[29] Le chanoine Lenssen fera partie du Comité qui succéda en 1925 à la Commission d’enquête sur les atrocités de la guerre à Visé.

 



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