Médecins de la Grande Guerre

350 km de clôture électrifiée entre la Belgique et les Pays-Bas. (Prof. Dr Vanneste A.)

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350 km de clôture électrifiée entre la Belgique et les Pays-Bas.
(Prof. Dr Vanneste A.).

point  [article]
La clôture électrisée (Aquarelle de la Collection M. Mercelis, Hoogstraten)

Structure de la clôture électrisée à la frontière entre Lommel (Belgique) et Bergeyk (Pays-Bas) d'après un schéma publié dans Lombard,s.d. :29. (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Sentinelle allemande (Landsturm) près d'un passage à Arendonk - Waterschoot, s.d. :256 (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Quelques Allemands près d'un passage dans la clôture électrisée (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Illustration dans un livre d'école allemand. (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

La haie électrisée avec une sentinelle allemande. Remarquez le panneau avec le texte " Danger de mort " (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Panneau de danger (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Fuite, arrestation et exécution - (Archives de Mme Eyckens-Wouters, Arendonk) (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Une tentative de fuite qui a coûté la vie à un malheureux fuyard. (Brugmans, s.d. :225) (photo Prof. Dr A. Vanneste)

L'échelle...(Sterken, 1952) (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Un tonneau placé entre deux fils inférieurs (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Cadre pliant (Museum Taxandria Turhout) (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Cadre pliant (Museum Taxandria Turhout) (photo Prof. Dr A. Vanneste)

La haie électrisée se frayant un chemin entre les fermes et les prés, près de Kieldrecht (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Passage près de Sint-Anna-ter-Muiden (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Cette illustration montre fort bien la triple structure de la haie électrisée (photo Prof. Dr A. Vanneste)

Une baraque le long de la clôture, faisant également fonction de guérite (photo Prof. Dr A. Vanneste)

La barrière électrifiée et ses barbelés. (coll. Musée royal de l’armée, Bruxelles)

Un pont improvisé entre les deux frontières. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Un autre passage inconnu des Allemands. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Un endroit difficile. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Les jeunes gens s’en allant au front guettent les sentinelles. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Un observatoire dissimulé. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Les pains arrivant de Hollande devaient changer de charrette à la frontière. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

Le contrôle des papiers le long de la frontière. Document inédit pris secrètement pendant la guerre. (Tiré de L’Evénement Illustré n° 219 du 3 janvier 1920)

A Sippenaeken vous trouverez ce monument dédié aux Victimes Belges et Alliées qui périrent par le fil électrique. (photo F. De Look)

Un plus gros plan du monument. (photo F. De Look)

Les détails du monument. (photo F. De Look)

Les détails du monument. (photo F. De Look)

La clôture électrifiée

à la frontière belgo-hollandaise

pendant la Première Guerre mondiale

Prof. Dr A. Vanneste

Un peu trop d’agitation à la frontière belgo-hollandaise !

Pendant la Première Guerre mondiale, de nombreux Belges ont dû considérer les Pays-Bas comme une sorte de paradis sur terre, tout simplement parce que le pays était neutre et qu’il ne participait pas directement à la Grande Guerre. En dépit du fait que des soldats allemands - le plus souvent des soldats des compagnies Landsturm, tous âgés d’à peu près 40 ans - contrôlaient les frontières entre la Belgique et les Pays-Bas, bien vite après l’invasion allemande, 5 types d’activités se sont développées le long de cette frontière.

1.      Après l’appel du souverain belge Albert I et du cardinal Mercier, fin décembre 1914, de nombreux volontaires de guerre, de tout âge, ont essayé d’atteindre le front de l’Yser.  A cet effet, ils devaient d’abord pénétrer dans les Pays-Bas et rejoindre Flessingue, d’où ils furent embarqués à Folkestone. Là, ils reçurent une brève formation militaire avant d’être transportés de l’autre côté de la Manche, derrière les lignes près de l’Yser (en France). A partir de là, les états-majors alliés les affectèrent à des unités près du front inondé, empesté de rats et de vermine, pour aller peupler les tranchées meurtrières, comme chair à canon, pour affronter l’ennemi...

2.      Comme les services interalliés d’espionnage, sous la direction des Britanniques, avaient installé leur quartier général continental aux Pays-Bas, il était essentiel qu’un maximum d’informations sur le front occidental et les territoires occupés puissent atteindre la Hollande. Bien vite furent organisés des réseaux locaux d’espionnage en Belgique, ayant pour mission de rassembler, d’encoder et de centraliser toutes sortes d’informations militaires, en l’occurrence les déplacements de troupes allemandes sur les foies ferrées en territoire occupé. Ces informations devaient finalement être groupées dans la centrale aux Pays-Bas et donc, avant cela, être trafiquées de l’autre côté de la frontière belgo-hollandaise. Pour un grand nombre de Belges, l’espionnage et le trafic d’informations militaires étaient devenus tout simplement un sport national - et patriotique - de guerre !

3.      Un grand nombre de Belges dont le père, le mari, le frère ou l’enfant se battaient au front, ainsi que les soldats au front en tant que tels, essayèrent - tant bien que mal - de rester en contact par le biais d’un échange clandestin de lettres. Le courrier venant de Belgique fut “passé” au-delà de la frontière et rassemblé à Flessingue, d’où il suivit la même route que celle prise par les volontaires de guerre. Arrivé en France, le courrier fut distribué aux troupes. Le courrier provenant du front suivit la même route, mais évidemment en sens inverse.

4.      De nombreux Belges, plus particulièrement ceux ayant des parents ou des amis aux Pays-Bas, mais également ceux pour qui la situation était devenue trop dangereuse en Belgique, prirent la fuite vers la Hollande où ils espérèrent trouver une vie plus calme ou moins menaçante, où certains espérèrent aussi pouvoir trouver de meilleures conditions matérielles. D’autres continuèrent leur voyage vers la Grande-Bretagne ou la France.

5.      L’état de guerre avait inévitablement causé une pénurie de nombreux produits, la pauvreté, la faim et - tout simplement - la misère. Dans les zones frontalières, cette situation avait pour conséquence évidente le développement d’une contrebande bien organisée et plus intense encore qu’avant la guerre - surtout de produits alimentaires et de carburants.

Cet important trafic près de la frontière belgo-hollandaise - manifestement plus intense encore qu’en temps de paix - n’était évidemment pas pour plaire aux occupants allemands. Ceux–ci n’hésitaient aucunement à traquer les contrebandiers, les agents, courriers; espions et autres braconniers ou trafiquants. Voilà pourquoi, au début de 1915, les Allemands ont décidé d’enfermer une fois pour toutes les Belges et de mettre fin à tous ces aller-et-retour gênants entre la Belgique et les Pays-Bas.


La clôture électrisée (Aquarelle de la Collection M. Mercelis, Hoogstraten)

Emprisonner les Belges dans une cage, ce sont bien les termes qu’il faut employer dans ce contexte. A partir du printemps de 1915, les Allemands ont en effet construit une clôture du nord au sud, depuis Cadzand (près de Knokke) jusqu’au point où la Belgique, la Hollande et l’Allemagne se touchent. Or, il ne s’agissait point d’une simple clôture, au contraire, c’était une barrière électrifiée avec un voltage impressionnant de 2000 volts !  Des compagnies de génie, parfois assistées par des “volontaires chinois” belges, ont planté des poteaux le long de toute la frontière et les ont garnis de quelque 5 à 8 fils électriques.

L’aspect de la clôture pouvait varier en fonction du paysage. Pour ce qui est du trajet à l’est de l’Escaut, le courant électrique était fourni par une station de tram près d’Aix-la-Chapelle, par des usines à Kaulille et Lommel et par une cabine de transformateurs près de Merksem-Anvers.  Pour le trajet à l’ouest de l’Escaut le courant venait d’une sucrerie à Zelzate et sans doute aussi de quelques locomobiles ou générateurs locaux. Vers le milieu ou la fin de l’été de 1915, la frontière presque entière - de Knokke à Vaals - était garnie de cette impressionnante construction menaçante.

C’était en effet un exemple avancé d’ingénierie électrique, du moins pour l’époque. La garde et la maintenance étaient assurées par des unités militaires spéciales, cantonnés dans les villages frontaliers et/ou logeant dans de petites baraques construites le long de la clôture - les Schalthaüser - se trouvant à des distances variant de 1 à 3 ou 4 kilomètres. Ces mêmes baraques faisaient également fonction de guérites. La clôture était scrupuleusement et sévèrement gardée, nuit et jour, par des soldats des compagnies Landsturm, patrouillant le long des fils électrisés. Les gardes avaient entre autres le droit - l’obligation même ! - de tirer sur tout ce qui bougeait dans les environs, et évidemment sur toute personne voulant essayer de franchir la clôture pour tenter de s’enfuir vers les Pays-Bas.

Afin de protéger quelque peu la population locale ainsi que les troupes de service près de la frontière et de la clôture, mais aussi afin de garder tous les curieux à l’écart, la barrière électrisée était flanquée par une petite clôture non électrifiée des deux côtés des fils centraux.  Généralement, ces clôtures latérales étaient moins hautes et moins bien entretenues que la haie centrale. Tout cela signifie que la clôture entre la Belgique et les Pays-Bas était composée de trois barrières, dont seule celle au milieu était électrisée. En général, la construction suivait d’assez près le trajet de la frontière ; mais là où celle-ci affichait toutes sortes de sinuosités ou de méandres irréguliers, les Allemands avaient parfois pris le chemin le plus court entre deux points de la frontière, abandonnant ainsi de grandes surfaces de territoire belge derrière la clôture et créant ainsi une sorte de no man’s land (belge !) entre la barrière et la frontière. Voilà pourquoi la haie électrique fait à peu près 100 km de moins - 357 km - que la distance totale de la frontière belgo-hollandaise - 450 km.  A des intervalles réguliers, il y avait des passages gardés - des Durchlässe - militaires ou civils. Grâce à une autorisation ou un permis spécial - un Passierschein, toujours difficile à obtenir - les citoyens pouvaient parfois franchir légalement la frontière pour rendre visite à des parents ou à des amis aux Pays-Bas.
 

La clôture électrisée: une menace permanente mais inconnue !


La haie électrisée avec une sentinelle allemande. Remarquez le panneau avec le texte " Danger de mort " (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

Pour ceux qui ne connaissaient pas encore les ampoules ou lampes - déjà plus ou moins courantes autour de la ville de Eindhoven - ou l’électricité tout court, la clôture électrisée constituait une grande menace, surtout une grande inconnue. De nombreux citoyens innocents furent tués à la clôture, les uns par ignorance, les autres parce qu’ils n’avaient pas pris les précautions nécessaires ou qu’ils avaient sous-estimé les gardiens allemands. Nos recherches nous ont permis de dresser une liste d’un peu plus de 1000 personnes ayant trouvé la mort à la clôture, dans des circonstances très différentes mais toujours dramatiques, et ceci malgré le fait qu’il était interdit aux citoyens de s’approcher de la clôture ! Mais il fort probable qu’il y a eu davantage de victimes mortelles.

Certains ont tout simplement été tués près des fils, par des coups de feu, parce qu’ils avaient été surpris ou trahi par des compatriotes ou des gardes allemands - par ailleurs généralement très bien informés.  D’autres ont trouvé la mort parce qu’ils avaient pensé pouvoir échapper à la vigilance des “bons vieux” gardes prussiens. Un homme fut électrocuté lorsqu’il trébucha et voulut instinctivement s’accrocher aux fils électrisés. Un autre trouva la mort parce qu’il avait touché les fils en essayant de jeter une lettre par-dessus de la barrière. Un compatriote fut électrocuté parce que les Allemands lui avaient promis de couper le courant sur la clôture - or, ils ne le firent pas ! Un imprudent refusa de croire toutes les histoires fantastiques concernant la clôture électrisée et eut l’impertinence de vouloir toucher les fils : sa curiosité et son audace lui ont coûté la vie. Nous pourrions encore relater des dizaines et des dizaines de faits analogues, tous aussi tristes et dramatiques que vrais ! Notons aussi que de nombreux Allemands sont morts à la clôture, par inattention ou en essayant de déserter...

Il n’empêche que c’est une loi militaire inébranlable que l’usage de nouvelles armes - telle la clôture - stimule la créativité de ceux qui doivent en subir les menaces ou les dangers. Il n’en était pas autre avec les fils électrisés ni avec les patrouilles et les gardes sévères près de la clôture. 

Les nombreux contrebandiers vivant près de la frontière belgo-hollandaise étaient en fait les mieux placés pour faire face à cette nouvelle menace: en effet, ils connaissaient le terrain comme pas un, ils étaient au courant des caractéristiques les plus détaillées du terrain près de la frontière, ils connaissaient l’emplacement de chaque arbre et de chaque colline, ils n’ignoraient pas où se trouvaient les sinueux sentiers les plus cachés et vers où ils menaient, ils connaissaient par cœur le tracé des ruisseaux et autres cours d’eau... Mais, il y avait toujours cette sacrée clôture, ces trois murs de fils, cette damnée électricité ! Il leur fallait donc à tout prix trouver des moyens pour continuer à passer les volontaires de guerre et les candidats réfugiés en Hollande, pour trafiquer les informations militaires et le courrier, ou pour continuer leur pratiques souvent lucratives de contrebande... Les simples citoyens n’avaient pas intérêt à essayer de franchir la clôture seuls et sans assistance de “spécialistes”.  Ils se firent le plus souvent aider par des passeurs - spécialisés, en effet, dans cette pratique hasardeuse qui consistait à franchir la clôture électrisée ! Ces passeurs étaient d’ailleurs généralement des contrebandiers expérimentés, vivant près de la frontière, et qui faisaient partie des réseaux locaux d’espionnage, constitués par des agents désignés par les Anglais.
 

Une créativité sans bornes...

La façon la plus simple de franchir la clôture consistait à soudoyer, à corrompre les gardiens allemands - c’est qu’eux aussi avaient faim, eux aussi avaient soif et appréciaient pleinement 500 gr de tabac ou une bonne bouteille de genièvre hollandais - fussent-ils trafiqués - et, évidemment, quelques dizaines ou centaines de marks ! Or, parfois, ces affaires de pot-de-vin se terminaient mal, surtout lorsque les supérieurs de certains soldats des compagnies Landsturm devenaient trop suspicieux, ou, tout simplement, lorsque les Allemands ne tenaient pas leur parole !

Au début de la guerre, les passeurs ou contrebandiers - surtout lorsqu’ils étaient seuls - essayaient de creuser une petite fosse ou tranchée sous le fil inférieur. Evidemment, il fallait toujours faire vite, car les patrouilles allemandes passaient à des intervalles réguliers !


Fuite, arrestation et exécution - (Archives de Mme Eyckens-Wouters, Arendonk) (photo Prof. Dr. A. Vanneste)

D’autres se servaient d’une simple échelle placée contre un des poteaux de la clôture, ce qui leur permettait de franchir celle-ci - non sons danger, car ils couraient toujours le risque qu’en montant sur l’échelle ou en sautant de celle-ci, ils touchent les fils électrisés, ils se blessent ou fassent trop de bruit ! Certains se servaient d’une échelle double et comptaient sur l’aide “de l’autre côté” - une seconde échelle : une planche était alors placée au sommet des deux échelles, ce qui permettait de “marcher” vers le bon côté de la clôture ou même de glisser d’importantes quantités de marchandises d’un côté à l’autre.

Une méthode assez intelligente consistait à se servir d’un panier dont on avait enlevé le fond ou d’un tonneau dont on avait enlevé le dessus et le dessous ; le tonneau était placé entre le sol et le fil inférieur, ou entre deux autres fils, ce qui permettait à un homme de passer à travers. Il ne faut cependant pas oublier que se promener avec un tonneau le soir, pendant la nuit ou la journée, avec une échelle ou un panier, pouvait sembler suspect ; les Allemands n’hésitant évidemment pas à demander des explications ! En outre, il fallait toujours faire très vite.

D’autres sautaient tout simplement au-dessus de la barrière avec une perche - faisant donc du saut à la perche !

Certains passeurs enveloppaient les fils d’une couverture en laine, celle-ci étant isolante et permettant de passer entre les fils sans se faire électrocuter. Evidemment, il fallait faire garde et ne pas se promener avec les couvertures par temps de pluie...

A partir du moment où les passeurs étaient mieux informés sur le fonctionnement de l’électricité et les dangers de l’électrocution, plus particulièrement grâce aux services d’intelligence interalliés, ils plaçaient parfois un seau d’eau de chaque côté de la barrière (avec de l’assistance “de l’autre côté”), ils jetaient un fil en cuivre au-dessus de la clôture et trempaient les deux bouts des fils dans les seaux!  Ceci provoquait un court-circuit, ce qui permettait de franchir la clôture sans danger – vite, évidemment, car dans leurs postes de contrôle, les gardes allemands voyaient immédiatement ce qui se passait et où la clôture était sabotée - les Allemands envoyaient alors immédiatement quelques hommes vers l’endroit suspect. 

Après que les passeurs avaient appris que la porcelaine était également un isolateur, il plaçaient parfois une table devant les fils - les pieds de la table se trouvant dans des petits pots en porcelaine - et grimpaient entre les fils.

Or, la méthode la plus souvent pratiquée, c’était celle d’un cadre pliant en bois, serré entre deux fils et à travers l’ouverture duquel les passeurs ou les réfugiés passaient. Les passeurs s’étaient exercés à cette pratique relativement difficile - l’expérience démontre, en effet, que ce n’était tout de même pas si facile que ça !

Vers la fin de la guerre, les Anglais fournissaient aux passeurs des bottes, des chaussettes, des petits tapis et des gants en caoutchouc, pour qu’ils puissent aisément franchir la clôture sans se faire électrocuter. 

Toujours vers la fin de la guerre, les Anglais ont également procuré aux passeurs de gigantesques cisailles isolées avec lesquelles ils pouvaient tout simplement couper les fils.

Ainsi, les services locaux d’espionnage, bien approvisionnés en matériel et bien organisés avec l’aide des services d’intelligence interalliés aux Pays-Bas, pouvaient continuer à faire leur travail. Pratiquement n’importe qui pouvaient faire partie d’un pareil réseau local : des médecins et des vétérinaires, des enseignants, des religieux, des marchands et des commerçants, des artisans, des maires et leurs conseillers, de simples citoyens, hommes aussi bien que femmes, même des enfants... 

Les espions (ou observateurs) au front et dans les territoires occupés observaient scrupuleusement et notaient tous les faits saillants, toutes les informations potentiellement importantes, surtout les déplacements de troupes allemandes. Ces informations étaient alors encodées et acheminées par un ou plusieurs courriers vers des points centraux, d’où ils étaient apportés - par d’autres collaborateurs - vers la zone frontalière. Les agents, passeurs ou espions s’occupaient alors du reste : franchir la clôture et délivrer les messages à des agents belges résidant en Hollande, près de la frontière. Ces agents étaient d’ailleurs généralement d’anciens espions ou des personnes suspectes aux yeux de l’occupant, qui avaient quitté la Belgique. Ceux-ci transmettaient alors les messages aux services d’intelligence. La plupart des rapports étaient “passés” par des passeurs. Parfois des braconniers spécialisés, mais également de courageux citoyens de tout ordre, pouvaient franchir la frontière par les portes entre la Belgique et les Pays-Bas. Pendant la guerre, ces mêmes passeurs passaient des réfugiés et des volontaires de guerre en Hollande, malgré les menaces des Allemands et en dépit de l’immense danger que provoquait la clôture. Ils apportaient aussi de la nourriture et toutes sortes de produits en Belgique et s’occupaient plus d’une fois du courrier clandestin - dans les deux directions.

Des estimations prudentes nous permettent d’affirmer qu’entre le printemps de 1915 et la fin de la guerre, au moins quelque 25.000 personnes ont franchi la clôture électrisée – dont un grand nombre de courageux ont continué leur dangereux voyage jusqu’au front de l’Yser, plus d’une fois pour ne plus jamais en revenir... 


Une baraque le long de la clôture, faisant également fonction de guérite (photo Prof. Dr A. Vanneste)

L’absurdité organisée...

Aux yeux de l’état-major allemand, la construction d’une barrière électrique le long de la frontière belgo-hollandaise avait un objectif clair : réduire sensiblement toutes les activités suspectes le long de la frontière. Ont-ils réussi ?  Tantôt oui, tantôt non - à cette question, on pourrait donc donner ce qu’on appelle une réponse de Normand : p’têt bien qu’oui, p’têt bien qu’non. 

Evidemment que ça marchait, car la clôture rendait de plus en plus difficiles les activités des services d’intelligence, des espions, des passeurs et des braconniers. Evidemment que ça marchait – du moins dans la perspective de l’occupant - parce que la barrière a causé de nombreux blessés et morts. 

Mais, d’autre part, ça ne marchait pas ! Tout simplement parce qu’il était clair que ces mêmes services d’intelligence, les espions, les passeurs et les braconniers, trouvaient de plus en plus de techniques pour attaquer et pour vaincre la clôture. Evidemment que ça ne marchait pas parce la frontière a été franchie des milliers de fois. Evidemment, ça ne marchait pas, parce que nous connaissons maintenant l’issue de la guerre...

Immédiatement après le 11 novembre, la haie a été détruite, partiellement à l’initiative des agriculteurs qui voulaient se servir des poteaux et des fils pour faire des clôtures autour de leurs prés, et partiellement à l’initiative des autorités locales qui coordonnaient la démolition de la clôture et qui revendaient les poteaux et les fils !

Les baraques le long de la clôture ont également été démantelées. De nos jours, il ne reste plus que quelques rares traces des ardoises des baraques, des fragments des isolateurs aux poteaux, par-ci par-là quelques trous de balles dans un poteau oublié, quelques sentiers faits par les patrouilles Allemandes le long de la clôture - et, finalement, un seul monument (dans les Fourons) commémorant tous ces citoyens courageux ayant risqué leur vie à plusieurs reprises - ou l’ayant tout simplement perdue ! - pour passer leurs concitoyens en Hollande, pour frauder un jambon ou du pain pour certains de leurs compatriotes pauvres, pour passer quelques lettres au-delà de la frontière pour qu’une femme seule ou un soldat au front puissent trouver quelque chaleur pendant un bref moment... 

Depuis quelques années il existe des reconstructions partielles de la haie électrique, notamment à Hamont-Achel et à Molenbeersel/Kinrooi (Limbourg), à Essen et à Zondereigen, un hameau de Bar-le-Duc (Province d’Anvers).


 

 


Le Prof. dr Vanneste est professeur émérite à la Universiteit Antwerpen (Faculté de Lettres & Philosophie, Département de Linguistique) et président honoraire du Conseil d’administration de la Universiteit Antwerpen. 

BIBLIOGRAPHIE des publications du Prof. dr A. Vanneste sur la clôture électrique

De elektrische draadversperring tussen België en Nederland tijdens de Eerste Wereldoorlog in Merckenswaert, Jaarboek Weerderheem Valkenswaard, Valkenswaard, 1994, 169-192.

De Eerste Wereldoorlog: méér dan de IJzer alleen, Ten Geleide in VANDEN BOER A. & Al., Vier jaar lang onder het juk van Duitse pinhelmen. Lommel tijdens de Eerste Wereldoorlog (1914-1918), Lommel, V.Z.W. Museum Kempenland, 1994, pp. 11-18 (Publicaties van de v.z.w. Museum Kempenland, nr. 12)

Een wereldoorlog teistert Limburg en de Limburgers in VERHELST R. & R. VAN LAERE, De Eerste Wereldoorlog in Limburg. Verslagen, Hasselt, Provincie Limburg, Culturele Aangelegenheden, 1997 (Limburgse Studiën 1.8), pp. 9-21.

Kroniek van een dorp in oorlog: Neerpelt 1914-1918.  Het dagelijks leven, de spionage en de elektrische draadversperring aan de Belgisch-Nederlandse grens, Antwerpen, Uitgeverij Universitas, 2 delen, 1998, 723 pp.

Een draad aan de grens in Uit Eijsdens Verleden, 83 (1999), 99. 21-29.

Het eerste IJzeren gordijn?  De elektrische draadversperring aan de Belgisch-Nederlandse grens tijdens de Eerste Wereldoorlog in Het Tijdschrift van Dexia Bank, 54 (2000) 4, 39-82.

Le premier Rideau de fer?  La clôture électrique à la frontière belgo-hollandaise pendant la Première Guerre mondiale in Bulletin de Dexia Banque, 54 (2000) 4, 39-82.

De dodendraad in het Land van Beveren tijdens de Eerste Wereldoorlog (1) in Het Land van Beveren, XLV (2002) 3, 119-142; 4, 167-185.

Een door de traditionele geschiedschrijving vergeten feit uit WO I: De elektrische draadversperring aan de Belgisch-Nederlandse grens in Jaarboek 2002 Heemkundige Kring Oud Wachtebeke, Sint-Kruis-Winkel, pp. 57-184.

Une clôture électrifiée à la frontière belgo-hollandaise pendant la Première Guerre mondiale in La Grande Guerre. Magazine (Revue de l’association nationale 1914-1918, Louviers - France), 40 (2003) 26-36.

Une clôture électrifiée à la frontière belgo-hollandaise pendant la Première Guerre mondiale 3, in La Grande Guerre. Magazine (Revue de l’association nationale 1914-1918, Louviers - France), 42 (2004) 26-33.

De Doodendraad.  De elektrische draadversperring aan de Oost- en Zeeuws-Vlaamse grens tijdens de Eerste Wereldoorlog, Gent, Provincie Oost-Vlaanderen, 2013, 127 pp.

Autres références

BARE P. & N. CLOSE, Le fil rouge - Une barricade électrisée édifiée par l’ennemi à la frontière belgo-néerlandaise dès 1915, Pierre Baré, Nicole Close, éditeurs, 2008.

BRUGMANS H., Geschiedenis van de wereldoorlog 1914-1918, Amsterdam, Scheltens & Giltay, s.d.

JANSSEN H. (red.), Hoogspanning aan de Belgisch-Nederlandse grens.  De Eerste Wereldoorlog aan de rijksgrens met Baarle, Baarle-Hertog-Nassau, Heemkundekring Amalia van Solms, 2013.

LOMBARD L., Zone de mort, Stavelot, Editions Vox Patris, s.d.

WATERSCHOOT E., De Duitschers in de Kempen, Turnhout, L. & A. Waterschoot Gebr., s.d.



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