Médecins de la Grande Guerre

L'aventure historique d'un tambour anglais. (Jean de Tender)

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L'aventure historique d'un tambour anglais.

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Drummer Smith With the Mons Drum

Remise de la copie du tambour anglais à Madame Chanoine. (collection Pierre de Tender)

Le tambour a été photographié de façon à montrer les inscriptions. (photos Pierre de Tender)









HISTORICAL RECORDS

Par Jean de Tender.

Au mois d'août 1914 les Anglais livrèrent contre les Allemands la bataille de Mons qui se termina par la défaite des alliés, malgré l'apparition des anges dans le ciel.

A Wasmes, dans le Borinage, le docteur Chanoine hébergea et soigna quelques temps des blessés des deux armées qui furent bientôt repris par l'autorité occupante. Quelques jours plus tard se présenta chez le docteur un homme porteur d'un tambour abandonné par une unité anglaise suite à la défaite subie dans la région. Cet homme était embarrassé par sa trouvaille et le docteur décida de s'en charger. Il fallait évidemment cacher ce trophée qui, pour les Allemands aurait constitué une prise de guerre. C'est ainsi que le glorieux instrument de la musique régimentaire trouva asile dans un carton à chapeau abandonné parmi les vieilleries que l'on trouve dans tous les greniers. On peut se faire une idée de la dimension des chapeaux de l'époque quand on sait que ce tambour mesurait 38 cm de diamètre et 41 cm de haut.


Drummer Smith With the Mons Drum


Le docteur Chanoine étant décédé pendant la guerre, ce furent alors sa veuve et ses filles qui durent se débrouiller devant les Allemands et leurs réquisitions, comme par exemple les matelas de laine. Ils voulurent même s'emparer des deux noyers du jardin pour faire des crosses de fusil, mais là, ils renoncèrent. Le tambour était toujours au grenier et se faisait presque oublier jusqu'au jour où les Allemands ordonnèrent la réquisition de tous les cuivres et autres métaux utiles pour l'industrie de l'armement.

Les belges étaient horrifiés à l'idée que tout ce cuivre qui leur serait volé servirait à fabriquer les projectiles destinés à tuer leurs soldats. Tous ceux qui en avaient la possibilité firent des cachettes pour dissimuler leurs métaux. Chez les Chanoine on démonta tout ce qu'on put : lustres, grilles de radiateurs, poignées de porte et espagnolettes de fenêtre qui allèrent rejoindre les chandeliers, bronze d'ornement et marmites à confiture. La première cachette à laquelle on songe est le trou dans la terre, mais cela n'est pas tout à fait facile. Il faut pouvoir creuser à l'abri des regards, ne pas mélanger des couches de terre de couleurs différentes, rétablir la végétation ou un revêtement en dur sans laisser de traces. Il était recommandé aussi de creuser en oblique pour que les sondages verticaux ne soient pas à craindre. On cherchait donc aussi d'autres solutions. Le vin était déjà dans la citerne, recouvert d'eau. La place étant prise, on songea alors aux ressources présentées par les caves. La maison avait la particularité d'être constituée de deux parties d'âges très différents. La première avait été construite dix ans avant la guerre, l'autre avait au moins un siècle de plus. Naturellement les deux parties avaient été adroitement raccordées, mais, pour ce qui concerne les caves, il en était résulté un plan assez labyrinthique.

On consulta Julius, un maçon habile, débrouillard et patriote en qui on pouvait avoir une confiance absolue. Il avait travaillé à la construction de la maison et avait continué à s'y intéresser. Il était de bon conseil. Après examen, il conclut que l'on pouvait utiliser un redan devant lequel on construirait un mur, ce qui formerait une bonne cachette. Ainsi fut fait; on entassa dans cette cachette tous les objets en métal que les Allemands recherchaient et on y ajouta le tambour de l'armée anglaise, toujours dans son carton à chapeau, mais qui n'était évidemment plus en sûreté au grenier dès le moment où il fallait s'attendre à ce que l'occupant se mette à fouiller la maison. Dans la cave, on termina le mur à l'alignement des autres et on veilla à lui donner un aspect qui ne permette pas de le distinguer des autres constructions. On y fixa des planches formant étagère chargée de pots de confitures et ustensiles divers.

Lorsque vint le jour de livrer les cuivres réquisitionnés les Allemands furent bien déçus par les quelques brimborions qu'on leur présentait. Ils ne se laissèrent pas convaincre par les protestations de la famille qui affirmait n'avoir jamais possédé d'autres cuivres que ce qui leur était offert. Ils envoyèrent les gendarmes allemands qui fouillèrent la maison sans succès. Avec des barres de fer ils sondèrent le jardin et ravagèrent le potager. Par la fenêtre, à la dérobée, les filles du docteur les observaient et, confiantes dans l'inviolabilité de leur cachette, s'esclaffaient: " Voilà comment les boches font la soupe à présent".

Les occupants ne s'estimèrent pas encore vaincus et revinrent avec un géomètre ou un architecte allemand qui remesura tout, fit ses calculs et finit par décréter: "Il faut démolir ce mur derrière l'étagère".

Les filles du docteur, qui avaient une très bonne connaissance de l'allemand et savaient même mentir dans cette langue furent réquisitionnées pour débarrasser l'étagère, et durent bien s'exécuter, assistant, consternées à la catastrophe prévisible. Le mur fut démoli et apparut enfin, à la désolation des unes et au triomphe des autres, un beau petit trésor de cuivres et ... un carton à chapeau.

Les Allemands avaient mission de rapporter du cuivre, ils s'intéressèrent donc au cuivre. Foin des frivolités. Saisissant alors le moment opportun, Hélène, la quatrième des filles, s'empara du carton à chapeau dédaigné, et avec un parfait sang-froid quitta la cave avec son butin. En s'éloignant, elle entendit clairement un Allemand ricaner derrière elle et proférer avec mépris: "Elles cachent même des chapeaux !".

Le tambour, blotti dans son carton, retrouva sa place parmi les vieilleries du grenier.

1918. Ce furent les troupes anglaises qui libérèrent Mons et le Borinage et le général commandant la 118ième  brigade avec les officiers de son état-major vint s'établir  dans la maison des dames Chanoine. Accueillis en libérateurs ils furent évidement les grands bienvenus et ce fut avec fierté qu'on leur montra le fameux tambour. Les officiers anglais furent enthousiasmés de retrouver ce trophée et expliquèrent que pour les militaires le tambour avait une valeur de symbole comparable même en quelque sorte à celle du drapeau.

Le tambour n'avait été préservé que dans l'espoir d'être restitué un jour à l'armée anglaise revenant victorieuse en Belgique et c'est bien ainsi que cela se passa. Le tambour fut remis au quartier général de la 50ième  division. Ce fut malgré tout avec un petit pincement au cœur que l'on se sépara de ce magnifique souvenir.

Les Anglais ne furent pas ingrats. Le major-général Jakson commandant la 50ième division adressa à Madame Chanoine et à ses filles une lettre de remerciements pour avoir conservé le tambour de 1914 à janvier 1919.

A ces remerciements était joint un authentique tambour neuf, représentation fidèle du trophée retrouvé. Il y était apposé une plaquette en cuivre sur laquelle est gravé le texte suivant:

PRESENTED TO

MADAME CHANOINE

AS TOKEN OF GRATITUDE

FROM THE OFFICERS, BEDFORDSHIRE REGt

FOR THE CARE WITCH WICH SHE KEPT

ONE OF THE DRUMS OF THE REGIMENT

FROM AUGUSTUS 1914 TO JANUARY 1919.

 

Une photo pâlie rappelle la remise du tambour qui lui-même reste un magnifique souvenir aujourd'hui conservé à une place d'honneur chez le plus jeune des petits-fils du docteur et de Madame Chanoine.


Remise de la copie du tambour anglais à Madame Chanoine. (collection Pierre de Tender)

 

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Sur le tambour, entourant le LION et la LICORNE, on peut lire les inscriptions suivantes:

 

1st BATTN THE BEDFORDSHIRE RGT

 

         NAMUR 1695                                                               BLENHEIM

         RAMILLIES                                                                 OUDENAARDE

         MALPLAQUET                                                            SURINAM

         CHITRAL                                                                    S. AFRICA 1900-02

 

HONNI SOIT QUI MAL Y PENSE

DIEU ET MON DROIT

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