Médecins de la Grande Guerre

Nicole Girard-Mangin, première femme médecin militaire

point  Accueil   -   point  Intro   -   point  Conférences   -   point  Articles

point  Photos   -   point  M'écrire   -   point  Livre d'Or   -   point  Liens   -   point  Mises à jour   -   point  Statistiques


Nicole Girard-Mangin, première femme médecin militaire.

point  [article]
Madame le Major médecin Nicole Girard-Mangin.

Le Dr Girard-Mangin vaccinant ses infirmières.

Le Dr Girard-Mangin rend visite à ses malades convalescents.

« Madame le Major »

 

« Excelsior » du 1er novembre 1917.

 

 

Mme Girard Mangin est médecin chef à l’hôpital « Edith Cavell ».

 

Elle fut mobilisée par erreur, mais n’en fit pas moins, comme médecin militaire, deux années de campagne, dont Verdun, sans un jour de repos ni de maladie.

   A l’hôpital Edith Cavell, porte de Versailles, le cabinet du médecin chef.

   Voici Mme Girard Mangin, la seule femme médecin-major de l’armée française, et qui accepte de me raconter sa curieuse carrière. Sachez d’abord, fit-elle, que j’ai été mobilisée par erreur…l’autorité militaire ayant cru sans doute que j’étais un homme à cause des listes sur lesquelles je figurais avant la guerre comme médecin de l’Assistance publique et membre du Comité de Secours aux blessés militaires.

   Vu mon âge, on m’a tout bonnement jugée apte à faire campagne, et, le 2 août 1914, le docteur Girard Mangin recevait l’ordre de rejoindre le 20ème  régiment de marche, à l’hôpital militaire de Bourbonne-les-Bains.

   Arrivée à Bourbonne-les-Bains, le médecin chef me reçoit avec ahurissement et méfiance : « Une femme ! On m’envoie une femme et on m’annonce un homme ! »

   L’entendrais-je assez cette phrase, pendant les mois qui suivront ! Mon chef, de plus en plus embarrassé, avait cependant écrit au ministère et m’annonça, au bout d’une semaine, que je serais logée et que je recevrais un sou par jour et le tabac !

   Je cherche à m’occuper. L’hôpital était vide, non seulement de malades, mais aussi de matériel. Avec un emballement qualifié de bien féminin par mes chefs, j’essaie de faire de la stérilisation dans un four de boulanger, des attelles avec des treillages ou de vieilles boites. Le 9 août, à neuf heures du soir, on me dit d’aller à la gare, où quelques réfugiés arrivaient. Je me trouve devant un train de blessés formidable, dont la plupart intransportables : nous dûmes en recevoir 1073 !

   On ne raillait plus mes précautions et je commençai à travailler sérieusement. Quelque temps après, ayant de la famille à Reims, je voulus y aller et j’obtins de permuter avec un de mes confrères, qui me confia son train sanitaire. En arrivant à Reims, je suis reçue par le médecin chef qui, en me voyant, s’écrie naturellement : « Ciel ! Une femme ! On lui a confié un train sanitaire ! Que de bêtises avez-vous dû commettre, madame ! »

   Il paraît que, vérification faite, je n’avais pas commis trop de bêtises, car, à la suite de mes démarches demandant qu’on régularisât ma situation, je reçus l’ordre de rejoindre Verdun.

   Mon ordre était rédigé en ces termes : « Le docteur Girard Mangin sera affecté en qualité de médecin traitant et recevra les allocations en argent et en nature d’une infirmière titulaire mobilisée à la région de Verdun ».

   J’avais donc enfin une reconnaissance d’autorité et une situation à peu près réglée. Arrivée à Verdun, fort de la Chaume, je fus reçue par ces mots : « Ciel une femme !... »

   Naturellement… et, à l’hôpital n° 7, le médecin m’interdit l’entrée des salles. C’était charmant ! Je vécus ainsi des semaines, parmi des gens qui me traitaient de pestiférée. Tout se tasse : on finit par m’octroyer un service de typhiques que je trouve dans de mauvaises conditions. Je réclame : on m’envoie en face dans des baraquements plus sains, mais bombardés. On se figurait que je n’y resterais pas. J’y restai, même après l’évacuation, avec les non transportables ; c’était mon devoir de plus jeune. Je passai là sept mois, du 21 mai au 1er décembre, c'est-à-dire pendant toute l’épopée de Verdun. Avec mes 168 typhiques, nous étions comme séparé du monde. Il fallait couper son bois, aller traire les vaches dans les champs, et c’est là que je dus punir pour la première fois un infirmier qui avait manqué à son devoir. Le 5 juin, bombardement effroyable. Nous devons évacuer sous la mitraille et faire des jours et des nuits de route avec les ambulances, nous dirigeant vers Bar-le-Duc. Quels souvenirs ! En route, une petite blessure à la joue, une bêtise !

   En arrivant, on me reçoit, vous devinez comment, mais je demande alors, forte de mes antécédents, ou d’être assimilée ou d’être renvoyée dans mes foyers.

   Enfin, en octobre, le décret paraissait par lequel j’étais assimilée au grade de médecin-major de 2ème classe, et je recevais la solde avec effet rétroactif. Ce fut avec mon titre que je fis toute la campagne de Verdun. De la chirurgie sans arrêt, jour et nuit, pendant des semaines, jusqu’à ce qu’on tombe, à bout de forces, sur un brancard pour dormir un peu.

   Puis ce fut Saint-Omer, Ypres, etc. Partout j’étais accueillie comme vous savez, puis, après, ça s’arrangeait : on me faisait des excuses, on admettait que j’étais capable de quelque chose. Enfin, en octobre 1916, l’autorité militaire voulut bien reconnaître mes efforts et me donna en récompense l’hôpital Edith Cavell, où je suis depuis. C’est un hôpital important et, de plus, une école d’infirmières où je puis m’employer utilement – à ma place.

                                                                                                                           Jules Chancel.

  

  



© P.Loodts Medecins de la grande guerre. 2000-2020. Tout droit réservé. ©