Médecins de la Grande Guerre

Le Dr R. De Beir, médecin au camp de Zeist. (Dr P.-B. Mattelaer)

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Le Dr R. De Beir, médecin au camp de Zeist. (Dr P.-B. Mattelaer)

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Le service médical du Camp de Zeist. Le Dr De Beir est assis à droite du tableau.

Vue du Camp de Zeist. Le Dr De Beir reçut quelques dessins du peintre Rik Wouters par reconnaissance pour les soins donnés et par amitié.

Lettre de Nel Wouters, veuve du peintre, au Dr De Beir, datée du 16 juillet 1916 pour le remercier de l’éloge funèbre, qu’il a prononcée au cimetière d’Amsterdam lors de l’enterrement du grand peintre.

Un peintre inconnu, nommé Pascal et élève de l’académie du « Village Albert » de Zeist,a peint ce magnifique portrait du Dr De Beir.

"Manuel du Brancardier" et "Eerste hulp bij Ongelukken" par le Dr De Beir à l’intention des brancardiers du front.

« Portrait cubiste de Frank De Beir », fils du docteur, par François Gos, peintre suisse, qui conçu les hauts-reliefs du Monument Belge.

Monument Belge sur les hauteurs d’Amersfoort. Ce grand mémorial fut conçu par Omer Buyse et construit par les ouvriers soldats belges des camps de Zeist et de Soesterberg. Les plans sont de l’architecte moderniste Huib Hoste, les hauts-reliefs de François Gos et le jardin du célèbre architecte paysagiste L. Van der Swaelmen, tous amis du Dr De Beir.

Portrait de l’architecte belge Huib Hoste, dessiné par Léo Poppe, soldat interné et ordonnance du Dr De Beir.

La villa De Beir, communément appelée « La Maison Noire », joyau de l’architecture moderniste selon les plans de l’architecte Huib Hoste (1925).

Peinture faite par un « interné inconnu » au camp de Zeist en 1916. (collection W. Bulk)

Le Docteur Reimond De Beir (1879 – 1945), médecin du camp de Zeist.

Auteur : Dr.Paul- Bernard Mattelaer

 

Le docteur Reimond De Beir  était un brillant  médecin de famille installé à Westkapelle quand il partit, le 11 septembre 1914,  se réfugier avec sa famille à Soesterberg, près de Amersfoort en Hollande. Quelques semaines après son installation, le Dr De Beir  eut l’occasion d’observer, sans doute avec un certain étonnement, l’exil de centaines de milliers de ses  compatriotes venus le rejoindre en terre hollandaise : un véritable flot de réfugiés et de soldats coupés de leur retraite vers l’Yser déferla à travers la frontière dans les jours qui succédèrent à la prise d’Anvers par l’ennemi le14 octobre 1914. Les soldats belges furent considérés en Hollande, selon les conventions  internationales qui s’appliquaient à un pays neutre, comme prisonniers de guerre et ils  furent rassemblés dans des camps d’internement souvent improvisés dans  de vieilles casernes. Comme les autorités hollandaises éprouvaient des difficultés à trouver des médecins qui comprennent à la fois le  flamand et  le wallon, ils firent appel aux  médecins belges qui se trouvaient parmi les réfugiés. C’est ainsi que le docteur De Beir fut  nommé officiellement  médecin du camp au camp d’internement de Zeist, près de Soesterberg et Amersfoort

Le docteur De Beir, né à Uitbergen en 1879, avait été un étudiant très brillant à l’université de Gand. Il était polyglotte et avait milité au sein du cercle « Rodenbach’s vrienden » pour la reconnaissance de la culture flamande et l’emploi du néerlandais comme langue d’enseignement  à l’université de Gand.  En 1905, il s’était installé  comme médecin de famille à Westkapelle près de Knokke et en 1908 il  épousa la fille d’une riche hôtelière Berthe Baervoets.Cette famille possédait le «  Grand hôtel Des Bains »  à Heist s/mer et  un important commerce de bois à Bruxelles. La famille Baervoets vivait  en été à Heist et passait l’hiver à l’avenue Molière d’Uccle.  La future épouse du docteur De Beir avait fréquenté dans son adolescence les opéras de Bruxelles. Comme beaucoup des clients de l’hôtel étaient  des Allemands, les parents Baervoets avaient jugé bon d’envoyer leurs enfants étudier  dans une école secondaire en Allemagne. Berthe devint vite une excellente artiste qui chantait Schumann et jouait au violon. La famille Baervoets parlait le dialecte flamand et le français : elle constituait un exemple typique d’une certaine  francisation des  Flamands  «Nouveaux Riches ». Au contraire de sa femme, le docteur De Beir, on l’a vu plus haut, était  un adepte du «  Mouvement Flamand ».  Après l’invasion de la Belgique par l’ armée allemande le 14 août 1914, la famille Baervoets, suspectée par la population locale de germanophile, fut une des premières familles à  devoir se réfugier en Hollande. 

Le camp de Zeist, dont le  commandant était  le capitaine Stoett qui devint rapidement l’ami du Dr. De Beir, comprenait plus de 10.000 soldats. Comme la plupart avaient fui Anvers, après la chute du port, ces soldats  qui n’avaient pas pu rejoindre l’ Yser furent  nommés « les filets d’Anvers ». Une vie de chien les attendait dans les camps. Un aumônier nota: “les soldats, traités comme des criminels, sont logés derrière de hauts murs d’une immense caserne entourés de fils barbelés  et sévèrement gardés par des soldats hollandais armés jusqu’aux dents”. La  sous-alimentation et la maladie  causent une importante morbidité et une mortalité non négligeable parmi les militaires emprisonnés.  Entre octobre et décembre le docteur De Beir et son confrère examinèrent 11.305 patients. Les sacs de foin qui constituent les matelas des prisonniers, sont régulièrement mis au feu pour éliminer des insectes. Chaque rat capturé est récompensé. Un ami du Dr. De Beir, Monsieur Omer Buyse,avant la guerre ancien directeur des écoles du Travail à Charleroi et directeur de l’Enseignement Industrielle et des Beaux-Arts à Bruxelles, fut témoin de l’abnégation du médecin et le surnomma  « le Bon Samaritain ». Le 5 novembre, à cause d’ une querelle de fraude, une rébellion éclata dans le camp.  La répression fut sévère : 11 soldats belges moururent.  Après  la guerre, le docteur De Beir,  installé à Knokke, reçut en consultation beaucoup de militaires du camp de Zeist, en quête d’un certificat médical. A la fin de l’année 1914, beaucoup de civils rentrèrent en Belgique. Du million de Belges  fuyant leur patrie pour la Hollande en septembre 1914, on n’en compta plus que  323.600 le 1 novembre 1914, 200.000  le 14 décembre 1914, et 100.000 en mai  1915. 

Le docteur De Beir était un grand amateur d’art ,,jouait au piano de la musique contemporaine de Debussy et fréquentait  les artistes. Un de ses patients aux camps n’était autre que le soldat  Rik Wouters, interné le 18 octobre 1914 dans le camp d ‘internement d’Amersfoort et le 2 novembre au camp de Zeist. Déjà durant la bataille d’Anvers, ce merveilleux artiste peintre souffrait de céphalées rebelles.Sa femme Nel Deurickx qui était en même temps son modèle s’était  installée  à Amersfoort, non loin de Zeist pour se rapprocher de son mari. Elle écrivit  dans son cahier des notes: “Le docteur du camp (Dr.De Beir) lui donna un stock d’Aspirines et d’autres médicaments”.  Nel demanda par l’intermédiaire du docteur de Beir au capitaine  Stoett un régime de faveur pour son mari, ce qui  fut accordé. Rik Wouters fut  nommé ordonnance du Capitaine. Cette faveur lui donnait  la permission de quitter le camp de Zeist du matin jusqu’au soir dans un rayon de 6 km.  C’est ainsi que malgré ses affreux  maux de tête le peintre eut l’occasion de réaliser de magnifiques aquarelles et dessins reproduisant le paysage hollandais. Deux de ces œuvres furent offertes au docteur De Beir  comme témoignage de reconnaissance et d’amitié. Rik Wouters introduisit  le Docteur De Beir dans le monde de l’art moderne. C’est ainsi que Rik présenta au docteur le peintre Floris Jespers et son frère le sculpteur Oscar Jespers venus lui rendre visite au camp.  Cet événement constitua  le début d’une très longue amitié entre le docteur De Beir et le peintre Floris Jespers. L’état de santé de Rik Wouters se dégrada cependant et en décembre on diagnostiqua la source de ses douleurs : une tumeur faciale maligne. Le docteur De Beir décida  alors de l’envoyer  à un spécialiste et Wouters fut alors à plusieurs reprises opéré d’un cancer du sinus maxillaire qui infiltrait les nerfs de la face,cause de ses terribles céphalées. Rik Wauters  succomba malheureusement à sa maladie   le 11 juillet 1916 à Amsterdam. Le 15 juillet, il fut enterré au cimetière d’Amsterdam.  L’hebdomadaire “Vrij België” rapporte: «  La civière était précédé de la fanfare des internés belges et d’un nombre de militaires belges.  Il y eut quatre éloges funèbres belges: le peintre Rudoph Wijtsman au nom des artistes belges…, et à la fin le docteur De Beir au nom des militaires du camp de Zeist. »

Le lendemain des funérailles, Nel, l’épouse de Rik Wouters,  envoya une lettre  émouvante au docteur De Beir.

Le 16 Juillet 1916

Mon Cher Monsieur De Beir,

Combien votre hommage ému m’est allé au cœur  je ne saurai vous dire.  Les mots je ne les ai pas tous compris mais cette langue de la Flandre qui sonnait devant la tombe ouverte de Rik . Ces soldats, ces rubans Tricolores tout cela évoquait en moi notre bon et cher pays tant regretté par Rik et pour lequel tant d’autres soldats donnent leur vie qui eux hélas ne sont pleurés qu’en bloc et dont les mères, les femmes ou les fiancées n’ont pas eu le bonheur que j’ai eu, de recueillir pieusement le dernier soupir de celui qui leur est cher.  Comment vous dire mes sentiments à la suite de ces 12 derniers jours que j’ai été près de Rik nuit et jour attentive à lui voiler la mort car c’est la chose qu’il eut trouvé la plus affreuse lui qui disait toujours en riant qu’il avait du travail  encore pour cent ans!  La mort dans l’âme, il parlait encore de la beauté d’une fleur! – J’ai vécu des jours au dessus de mes forces pour moi qui aimait tant Rik quand mon coeur pleurait mon visage lui souriait et ma main prenait calmement la sienne pour qu’il éprouve un sentiment de paix dans l’affreuse cauchemar dans lequel Rik se débattait.  Je l’ai vu mourir si calmement si doucement que cette mort douce fut pour moi un baume malgré l’atroce déchirement qu’elle me causait.  J’avais eu si peur que Rik meurt dans une affreuse crise comme j’avais déja vue! – Quelle  agonie, 48 h. Ce coeur s’est débattu et comme mes doigts fouillaient son poignet pour y découvrir les battements imperceptibles du pouls.

Dans ces moments là j’étais tellement calme et même Rik mort je ne pouvais pas pleurer.  Les jours suivants non plus, de temps en temps quelques larmes puis c’était tout   mais ce cortège ces soldats cette Brabançonne et le corps de Rik qui glissait si doucement vers la terre c’était pour moi le choc le plus affreux   La grande la vraie séparation en terre d’exil, à l’Etranger et je pensais à Rik qui si souvent espérait rentrer guérir chez nous. Mon Cher Monsieur De Beir, voulez vous remercier tous les camarades du camp de Zeist, pour leur si cordiale attention  Dites leur combien elle m’a émue profondément et que je leur souhaite à tous le retour dans leur foyer le bonheur de vivre près de leur femme et de leurs enfants.  car la mort en exil est une double mort. Je ne puis pas vous dire plus  vous connaissez assez les artistes pour savoir comment ils sentent.  Dites pour moi ce que mon coeur reconnaissant sent mais ne peut exprimer.                            

                                                                                               (signé)

                                                                                   Mme. Vve. Wouters.

A partir de 1915 la vie devient plus régulière pour la famille De Beir. Sa femme lui donna un quatrième enfant. Un de ses bons amis Omer Buyse avait  conçu deux villages pour les membres de la famille des militaires internés: le village « Elisabeth » à Amersfoort et le village « Albert » à Zeist. Ces villages réalisés avec l’aide des ouvriers soldats des camps contiennent des maisonnettes pour la famille des militaires emprisonnés, un centre sanitaire, administratif, religieux, scolaire, hospitalier,un théâtre, un cinéma, et des magasins.  Il y avait même une académie artistique. Un de ces élèves, nommé Pascal mais non répertorié réalisa un  portrait remarquable du docteur De Beir.

Le 3 novembre 1914 le politicien Frans Van Cauwelaert visita le camp et fit la connaissance du docteur De Beir.  Cet homme était connu par tous les Flamands pour son «  Programme Minimum » dans lequel il réclamait la néerlandisation, dans le cadre des institutions belges, de la justice, de l’ armée et de l’ université de Gand. Ce Programme se distanciait de celui des Flamands du Front (Fronters) et évidemment de celui des activistes (Collaborateurs). Le docteur De Beir était modéré mais il n’hésitait pas à  défendre les intérêts de la culture flamande. C’est ainsi qu’il écrivit à Van Cauwelaert sa rage d’avoir lu une critique acerbe du poète flamand Hugo Verriest  parue dans le journal francophone  l’Echo Belge du 5 août 1916 ! 

De Beir écrivit  à l’intention des soldats du front un livre intitulé « Manuel du Brancardier » et «  Eerste Hulp bij Ongelukken » avec une préface d’ Omer Buyse et illustrée de 184 figures dessinées par son ordonnance brugeois Leo Poppe. 

En 1916 il organisa une exposition “Soins pour enfants en paroles et en  images”.  La princesse de Mérode honora de sa présence le vernissage de l’exposition. De Beir  organisa maints récitals du piano .Il fit connaître aux Belges réfugiés  la musique  contemporaine comme celle de Claude Debussy.  Il fait la connaissance du peintre suisse François Gos, qui fit  un portrait de son fils dans le style « cubiste »         Entre-temps un vieil ami du docteur, l’architecte Huib Hoste de Bruges, s’ installa aussi à Zeist. Hoste et De Beir découvrirent ensemble en Hollande le style révolutionnaire, dit “De Stijl « de Piet Mondrian et de Theo Van der Doesburg et deviennent des grands adeptes de ce mouvement constructiviste.  Omer Buysse prit l’initiative de construire un grand mémorial: le « Monument Belge » comme éloge à l’aide néerlandaise aux réfugiés belges. Le docteur De Beir conseilla Omer Buyse et  l’Administration d’Amersfoort de prendre comme architecte Huib Hoste.

Les bas-reliefs furent conçus par le peintre suisse François Gos et le jardin fut dessiné par l’architecte paysagiste L. Van der Swaelmen (1883-1929).

En octobre 1916 la commune d’Amersfoort donne son accord  pour élever le monument belge sur le plus  haut  point  de la colline d’Amersfoort. En 1918, ce grand monument moderniste fut terminé. Mais à cause des difficultés diplomatiques après la guerre, le Monument ne sera inauguré que le 22 novembre 1938 par le Roi des Belges et la Reine des Pays-Bas.

Quant à la  famille De Beir, elle  ne reçu la permission de  quitter la Hollande qu’en janvier 1919.  De retour en Belgique de Docteur De Beir joua un grande rôle dans le mouvement moderniste en Belgique. En 1923, le peintre A. Servranckx crée pour le Dr. De Beir  un bureau dans un «  Environement De stijl » et en 1924 l’architecte Hoste construisit à Knokke pour le Dr.De Beir en style moderniste l’hôtel “le Noordzee” et la « Villa De Beir », connue sous le nom de “la Maison Noire”. Ce joyau de l’ architecture moderniste nationale avec sa façade noire , un souvenir des granges goudronnées ,vues en Hollande,ne fut pas du goût des adeptes de l’architecture classique. Dans les années trente il avait comme amis les peintres Constant Permeke,Albert Servaes et évidemment Floris Jespers.

Réf. :P.B.Mattelaer,Dokter Reimond De Beir,arts te Knokke (1879-1945).Deel1, Jeugd,Westkapelle en Holland (1879-1919).Cnoc is ier,Jaargang van de Heemkring Knokke,nr.39,2002,p.34-52.

L’Auteur est le Petit-fils du Dr.R. De Beir.

Adresse : Lorkendreef,11  8200 Brugge

 

 





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