Médecins de la Grande Guerre

Le docteur Kandt, Résident impérial au Rwanda, puis médecin sur le front de l'Yser.

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Le docteur Kandt, Résident impérial au Rwanda, puis médecin sur le front de l'Yser.

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Plan de l’Afrique orientale allemande

Trajet des premiers voyageurs allemands

Ruanda

Richard Kandt, étudiant de la corporation d’étudiants Rhenania, Munich 1889

Richard Kandt, 1896

Richard Kandt, 1897

Richard Kandt à son poste d’Ischangi au bord du lac Kivu, 1901

La Résidence (Boma) de Kigali, fondée par Richard Kandt (photo de 1911)

L’entrée de la Résidence (Boma) à Kigali, selon une carte belge éditée fin 1916 pour contribuer aux frais de l’expédition militaire belge en Afrique orientale

Richard Kandt 1909/1910

Richard Kandt 1914

Epitaphe de 1962 sur la tombe de Richard Kandt (tombe n° 478) au cimetière de Johannisfriedhof de Nuremberg

Le docteur Kandt, Résident impérial au Rwanda, puis médecin sur le front de l'Yser[1]

       Le docteur Kandt fut un homme célèbre par la passion qu'il manifesta pour un des plus beaux pays africains, le pays des mille collines, le Rwanda. La Grande Guerre, comme nous le verrons plus loin, vint mettre un terme brutal à la carrière africaine de Kandt dont la véritable vocation n'était pas la médecine mais l'ethnographie.

       Richard Kandt est né le 17 décembre 1867 sous le nom de Richard Jakob Kantorowicz à Posen en Prusse. Il eut le malheur de perdre son père, commerçant fortuné, alors qu'il n'était qu'un bambin d’un an. A sa majorité, Richard put disposer d'une fortune héritée, qui on le verra plus loin, l'aida considérablement  à réaliser le rêve qui prit progressivement forme pendant ses études de médecin  qu'il termina en 1894 avec la mention bien. Quel était le caractère du futur médecin ? A l'université de Munich, il faisait partie de la confrérie étudiante  « Burschenschaft Rhenania » et d'après un de  ses compagnons, Richard est un étudiant mélancolique souffrant du mal du siècle. Jamais hautain, ni arrogant ni même exubérant, c'est un jeune homme calme. Ses talents en escrime ne sont pas extraordinaires mais, explique son compagnon, on peut compter sur lui et il sert souvent de témoin. Les matières de prédilection de l'étudiant  sont la psychologie et la psychiatrie et ce goût pour les sciences humaines le conduit, après ses études de médecine, à s'inscrire à la faculté de philosophie tout en effectuant son service militaire. En juillet 1895, Richard sera promu médecin-aide-major deuxième classe de réserve dans l'armée bavaroise. Les jugements portés sur lui pendant son service sont très positifs : il est considéré comme un jeune médecin disposant d'une culture générale exceptionnelle et on cite son attitude bienveillante envers ses subordonnés. Sur son dossier personnel est inscrit « conduite exemplaire, travailleur, obéissant et ambitieux ». Au milieu de l'année 1896, Richard travaille à l'hôpital psychiatrique de Bayreux. Avec les autres hommes de  sa famille, il abandonne alors le nom de famille Kantorowicz  pour opter pour le nom de Kandt. Il faut savoir que Kantorowicz, faisait trop penser à la Pologne à laquelle avait appartenu Posen jusqu'en 1793. En changeant de nom, la famille Kantorowicz désirait marquer sa volonté de  s'intégrer complètement à la Prusse. Toujours dans ce souci d'intégration, Richard s'était fait baptisé protestant le 12 juillet 1893.

        Nous avons vu que Richard était plus passionné de sciences humaines que de médecine. Pas étonnant dès lors de le voir se prendre de passion pour l'étude des us et coutumes des peuplades qui, dans  la deuxième moitié du 19ème siècle, sont découvertes et étudiées par les célèbres explorateurs de l'Afrique, parmi lesquels Stanley, Livingstone ou encore le compatriote de Kandt, le comte Adolf von Goetzen qui, en 1895, publie son best-seller  relatant sa traversée de l'Afrique d'Est en Ouest ainsi que sa découverte du  Rwanda et du lac Kivu.  Événement peu banal Adolf von Goetzen fut le premier blanc à être reçu par le Roi (Mwami) du Rwanda, Kigeli IV. C'était  le 29 mai 1894 !

       Kandt rêva de s'inscrire dans la lignée des grands explorateurs de l'Afrique centrale. Pour se faire, le jeune médecin renonça aux activités médicales qu'il menait à Bayreux pour rejoindre Berlin et son université afin d'y suivre des cours d'anthropologie et d'ethnologie et d'y apprendre le Kiswahili. Ce temps d'apprentissage supplémentaire est aussi mis à profil par Kandt pour effectuer de   multiples démarches administratives dans le but d'obtenir une mission officielle pour se rendre au Rwanda, pays à peine exploré et qu'il désire étudier  sous toutes ses faces qu'elles soient géographiques, biologiques ou ethnographiques. Richard comprend qu'il a intérêt à organiser sa propre expédition s'il veut avoir une chance de partir un jour. Les nombreux obstacles administratifs à son départ se lèvent peu à peu grâce à l'appui du duc Johann Albrecht zu Mecklenburg, président de la société coloniale allemande et,  grâce au fait que Richard Kandt offre de couvrir lui-même les frais de l'expédition, du moins pendant les premiers mois de celle-ci. Sa fortune personnelle qui provient de l'héritage paternel étant cependant limitée, Richard compte cependant sur la valeur des premiers échantillons qu'il enverra au musée ethnographique de Berlin pour convaincre les autorités  de le soutenir financièrement pour qu'il puisse prolonger le temps de son exploration du Rwanda.

       Ayant donc, dans un premier temps, uniquement recours à sa fortune personnelle, Kandt  réussit à réaliser son rêve de devenir explorateur. Fin mai 1897, il débarque à Zanzibar, visite l'île puis  rejoint la côte africaine. A Dar-es-Salam, il rencontre le célèbre professeur Koch, découvreur du bacille de la tuberculose qui lui fait visiter son laboratoire (consacré à la lutte contre la maladie du sommeil) installé dans les locaux de la Mission Évangélique. Kandt rend aussi visite aux personnalités allemandes de la colonie. Il reçoit le soutien du gouverneur ad intérim de l'Afrique orientale allemande, Rudolf von Bennigsen et subit les sarcasmes des vétérans d'Afrique qui le considèrent  comme inexpérimenté et physiquement trop faible pour mener à bien son expédition ! Pauvre Richard !  On peut comprendre ces rudes coloniaux quand on sait que le jeune médecin ne possédait aucun des traits physiques caractérisant le typique baroudeur !  Lui-même se décrit ainsi : « J'ai voyagé, toujours fluet et pâle, à travers cette vallée de misère et j'ai pourtant été capable de supporter aussi facilement que n'importe quel autre toutes les fatigues de la vie de soldat et de la vie d'étudiants au sein de la corporation ».

Malgré les railleries de ses compatriotes, Kandt va de l'avant, recrute ses porteurs à Bagamayo et fin juillet 1897 réussit à rassembler tous les membres de son expédition, soit 140 porteurs, 3 Wanyampara (guides), 7 boys et 15 soldats.

       On estime que son expédition jusqu'à la date de son retour en Allemagne en mai 1902 lui aura coûté 100.000 mark soit un million de D.M. valeur de 1988.  Kandt atteint Tabora le 28 septembre qu'il quitte pour explorer au sud-est la région fluviale de Wala et Ugalla. Il reste 40 jours dans cette région ce qui lui permet d'envoyer de nombreuses caisses d’échantillons à Berlin. Le jour de noël 1897, Richard est affecté par une épidémie de variole dans sa caravane. Il voit ses ressources financières diminuer plus vite que prévu et écrit au duc Johaan Albrecht :

 « J'ai sous estimé le temps que prendrait la marche et les frais encourus pour l'expédition et ma fortune sera épuisée le jour où je devrais payer les gens. Concrètement Kandt demande qu'on lui envoie 20 chargements de matériel pour les travaux de zoologie et de botanique... Les questions financières continueront cependant à le ronger. L'aide en matériel ne suffit plus et  le premier mars 1898, il se résout à demander une aide financière pour deux ans c'est à dire un salaire équivalent à celui d'un second lieutenant plus une allocation d'équipement. Le 10 décembre 1898, un décret de Berlin parviendra enfin au gouverneur de Dar es-Salaam selon lequel un salaire est accordé à l'explorateur ! A cette date Kandt est depuis six mois au Rwanda. Il traverse en effet la frontière du Rwanda début juin 1898. L'accueil des Rwandais est réservé. Ici plus d'accueil bruyant mêlé de rires et de danses mais une attitude réservée. Kandt apprend que le Mwami (Roi) réside dans une de ses résidences à Mkingo (près de Gatagara). Il décide de s'y rendre et se montre enthousiaste à l'idée de pouvoir étudier la culture rwandaise avant que le pays ne soit imprégné d'éléments étrangers apportés par la culture occidentale. Le 14 juin, le voilà devant les portes de la résidence royale. Il doit patienter jusqu'au 16 avant d'être reçu. L'entrevue ne se passe pas normalement : Kandt a l'impression que la personne à qui il est présenté n'est pas le souverain. Il ne reçoit pas de présents en échange de ceux qu'il a offerts. Sans doute ne paraît-il pas assez important pour être reçu par le Roi en personne ; Richard ne possède en effet que très peu de soldats et de plus lui-même ne porte aucun uniforme. Il devra attendre 1900, deux ans après son installation à Ischangi, pour faire connaissance du vrai Mwami (Roi), Juhi V Musinga, un jeune homme de18 ans. Les deux années écoulées auront en tout cas permis au roi de constater que les activités de Kandt ne menaçaient ni son royaume ni son autorité.

       Après la fausse entrevue, Richard Kandt part le 1er juillet 1898 à la recherche des sources du Nil. Le résultat de ses recherches montre que la source de la rivière Rukarara à environ 30 km au nord-ouest de Gikongoro doit être considérée comme l'origine du Nil Blanc. Plus tard les Belges fixeront au Burundi la source la plus méridionale du Nil et y érigeront une petite pyramide. Kandt satisfait de sa découverte géographique décide de continuer son exploration en remontant la rivière Mhogo (aujourd'hui Mwogo). Il descend ensuite vers le sud et le 6 septembre 1898 après 13 mois d'expédition, décide de se reposer trois mois à Usumbura au poste militaire allemand, dirigé par le capitaine Werner von Grawert. Le 20 décembre, il quitte la station allemande et repart avec une caravane allégée qui ne comprend que 23 hommes, 7 soldats et quelques boys. Il longe la rivière Rusizi, longe la côte ouest du lac Kivu, atteint  les volcans des Virunga puis le lac Edouard. Il rentre ensuite au Rwanda et atteint Gisenyi le 7 mars 1899. Continuant vers le sud, il atteint la presqu'île d'Ischangi à 17 km au nord de Cyangugu. C'est là qu'il construit son  poste de « Bergfrieden » (la paix des montagnes) qui lui servira de base pour toutes les expéditions qu'il compte mener à travers le Rwanda. Vidé physiquement et moralement, il faudra plus de deux mois à Kandt  pour construire son poste (avril et mai 99).  Il entreprend ensuite des voyages d'exploration d'août à octobre. De retour à Ishangi, il tombe gravement malade le 3 novembre. Dans un état de faiblesse généralisée, son corps se couvre d'abcès. En janvier 90, sa guérison semble opérée et il se sent à nouveau dispos. Le poste de Kandt à Bergfrieden se composait de 15 huttes et de sa maison. Mais celle-ci était  à tel point rudimentaire que Kandt continuait à utiliser sa tente pour y dormir ! La modeste existence de Kandt à Ishangi est sans doute partiellement due à sa situation financière. Sa fortune était très entamée et ce que le ministère des affaires étrangères lui avait accordé était insuffisant. Il écrivit donc le 28 janvier 1900 une nouvelle fois à Berlin. Dans une lettre au gouverneur  von Liebert à Dar es-Salaam, il décrit sa situation dramatique :

«... Pendant un an ; tant que je n'ai pas eu connaissance de l'aide qu'on ma accordée, j'ai vécu sans nourriture européenne, sans parler des boissons, et depuis je n'ai pas demandé davantage que le nécessaire pour pouvoir de temps à autre faire preuve d'hospitalité vis-à-vis des autres Européens. Mais si je me contente de peu, ce n'est pas le cas de mon équipe. Dans ce domaine également, je me suis limité le plus possible, si bien que personne ne monte la garde la nuit devant ma station et que je dépends complètement de l'honnêteté des indigènes. En comptant mon courrier, mon cuisinier, mes boys, je n'ai que six personnes avec moi mais elles exigent des salaires élevés pour les dédommager de leur ennuyeuse solitude. »

       Dans son poste, Kandt travaille sans arrêter ; il écrit une monographie détaillée du pays tout en constituant une importante collection d'échantillons dans les domaines de la zoologie, de la botanique, et de l'ethnologie.  Toutes ces collections seront transmises à Berlin pour former une collection unique. En 1901, Kandt connut une grosse déception en voyant sa hutte renfermant de précieuses collections partir en fumée. Courageusement il s'attela à les reconstituer tout en se plongeant dans l'apprentissage de la difficile langue rwandaise. Ses relevés cartographiques furent aussi remarquables de précision et sa carte du lac Kivu sera mise à la disposition de la commission frontalière germano-belge pour établir les frontières définitives séparant le Congo belge du Rwanda. Le capitaine Herrmann était en 1901 le chef de l'expédition pour le règlement de la frontière. Il résidait au poste militaire d'Ischangi établi en 1898 à côté de Bergfrieden, la résidence de Kandt. Dans une lettre datée du 7 avril 1901, le capitaine allemand décrit le caractère de son voisin :

« En ce qui concerne le Dr Kandt, il est très difficile de porter un jugement. Imaginez-vous une cabane sale et absolument délabrée, dans laquelle se côtoient des peaux d'animaux et d'oiseaux , des squelettes à des stades de décomposition plus ou moins avancée... et au milieu Kandt... continuant avec ardeur à collectionner ce qui sous peu va pourrir de toute façon.  Il a sans doute fait preuve d'une énergie tenace et il s'est contenté de moyens très modestes dans son travail ardu et systématique au Rwanda mais il n'a jamais pu se résoudre à emballer correctement ses collections et à les envoyer en Allemagne. Il dit lui-même que la plus grande partie de sa collection d'oiseaux est déjà perdue et qu'il va falloir qu'il recommence. En tout cas, c'est la personne qui connaît le mieux le Rwanda et, s'il rentre en bonne santé en Allemagne, il pourra écrire une importante monographie sur ce pays. Mais il a la plupart du temps ses informations simplement en tête, quand il ne les griffonne pas sur de petits bouts de papier sales... Et s'il venait à mourir aujourd'hui, son travail resterait en grande partie indéchiffrable. C'est pourtant un homme très cultivé et très intéressant, absolument pas étrange ou sauvage, mais au contraire très sympathique si bien qu'on en serait presque à oublier le désordre épouvantable et la saleté qui règnent chez lui... »

       En 1902, Kandt rentre en Allemagne. Il fait savoir au Ministère des Affaires Etrangères qu'il a dépensé la totalité de sa fortune personnelle. L'aide officielle à son expédition,  il la doit au duc Johan Albrecht zu Mecklenburg. En signe de reconnaissance, Kandt baptisera la baie du lac Kivu située en face de Kibuye du nom de son bienfaiteur. En Allemagne, Kandt se remet fébrilement au travail. Il confectionne plus de 250 cartes du Rwanda et achève la première partie de sa monographie concernant le Rwanda, celle qui contient la description de ses voyages. Cette œuvre, publiée en 1904 sous le nom de Caput Nili sera éditée six fois jusqu'en 1925 et établit définitivement la renommée de l'explorateur du Rwanda.

       Le sept avril 1905, Kandt est de retour en Afrique à Dar es-Sallam où le gouverneur de l'Afrique orientale allemande, le célèbre comte von Goetzen qui avait découvert le Rwanda, lui confie de nombreux dossiers sur l'Afrique orientale allemande et en particulier sur le Rwanda. Cette fois, Kandt est chargé de convaincre le roi Musinga de l'utilité et des avantages de se mettre sous la protection d'un « Résident ». Le comte von Goetzen avait élaboré la notion de  « Résident »  afin de limiter l'administration directe des autorités allemandes sur les populations. Dans les territoires africains  bien organisés et érigés en royaume (Rwanda, Burundi, Bukoba), le comte suggérait de laisser l'administration aux mains du Roi (Mwami). Il y avait de grands avantages à ce système car la présence coloniale se faisait alors moins pesante pour la population. Le Roi y trouvait aussi un avantage puisqu'il devenait ainsi une sorte de fonctionnaire recevant honneur et  traitement  de la part de l'empereur d'Allemagne. Une fois au Rwanda, Kandt ne retourna plus à Ischangi mais s'établit à Gakira à 30 km au sud de Gitarama, cela pour rester plus proche de la principale résidence royale. Un voyageur allemand (Paul Fuchs) décrit en 1907 le poste établi par Kandt : « le poste de Kandt se situe sur le bord d'une rivière dans une vallée encaissée entourée de hautes montagnes et fait impression accueillante. En dehors de ses travaux scientifiques, Kandt pratique l'élevage bovin et cela m'a fait plaisir de voir des bêtes bien soignées et vigoureuses se développer grâce à un élevage rationnel... »

       Kandt était la personne la plus indiquée pour devenir le Résident allemand au Rwanda. Il accepta cette fonction et à partir de ce moment son papier à lettre officiel porta comme entête « Le Résident Impérial ».

       Lorsque Kandt quitta le Rwanda en 1913 pour aller passer un congé en Allemagne, ce fut son proche collaborateur, le capitaine Wintgens qui le remplaça et qui eut fort affaire pendant la Grande Guerre  puisqu'il dut combattre les Belges qui, pour conquérir Tabora, important nœud ferroviaire  de l'Afrique orientale allemande (en Tanzanie actuellement), envahirent le Rwanda.

       Début 1908, Kandt qui réside à Gakira a chargé son seul collaborateur de nationalité allemande le brigadier de police Pursche d'étudier tous les endroits idéaux pour l'établissement définitif d'une Résidence allemande. Pursche choisit un endroit au centre du Rwanda bien pourvu en eau et en bois : Nyarugenge en face du mont Kigali (1852m), un mont revêtu d'un bois sacré et aux pieds duquel se trouve un bac permettant de traverser la rivière Njavarongo.  En 1908, Kandt décide de s'y établir et choisit de nommer l'endroit Kigali plutôt que Nyarugenge. Une résidence en briques est élevée mais les travaux ne sont pas encore terminés en 1914.  En 1913, s'élevait déjà cependant  une jolie «  Boma » (boma = place fortifiée) spacieuse avec des bâtiments administratifs et des logements. En 1912, y vivaient 420 étrangers dont 9 européens. Kigali, où se trouvait la Résidence allemande devint aussi rapidement un centre commercial.

       Le Roi (Mwami) conservait l'autorité sur ses sujets mais était placé sous la protection du Résident, représentant l'empereur d'Allemagne. Cette situation imposa à Kandt de devoir soutenir le Roi dans des conflits intérieurs, comme en 1910, lorsque le père Loupias de Rwaza fut assassiné pour être intervenu dans des querelles entre le Roi et certains des habitants du nord du pays. Diverses expéditions punitives durent être menées et plusieurs ennemis du roi furent tués. Kandt parvint à convaincre le roi Musinga de renoncer à la pratique de la torture et de la peine de mort. En 1910, il est aussi question d'un droit de veto du Résident quand le délit commis va à l'encontre des conceptions européennes de la justice. 

       Les moyens de la Résidence étaient très limités. Début de 1914, on ne comptait que six employés allemands : le Résident, son suppléant permanent, un secrétaire, un employé, un agent de police, et un médecin. Le principal poste militaire se trouvait à Gysenyi avec une annexe à Ruhengeri. Il était occupé par 10 Allemands dont un médecin militaire, trois officiers ainsi qu'une centaine de soldats. La population blanche de tout le Rwanda se résumait à 96 Européens dont à peu près la moitié était des missionnaires.

       En tant que Résident, Kandt se mit à encourager la culture de certains espèces végétales comme l'eucalyptus, le papayer, le café et prit des mesures pour la protection du gibier. On décida aussi de relier Tabora au Rwanda par une liaison ferroviaire de 446 km. Le commerce se développa, notamment le commerce de peaux. En 1911, ce ne furent pas moins de 44.000 peaux de bœufs, et 100.000 peaux de chèvres qui furent exportées de Kigali. Du point de vue médical, Kandt prit des mesures avec l'aide du roi Musinga pour enrayer une épidémie de variole dans le sud-ouest : la région fut interdite d'accès et un médecin militaire vaccina les 20.000 habitants de la région. Le Résident Richard Kandt eut aussi fort affaire un gros travail lors de l'élaboration des frontières avec le Congo Belge. Son interlocuteur belge était le commandant Derche installé à Goma. L'accord du 14 mai 1910 à Bruxelles attribua, l'île Idwi au Congo, Cyangugu au Rwanda. Le Rwanda  perdait, à la grande déception du roi Musinga, le volcan Nyragongo et les pentes nord des volcans Karisimbi et Mikeno.

       Le Dr Kandt était un homme solitaire handicapé par une fameuse dose de timidité. Son caractère était mélancolique sinon dépressif. Il ne s'entourait pas facilement d'autres Européens et les rapports qu'il avait par exemple avec ses trois sous-officiers se limitaient exclusivement à des rapports professionnels. Il ne supportait pas l'alcool mais par contre fumait entre 50 et 60 cigarettes par jour !  On ne lui connut que peu d'attachements dont celui envers sa mère et envers Mélanie Voss, épouse de son ami poète à qui il dédicaça son livre « Caput Nili ». En dehors de ses fonctions de « Résident Impérial », il continua à rédiger sa monographie sur le Rwanda.

Au début de l'année 1914, Kandt quitte le Rwanda qu'il aimait tant pour aller se reposer en Allemagne. Il n'y reviendra plus ! La guerre éclate en Europe et au mois d'août 1914, Kandt estime de son devoir de se mettre à la disposition de l'armée bavaroise. Le médecin-capitaine Kandt va se montrer exemplaire et quant on connaît sa propension à la solitude et à l'étude, on imagine très facilement  la somme considérable de sacrifices que la guerre a dû exiger de lui ! De décembre 1914 à février 1915, il participe à la guerre des tranchées au nord de Verdun. Ensuite on le retrouve en mission auprès de l'armée turque en Syrie et en Palestine. Fin 1915, il est de retour en France cette fois en Champagne. Puis en 1916, on le voit œuvrer presque toute l'année sur le front de l'Yser. En décembre 1916, il est sur la Somme puis début 1917 en Meuse et Moselle. Il est ensuite détaché en Galicie.  C'est là que le 2 juillet 17, pendant une attaque au gaz, il part secourir un blessé. Ayant l'impression d'étouffer sous le masque, il commet l'erreur de l'enlever. Un nouvel obus à gaz explose et Kandt effectue le reste de son parcours avec un simple mouchoir sur sa bouche et son nez. Ses voies respiratoires sont gravement atteintes mais Kandt va continuer à exercer ses fonctions de médecin militaire jusqu'en novembre 17 où on lui diagnostique une tuberculose miliaire. On le renvoie au pays en décembre 17 où  Kandt ne quittera plus l'hôpital militaire de Nuremberg. Le 28 avril 18, il relit encore une fois un des poèmes qu'il a composé pendant la guerre :

La mort m'a rendu visite cette nuit,

d'une voix douce elle m'a dit,

assise près de mon lit : veux-tu venir avec moi ?

Je te montre le chemin; suis moi.

Alors je lui ai dit : vois la lune comme elle rit,

et la beauté de l'hiver en cette nuit.

Vois les flocons aussi : pareils à de gais esprits,

ils se blottissent et dansent autour des hêtres,

et vois les fleurs de givre parer les fenêtres. Si c'est possible, laisse-moi ici.

       Richard Kandt meurt le lendemain, le 29 avril 18 âgé de 50 ans !  Sa dépouille est  incinérée et l'urne funéraire placée dans une tombe du cimetière de Nuremberg. Vers 1960, le journaliste Bernhard Krüger attira l'attention sur le triste état de la tombe de Kandt et les autorités décidèrent de construire une nouvelle sépulture. Celle-ci reçut une épitaphe en fonte représentant la silhouette de l'Afrique ainsi que trois feuilles de caféier dont Kandt  a été le premier à encourager la culture au Rwanda.

       Kandt, l'ethnologue passa sa vie à étudier les us et coutumes et l'âme du Rwandais !  Il est très difficile de savoir comment il jugea la barbarie guerrière des nations européennes qui se disaient  civilisées !  Peu avant sa mort, d'après son biographe Reinhart Bindseil[2], il aurait caractérisé la Guerre mondiale comme le résultat de campagnes de haine parmi les peuples. Cette épreuve, aurait-il ajouté, eût été épargnée à l'humanité s'il n'avait pas régné une telle légèreté d'esprit, une telle paresse intellectuelle.

       On ne retrouva jamais les notes manuscrites de Kandt. Il semble qu'il les ait brûlées lors d'un accès dépressif entre 1911 et 1914. Seuls ses poèmes de guerre furent retrouvés et publiés fin 1918 sous le titre « Meine Seele klingt » (L'écho de mon âme). Ce livre se trouve assez facilement chez les bouquinistes. Je serais vraiment reconnaissant à tout lecteur  bilingue qui serait disposé à me traduire quelques uns de ses poèmes !

Dr P. Loodts

           

 

 



[1] Sources : Reinhart Bindseil « Le Rwanda et l'Allemagne depuis le temps de Richard Kandt », Dietrich Reimer Verlag Berlin, 1988    

[2] Reinhart Bindseil, né en 1935 fut ambassadeur de la République Fédérale d'Allemagne à Kigali de 1984 à 1988.



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