Médecins de la Grande Guerre

La bataille de Rhées

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La bataille de Rhées - 5 août 1914

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La zone de combat concernant la bataille de Rhées en août 1914.

La ceinture des forts de Liège. (Document CLHAM)

Attaque de la 34e brigade dans l’intervalle Liers – Pontisse. (Dessin de Monsieur Olivier Duchateau fils)

Le champ de bataille de Rhées en montage, de 4 photos prisent lors des journées du patrimoine militaire en 2007. (Photo F. De Look)

Route de Hermée à Pontisse. (Dessin de Monsieur Olivier Duchateau fils)

L'entrée du cimetière de Rhées. (Photo F. De Look)

L’entrée du cimetière de Rhées. (Dessin de Monsieur Olivier Duchateau fils)

Maison isolée, à proximité du cimetière de Rhées, dans laquelle furent transportés de nombreux blessés belges et allemands. (Dessin de Monsieur Olivier Duchateau fils)

Dans le cimetière de Rhées. (Photo F. De Look)

La fosse commune où sont enterrés officiers, sous-officiers, caporaux et soldats du 11ème de Ligne.

Ici repose 170 héros tombés pour la patrie en Aout 1914. (Photo F. De Look)

Plaques funéraires dédiées aux soldats du 11ème de Ligne. (Photo F. De Look)

Détail des noms pour les 170 héros tombés pour la patrie en août 1914. (Photo F. De Look)

Centre de Rhées. (Photo F. De Look)

En 1914, c'était la ferme de Pierre Rousseau. (Photo F. De Look)

Entrée du hameau de Rhées. On aperçoit la ferme Rousseau. (Dessin de Monsieur Olivier Duchateau fils)

Le monument du cimetière de Rhées. (Photo F. De Look)

Le monument érigé dans le cimetière de Rhées. (Dessin de Monsieur Jean Courtejoie)

Le colonel Dusart tombé dans la nuit du 5 au 6 août 1914. (Dessin de Monsieur Jean Courtejoie)

Le colonel Dusart tombé dans la nuit du 5 au 6 août 1914.

Le capitaine Rennoir tombé pendant l’assaut du cimetière de Rhées. (Dessin de Monsieur Jean Courtejoie)

Le sergent Lange du 12ème Régiment de Ligne s’empare, à Herstal, du drapeau du Régiment des Grenadiers Mecklembourgeois (6 août 1914)

Août 1914, Ambulance de la F.N.

L’entrée du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

Cette ferme près du fort de Pontisse sera détruite le 1 août car elle se trouvait dans la ligne de tir du fort. (Photo F. De Look)

Un lieu dit "Malvoie". (Photo F. De Look)

Le monument aux victimes civiles d'août 1914. (Photo F. De Look)

Le monument aux soldats allemands. (Photo F. De Look)

Les noms des soldats allemands (1). (Photo F. De Look)

Les noms des soldats allemands (2). (Photo F. De Look)

Quelques notes de musique pour y associer les paroles de la chanson.

Fort de Pontisse - La première victime des mortiers 420

Mon grand père Edmond Vanwynen est tué à Rhées le 6 août en 1914. Comme c'est le jour après la grande bataille du 5 août, je suppose qu'il a du souffrir de ces blessures et est décédé le jour après. (photo envoyée par Pierre Vanwynen)

Personnages de gauche à droite : Clément Rousseaux, Monsieur Letawe, "Max" soldat allemand logeant dans la maison (café) de la famille Rousseaux, Isidore Rousseaux, "Coupienne" serveuse chez Rousseaux, Hubert Close, (sur les bras de la maman) Henri Close, Henriette Close, (dessous) inconnue, Henri Rousseaux (fils) mort en 1918 de la grippe espagnole. (Collection Mme Rousseau "la petite fille" et merci à D. Bastin)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Août 1914, Croix Rouge de Herstal, Ambulance de la F.N. (collection Maison du Souvenir)

Introduction à la bataille de Rhées.

" Les troupes allemandes ont trouvé dans le soldat belge un adversaire dont l’âpre ardeur combative a dépassé les prévisions de l’état-major allemand "

Generaleutenant Ernst Kabish (extrait de " Luttish " 1934)

La 34ème brigade allemande après avoir franchi la Meuse à Lixhe sur un pont de bateaux a reçu la mission de percer l’intervalle Liers-Pontisse pour investir Liège dans la nuit du 5 au 6 août. La brigade est composée de deux régiments mecklembourgeois, le 90ème fusiliers et le 89ème grenadiers et de deux bataillons, le 7ème et 9ème bataillons de chasseurs. Les six mille hommes se dirigent sans tarder et dans l’obscurité vers Heure le Romain et Hermée. Il s’agit d’opérer avec un effet de surprise maximum mais un cycliste embusqué à Hermée est témoin de l’invasion du village. Aussitôt, il s’en va prévenir le commandant du fort de Pontisse. Ce dernier, le commandant Speesen donne l’ordre d’ouvrir le feu sur toutes les routes conduisant à Hermée. Les colonnes de fantassins allemands s’affolent et rompent les rangs. Bientôt les tirs du fort de Pontisse se doublent de ceux du fort de Liers. Effrayés par les rugissements des deux forts, les soldats allemands font retraite et se réfugient dans la campagne. Leur commandant de brigade, le général von Kraewel, réunit alors ses officiers et un plan de marche est ordonné : le 90ème fusiliers sous le commandement du Major Clève tiendra la gauche de la brigade et est chargé de marcher droit au sud et de pénétrer dans la citadelle de Liège. Le centre sera occupé par le 89ème grenadiers et le 7ème et 9ème bataillons de chasseurs évolueront à droite. Nous allons voir que rien ne va se passer selon les plans établis.

Première erreur, l’avant-garde du 90ème fusilier s’égare dans l’obscurité et finalement aboutit à Pontisse où elle est arrêtée brutalement par les Belges du 3ème bataillon du 12ème de forteresse. Ces derniers opposent une âpre résistance aux tentatives de percée en défendant leurs tranchées[1] et la redoute N°2 où se trouvent les commandants Goosse et Maréchal et qui tiendra jusqu’à 6 heures du matin. Le gros des troupes du 90ème fusiliers contourne cependant la redoute et les tranchées et entame sa descente vers Herstal. Ils tombent alors dans le traquenard tendu par le 12ème régiment de ligne commandé par le major belge Collyns et doivent refluer vers la plaine de Rhées.

Sur ces entrefaites, le 89ème grenadiers a traversé la campagne et débouche à proximité du cimetière de Rhées. Les grenadiers allemands sont loin de se douter qu’ils viennent de franchir la ligne défensive belge et qu’ils se trouvent dans le secteur défendu par le 2ème bataillon du 11ème de ligne. Son commandant, le colonel Dusart avait fait renforcer les murs du cimetière mais sa position fortifiée ayant été découverte dans l’après-midi par un avion ennemi, il avait eu la sagesse de faire bivouaquer ses troupes en dehors du cimetière, en plein champ ! Les piottes belges soumis à un travail harassant depuis plusieurs jours se trouvent donc couchés à même le sol à 400 mètres du cimetière quand un groupe d’éclaireurs ennemis du 89ème grenadier, sans s’en rendre compte, pénètre au milieu du bataillon endormi !! Une sentinelle belge finit par s’apercevoir de la situation à la fois tragique et cocasse ! Le bataillon se relève et ses hommes se dispersent alors dans une terrible bousculade. Les soldats belges s’encourent vers le cimetière ou vers les deux tumulus qui se trouvent au sud-ouest de celui-ci. Les feldgrauen divisent leurs troupes, une partie s’en va occuper le hameau de Rhées en contrebas du cimetière. Des soldats belges endormis dans la grange de la ferme Rousseau sont tués ainsi que des civils. L’autre partie des troupes donne l’assaut au cimetière qu’elle parvint à conquérir. Sur la route de Rhées, presqu’en face du cimetière se trouve un café dans laquelle s’est installé un observateur du fort de Pontisse, c’est Louis Salomé. Tout d’un coup des Allemands rentrent dans la maison et hissent un drapeau de la Croix-Rouge. Salomé est fait prisonnier et le nouveau poste de secours se remplit aussitôt de piottes et de feldgrauen blessés. Le colonel Dusart tombe mortellement blessé. Les 3ème et 4ème compagnies du 11ème de ligne tentent de reprendre le cimetière tombé dans les mains de l’ennemi mais au cours de l’assaut, le capitaine Rennoir tombe mortellement atteint. Bientôt le 89ème est maître de toute la plaine mais au lieu de continuer sa route droit au sud, directement sur Liège, le régiment choisit de rejoindre Herstal et d’effectuer sa jonction avec le 90ème fusiliers. C’est le 3ème bataillon du 89ème régiment qui ouvre la marche et descend vers la Meuse toute proche. Bientôt apparaît Herstal. L’apparence calme de l’agglomération est trompeuse : les 400 piottes du 2ème bataillon du 12ème de ligne sous le commandement du major Collyns veillent. Les soldats belges se sont retranchés dans les maisons après avoir préparés dans les rues des bûchers de paille imbibée de pétrole. Le feu y sera bouté pour éclairer le champ de bataille dès que l’ennemi sera à portée de tir. Quand les colonnes allemandes pénètrent dans Herstal, elles sont reçues avec un feu nourri. Le major von Arnim et le porte-drapeau qui marchent en tête sont abattus. Les Allemands essaient de se regrouper et de commencer l’assaut des maisons mais les Belges sont trop bien protégés. Les colonnes désorganisées refluent dans la précipitation et la panique. Le bataillon Collyns poursuit alors les traînards cachés dans les jardins. Certains se rendent, d’autres résistent valeureusement jusqu’à la mort. Les brancardiers relèvent les blessés; le major Collyns les observe et assiste alors à une scène extrêmement tragique qu’il évoquera dans ses souvenirs : " Voyant un infirmier s’approcher un officier allemand lève son pistolet, l’autre lui arrache mais pendant qu’il appelle un de ses collègues à son secours, l’officier saisit un canif et se coupe la gorge "
Le soldat Lange retrouve le drapeau abandonné du 89ème régiment mecklembourgeois au pied des maisons faisant face à la route de Vivegnis. Le major Collyns reçoit le drapeau et s’avance alors vers ses soldats en criant " Victoire ! Victoire ! " Et aussitôt les piottes entonnent spontanément la Brabançonne et viennent serrer les mains de leur chef. Le drapeau est ensuite confié à l’ingénieur Hiard qui est chargé de le porter au général Leman à Liège.
(Qu’est devenu ce drapeau ? Est-il au musée royal de l’armée ? Il fut le premier drapeau ennemi saisi durant cette affreuse guerre)

Les déconvenues du 7ème et 9ème bataillons de chasseurs.

En s’approchant du fort de Liers dans un chemin creux, ces deux bataillons se croyaient à l’abri. Mais le fort finit par les apercevoir grâce à son phare puissant. Les obus vont alors pleuvoir et une terrifiante averse d’acier va créer le désarroi complet dans les rangs ennemis. Seules trois compagnies du bataillon se trouvant sous les ordres du major Donalies ont pu continuer leur route vers Liège. Les ténèbres de la nuit se dissipent suffisamment pour permettre aux chasseurs allemands de découvrir des hauteurs de Thier-à-Liège l’immense panorama des toits de la principauté ! Le major décide d’envoyer une compagnie dans la ville avec mission de préparer le cantonnement. Celle-ci se met aussitôt en marche sous le commandement du Hauptmann baron von Rolshausen. Pour mieux faire leur entrée dans la cité, ils ont emmené avec eux le drapeau du 7ème bataillon. Par la rue Hennequin, puis par la rue Saint-Léonard ils pénètrent dans le centre ville et bientôt arrivent dans la rue Ste-Foi où se trouve le siège du quartier général belge occupé par le général Leman. Devant ce bâtiment, un officier belge, le commandant Marchand, fume une cigarette sur le seuil de la porte. Marchand a eu son attention attirée par des cris et des applaudissements des civils croyant accueillir l’avant-garde d’un providentiel renfort militaire anglais ! Avec stupeur, il découvre la méprise. Bientôt rejoint par le commandant Vinçotte, il échange quelques paroles en anglais avec les trois officiers ennemis à la tête de leur colonne. Marchand finit par crier " Vous ne passerez pas ! " Immédiatement les bras armés de browning se tendent et, à bout portant, les adversaires font feu. Le major von der Oelsnitz et le Hauptmann von Rolshausen s’écroulent. Le comte Joachim von Alvensleben se précipite vers la porte d’entrée mais Vinçotte tire quatre coups de révolver dans le flanc du major. A l’exemple de leurs chefs, les soldats ouvrent le feu. De la voiture-bureau qui se trouvait parquée dans la rue, le commandant Sauber surgit dans la rue et mettant le genou à terre décharge son browning sur les assaillants. Un soldat allemand parvint à se glisser le long du trottoir en s’abritant derrière les automobiles stationnées. Il vise Sauber mais ses balles passent au-dessus du commandant et vont frapper Marchand mortellement atteint à la nuque et à la poitrine. Le général Leman, emmené par son chef d’état-major, le colonel Stassin, s’échappe quant à lui par l’arrière du bâtiment et rejoint la gare de Vivegnis où un wagonnet le mènera à l’abri dans le fort de Loncin. Le combat continue dans la rue de Sainte-Foi où une dizaine de soldats et de gendarmes belges sont menés au combat par les capitaines Buisset et Lhermitte et par le lieutenant Renard. Les Belges sont dix contre trente mais ils infligent de lourdes pertes à l’ennemi qui reflue. Le Commandant Vinçotte, à la tête d’une petite troupe les poursuit. Deux soldats allemands sont encore abattus. Dans leur déroute, les survivants se trompent de route et au lieu de rejoindre les deux autres compagnies de leur bataillon au Thier-à-Liège, ils s’acheminent directement dans la plaine de Rhées. Dans la rue de Sainte-Foi, 14 morts gisent sur le sol : six Belges (dont le gendarme Houba) et huit Allemands.

Les deux compagnies stationnées au Thier-à-Liège après avoir attendu vainement des nouvelles de la compagnie envoyée en avant, se mettent à la recherche de leur brigade. Sans nouvelles de son état-major, le major Donalies estime finalement probable que sa brigade a pu atteindre Liège et il décide de la rejoindre. Mal lui en prit ! A Vottem un feu nourri accueille son avant-garde et les capitaines von Armin et von Kortzfleish tombent mortellement blessés. Les survivants de l’avant-garde disparaissent dans la direction de Liège où ils seront faits prisonniers. Ce qui subsiste des deux compagnies reflue vers Rocourt. Au cours de cette retraite, le major Donalies est tué alors qu’il se trouve isolé au milieu d’un groupe de soldats belges. Ses hommes trouvent un refuge provisoire dans une carrière de Rocourt. Ils subissent l’assaut des soldats belges sous les ordres du capitaine Godefroid. Un drapeau blanc est semble t-il hissé. Les Belges s’avancent alors imprudemment et s’écroulent en grand nombre sous des rafales ennemies. Le capitaine Godefroid est parmi les tués. Finalement les chasseurs allemands quittent leur abri de fortune et parviennent à rejoindre Lixhe.

Les débris de la brigade sous le feu des canons belges.

Le général von Kraewel se rend maintenant compte que tout espoir d’atteindre Liège est perdu. L’immense plaine de Rhées retrouve l’aube d’un jour nouveau à la grande joie des forts de Pontisse et de Liers qui peuvent maintenant apercevoir avec précision les débris des troupes allemandes qui ne savent plus se dissimuler dans l’obscurité. Le commandant Speesen du fort de Pontisse ouvre le feu, de tous les côtés c’est le sauve qui peut. Les seules voies de retraite à ce moment là, sont les deux routes qui mènent à Hermée mais ces routes son prises sous le feu du fort de Liers. Sous les feux croisés des deux forts, les survivants de la 34ème brigade parviennent finalement à Hermée. Ivres de la douleur d’avoir perdu tant des leurs, des soldats perdent leur sang froid en pillant les maisons et en y mettant le feu. Des civils sont massacrés, dont le vieux Ghaye criblé de balles dans son corridor et son neveu Ulric qui est emmené dans une prairie et fusillés. Joseph Lhoest et Antoine Rouvray subissent le même sort. Jean Verdin, 82 ans reçut une balle dans le ventre et expira après trois heures. Mathieu Matray qui n’avait pas mis beaucoup d’empressement à ouvrir sa porte fut fusillé. Le père et le fils Humblet, ainsi que le nommé Meekers qui se trouvait chez eux, furent passés par les armes par des soldats sous l’influence de la boisson. Un vieillard nommé Boucher fut arraché à sa maison et fusillé dans le jardin voisin. G. Colson et J. Ghaye furent faits prisonniers. On les conduisit à Lixhe pour être interrogés. J. Ghaye fut condamné à la détention en Allemagne tandis que G. Colson fut libéré. Malheureusement, en rentrant chez lui, il est à nouveau arrêté par d’autres soldats qui cette fois le fusillent !
Quant aux localités de Mouland, de Berneau et de Warsage, elles furent le théâtre d’affreuses scènes : 166 maisons furent incendiées et 33 habitants massacrés dont le malheureux bourgmestre de Berneau, âgé de 80 ans qu subit un véritable martyre.

Vers 10 heures du matin le commandant belge Grossmann à la tête d’une compagnie du 32èmede ligne effectua une sortie et fit prisonnier une unité isolée dans la plaine de Rhées. La prise n’est pas banale : 260 hommes du 89ème grenadiers parmi lesquels se trouvaient sept officiers dont le lieutenant comte de Moltke, petit-neveu du célèbre maréchal ! Ce succès va encore être amplifié vers midi, quand le 20ème bataillon du 90ème fusiliers, tout à fait isolé du reste de la brigade en fuite, est fait prisonnier à proximité du fort de Pontisse.


La zone de combat concernant la bataille de Rhées en août 1914.

La 34ème brigade allemande fut vaincue cette terrible nuit dans les combats du 5 au 6 août 1914. La peur tenailla tellement la brigade qu’elle repassa la Meuse avec les débris de ses unités et battit en retraite jusqu’à Mouland. Près de 900 soldats furent faits prisonniers et 1500 soldats ennemis furent mis hors combat. Le 7 août, les 12 compagnies du 89ème grenadiers furent réunies en 4 compagnies dont l’effectif total ne dépassait pas 600 hommes ! Des 8 commandants de bataillon de la 34ème brigade, un seul, un major commandant du II/90, sortit indemne du combat !

180 soldats belges tombèrent lors de ce combat dont parmi eux les hommes du 3ème bataillon du 12ème de forteresse qui avaient les premiers enrayé de leurs tranchées la progression du 90ème.

Un monument est érigé à leur mémoire dans le cimetière de Rhées.

Dr Loodts P.

Biographie sommaire :

Baron Buffin, Récits de Combattants, Librairie Plon, Paris, 1916 - en particuliers le chapitre II " La prise du premier drapeau allemand, d’après le récit du major Collyns", etle chapitre III, " L’attaque des bureaux de la 3° Division, d’après les récits du général-major Stassin, des commandants Vinçotte et Buisset, des capitaines Lhermite et Renard, de l’adjudant Burlet, du soldat Poncelet "

Laurent Lombard, Face à l’invasion, Editions G. Leens, Verviers, 1936;

La bataille de Rhées par Jules LERUTH (1921)

Membre de la Fédération Nationale des Invalides de la Guerre (Section Liégeoise)

Traduite en français par Francis De Look.(2003)

[A la suite de cet article se trouve l'article original en wallon.]

C’est un hameau qui se trouve sur une hauteur dans des champs et des prairies sur la commune de Herstal. C’est au-dessus d’une levée qui commence au bout de la rue Clawenne et qui va jusqu’au village de Milmort. D’un côté c’est Malvoie(1) et de l’autre Doya(1) où l’on entend siffler, pendant la journée, descendre et monter, le tram à vapeur de Hermée. On en parle de long en large depuis la guerre à cause de la fameuse bataille qui s’est passée là. Dans cette petite contrée, c’est de plaisantes prairies avec des arbres à fruits, des ruelles où on voit sauter le roitelet au fond d’une haie, de beaux jardins contre des maisons qu’habitent une centaine de braves personnes. En bonne saison, on entend siffler le merle, chanter les pinsons et les fauvettes. Il y a un cimetière qui date de l’an 1889 avec une drève de marronniers, au-devant, une grande porte en fer forgé, des murs tout autour et des canons qui ont été pris aux Prussiens. En entrant à droite c’est la maison du fossoyeur qu’on appelle Alphonse Lejaerd et à gauche c’est la morgue. C’est des larges sentiers battus de cendrée noire, de petits marronniers, des sapins, des fleurs ici et là, dans le gazon et sur les tombes, comme s’ils portaient le deuil pour les morts qui dorment leur dernier sommeil. On peut remarquer une tombe de 93 soldats prussiens ; mais il paraît qu’il y en avait bien trois fois autant qui étaient tombés dans les champs, la nuit de la bataille, et que les maîtres de l’armée allemande ont fait enlever pour les ramener en Prusse. Mais ce qui attire les yeux et attendrit le cœur et les sentiments, c’est la tombe de 25 civils qui ont souffert le martyr entre les mains des soldats prussiens avant de mourir ; et le fameux monument des soldats belges tombés pour la défense de notre gentille Belgique. C’est une femme en deuil qui étend des fleurs sur leur tombe. Sans reproche, j’ai dit, pour eux, quelques « notre père ». J’ai vu leurs noms gravés sur la pierre. Je les écrivis sur mon carnet et au fur et à mesure que je marquais un de ces noms là, il me semblait entendre répondre à mon oreille « mort pour la Patrie ». Je frissonnai de tout mon corps. Je suis allé demander au fossoyeur Alphonse Lejaerd ce qui c’était passé par-là avec les soldats prussiens et pourquoi ils avaient volé dans les maisons, mis le feu, frappé des femmes et des enfants et fusillé des hommes qui n’avaient rien fait ! Il me répondit : « je ne saurais dire que ce que j’ai vu : le samedi premier août sur l’après-midi, j’ai vu une partie du 11e régiment de Ligne, des mitrailleuses que des chiens tiraient, des soldats avec des bicyclettes, un chariot de munitions, tout ça commandé par le colonel Dussard. En arrivant, ils se reposèrent, mangèrent et se mirent au travail cherchant des bottes de paille, chez les personnes du voisinage qui avaient beaucoup d’amitié pour eux, pour faire leur place pour la nuit au cimetière. Dans la cour de chez Marie Debatty dans la grange, il y avait des soldats chargé de cuisiner pour tout le monde. Le Colonel mangeait à la table dans ma maison et les autres soldats assis par terre sur le gazon. Entre les repas, ils firent des tranchées ça et là, dans les campagnes, aidés par des habitants. Le mardi 4 août, il passait en l’air des Zeppelins allemands pour regarder sans faute ce qu’on faisait. Le mercredi, l’affaire commença à chauffer, on dit que les Prussiens avaient violé la frontière, qu’ils avaient déjà fait des atrocités, que nos petits soldats les attendaient fiévreusement : On voyait la buse du canon du fort de Pontisse, ici dans le bois, qui crachait du feu du côté de Dalhem et de Visé. Je me suis dit : « arrête ». J’eus peur » J’ai quitté ma maison avec ma femme et mes enfants vers les quatre heures de l’après-midi pour aller avec d’autres personnes de Rhées dans la cave du fermier Pierre Rousseau qui habite ici plus bas. Nous étions quatorze dans la même pièce, plus morts que vivants d’entendre le bruit qu’il y eut la nuit sur la levée et partout sur les champs. Surtout quand on entendit vers dix heurs et demie et que l’on reconnut la voix de Louise Dehousse, une voisine, qui criait « Au secours, au secours ! » Des voix que l’on ne comprenait pas et des coups de crosses de fusils sur la grosse porte de la ferme, je peux dire que tous on tremblait. Mais savez-vous ceux qui pourront vous renseigner qui sont encore parlants et vivants ? – C’est Marie Debatty la femme de Michel Djosse ; Louise Dehousse au magasin en descendant ; Michel Letawe dans la ruelle du « Doyâ »(1) et Pierre-Joseph Collings qui habite près du pont des Monteux à Herstal, eux ils ont vu de laids tableaux. Pierre-Joseph Collings, lui, a été témoin de la bataille dans le noir de la nuit, il était parmi les courageux soldats, il a été blessé, s’est rendu à la Croix-Rouge, on l’a guéri et il a rejoint son régiment à Anvers.


Ici repose 170 héros tombés pour la patrie en Aout 1914. (Photo F. De Look)

Je suis allé chez Marie Debatty.

Quand elle sut pourquoi j’étais venu la trouver, elle me répondit : Il y avait six fantassins ici dans la cour qui faisaient la cuisine pour les autres soldats qui eux, faisaient des tranchées dans les campagnes et qui travaillaient au cimetière de Rhées. Cette nuit là, il faisait fort noir. Il était tombé, vers neuf heures, une grosse averse d’orage. Les soldats venaient de rentrer dans la grange pour se coucher. On n’entendait aucun bruit et la nuit avait étendu son voile sur les prairies et les champs. J’étais si fatiguée d’avoir pendant la journée en plus du travail du ménage aidé nos soldats qui m’appelaient : maman ! que je montai à l’étage avec mon homme et mes enfants pour aller nous reposer. On ne dormait que d’un œil, on s’attendait bien à une chose ou l’autre mais pas à voir voler, tuer et brûler comme ça des honnêtes personnes. Vers dix heures et demie, voilà qu’on entend du tapage de soldats qui arrivaient dans la cour par la prairie de Pierre Rousseau. Vous auriez dit des sauvages tellement ils hurlaient et criaient qu’on avait tiré sur eux. Nous nous sommes levés d’un coup. Ils entrèrent dans la grange où il y avait des fantassins, morts de fatigue, couchés sur de la paille. Ce fut une nouvelle crierie. Nous descendîmes bien vite nous cacher dans la cave. Mon Dieu, les pauvres enfants me dis-je en moi-même, quelle affaire pour leur mère ! C’est que les Prussiens ne leur donnèrent pas le temps de se relever ; ils les piquaient au plus vite à coup de baïonnette, tout en les tirant hors par les pieds. Ils les tuèrent sur la levée. Il n’y eut qu’un d’entre eux qui put échapper à la mort : ce fut le sergent-fourrier Henri Marchal. Gravement blessé, on le soigna à la Croix-Rouge de Herstal puis il fut conduit prisonnier en Allemagne. Pendant que les Prussiens tuaient nos pauvres petits soldats sur la levée, d’autres défonçaient notre porte, cassaient fenêtres et carreaux. Nous n’osions pas remuer. Dans la cave, nous entendions notre voisine Louise qui criait : au secours ! aux voleurs ! aux assassins ! C’était à vous fendre l’âme de l’entendre tellement crier et gémir que sa voix devint rauque. Nous ne l’entendions plus, nous pensâmes que les Prussiens l’avaient tuée. Nous les entendions passer et repasser sur la levée. On tirait sans arrêt dans les champs. Mais il faudrait entendre notre voisine, elle pourrait dire bien d’autres choses que moi parce que les soldats prussiens l’ont toute meurtrie.


En 1914, c'était la ferme de Pierre Rousseau. (Photo F. De Look)

Alors, je suis allé chez Louise Dehousse.

C’est une vieille fille de 67 ans, pleine de santé qui tient un magasin et cabaret. Je lui ai demandé si elle avait toujours en mémoire ce que les Prussiens avaient fait dans sa maison la nuit de la bataille de Rhées. Ah ! Ca Monsieur, me répondit-elle, je ne l’oublierai jamais. Vers dix heures et demie, j’étais montée à l’étage pour aller mettre en place les restes des marchandises que j’avais vendues quand j’entendis tant de bruit du côté de chez Pierre Rousseau et tout autour de la maison que j’ai pensé : Oh ! Mon Dieu quelle affaire ! J’ai commencé à trembler. J’ai regardé à la fenêtre : la cour était pleine de soldats prussiens qui criaient et qui hurlaient comme des mauvais. Au même moment, on cassa ma porte et mes fenêtres ; les carreaux volèrent en morceaux. J’ai crié en ouvrant la fenêtre du côté de la levée : « Venez à mon secours, mes petits soldats belges ! » Mais la levée était toute noire de soldats prussiens qui tirèrent sur moi. J’ai refermé directement la fenêtre. J’entendis les Prussiens qui défoncèrent ma porte, foncèrent dans ma maison, mon magasin, retournèrent les tiroirs. Il y en a qui montèrent sur le plancher, m’empoignèrent, me battirent et me firent descendre les escaliers. En bas on me tira à terre par les cheveux. Je criais : « Oh miséricorde ! » Vous pouvez bien comprendre dans quelle fièvre j’étais. Je me suis relevée et j’ai voulu remonter, ils me renversèrent, ils me tirèrent sur le pavé en me donnant des coups de baïonnettes dans les jambes. Oh ! Les mauvais ! Je suis tombée dans les pommes ! Oh ! Les voleurs, ils m’ont volé tout mon argent, bu le genièvre que j’avais dans la cave, brûlé les tonneaux et cassé toutes mes pauvres petites affaires. Quand les Prussiens furent partis, Servais Debatty, le frère de ma voisine Marie est venu me ramasser et me ramener dans sa maison. Le lendemain, je suis rentrée, j’ai pleuré comme une « Madeleine » en voyant mon ménage tout retourné. Sur la levée, il y avait des plaques de sang, des soldats et des chevaux tués.


Un lieu dit "Malvoie". (Photo F. De Look)

Ecoutez Pierre-Joseph Collings

J’avais fait mon service au 11e régiment de Ligne quand les Prussiens nous ont déclaré la guerre. Dans notre Belgique de tous côtés, ce fut un remue-ménage pour venger notre patrie. Je fus immédiatement rappelé à la Citadelle à Liège pour reprendre les armes et rejoindre ma compagnie qui était déjà à l’école du Bellenay à Herstal. Je suis arrivé le surlendemain, nous fîmes des patrouilles, avec mes camarades soldats, dans les alentours. On entendait gronder le canon. Nous étions comme des perdus, mais les habitants nous donnèrent des encouragements, pourtant ils étaient comme nous dans les transes. On ramenait des soldats blessés des environs. Le mercredi cinq août vers onze heures du soir, on m’envoya tout seul en Rhées près de notre colonel Dussart, puisque j’étais de la contrée, me dit-on pour renforcer les soldats qui étaient là. En arrivant, on me fit manger, je fus d’un coup considéré comme leur frère. On me raconta que les Prussiens avaient déjà attaqué les avant-postes, qu’ils étaient venus surprendre dans la grange les soldats qui faisaient la cuisine et les massacrer ; mais que ceux-ci avaient déjà été vengés : il y avait des casques à pointes étendus dans les champs ou rechassés. Le colonel Dussard avait fait frissonner ses hommes, nos fantassins, en leur disant : « Mes amis, soyons courageux, la patrie est en danger, il nous faut vaincre ou mourir ! » Et le capitaine avait dit, en wallon, qu’il fallait s’attendre à voir revenir les Prussiens faire une attaque cette nuit même. Nous étions couchés sur le gazon, dans le cimetière et nous les attendions en pensant « Que va-t-il ce passer ! ». Nous étions sur le qui-vive et si fiévreux que nous jurions tous ensemble « Quitte ou double, pour l’amour de la Patrie » A ce moment là, il faisait calme. Mais vers une heure du matin, notre commandant cria : Aux armes ! Nous avons sauté chacun sur notre fusil et nous sommes allés au plus vite dans la campagne. Il faisait fort noir, mais le phare du fort de Pontisse jeta justement ses faisceaux de lumière du côté de Hermée et de Milmort. Nous vîmes des masses de soldats prussiens qui venaient à pas de loups vers nous. C’était voyez-vous, pour tourner autour du fort et l’attaquer par devant et par derrière. Directement, au commandement, nous nous sommes mis à genoux ou sur notre ventre et nous tirions sans arrêt dans le tas. Les Prussiens commencèrent à crier et hurler en courant en zic-zac. La clarté du fort ne dura pas longtemps de notre côté, elle jetait ses vues sur les champs de l’autre côté et pour nous dans le noir, la bataille fut très dure toute la nuit. Les balles sifflaient et l’air gémissait. Alors les Prussiens arrivèrent par tous les côtés en jetant des grenades qui épandaient du fer et du feu. Nous fûmes obligés de reculer. Il vint un moment où l’on était si près l’un de l’autre que l’on n’aurait plus su recharger son fusil ni tirer. Ce fut un grand choc ; on se battait comme des lions et ça partout : dans les champs, au-dessus comme en dessous, dans les prés, contre les haies, dans les ruelles, à coups de crosse de fusil, à coups de pied et à coups de tête. Il y en eut parmi nous qui attrapèrent les Prussiens par le cou et qui les étranglèrent jusqu’à la mort. Combien n’y a t-il pas de nos soldats qui ont été blessés et que les Prussiens, ce n’est certes aucun mystère, achevaient à coups de baïonnettes au lieu de les porter à l’ambulance. Notre colonel Dussard, le capitaine Rennoir et beaucoup d’autres soldats sont tombés là au champ d’honneur. Moi j’ai été blessé d’une balle de fusil dans l’épaule. Mais on m’a raconté(2) qu’un sergent-major du régiment était blessé, il avait le ventre ouvert et les deux jambes cassées, il hurlait de mal. Quand il sut que notre Colonel était tué, il demanda au commandant de la Croix-Rouge allemande qu’on le porte près du corps du colonel Dussard. Là en voyant le mort par terre, le sergent-major qui était couché sur une civière, leva sa tête en saluant et en disant en flamand « Adieu mon Colonel, c’est pour la patrie ! » et il mourut. Mais, moi blessé et connaissant la contrée quand j’ai vu arriver tous ces Prussiens jetant des grenades, je partis par le chemin des Taureaux pour me rendre à la Croix-Rouge de la fabrique nationale d’armes où je fus soigné par des médecins de Herstal. Là, je suis resté quatre semaines. Quand les Prussiens furent maîtres du pays, ils vinrent marquer les noms blessés pour les emmener, si vite guéris, prisonniers en Allemagne. Mais moi, je me suis sauvé en Hollande pour rejoindre mon régiment. C’est comme ça que j’ai fait toute la guerre.

Maintenant écoutez Michel Letawe


Monsieur Michel Letawe

Je n’ai pas dormi cette nuit là tellement on s’est battu dans les environs : A la Croix(1), au fond de Rhées et dans les basses de Milmort.(1) Il y avait des soldats tués, du sang sur les terres et dans tous les sentiers. Le matin, on entendait encore péter des coups de fusils ci et là ; le fort de Pontisse ne s’était pas encore rendu. Les soldats prussiens étaient toujours là tout autour, qui attendaient comme trois chiens pour un os. Au matin, dis-je, j’ai vu comme une compagnie de soldats qui montait de Herstal, accablée par la chaleur, mais pleine d’allant. J’ai dit au commandant : Ne montez pas plus haut : il y a une volée de soldats prussiens qui sont, sous les marronniers, dans une tranchée dans la prairie de Pierre Rousseau. Je suis sur que, quand vous allez tourner qu’ils vous verront passer, parce que, depuis les marronniers, on découvre tout le tournant de la levée et qu’ils vont tirer en plein dans vos rangs. Le commandant avait l’air d’un courageux soldat, il me demanda d’un coup : Qui êtes-vous ? Où habitez-vous ? Où est-ce sous les marronniers ? Je suis Michel Letawe, répondis-je, en lui montrant ma maison, j’habite là dans la ruelle. Mais où est-ce les marronniers ? reprend le commandant : pourriez-vous me les montrer ? Oui, lui dis-je ; il faudrait monter ici le long du bâtiment. Le commandant monta, il regarda dans une lunette d’approche, il redescendit d’un coup en me demandant, tout en mettant sa main sur mon épaule : « Dites donc vieux papa, ne saurait-on tourner ici autour pour les surprendre ? » Oh ! si, répondis-je, vous pourriez monter par 2 côtés à la fois, par la ruelle Dâyâ(1) et par cette ruelle ci que vous voyez qui coupe au-dessus le tournant de la levée. Le commandant se mit à parler avec un autre chef des fantassins qui connaissait très bien la contrée ; alors tout hardi tout vaillant les voilà partit avec chacun la moitié des hommes. Ce fut fait sur moins de temps qu’il n’en faut pour le dire. Quelques minutes après, on entendit crépiter des coups de fusils des deux côtés des marronniers. C’était nos courageux soldats qui tenaient les Prussiens entre deux feux et ceux-ci se rendirent sans riposter. Mais il paraît que les autres soldats prussiens qui étaient autour du fort dans le bois de Pontisse firent des « oreilles comme des lièvres » en entendant péter les coups de fusils et des yeux comme « St Gilles l’étonné » pour regarder vers le côté du fond de Rhées. Sous les marronniers, aux Prussiens qui se rendirent, on fit lever les bras, on les fouilla un après l’autre, on les fit mettre en rang pour descendre de Rhées et traverser Herstal pour les conduire à Liège. Quand je les ai vus passer – tous ces assaillants là qu’on avait pris sous les marronniers dans la prairie de Pierre Rousseau et qu’on emmenait prisonniers entre quelques petits soldats belges, je n’ai pu me retenir de crier en levant ma casquette « Vive nos petits soldats »


L’entrée du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

Après avoir entendu, un après l’autre, ces témoins là, je les remerciai en continuant mon chemin et en me disant « On en ferait bien une chanson ! »
Ecoutez ! La voici.(3)

(1) Lieu dit
(2) Déclaration formelle d’un témoin oculaire, Octave Bury, demeurant à Liège, rue Verbruck n° 8 qui a servit avec le 11e régiment de Ligne dans la bataille de Rhées
(3) Voir le texte en wallon

WALLON

Li Bataye dès Rhées par Jules LERUTH (1921)

Membre de la Fédération Nationale des Invalides de la Guerre (Section Liégeoise)
Traduite en français par Francis De Look.(2003)

C’est-on ham’tê qui s’troûve so ‘ne hauteûr divins dès tchamps èt dès cortis sol comeune di Hèsta. C’èst-al copète d’ine lèvêye qui k’mince â coron dèl rowe dèl Clawène, qui va djisqu’è viyèdje di Mérmwète. D’on costé, c’èst-è Mâl’vôye(1) èt d’l’aûte è Doyâ(1), wice qu’on-z-ôt hufler – avâ l’djoûrnêye – dihinde èt monter – l’tram à wapeûr di Hèrmêye. On nnè djâse di lâdje èt d’lon, dispôy li guêre, à câse dèl cwahante bataye qui s’a fait là. E cisse pitite contrêye, c’èst dès riyantès wèdes avou dès âbes âs frûtèdjes, dès rouwalètes qu’on-z-î veût potch’ter l’rôy’tê è cou dèl hâye, dès nozés cot’hês qu’i n’a djondant dès mohones qu’ahoutèt à pau près ‘ne cintinne di totès pâhûlès djins. El bone sâhon, on-z-ètind hufler l’mâvî, tchanter lès pinsons apîç’tés so lès cohètes èt lès fâvètes rèspounêyes divins lès bouhons. I n’a-st-ine aîte qui dâte di l’an 1889, avou’ne dréve di cascognîs ad’divant, ine grande pwète di fiêr fôrdjî, dès meûrs tot âtou èt dès canons qu’ont stu pris âs Prûchins. Tot-z-intrant al dreûte main, c’èst l’mohone dè fossî, qu’on lome Alphonse Lejaerd, èt al hintche c’èst l’Morgue. C’èst dès lâdjes pasês batous d’neûrès cindes, dès p’tits cascognîs, dès sapins, dès fleûrs, cial èt la, d’vins lès wazons, èt so lès tombes dès leures qui pwértèt l’doû po lès mwêrts qui dwêrmèt leû dièrin somèye. On pout r’marquer ‘ne tombe di 93 sôdârts prûchins ; mins i parèt qu’ènn’aveût bin treûs fèyes ot’tant qu’èstît toumés avâ lès tchamps li nut’ dèl bataye èt qu’lès maîsses di l’ârmêye al’mande ont fait rascoyî po l’s-è rèminer sol Prûsse. Mins, çou qu’assètche lès oûys èt qu’atinrihe li coûr èt lès sintumints, c’èst l’tombe dès 25 civils qu’ont sofrous mârtyr, inte lès sodârts prûchins, d’vant dè mori ; èt l’clapant monumint dès sodârts belges toumés pol disfinse di nosse binamêye Belgique. C’èst-ine feume è doû qui stâre dès fleûrs so leû tombe. Sins r’protche dji d’ha, por zèls, quéquès pâtèrs. Dji vèya leûs nos gravés sol pîre. Dji lès scriya so m’calpin èt , faîte-a-faîte qui dj’marquéve onk di cès nos-la, i m’sonléve ètinde rèsponde à mi-orèye : « Mwêrt pol patrèye ! » Dji frusiha tot. Dj’ala d’mandé â fossî Alphonse Lejaerd, çou qui s’aveût passé, tot-là, avou lès sodârts prûchins èt poqwè qu’avît hapé d’vins lès mohones, mètou l’feû, bouhî dès feumes èt dès èfants èt fusilier dès omes qui n’avit rin fait? I m’responda: Dji n’vis sâreû dire qui çou qu’dja vèyou : Li sèm’di prumî d’Aous so l’après- l’diner, dji vèya ‘ne pârtèye dè onzinme rédjumint n’lègne, dès mitralieûses qui dès tchins sètchît, dès sodârts avou dès bicyclètes, on tchèriot d’amonichon, tot çoula k’mandé par li colonel Dussard.Tot-z-arivant, i s’rihapît , fît magnâve èt s’mètît-st-a l’ovrèdje à qwèri dès djâbes di strin amon lès djins dè wèsinèdje, qu’avit tot plin d’l’atinchon por zèls – po fé leû djîse po dèl nut so l’aîte. El coûr di mon Marie Debatty, èl heure, i n’aveût dès sodârts mètous po couh’ner po turtos. Li Colonel magnîve al tâve è m’mohone, èt lès aûtes sodârts assious, al tére, sol wazon. Inte lès eûrêyes,,i fît dès tranchêyes, cial èt la, d’vins lès campagnes aidîs par dès bordjeûs. Li mârdi qwate d’Aous, i passéve è l’air dès zèp’lins al’mands, sins fâte po louquî çou qu’on féve. Li mèrkidi, l’afaîre kimincive à tchâfer, on d’ha qu’lès Prûchins avît violé l’frontîre, qu’avît dèdja fait dès moûdes, qui nos p’tits sodârts lès rawârdît fîvreûs’mint ; on vèyez-ve li bûse dè canon dè fôrt di Pontisse, cial è bwès, qui rètchîve dè feû dè costé d’Dâlèm èt d’Vvisé. Dji m’dèri : « ahote ! dj’eûri sogne » Dji qwita m ‘mohone avou m’feume èt mès èfants vès lès qwatre eûres après l’dîner po m’aller rètrôcler, avou dès aûtès djins dès Rhées, èl câve dè cinsî Pierre Rousseau, qui d’meûre cial pus bas. Nos èstîs nos quatwaze èl minme plèce, pus mwêrts qui viquants d’oyî l’arèdje qu’eûri dèl nut avâ l’lèvêye èt tot avâ lès tchamps. Pâr qwand n’s-ètindîs, vès dîh eûres èt d’mèy èt qui n’rik’nohis, l’vwès d’a Louise Dehousse ine wèsène, qui brèyéve : « â sécoûrs ! â sécoûrs ! »divins’ne trahu’rèye èt’nehâh’lâde di vwès qui nos ‘ne comprindis nin èt l’flahèdje dès côps d’crosse di fusik sol grosse pwète dèl cinse al lèvêye, dji v’pou dire qui n’tromlîs lès balzins…. Mins savez-v’bin dès cis qui v’pwêront, ciètes, rak’sègnî – qui sont co pârlant è vikant – c’èst Marie Debatty, li feume d’a Michél Djosse ; Louise Dehousse, â botique cial tot d’hindant ; Michél Litawe, èl rouwalète dè Doyâ èt Pière-Djôsèf Collings, qui d’meûre dilé l’pont dè Monteû à Hesta ; zèls ont vèyou dès hisdeûs tâv’lès. Pière-Djôsèf Collings, lu, a stu tèmon dèl bataye è li spèheûr dèl nut’ ; il èsteût d’vins les corèdjeûs piyotes ; il a stu blèssî….i s’a stu rinde al Creû-Rodje…on l’a rwèri et z-a t-i r’djondou s’rédjumint a Anvers !

Dj’ala-st-amon Marie Debatty.

Qwand èle sépa po qwè qu’dji l’èsteû v’nou trover, èl mi rèsponda: I n’aveût sî piyotes mètous cial èl coûr qui fît l’couhène po lès aûtes sôdârts qui fît dès tranchêyes avâ lès campagnes èt qu’ovrît so l’aîte dès Rhées. Cisse nut’là, i féve fwêrt sipès. I l’aveût toumé vès noûf eûres ine grosse noûlêye di tonîre. Lès sôdârts vinît dè rintrer èl heûre po s’coûki. On n’oyéve nou brut, èt li spèheûr aveût stâré s’wèle so lès wêdes èt lès tchamps. Dj’èsteû si nâhèye d’aveûr mah’né, avâ l’djoûrnêye, âddizeûr di l’ovrèdje di m’manèdje, po fé plaisir à nos sôdârts, qui m’loumît : Maman ! qui dj’monta d’zeûr avou mi-ome èt mès èfants po nos-aller rpwêser. Nos n’dwêrmîs qu’d’in-oûy ; On s’atindéve bin à ‘ne keûre ou l’aûte, mins nin à vèyî haper, touwer èt broûler, come çoula, dès onêtes djins. Vès dîh eûres èt d’mèye, volà qui n’s-oyans ‘ne arèdje di sôdârts qu’arouflît èl cuûr pol corti d’mon Pière Rousseau. Vos ârîz dit dès sâvadjes, si fwêrt qu’i hoûlit èt qu’i brèyît qu’on-z-aveût tiré sor zèls. Nos nos lèvîs d’on côp. I moussît-èl heûre wice qu’i n’aveût dès piyotes – mwêrts di somêy – coukîs so dè strin. Ci fout ‘ne novèle brêrèye. Nos d’hindîs, al vole, nos nos catchîs èl câve. Mon Diu, lès pôves-èfants, déri-dje inte mi-minme, quéle afaîre po leû mére ! C’èst qu’lès Prûchins n’lès-i d’nît nin l’timps di s’rilèver ; i lès stichît â pu abèy à côps d’bayonètes tot l’s-ahèrtchant foû po lès pîs. I lès touwît sol lèvêye. I n’eûri qu’onk di zèl, qu’âye polu s’èchaper dèl mwêrt : ci fout l’sèrgent-fourrier Henri Marchal, fwêrt blèssî : on l’sogna al Creû-Rodje di Hèsta, pwis i fout èminé prisonîr è l’Al’magne. Dismètant qu’lès Prûchins touwît nos pôves pitits piyotes sol lèvêye, i n’aveût dès aûtes qui d’foncît nosse pwète, kihatchît nos finièsses èt spiyît lès cwârès. Nos n’nos wèsîs r’mouwer. El câve, nos-ètindîs nosse wèsène Louise,qui brèyéve : â sécours ! âs voleûrs ! âs moudreûs ! c’èsteût-st-à fé finde l’âme di l’oyî braîre èt djèmi, tant qui s’wès div’na tote raûque. Nos n’l’oyîs pus, nos pinsîs qu’lès Prûchins l’avît touwé. Oh ! lès baligands ! nos l’s-ètindis passer èt r’passer sol lèvêye. On tiréve timpèsse avâ lès tchamps. Mins i fâreût st-ètinde nosse wèsène Louise Dehousse ; lèy vîs pwêreûtdîre dès aûtès-afaîres qui mi, pasqu’i lès sôdârts Prûchins l’on tote kimoudri.


L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

Adon qu’dj’ala amon Louise Dehousse.

C’èst-ine vîle djône fèye di 67 ans, plinte di santé, qui tint botique èt câbarèt. Dji li d’manda s’èle aveût todi sov’nance di çou qu’lès Prûchins avît faît è s’mohone li nut’ dèl bataye dès Rhées. Ah ! çoulà, Moncheû, m’rèsponda-t-èle, dji nèl rouvirè mây. Vès dîh eûres èt d’mèye, dj’èsteu-û montèye sol platchî po-z-aller mète à pont lèx aîdants d’mes martchandèyes qui dj’aveû vindou, qwand dj’oya ‘ne si grande arèdje è corti d’mon Pière Rousseau è tot â tou dèl mohone qui dji m’dèri : Oh ! binamé bon Diu quéle afaîre ! dji k’minça à tronler. Dji wêtia, tot lèvant l’gordène, al finièsse : li coûr esteût tote plinte di sôdârts Prûchins qui brèyît èt qui hoûlît come dès mâ toûrnés. Sol minme momint on spiya m’pwète èt mès finièsses ; lès cwârès hiltît-st-è bokèts. Dji brèya tot drovant l’finièsse dè costé dèl lèvêye : « Venez à mon secours, mes petits soldats belges » ; mins l’lèvêye èsteût tote neûre di sôdârts Prûchins qui tirît après mi. Dji r’sèra don côp l’finièsse. Dj’oya lès Prûchins qui d’foncît m’pwète, roufler avâ l’mohone, è botique ritourner lès ridans. Enn’a qu’amontît sol plantchî ; m’apougnît ; i m’batît, i m’fît d’hinde lès montêyes, èt d’zo on m’râya al têre po lès tch’vès. Dji brèyéve : « âs miséricôres ! » Vos polez bin comprinde èl fîve qui dj’èsteû. Dji m’rilèva, dji vola r’monter d’zeûr ; i m’rouflît djus ; i m’hèrtchît sol pavêye tot m’sititchantdès côps d’bayonètes divins les djambes. Oh ! lès moudreûs ! Dji flâwiha. Oh ! lès voleûrs : i m’ont hapé totes mès çanses, beûre li pèkèt qu’dj’aveû èl câve, broûler lès tonès èt spiyî tos mès pôves pitits afaîres. Qwand lès Prûchins fourît-st-èvôye, Servais Debatty, li fré di m’wèsène Marie, mi vûne ramasser èt m’rèminer è s’mohone. Li lèd’dimin, dji rintra, dji plora come ine Mad’linne, tot vèyant m’manèdje cou d’zeûr cou d’zos. Sol lèvêye i n’aveût dès potês d’song, dès sôdârts èt des tch’vâs touwés.

Hoûtez Pière-Djôsèf Collins !

Dj’aveû fait m’sièrvice à l’onzinme rédjumint d’lègne qwand lès Prûchins nos ont déclaré l’guêre. E nosse Belgique, po tos costés, ci fout-st-on r’mowe-manèdje po r’vindjî nosse patrèye. Dji fou, d’on côp, r’houkî al citadèle, à Lîdje, po r’prinde lès armes èt po r’djonde mi k’pagnèye qu’èsteût dèdja v’nowe à li scole dè Bèl’nay, à Hèsta. Dj’ariva l’lèd’dimin, nos fîs dès patruyes, avou mès camarâdes piyotes, avâ lès alintoûrs. On-oyéve è l’air groûler l’canon. Nos div’nîs come dès pièrdous ; mins lès bordjeûs nos d’nît dès èscorèdj’mints. Portant il èstît, come nos aûtes, divins lès transes, i fît dès-èclameûres ; on raminéve dès sôdârts blèssîs dès invurons. Li mèrkidi cinq d’awous, vès onze eûres dèl sîse, on m’èvoya, tot seû, è Rhées, dilé nosse Colonel Dussard, mi d’ha-t-on, pusqui dj’èsteû dèl contrêye, po rafwèrci lès sôdârts qu’èstît-là. Tot-z-arivant, on m’fit magnî ; dji fou d’on côp come leû fré. On m’raconta qu’lès Prûchins avît dèdja ataqué lès avant-postes, qu’avît v’nou surprinde, èl heûre, lès sôdârts qui fît l’couhène èt lès massacrer ; mins qu’avît dèdja stu vindjîs, qui n’aveût dès casques-à-pwintes sitârés avâ lès tchamps, ou rètchèssis ou rabatous. Li colonel Dussard aveût fait frusi sèe omes – nos piyotes – tot l’s-î d’hant : « Mes amis, soyons courageux, la patrie est en danger ; il nous faut vaincre ou mourir ! » èt qui l’capitinne aveût dit è walon : qu’i faléve s’atinde à vèy riv’ni lès Prûchins à grandès hièdes fé ‘ne atake cisse nut’ là minme. Nos èstîs coûkîs sol wazon, so l’aîte,qui n’lès rawârdît tot nos d’hant d’vintrinn’mint : « Qui s’va-t-i passer ! » Nos ètîs sol qui-vîve èt si fîvreûs qui n’djurîs tos èssonle : « Qwite ou dobe, po l’amour dèl Patrèye » A ç’moumint-là i féve pâhûle. Mins, vès ine eûre â matin, nosse Commandant brèya : As armes ! Nos potchîs chaskeune so nosse fusik èt n’s-acorîs â pus abèye sol campagne. I féve fwèrt sipès ; mins l’phare dè fôrt di Pontisse hina djustumint sès r’djèts d’loumîre vès l’costé d’Hèrmêye èt d’Mérmwète. Nos vèyîs dès masses di sôdârts Prûchins qui v’nît , à pas d’leû, vès nos aûtres. C’èsteût, vèyez-ve, po toûrner âtoû dè fôrt èt l’ataker po li d’vant èt po li drî. Al vole, â k’mand’mint, nos nos mètis-st-à gn’nos ou so nosse vinte, èt n’tirîs timpèsse è hopê. Lès Prûchins k’mincît-st-à braîre èt à hoûler tot corant è cwèsse. Li clârté dè fôrt ni dura wère di nosse costé ; èle hinéve sès loucrotes avâ tos lès tchamps d’l’aute costé ; èt po nos autes, è li spèheûr, li bataye fout-on deûr hiquèt tote li nut. Lès bales zûnît èt l’air djémihéve. Adon lès Prûchins arouflît po tos lès costés tot hinant dès grènâdes qui stârît dè fiêr èt dè feû. Nos fourîs-st-oblidjîs d’rèscouler. I vûne on moumint qu’on-z-èsteût si près qu’on n’âreût pus polou tchèrdjî s’fusik, ni tirer. Ci fout ‘ne hèrlêye, onk avâ l’aûte ; on s’bat’ve come dès liyons èt çoulà tot costé : avâ lès tchamps, dizeûr come dizos, divins lès prés, conte lès hâyes, divins lès rouwales, à côps d’crosse di fusik, à côps d’pî èt à côps d’tièsse. Enn’eûrît d’vins nos aûtes qu’apicît lès Prûchins pol hatrê èt qui lès stronlît mwêrts. Binamé bon Diu, qué disdu qu’i n’aveût là ! Kibin ‘nn’a-t-i nin d’vins nos sôdârts qu’ont stu blèssîs, èt qu’lès Prûchins – ci n’èst ciètes nou mystére – achèvît à côps d’bayonètes èl plèce di lès pwèrter à l’ambulance. Nosse colonel Dussard, li capitinne Rennoir èt saqwants aûtes sôdârts ont toumé-là, â tchamp d’oneûr. Mi, dj’a stu blessi d’ine bale di fusik è li spale. Mins on m’a raconté(2) qu’on serdjant-major di m’rédjumint qu’esteût blessî, qu’aveût l’vinte drovou èt lès deûs djambes cassêyes, qui hoûléve di mâ, qwand i sépit qu’nosseColonel èsteût touwé, i d’manda â commandant dèl Creû-Rodje dès Al’mands qu’on l’pwèrtasse dilé l’cwêrs dè colonel Dussard. Là, tot vèyant l’mwêrt al têre, li serdjant-majôr, qu’èsteût coûki, so ‘ne civîre, lèva s’tièsse tot l’salowant èt tot d’hant è flamind : « Adieu, mon Colonel, c’est pour la Patrie ! »…èt i mora. Mins, mi qu’èsteû blessî èt qui k’nohéve li contrêye, qwand dj’vèya aroufler tos cès Prûchins-là, hinant dès grènâdes, dji m’sêwta pol vôye dès torês po m’rinde al Creû-Rodje dèl fabrique Nâtionâle d’armes wice qui dj’fout médî par dès Docteûrs di Hèsta. Là, dj’a d’manou qwate saminnes. Et qwand lès Prûchins fourît maîsses dè payîs, i v’nît marquer lès nos dès blessîs pol’s-èminer prîsonîrs – dihît-i – si vite riwèris – so l’Al’magne. Mins, mi, dji m’sâva sol Hollande èt dj’a stu r’djonde mi rédjumint. C’èst-insi qu’dj’a fait tote li guêre.


L'enceinte du fort de Pontisse. (Photo F. De Look)

Asteûre hoûtez Michél Litawe !

Dji n’a nin dwèrmou cisse nut’là, tél’mint qu’on s’a batou avâ l’s-invurons : Al Creûhe(1), E fond d’Rhées(1) èt d’vins lès basses di Mérmwète(1). I n’aveût dès sôdârts touwés, dè song so lès têres èt d’vins tos lès pasês. Sol matinêye on-z-oyéve co pèter dès côps d’fusik cial èt là ; li fôrt di Pontisse n’èsteût nin co rindou. Les sôdârts Prûchins èstît todis là, tot âtou, qui rawârdît, come treûs tchins po ‘n-ohê. Sol matinêye, di-dje, dji vèya come ine kipagnèye di piyotes qu’amontéve di Hèsta, acâblêye par li tcholeûr, mins plinte d’agrè. Dji dèri â commandant : Ni montez nin pus haut : i n’a ‘ne hiède di sôdârts Prûchins qui sont d’zo lès maronîs, d’vins ‘ne tranchêye, è corti d’mon Pière Rousseau. Dji so sûr qui , qwand v’z-âlez toûrner, qui v’veûront passer, pasqu’i, distant lès maronîs, on discouveûre tot l’toûrnant dèl lèvêye, èt qu’i vont tirer à plin d’vins vos rangs. Li commandant aveût l’air d’on hardi sôdârt ; i m’dimanda d’on côp : Quî èstez-ve ? wice dimonez-ve ? wice èst-ce çoula, lès maronîs ? Dji so Michél Litawe, rèsponda-dje, tot li mostrant m’mohone ; dji d’meûre là, èl rouwale. Mins wice-èst-ce lès maronîs ? riprinda-t-i l’commandant ; pwêrîz-ve mi lès mostrer ? Awè ! dèri-dje ; fâreût monter cial, al dilongue dè batumint. – Li commandant monta ; i louka d’vins ‘ne lunète d’aproche, èt rid’hinda don côp, tot m’dimandant èt tot mètant s’main so mi spale : « Dihez don, vî papa, ni sâreût-on toûrner cial âtoû po lès surprinde ? » Oh ! siya, rèsponda-dje, vos pwèrîz monter po deûs costés al fèye, pol rouwale dè Dâyâ(1) èt po cisse rouwale cial, qui vos vèyez qui côpe al copète li toûrnant dèl lèvêye. Lcommandant si mèta-st-à djâser avou ‘ne aûte maîsse dès sôdârts qui k’nohéve, sins fâte li contrêye ; adon pwis tot tchaûd tot reûd vo lès la èvoye, avou chaskeune li mwètêye di cès piyotes-là. Ci fout fait so mon d’timps qui ‘ne fât pol dire. Quéquès minut’s après, on-z-oya pèter dès côps f’fusik dès deûs costés dès maronîs. C’èsteût nos corèdjeûs piyotes qui t’nît lès Prûchins inte deûs feûs, qui s’rindît sins s’rivindjî. Mins i parèt qu’lès aûtes sôdârts Prûchins, qu’èstît-st-âtou dè fôrt è bwès d’Pontisse, fît dès orèyes come dès lîves tot oyant pèter lès côps d’fusik èt dès oûy’s come Saint-Djîles l’èwaré po louquî vès l’costé dè fond d’Rhées. Dizo lès maronîs – âs Prûchins qui s’rindît – on l’s-î fit lèver lès brès ; on lès visita onk après l’aûte ; on lès fit mète an rang po d’hînde Rhées, passer tot oute di Hèsta po l’s-èminer so Lîdje. Qwand dj’lès vèya passer – tot cès-adjèyants-la –qu’on-z-aveût stu d’djîver d’zo lès maronîs è corti d’mon Pière Rousseau èt qu’on-z-èminéve prisonîrs, inte quéquespitits sôdârts belges, dji n’mi pola rat’ni dè braîre tot lèvant m’canote : « Vive nos p’tits piyotes ! »

(1) Lieu dit
(2) Déclaration formelle d’un témoin oculaire, Octave Bury, demeurant à Liège, rue Verbruck n° 8 qui a servit avec le 11e régiment de Ligne dans la bataille de Rhées

Après aveûr ètindou, onk après l’aûte, cès tèmons-là, dji lès r’mèrciha tot r’prindant m’vôye èt tot m’dihant : « On ‘nnè freût bin ‘ne tchanson ! »

Hoûtez ! vol-cial :


Quelques notes de musique pour y associer les paroles de la chanson.

Chanson

Li Bataye dès Rhées

1e Couplet

C’èst d’vins lès campagnes dè costé d’Mérmwète,
Djondant l’bwès d’Pontisse,â payîs d’Hèsta,
Avâ lès wèd jièdjes èt lès rouwalètes
Qui s’fit timps dèl guêre on tèribe combat.
E cisse cwène di têre tote vète èt florèye,
C’èst si doûs d’ètinde lès oûhès tchanter
Li bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwêre èt dèl lîbèrté.

2e Couplet

Qwand l’clairon sona l’alarme èl Belgique
Et qu’nos p’tits sôdârts montît d’gâre vers-là
Li mot d’orde èsteût : « Mwêrt âs Kaîserliques !
S’i sayèt d’passer, c’èest d’lès maquer-là ! »
Sins aveûr mèsâhe dè l’s-i dire deûs fèyes,
I rotît sins pawe èt l’coûr plin d’fîrté
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwère èt dèl lîbèrté.

3e Couplet

Tot r’nov’lant nos péres qu’ont sièrvou l’an trinte,
I djurît come zèls dè disfinde nos dreûts,
Nos prés èt nos bwès, nos vôyes, nos pî-sintes,
L(oneûr dèl Belgique èt sès abondreûts.
Mins lès Kaîserliques ènnè fît ‘ne moq’rèye,
Pinsant d’lès d’zoûhî ; mins fourît r’boutés
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èp Patrèye,
Dèl victwêre èt dèl lîbèrté.

4e Couplet

Lès Prûchins, vèyant qu’on lès t’néve à gogne,
Dihît tot hoûlant co pés qu’dès liyons :
I n’a nouk sol tère oûy à nos fé sogne !
Nos sèrans lès maîsses di totes lès nâcions.
I rouflît dèl nut’ èt ç’fout ‘ne kibatrèye,
Onk tot avâ l’aûte, à n’nin si r’trover
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl patrèye,
Dèl victwêre èt dèl lîberté.

5e Couplet

Li canon hoûléve è l’air anoyeuse,
Plinte di fiêr èt d’feû qui hinéve dès sclats ;
Griblés d’côps d’fusik èt d’côps d’mitralieuse,
Lès sôdârts toumît al têre sins nou r’las.
Al Creûhe, èl campagne èt d’vins lès praîrèyes,
Li song a corou, là, d’tos lès costés
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwêre èt dèl lîbèrté.

6e Couplet

Adon, lès Prûchins s’fiyant so leû fwèce,
C’èsteût côp-so-côp dès hièdes di ranfôrt.
Dizeûr come dizo, tot flahant timpèsse,
Ci fourît ‘ne troûlèye tot djondant dè fôrt.
Li fôrt di Pontisse,qu’èsteût d’vins cisse trèye,
Lès Prûchins l’ eûrît,…mins i-ont d’vou linw-ter
El bataye dès Rhéesqu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwère èt dèl lîbèrté.

7e Couplet

C’èst qu’nos p’tits sôdârts, hardis èt cagnèsses,
Qwand ç’fourit l’troûlêye, lès-ont-st-apougnî.
Enn’a qu’èl’s-î d’nît dès si rudes côps d’tièsse ;
Dès aûtes, pol hatrê, reuds-mwêrts lès stronlît
Et d’cès Kaîserliques sol tère èssôn’tèye
Oh ! qwant ènn’a-t-i qui l’ont raconté,
Cisse bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èp Patrèye
Dèl victwère èt dèl lîbèrté ?

8e Couplet

D’onk qu’èsteût blèssî di lès sôdârts boches
On-z-oya qu’i d’héve : « Qu’èst-ce qui dj’va div’ni ? »
(Tot sètchant l’pôrtrait di s’mére foû di s’potche)
Vinez-à m’sécours, mon Diu, dj’va mori !
Dj’ô bin qu’i sônéve d’ine plâye sins parèye,
D’on côp d’sâbe èl tièsse qu’i l’a fait d’hoter
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwère èt dèl lîbèrté.

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9e Couplet

Volà d’cisse contrèye li glorieuse mémwêre !
Et d’cès brav’s-èfants toumés pol payîs
Qui l’rik’nohance wâde ine pâdje è l’istwêre ;
Qu’on n’lès roûvèye mây dizo li steûlî
Come lès anges â cîr di nosse Walon’rèye
Dièw lês-a bèni po l’éternité
El bataye dès Rhées qu’a s’pârt, èl Patrèye,
Dèl victwêre èt dèl lîbèrté.

[1] Voir : Les soldats belges du capitaine Tamboise (3/III/12 F, soit la troisième compagnie du troisième bataillon du 12 régiment de Forteresse) défendirent vaillamment leur tranchée. Quand ils eurent épuisés leurs munitions, ils se trouvèrent isolés et dans l’espoir d’échapper à la captivité, ils se couchèrent au fond de leurs tranchées. Les allemands en passant au dessus d’eux leur décochèrent cependant des coups de feu et c’est ainsi, d’après ce qu’écrit Laurent Lombard, que plusieurs survivants furent blessés, parmi lesquels l’adjudant Ooms. Dans la tranchée occupée par la 4/III/12 F., près du hameau de Pontisse, quarante hommes gisaient tués (parmi eux le sergent-major Libotte qui exerçait le commandement de cette tranchée) ou blessés.







Témoignage de VICTOR Jean-Baptiste

Envoyé par son petit fils Dominique Victor : Recherche au Centre de Documentation de l’armée où j’ai eu le bonheur de trouver un document écrit de la main de mon grand-père relatif aux premiers jours de guerre. Il faisait partie de la 3e Armée, 11e Régiment de Ligne, 2e Bataillon, 4e Compagnie.

Je vous livre ci-dessous le contenu:

« Je soussigné VICTOR Jean-Baptiste né a Seraing le 16/07/1891, soldat milicien du 11e Régiment de Ligne N° 58435 de la matricule, rue de la Cité, 6 à Seraing sur Meuse.

Notre bataillon a combattu la nuit du 4 août 1914 près du cimetière de Vottem, notre Colonel Dussart du 11e Régiment fut tué dans ce combat. Après ce combat acharné, presque au corps-à-corps, nous battîmes en retraite vers la Préalle. Là, nous nous rassemblons à une cinquantaine d’hommes mais plus d’officier avec nous. Puis, sous les ordres d’un commandant de gendarmerie, nous nous dirigeâmes sur Wandre pour tirer vers la direction des Allemands et eux tiraient sur nous évidemment.

Le 5 août toujours pour défendre vaillamment notre Patrie à travers les champs et les campagnes, et resté des heures à plat ventre derrière le talus de chemin de fer, qui nous permettait d’observer très bien les terrains élevés. Un commandant du 9e Régiment de Ligne était avec nous qui nous commandait de faire feu quand il était nécessaire.

Le 6 août, nous étions aux environs de Pontisse. Un officier du 11e Régiment de Ligne se joignit à notre groupe avec quelques soldats du 11e et du 9e de Ligne.

Le 7 août, du côté de Herstal, encerclés par l’ennemi, nous fûmes fait prisonniers (à peu près une vingtaine d’hommes ainsi que nos deux chefs dont j’ignore les noms).

Après, nous fûmes dirigés vers la Citadelle. On nous fit marcher jusque Eupen, première étape Soiron, Verviers et ainsi de suite pour être exilés en Allemagne, camp de Sennerlager et Munsterlager Hannover. »

Dans un autre document, il précise que « son » Colonel Dussart a été tué au combat dans la nuit du 3 août près du cimetière de Vottem et qu’il a été fait prisonnier avec un colonel du 9e de Ligne et un lieutenant du 11e de Ligne.

Mon grand-père est rentré d’exil le 22/12/1918. Il aurait alors rejoint la Compagnie de Travailleurs à Adinkerke et aurait été démobilisé le 7/08/1919. Je ne sais pas pourquoi il n’a pas rejoint son foyer mais étant donné qu’il était de la milice de 1911, on a éventuellement considéré qu’il n’ait pas accompli l’entièreté de son service militaire.

Mon grand-père a relaté ces événements en 1933 à la demande de son régiment. En effet, la Fédération Nationale des Anciens Combattants avait introduit en 1931, auprès du Ministre de la Défense Nationale, une demande pour l’octroi des brevets et bijoux des médailles commémoratives et de la Victoire. Le 11e de Ligne a donc demandé à mon grand-père de préciser dans quelles circonstances il avait été fait prisonnier afin de s’assurer qu’il avait été (je cite) capturé dans des conditions honorables, c’est-à-dire, la capture n’a-t-elle en rien entaché l’honneur militaire. Le commandant du 11e Régiment de Ligne (Colonel B.E.M. VAN DER VEKEN) a donc transmis au Président de la Commission N° 1 des chevrons de front aux prisonniers de guerre le message suivant :

« Le soldat mil.11 VICTOR Jean-Baptiste appartenait au 1er août 1914 à la 4e Compagnie du IIe Bataillon du 11e Régiment de Ligne. Cette unité a participé au combat de Rhées dans la nuit du 5 au 6 août 1914. Le Capitaine RENNOIR, Commandant de la Compagnie a été tué à cet endroit. Le soldat VICTOR était présent à son unité au cours de ce combat. J’estime que l’intéressé a été capturé dans des conditions honorables. »

Je n’ai pas eu le bonheur de connaître mon grand-père mais je voulais lui rendre hommage en vous transmettant son maigre témoignage.

Envoyé par Michel M.

Extrait de nos histoires de famille :

Nosse colonel Dussard, li capitinne Rennoir èt saqwants aûtes sådârts ont toumé-là, å tchamp d’oneûr. Mi, dj’a stu blessi d’ine bale di fusik è li spale. Mins on serdjant-major di m’rédjumint qu’esteût blessî, qu’aveût l’vinte drovou èt lès deûs djambes cassêyes, qui hoûléve di , qwand i sépit qu’nosse Colonel èsteût touwé, i d’manda å commandant dèl Creû-Rodje dès Al’mands qu’on l’pwèrtasse dilé l’cwêrs colonel Dussard. Là, tot vèyant l’mwêrt al têre, li serdjant-majår, qu’èsteût coûki, so ‘ne civîre, lèva s’tièsse tot l’salowant èt tot d’hant è flamind : « Adieu, mon Colonel, c’est pour la Patrie ! »…èt i mora.

("Notre colonel Dussard, le capitaine Rennoir et beaucoup d’autres soldats sont tombés là au champ d’honneur. Moi j’ai été blessé d’une balle de fusil dans l’épaule. Mais un sergent-major du régiment était blessé, il avait le ventre ouvert et les deux jambes cassées, il hurlait de mal. Quand il sut que notre Colonel était tué, il demanda au commandant de la Croix-Rouge qu’on le porte près du corps de notre colonel. Là en voyant le mort par terre, le sergent-major qui était couché sur une civière, releva sa tête en saluant et en disant en flamand : « Adieu mon Colonel, c’est pour la patrie ! » et il mourut.")

 

 



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