Médecins de la Grande Guerre

Le Père Brottier, l’aumônier « verni » : en tête dans les vagues d'assaut pour rester avec ses ouailles !

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Le Père Brottier, l’aumônier « verni » : en tête dans les vagues d'assaut pour rester avec ses ouailles !

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Esquise pour un portrait

Le regard du père Brottier

Pendant la guerre, son nom avait dépassé les limites de la 26ème division

Père Brottier à cheval

En route pour la ligne de feu : 1-Paris, 2-Gray, 3-Rambervilliers, 4-Montataire, 5-Lassigny, 6-Guiscard, 7-Cassel, 8-Poperinghe, 9-Ypres, 10-Guerbigny, 11-Arvilliers, 12-Montdidier, 13-Crèvecœur, 14-Montfaucon, 15-Compiègne, 16-Lihons, 17-Vavincourt, 18-Noyon, 19-Saint-Quentin, 20-Cote 304, 21-Clermont-en-Argonne, 22-Fort-de-Vaux, 23-Bar-le-Duc, 24-Bois des Causes, 25-Wawrille, 26-Verdun, 27-Nancy, 28-Metz, 29-Mainz

Réconfort à un blessé avant son transport

Après la victoire du 11 novembre

Le rosier de France

La mort du père Brottier

Le Père Brottier, l’aumônier « verni »: en tête dans les vagues d'assaut  pour rester avec ses ouailles[1] !

Le missionnaire à Dakar                                                   

Daniel Brottier, né le 7 septembre  1876 à  la Ferté-Saint-Cyr, en Sologne était un fameux   gaillard  dont on se souvenait facilement: un physique d'athlète avec un regard d'une étonnante intensité qui ne laissait personne indifférent ! Cet homme, malgré son apparence  avait une santé délicate ! Pendant sa jeunesse, il souffrit très fort  de maux de tête violents  dont rien ne semblait venir à bout. Malgré ce handicap, Daniel Brottier  avait décidé de partir en Afrique comme  missionnaire. Il  réalisa son rêve et  débarqua  au Sénégal le 26 novembre 1903.  Comme il pouvait s’y attendre, sa santé fut mise à rude épreuve  par le climat africain. Malaria et insolation  l’affectèrent à plusieurs reprises et  en  1906, le Père Brottier épuisé est  renvoyé en France pour se  rétablir. En 1911, il subit un rapatriement définitif pour raisons médicales ! L'apostolat africain du Père Brottier se terminait précocement!  Le missionnaire à la barbe impressionnante  pouvait cependant être fier de l'œuvre réalisée à Dakar pendant 8 ans !  Merveilleux animateur,  il avait récolté un vaste auditoire en attirant ses ouailles par la qualité de ses sermons et  de ses conférences ou par le répertoire de  la fanfare qu’il avait créée et qu’il animait ! Son patronage attira une multitude d’enfants tandis que son ouvroir fut une aubaine pour nombre de  femmes africaines ! Le Père Brottier aimait son sacerdoce au service des Africains et pour comprendre la culture indigène, il  se mit à l’apprentissage de la langue  Ouolof. Malgré son emploi de temps fort chargé, le Père Brottier se réservait des heures de loisirs dans son jardin et c’est ainsi qu’il devint un  spécialiste de la mangue et …du rosier….  Bien entendu, toutes ses activités missionnaires nécessitaient des fonds. Le Père Brottier se révéla à ce sujet un  véritable manager, spécialiste en communication. La multitude d'articles qu'il écrivit pour faire rentrer de l'argent dans les caisses de sa mission en témoigna ! 

L'infatigable pionnier était guidé par un grand idéal qu'il résumait ainsi lui-même :

"Servir, c'est n'être plus soi

C'est n'être plus à soi

C'est n'avoir presque plus de droits

C'est n'avoir que des devoirs…"

Le bâtisseur de cathédrale

Rentré en France pour raisons de santé, le Père Brottier va en quelque sorte continuer son activité missionnaire puisqu'il  accepte de devenir le principal artisan  du « Souvenir Africain ». Cette organisation avait  pour but  de construire à Dakar une cathédrale digne de ce nom, une cathédrale en mémoire des pionniers  blancs mais aussi en mémoire des Africains morts pour la France  (on se souviendra des 300.000 tirailleurs africains venus combattre sur le front de France !). On connaissait  les talents d'administrateur du Père Brottier dans sa mission  et ceux qui le convainquirent  d'accepter d’administrer le « Souvenir africain »  ne le regrettèrent pas ! Avec ses sermons, ses articles, le Père Brottier battit magnifiquement   le rappel de l'âme nationale. Des publicités furent en même temps lancées aux quatre coins du pays: lettres, circulaires, cartes postales signés de sa main… Humbles coups de pioches, minuscules pierres de cathédrale à 50 centimes, tous les moyens sont employés  jusqu’à  la création d’un  comité d'honneur et de propagande composé de notables !  Avec pareille stratégie, le succès est garanti  et finalement, du Pas-de-Calais au golfe de Guinée, ce sont  200.000 bienfaiteurs qui, sous son impulsion, vont rassembler 7 millions de francs!  En l'an 1923, le 11 novembre, c'est la pose de la première pierre de la cathédrale et le 2 février 1936, son inauguration.  Le père Bottier n'obtiendra  hélas pas l'autorisation de son médecin de voyager pour se rendre à Dakar afin d’assister  à la cérémonie prestigieuse de l’inauguration.  Mais on  lui raconta  certainement  son déroulement dans tous ses détails et particulièrement le moment précis  où: devant toute la population de Dakar,  le Cardinal légat du pape, revêtu de la capa magna de moire écarlate avait frappé de la crosse le portail d'acajou  de la cathédrale qui s'ouvrit en  majesté en même temps que les Spahis mettaient le sabre au clair et qu’une escadrille survolait le lieu sacré !

L’intrépide aumônier de guerre


Père Brottier à cheval

Mais revenons  22 ans auparavant quand la  terrible première guerre mondiale éclata.  En août 1914, à la Maison des Pères du Saint Esprit rue Lhomond, on lança  l’idée de la création d'un corps d'aumônier volant destiné au front. Le Père Brottier s'engage immédiatement et le 26 août  s'embarqua en gare de l'est avec les soldats en partance pour la Lorraine. Pas à pas, de Carlepont aux marais de Vlamertingue, du bois d'Avocourt au bois triangulaire, de Moulins-sous-tous-vents aux massifs de Wavrille, le Père Brotier va affronter mille morts à la recherche des  blessés où en s’élançant hors de la tranchée dans les vagues d’assaut  pour ne pas abandonner « ses »  Poilus !  Et comme si cela ne suffisait pas, le brave aumônier ne voulait quitter le front !  En effet, quand le régiment descendait au repos, lui restait en première ligne : c'est ainsi que les compagnies se relevant les unes après les autres, se passaient leur aumônier !

Un parcours de combattant !

1914 : 26 août : départ de la gare de l’Est

           30 août : incorporation à la 26e divission d’infanterie

           17-25 septembre, bataille de la Somme

           13-30 novembre, bataille d’Ypres

1915 : guerre de tranchées sur la Somme

1916 : 9-26 mars, bataille de Verdun

           5 mai, citation à l’ordre de l’Armée. Chevalier de la Légion d’honneur

           16 mai : seconde citation à l’ordre de l’Armée

           Avril-juin, guerre de position en forêt de Compiègne

           15 juillet-28novembre, bataille de la Somme

            4-6septembre, prise du bois triangulaire

            26 novembre, citation à l’ordre de la Division

            Décembre, guerre de tranchées dans l’Oise

1917 : Janvier, février, mars, guerre de tranchées dans l’Oise (suite)

            18 mars, libération de Noyon

            17 mai, citation à l’ordre du 105e R.I

            20-24 août, Verdun : les grandes attaques, côte 304

            15 novembre, citation à l’Ordre du 121e R.I.

             Décembre, guerre de position sur l’Argonne

             Rencontre avec Clemenceau et création de l’U.N.C.

1918 : 3 février-13 avril, Verdun, secteur de Bezonceaux et Douaumont

           30 mai au 4 juin, chemin des Dames et village de Troesnes

           29 juin, citation à l’ordre de l’Armée

           Juin-octobre, Verdun, front de la Wavrille et bois des Caures

           3 novembre, regroupement autour de Nancy

           11 novembre, armistice : Te deum à Maron (Moselle)

           19 novembre, entrée victorieuse à Metz devant Pétain

1919 : Entrée en Allemagne, occupation de la Rhénanie

           20 mai, relève, le Père Brottier est rayé des cadres

           Développement de l’Union Nationale des Combattants

1933 : fait officier de la Légion d’honneur par le général Gouraud, gouverneur militaire de Paris.

Témoignage du Père Brottier, jamais blessé, jamais gazé et premier dans les vagues d’assaut !

« On m'appelait l'aumônier verni » raconta-t-il plus tard. Il est vrai que, souvent exposé, j'ai été préservé des pires dangers comme par miracle perpétuel. Mes habits ont été troués, déchirés, je n'ai jamais eu de vraies blessures. J'en étais devenu téméraire. J'ai fait en volontaire des missions périlleuses  auprès des blessés et des mourants, empêchant les autres d'y aller parce qu'ils risquaient leur vie, tandis que j'étais sûr d'en revenir !

C'est que le rôle de l'aumônier, d'infanterie, surtout, requiert, s'il veut être à la hauteur de sa tâche une abnégation et une bravoure surhumaines. Et non seulement cela, mais une force physique de beaucoup au-dessus de la moyenne. S'il fallait recommencer ce que j'ai fait à Verdun et dans la Somme, je ne pourrais plus. Je ne pourrais plus porter des blessés sur mon dos, demeurer des nuits et des journées entières dans les trous d'obus, sous des bombardements insensés, sourire et plaisanter lorsqu'on se sent abruti par le froid, par la fatigue, par le sommeil, par la peur. Non, voyez-vous, tout cela, c'est quelque chose de surhumain, avouait-il.

Je sais bien, il eut des aumôniers qui se contentaient d'être les amis des officiers, qui fréquentaient leurs popotes, et qu'on ne voyait jamais là où ça tapait dur. Tout cela est humain hélas ! Mais voyez-vous, l'aumônier qui veut rester avec le poilu, qui veut vivre la vie du fantassin des premières lignes, partager son existence, ses privations, ses dangers, et bien, c'est celui-là qui est le véritable aumônier et non celui qui reste dans un  l'hôpital de l'arrière… Car ce n'est pas par des phrases que l'on gagne les autres, mais bien par des actes.

Dans les tranchées pendant les heures de repos, je ne parlais pas de religion avec mes hommes : j'essayais de les mettre à l'aise et en confiance. Avec cela, nous devenions camarades. Ensuite, quand l'heure sonnait pour l'assaut je partais le premier en tête et je les entendais murmurer : « Il n'a pas peur le curé ». Et bien, croyez-moi, quand ils me voyaient partir en avant d'eux, et les entrainer, c'était le plus beau sermon que je pouvais leur faire et j’étais sûr de les avoir tous à la messe le lendemain… »

Ainsi était le Père Brottier, l'aumônier du 105e et 121e régiment d'infanterie de la 26e Division, dans les batailles de l'Yser, de Verdun, de la Somme, de l'Argonne et du chemin des dames au cours de ces quatre années de guerre ! En vérité, un homme extraordinaire !

le Père Brottier  monta quatre fois à Verdun…

« Dans ses boyaux où l'eau suinte de partout, dans ces tranchées transformées en rivières, depuis longtemps, on ne s'est pas déchaussé. Les pieds sont lacéré dans la boue, dans la neige, et sont meurtris; la chaussure mouillée comprime douloureusement les chairs; on marche sur des épingles… jamais je n'ai tant souffert. »

Un soldat témoigne sur le Père Brottier à Verdun :

« La soif fait souffrir les poilus ; l'aumônier comprend que sa tâche est de leur trouver de l'eau à tout prix et le voilà décidé, lui qui connaît tous les recoins de ce gigantesque champ de bataille, à quitter une belle nuit les premières lignes pour aller à l'arrière retrouver une source qu'il avait repérée. Le chemin est relativement court, mais la violence des bombardements est telle que l'aller et le retour ne sont qu'une longue marche à 4 pattes. Dans quel état revient, après plus de six heures notre glorieux porteur d'eau ? Mais pas un bidon ne manque à l'appel, pas un non plus est vide. Je vous laisse penser l'accueil que reçut notre aumônier, lorsqu'il rejoignit nos lignes », dira un témoin.

Le père Brottier  le premier dans les tranchées ennemies !

« Il est absolument vrai aussi, dira aussi le témoin,  que le Père Brottier connut ces assauts furieux de l'ennemi décidé à tout et que serrés les uns contre les autres autour de lui, nos poilus qui allaient se lancer à la contre-attaque, se sentaient protégés par sa présence: « Près de vous, Monsieur l'aumônier, on est comme sous une aile. » C'est ainsi qu'il aimait plus tard à raconter, non sans beaucoup d'humour ce dialogue qu’il entendit  entre poilus dans un trou d'obus »:

« Ah, si nous étions aumôniers, nous ne serions pas ici, maugréait un poilu. Ils ne partent jamais avec la première vague. Pas vrai, répliqua un autre poilu, le nôtre, celui du 121, ne nous laisse jamais partir tout seuls, il est toujours avec nous. Je te dis qu'il est derrière et qu'il ne viendra pas, reprit le premier.

« Je jugeai alors, précisai le Père, que le moment était venu de me montrer : me levant, je sautai dans leur trou, j'abordai paisiblement ces hommes qui allaient risque leur vie, et leur offris des cigarettes. Inutile de vois dire que je fus bien accueilli, et que la conversation s'orienta le plus naturellement du monde sur un autre terrain. Quelques minutes après nous partions en avant, et je mis le premier le pied dans la tranchée ennemie… »

Le père Brottier courageux brancardier


Réconfort à un blessé avant son transport

Absolument vrai aussi que le 21 août 1917, un officier français, grièvement blessé, est resté entre les lignes, dans ce no man’s land, où les mitrailleuses ennemies tirent comme au champ de foire, et où s'aventurer en plein jour équivaut à une mort certaine. Mais qu'à cela ne tienne ! Le Père Brottier connaît cet officier et veut à tout prix aller le chercher : avec une tranquille audace, il attache le drapeau de la Croix-Rouge à un long bâton et, accompagné de deux hommes portant le brancard, il s'avance à découvert jusqu'au blessé, le panse, le charge sur le brancard, et le ramène dans nos lignes. Pendant ce temps les mitrailleuses ennemies ont cessé leur tir : pas un coup de feu du côté allemand. Les poilus français restent ahuris : ahuris du toupet de l'aumônier, ahuris du silence respectueux de l'ennemi !

La croix de l'aumônier

Depuis toujours, le Père Brottier souffrait d’une  répugnance instinctive pour les mourants et pour les morts. « Mais dit-il j'en ai tant  enseveli, de pauvres soldats, que vous pouvez tous mourir ; je vous fermerai les yeux, je vous déposerai dans votre cercueil, sans crainte comme sans embarras ! Oui maintenant c'est fini, je suis aguerri pour toujours ! » Confiera-t-il à ses proches !

« Gardez-la bien, gardez-la précieusement,

Car elle a été mon témoin muet pendant toute la guerre.

Sur cette croix,

Combien de lèvres de mourants se sont collées!

Elle a reçu le dernier soupir de tant de petits soldats,

Elle a touché tant de pauvres poitrines trouées,

Labourées, déchiquetées!

Et je puis dire que si le cordon de cette croix

Pouvait exprimer tout le sang dont il a été imbibé,

L'eau dans laquelle on le tremperait

En deviendrait toute rouge. »

Lettre à une veuve

« Nous avons quitté la somme. J'ai voulu, avant de partir, aller faire une dernière prière sur la tombe aimée ! Que de fois ma pensée est allée vers vous pendant ces semaines où je sentais votre cœur en proie à une torture trop compréhensible. Ne vous inquiétez pas, votre pensée l'a accompagnée jusqu'au bout, et dieu sait la souffrance que lui-même a dû ressentir à ce moment là, de ne pouvoir, dans un dernier souffle, vous crier son amour !

Mais un tel silence persiste autour du cœur qui souffre, une telle émotion grandit à l'idée de tant d'espoirs anéantis, qu'il vous faut élever votre âme autrement ce serait trop dur. Tout repose sur la certitude du revoir: un jour la douleur doit finir, la séparation doit cesser ! C'est à cette lumière là que tout s'éclaircira pour vous. Rappelez-vous le temps où tout votre être se tendait vers le coin de terre, sur lequel nous combattions côte à côte : c'est là, soyez en sûr, que nous nous retrouverons en communion d'âmes avec votre cher disparu. »

Père Brottier

Lettre à une mère

« J'ai vu votre enfant pour la dernière fois le vendredi 17 août, nous avons dîné ensemble ; je l'avais à ma droite. Le bataillon montait en ligne. Le repas ne pas aussi gai que d'habitude, mais néanmoins, tout le monde faisait bonne contenance. Nous ne vouions, ni les uns ni les autres nous impressionner mutuellement. Devant partir d'un autre côté, je me séparai d'eux à la nuit tombante… Hélas ! Je n'ai pas revu votre cher enfant vivant. L'on m'a raconté qu'au moment de prendre position à l'endroit où il a été frappé, il a eu le pressentiment très net du danger. A un camarade qui lui conseillait d'attendre une accalmie, il répondit : « Non, il faut que j'y aille, c'est mon devoir »! «  La triste consolation m'a été donnée de lui dire adieu lorsque les brancardiers le portèrent au cimetière militaire, près de ses camarades tombés au champ d'honneur. Votre douleur est immense, Madame, et votre cœur saignera cruellement de cette séparation dont le temps ne fera qu'aviver la peine. Soyez fière, cependant, parce que votre enfant est mort de la mort des braves, son devoir accompli jusqu'au bout. »

Avril 15 sur la Somme

Les troupes qui occupent les tranchées depuis des mois s'ennuient.

« J'ai songé à la photographie, écrit-il ! On les photographierait non pas un soldat isolément mais une escouade, un bout de tranchée, une batterie et on enverrait cela à la famille : une photographie du front… »

Mars 16, Bois D’Avocourt : l’assaut inutile  annulé grâce au Père Brottier

Mars 1916, à l'orée du bois d'Avocourt, une unité reçoit l'ordre d'enlever des positions où l'ennemi bien retranché dans des abris aménagés fait des cartons… « Vous ne pouvez pas attaquer dans ces conditions reproche vivement le Père Brottier à un officier de l'état-major de la division. Ce serait criminel ! Et l'officier de répondre : « Mais ce sont les ordres ! S'il en est ainsi, s'écrie l'aumônier, puisque vous envoyez ces hommes à une mort certaine, partez le premier et je vous suis ; nous nous ferons tuer ensemble ; ce sera juste, et personne n'aura à redire ! » Et l'ordre fut donné de reprendre le bois d'Avocourt… « dès que les circonstances le permettront. »

Mai 18, le témoignage du sergent Bedu sur le chemin des Dames

Chemin des Dames, 27, 28, et 28 mai 18. Les Allemands lancent une offensive. Le 121e est jeté dans la bataille pour colmater la brèche. Pendant 4 jours Troesnes est encerclé, bombardé, mitraillé. Pendant 4 jours, le Père Brottier visite les avant-postes pour panser les blessés et encourager les combattants. Parmi ces derniers le sergent Dedu qui témoigne :

« D'une fenêtre de la mairie, où ma section avait une mitrailleuse braquée, je pouvais voir l'ennemi à moins de deux cents mètres, qui cherchait à nous encercler, et dont les feux prenaient en enfilade les rues du village. Les obus de 88 arrivaient par rafales, effondraient les maisons une à une et déchiquetaient nos abris. Nos postes avancés, dissimulés derrière les gros peupliers de la prairie, s'efforçaient de repousser les éléments d'assaut en de furieux corps à corps. A un certain moment, de mon poste d'observation, je vis sortir d'une des maisons emportées par les explosions, un être humain tout courbé et tassé. Stupeur… C'était une vieille femme, une pauvre petite vieille qui n'avait pas voulu fuir, ni voulu se décider à quitter son chez elle et ses souvenirs ! Par quel miracle n'avait-elle pas été écrasée sous les murs de sa propre demeure ? Elle était là, perdue au milieu de la rue, et elle marchait inconsciente en plein champ de tir allemand, sûre que d'un instant à l'autre, elle allait être fauchée par une rafale… quand, de derrière un gros arbre, sortit un homme en casque et  longue capote bleue, méprisant le danger, il s'avança vers la petite vieille, la prit par les épaules, et doucement l'entraina hors du champ de tir de l'ennemi. Or pendant tout ce temps, la mitrailleuse  ennemie, postée à moins de deux cents mètres, s'était tue : personne d'en face n'avait tiré un seul coup de fusil…

« Cet homme, sa grande barbe blanche me l'a fait reconnaître de suite : c'était notre cher aumônier, le Père Brottier !

Je ne conclus pas, car aujourd'hui encore, je ne peux dire ce qu'il y eût de plus poignant : De cet acte d'héroïsme  d'un aumônier militaire pour sauver une vieille femme… ou de ce fait inouï que, dans ce petit coin de la bataille, tous les tirs se soient arrêtés l'espace d'un instant : un acte parmi tant d'autres – ignorés ou oubliés – actes quasi journaliers que nous évoquions souvent entre nous, lorsque nous descendions des lignes ».

Dans cette bataille, le 121e  perdit 445 hommes mais le 121e  tint. Le 4 juin, l'allemand, saigné à blanc, se retire. Le Grand Quartier Général écrivit dans l'ordre du jour de l'armée :

« Daniel Brottier, aumônier légendaire, âme magnifique, où s'allient harmonieusement l'ardeur du soldat et le dévouement du prêtre ».

Le Père Brottier et l'ennemi

« Jusqu'au bout, le fantassin allemand se sera montré égal à lui-même, brave et méprisant la mort… »

Le 19 Novembre 18 : l'entrée triomphale dans Metz : Pétain salue le Père Brottier !

Les plus belles troupes sont invitées à l'honneur par le général Mangin ! « Vive nos libérateurs ! »  hurlent les Messins, et nos petits soldats sont couverts de fleurs et de baisers ! Au milieu d'eux, derrière le drapeau du 121e, et à deux pas du colonel, haute taille et allure martiale, défile le Père Brottier !

Pétain suit préside à cheval les cérémonies, l'a reconnu, se redresse, et le salue à l'épée, tandis que, fendant la foule, une humble lorraine vient jusqu'à lui, et baise en pleurant le bas de sa soutane encore toute jaunie de la boue des tranchées.

La souffrance physique du Père Brottier après la guerre

Après la guerre, et quatre années au front, sa santé sera encore plus altérée par la dysenterie rebelle et une diphtérie ! En 1917, il paraît un vieillard à barbe blanche  prenant dans son potage à midi jusqu'à 8 comprimés d'aspirine pour soulager ses rhumatismes !

Après la guerre, la direction de l’orphelinat de l’œuvre d’Auteuil


Le rosier de France

En 1919, après avoir participé à l'occupation du pays rhénan jusqu'au mois de mai 1919, il quitte l'armée et se consacre à l'Union Nationale des combattants. En 1923, il prend en charge comme directeur les orphelins  de l'œuvre d'Auteuil ! Les besoins sont énormes, l'orphelinat est trop petit pour satisfaire à toutes les demandes. Le Père organise à nouveau tout son réseau en vue de trouver des sous par de multiples activités dont un concert à Notre-Dame donné par Berlioz et 300 musiciens.

On reconnaît l'ancien aumônier militaire à son discours aux enfants :

« Défiez-vous de certaine vie facile, presqu'égoïste, où tout cous est procuré à souhait.

Devenir des hommes ; tel doit être votre idéal ; c'est si difficile et si nécessaire à la fois. Un homme, c'est celui qui, une fois pour toutes, s'est fixé un idéal et pour qui rien n'est trop ardu, pourvu que cela l'en rapproche. Un homme c'est celui qui sait ce qu'il veut et l'accomplit coûte que coûte ! Ne soyez pas ces ombres d'hommes qui vont au-devant d'eux-mêmes au hasard de la route, poussés par on ne sait quel destin mystérieux, tirés de-ci de-là par des puissances tyranniques qui les torturent et les détruisent peu à peu. Sachez ce que vous voulez, et quand vous le savez, agissez à plein rendement. Ne vous laissez pas décontenancer par les défections. Marchez quand même de l'avant, les blessés ne doivent pas retarder la marche de l'armée. Tenez bon ! Un cœur bien chevillé bat en vous. Ne vous laissez pas abattre : luttez comme des soldats. » Je voudrais, mes enfants, voir se lever parmi vous des corps francs, c'est-à-dire des équipes d'apprentis chrétiens, travailleurs et consciencieux, sans peur et sans reproche. »

1924 : lancement des premières souscriptions

1925 : inauguration de la chapelle

1926 : agrandissement des locaux et création de nouveaux ateliers

1927 : Création du journal "Le courrier des Orphelins apprentis d'Auteuil"

1928 : Institution du prêt d'honneur et ouverture de la salle de cinéma

1929 : Institution des petits commodards avocats de l'œuvre auprès de Dieu en1930 : ouverture de l'annexe de Vésinet

1931 : Ouverture de l'annexe de la motte-Grenet

1932 : Ouverture de Saint-Michel en Bretagne

1933 : Ouverture du « foyer à la Campagne » : cette œuvre permit l'envoi en cinq ans de 1.500 orphelins dans des familles à la campagne pour être formé au travail agricole. Pour célébrer la réussite de ce projet, le Père Brottier planta à Auteuil au cours d'une fête familiale en 1934 un rosier en garnissant ses racines de la terre recueillie aux quatre coins du pays par les enfants entrés au « foyer à la campagne ».

1934 : Ouverture des annexes de Malepeyre et restigné

1935 : Ouverture des annexes de Perpezac, Verneuil et Nice

1936 : Ouverture des annexes de Mengé et Nouans.

De 180, les orphelins recueillis vont passer  progressivement à 500, 800, et 1.400.

Chaque année, les orphelins d'Auteuil ont l'honneur de participer à Paris à la cérémonie sur la tombe du soldat inconnu.

Zidore, « Titi d'Auteuil » raconte :

« Depuis 9 heures du matin, l'œuvre d'Auteuil au complet est rangée sur le boulevard Haussmann. Nous formons une masse de 520 individus qui s'ébranle à 10 heures  Tout le monde marche au pas, avec un ensemble impressionnant, derrière notre clique de clairons et tambours qui électrise tout le monde sur son passage. Puis, viennent ensuite le drapeau et les aumôniers, encadrant le Père. Le public vibre, et à mesure qu'on approche de la concorde, une foule de cent mille personnes, massées sur les trottoirs, les balcons et dans les jardins, applaudissent sans fin, et ne cessent de crier : « Vive le Père Brottier ». C'est qu'il est connu dans tout Paris, le P. Brottier ! Et dès qu'il s'avance, le peuple le reconnaît à sa grande allure sacrée, à sa longue barbe blanche, à la troupe d'enfants qui le suivent, et aussitôt l'acclame. Les femmes lui jettent des fleurs, et les anciens Combattants le saluent en murmurant : « et dire qu'il ya des gens qui croient que la France est finie. »

La chapelle Sainte Thérèse

Fervent propagateur du culte à la petite Thérèse de Lisieux, le Père Brottier veut  mettre ses orphelins sous la protection de la petite sainte. Il décide de lui élever une chapelle et lance une souscription. Pour faire rentrer de l'argent rien ne le rebute pas même un affichage dans le métro. En quelques mois trois millions et demi de francs sont récoltés et trois ans après la chapelle est inaugurée !

Une confiance inébranlable en son pays

 En 1936, il souffre de voir un nouveau conflit se rapprocher et dira

« La guerre est inévitable et sera mondiale ! Oui, l'avenir est plein de menaces. La France est divisée ; la politique nous ronge  comme un cancer. Tout le génie de français ne semble tourné que vers ce qui les divise ! Tout cela est affreusement navrant; mais voyez-vous, quelques soient les apparences, je ne puis me défendre d'une espérance invincible : j'ai la foi en l'avenir de la France !

L'aumônier de guerre Daniel Brottier, qui n'hésitait pas à se lancer hors des tranchées en tête de la vague d'assaut,  mourut le 28 février 1936.

 

Dr Loodts P.

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] Source: cet article a été rédigé à partir du livre écrit par le Général Georges Grillot « Le Parcours du Combattant du Père Brottier. Dakar.Verdun. Auteuil ». Ce livre fut publié en 1990 et imprimé par l'atelier des Orphelins apprentis d'Auteuil, 40, rue de la Fontaine, 75016 Paris. Les photos reprises sur cet article proviennent aussi de ce livre

 



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