Médecins de la Grande Guerre

Michel Carlier : le parcours admirable d’un jeune moine de Chimay devenu officier d’infanterie.

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Michel Carlier : le parcours admirable d’un jeune moine de Chimay devenu officier d’infanterie.

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Couverture du livre.

Couverture du livre, 2ème édition.

Office religieux.

Scriptorium.

Le lieutenant Michel Carlier.

Le père Maxime Carlier.

Sépulture du père Maxime Carlier.(photo Dr Loodts)

Sépulture du père Maxime Carlier.(photo Dr Loodts)

Michel Carlier : le parcours admirable d’un jeune moine de  Chimay devenu officier d’infanterie[1] !

L’enfance

Michel est né le 25 avril 1891 à Valenciennes. Son oncle Jules Billiet était le maire de la petite cité du nord ! Aîné de huit enfants, il affectionnait son unique  frère  Joseph  qui, comme lui-même, fut victime de la Grande Guerre. Enfant délicat, Michel souffrit de plusieurs maladies infantiles  qui à chaque fois manquèrent de  le terrasser. A l’âge de onze ans, à partir de sa première communion, l’enfant turbulent qu’il était se transforma en  un adolescent vertueux  attiré par la vie de méditation et de prières telle que celle des moines. Michel commença ses humanités à Valenciennes mais ses parents jugèrent bon de l’envoyer en pension pour forger son caractère.

Pensionnaire au collège d’Antoing

Ce fut le collège belge du Sacré-Cœur  tenu par les Jésuites à Antoing  qui fut  choisi. En octobre 1906, Michel y fera sa rhétorique.  Dans cette éducation très chrétienne, les Jésuites accompagnent les jeunes gens dans leur cheminement moral. Le Père Renard, son confesseur remarque son caractère très tracassier et lui conseille d’être moins scrupuleux tout en priant plus. Football, excursions à Tournai ou à  Maubray le long de l’Escaut, distraient les pensionnaires qui sont surchargés de travail par les Jésuites. Michel est trop  perfectionniste et  souffre intensément de ne pouvoir achever dans le temps imparti  ses compositions françaises. Insatisfait de chaque mot, de chaque phrase, il ne parvient pas à achever sa feuille…  Il est heureux mais certaines têtes dures  de sa classe  ne comprennent pas ce garçon prude et sérieux et qui veut de surcroît  devenir  religieux ! Au réfectoire, sa situation n’est pas facile et il découvre la méchanceté de ceux qui n’acceptent pas sa différence !

 Au réfectoire, je  suis seul au milieu d’un groupe de personnages assez bizarres qui se complaisent dans des conversations fort lestes. Et alors que faire ? Si je ris :

-Oh Carlier, pas honteux ? Un assistant de Congrès. Mince ! J’irai le dire au P. Renard.

Si je me tais, interprétation :

-Qui ne dis mot consent, alors….

Si je proteste, je suis seul de mes idées, impossible de faire entendre : chahuts, etc.…

Michel est sûr de sa vocation mais il a un caractère inquiet, fiévreux, obsessionnel. Il se culpabilise sans cesse  pour des futilités.

Ce matin en communiant je me suis demandé pourquoi je ne savais plus dire mes prières. J’ai réfléchi et je n’ai pas trouvé, je cherche encore je n’ose pas en parler au Père Renard, il va m’envoyer à la balançoire et pourtant cette idée malencontreuse me travaille toujours.

Les pressions que les Jésuites exercent sur leurs élèves pour obtenir de ceux-ci la perfection  aggravent évidemment la tendance à l’inquiétude de Michel :

L’autre soir, j’ai été pris d’un mal de tête fou, impossible de mettre deux idées l’une après l’autre dans mon devoir de français ; j’étais encore fatigué de la veille et je faisais le balancier sur mes cahiers. Le lendemain j’ai raconté au P. Arnou que je n’avais pas pu faire mon devoir. Il m’a envoyé chez le P. Préfet pour lui demander un billet. Le P. Préfet me l’a refusé. C’est donc un 0 pour ce devoir. Le P. Arnou veut à tout prix nous faire recevoir bacheliers et nous sale nos notes pour nous exciter au travail…

Michel trouve cependant de grandes joies en participant intensément à la vie religieuse du collège. Ainsi, il devient un membre actif de la Congrégation du Sacré-Cœur de Jésus.  Le 12 novembre 1906, les congréganistes se réunissent. Le Père P. Renard impressionne Michel.

 Sa physionomie angélique, ses yeux étincelants, ses mains décharnées par les austérités me rappelaient les portraits des saints. (…). Je serais resté des heures, des journées à l’écouter….Un autre Jésuite présent à la cérémonie l’impressionne il s’agit d’Henri B…Henri B est nommé préfet de la Congrégation ; c’est un vrai saint ! Il faut voir prier Henri. B… et d’autres pour se sentir enflammé.

Un des  professeurs de Michel nous décrit dans une lettre adressée à sa maman  le caractère du jeune homme :

Pour ma part, je ne pense pas oublier jamais l’excellent enfant. Parmi tous les jeunes gens que j’ai connus ici et dans d’autres collèges, Michel est une unique figure de piété, de délicatesse, de haute et généreuse vertu. Je ne lui connaissais  qu’un seul défaut et combien excusable ! C’est de s’appliquer à son devoir avec trop de contention et de craindre sans cesse de n’en pas faire assez…

L’adolescent  manque terriblement  de confiance en ses possibilités. Il  doute  de sa réussite malgré un travail  considérable. Une année de stress intense et inutile car Michel   réussira  sa rhétorique et  fut reçu bachelier avec… mention. Enfin la détente permise pour Michel qui, comblé, pouvait  se permettre de joyeuses vacances en famille avec son frère Jo et ses cinq sœurs adorées. Les vacances pour lui  avaient  le goût de la maison de Saint-Sauve appartenant à sa grand-mère adorée. Celle-ci, Madame Defrenne, accueillait chaque année durant les mois d’été tous ses petits-enfants dans sa grande demeure  située au milieu de la nature. Ces durant ces grandes-vacances que Michel  se vit charger  d’accompagner sa mamy à Marseille afin de saluer  son oncle qui s’embarquait  comme jeune missionnaire à Madagascar !  Nul doute que l’exemple de son jeune oncle conforta  sa détermination à devenir, à son tour, religieux !

L’année 1908 : une longue convalescence 

En octobre 1907, Michel rentre au collège d’Antoing pour y effectuer une année de Philosophie.  Hélas, après quelques semaines d’études, des  maux de tête  le font  souffrir de plus en plus. Il s’affaiblit  et, à Noël, de retour chez lui, le médecin de famille  décide qu’un repos prolongé s’impose. Michel est envoyé  à Châtillon-sur-Seine chez un parent de sa mère, M. Maître-Bernard  heureux propriétaire d’une  propriété de deux cents hectares. Il est accueilli  par une famille nombreuse de treize enfants dont la maman  « tante Sabine » est une femme douce et épanouie. Bien vite, Michel se sent véritablement  comme chez lui :

Comme vie ici, c’est presque la même chose que chez nous : mêmes habitudes à peu de choses près. Le soir, l’oncle Henri envoie les petits voir si le Châtillonnais n’es pas arrivé…C’est de cette façon-là que se passe la soirée ; l’oncle lit le journal ou bien un livre d’histoire ; tante Sabine parcourt la « semaine religieuse » ou dit son chapelet, en espaçant  bien un peu les dizaines de  quelques  petits plongeons, mais l’intention y était...Et puis, la fatigue de la journée…Sœurette fait ses devoirs de philosophie, Paul traduit l’Epitomé ; pour moi, je lis tant soit peu, tout en aidant Paul  et en causant avec sœurette !

La vie au grand air procure à Michel de nombreux moments où, à sa grande satisfaction,  il peut profiter de la solitude qu’il apprécie intensément.

         Ce qu’il y a de plus agréable pour moi, ce sont les promenades dans le parc : seul, au milieu de la belle nature. Avec un chien, un fusil, ce serait déjà très beau, mais ce que j’aime surtout  c’est  de pouvoir méditer. Personne n’est là pour me distraire dans mes pensées ; alors je m’en donne tant et plus. Avant de partir en chasse, je prends une idée quelconque, et je la rumine pendant des heures. Que c’est beau la méditation.

         Michel prend  un énorme plaisir  à ces journées de chasse où il ramène du petit gibier qu’il fait parfois naturaliser comme ce héron qu’il  envoie à ses parents.

Après trois mois de cette cure de plein air, comme la santé de Michel reste encore  fragile, les médecins  préconisent de continuer la cure mais cette fois dans un air plus maritime. C’est sur la côte d’opale à  Wimereux que Michel finalement est envoyé. La plage, les dunes, les étangs côtiers  deviennent son nouveau  terrain de chasse. Le tir  au canard  le distrait et rompt la monotonie de ses journées.

         L’été arrive et le convalescent s’en va cette fois trouver refuge auprès d’une tante habitant en Belgique à Thuin. Cette troisième  cure  est capitale dans la vie de Michel car c’est au cours de celle-ci, en excursionnant avec sa tante, qu’il découvre le monastère de  la trappe de Saint-Joseph à Chimay. La vision du cloître cistercien constitue  pour lui une véritable  révélation !  La Trappe de Chimay est en effet  l’endroit  qu’il rêvait depuis longtemps. En un instant, tout devient clair dans son esprit. Dorénavant tous ses efforts, toutes ses pensées n’auront plus qu’un seul but : rejoindre cet endroit de paix  pour  une vie de prières et de méditations !

L’épreuve du service militaire

L’année 1909 s’achevait, Michel avait retrouvé ses forces et il semblait bien qu’enfin  le spectre de la maladie semblait s’éloigner pour toujours.  Une nouvelle épreuve  hélas apparut quand  Michel fut  appelé au service militaire. Que de courage nécessaire pour rentrer le 1er octobre  dans la  caserne au 43ème régiment de ligne à Lille ! Dans ce milieu rude  et grossier, Michel souffre au quotidien. A genoux matin et soir pour prier, il s’attire  les quolibets de ses compagnons. Parce qu’il  n’aime pas les conversations obscènes, quelques uns  le harcèlent en venant expressément   lui en raconter…Michel ne se plaindra  pas à ses proches mais écrit et demande conseil au supérieur de l’abbaye de Chimay.

Ses frères d’armes ne peuvent le supporter l’intellectuel qu’il est, un soldat qui écrit énormément, reçoit d’innombrables lettres, s’exprime très bien, et veut pas être grossier ou obscène… Pendant des semaines, Michel devenu souffre-douleur de sa chambrée endure ses brimades  en silence… Voici le témoignage qu’il donne par écrit :

Chaque soir ou à peu près, mon lit était en portefeuille ou en bascule, une fois ou l’autre, il était tout à refaire. Une belle fois, toute ma caisse à, paquetage, tirée par une ficelle, me dégringole par tête pendant la nuit : tout déplié, la caisse par terre ! Pour le caporal Martinet, je n’étais pas dégourdi, pas débrouillard ! C’est-à-dire que je ne disais pas de saletés, que je ne parlais pas de femmes, que je ne chantais pas de chansons obscènes. Furieux de me voir sortir tous les soirs (Michel avait obtenu de passer les soirées chez sa tante Guitte), il prenait plaisir à me faire revenir dans la chambre quand j’étais astiqué et allais sortir, soit pour allumer un poêle et m’obliger à salir mes mains, soit pour défaire et refaire des lits de la chambre. Je n’ai jamais rien dit ; pas de protections, rien dit mais toujours calme et toujours souriant, tout prêt à lui rendre service à faire son lit etc.… ! A la fin, j’étais peut-être son meilleur ami. Ca a été long mais c’est arrivé !

Le sergent lui me trouvait gauche dans mes mouvements. Une fois il fallait mettre arme en épaule avec baïonnette au canon, au peloton des élèves-caporaux, de jette sur moi comme s’il allait m’avaler avec sac et équipement : « triste sir, triste Sir ! » combien  de fois privé de permission par lui ou par le caporal ?  Je ne saurais compter ! J’ai toujours laissé dire, toujours calme et toujours souriant. (…)

Michel  se tracasse énormément pour son frère Joseph qui vient de se porter volontaire pour combattre et qui commence sa formation militaire. Par les conseils qu’il lui envoie, il espère aider son cadet  Jo à  franchir les obstacles que lui-même à rencontrer :

Vois-tu, il me semble que tu as des travers qui prêtent à critique, soit pour les  égaux, soit pour les gradés subalternes. Tu es distingué, tu reçois des lettres, tu sais soutenir tes idées par la parole, tu as bonne éducation, tu sais bien écrire. Or par les temps où nous vivons, c’est une chose contraire à l’égalité. . Voilà un homme ennuyeux ! Il faut s’en moquer, l’ennuyer  puisqu’il nous gêne et nous ennuie. Réfléchis. Vois si ce n’est pas vrai !

Remèdes : calme et charité invincibles, envers et contre tout. Et patience, patience, surtout patience. C’est très long. Et ne jamais mal prendre la plaisanterie, si sale, si sotte soit-elle. On te lance du pain au réfectoire. Que faire ? En rire : « oh ! bien vrai !  »,  Deux fois, trois fois. En rire toujours. Ce n’est pas capituler, c’est une feinte ; ils pensent peut-être que tu es lâche, poltron, laisse-les penser ce qu’ils veulent : c’est toi qui les amèneras à tes vues (…)

Et comme type de soldat idéal (je ne dis pas de gradé), du soldat tel que tu l’es, voilà comment doit être cet homme :

 a) jamais inactif,

 b) travailleur sans ostentation,

 c) un peu ours,

 d) prêt à rendre service à tous, en tous temps,

 e) demandant conseil à tous,

 f) aidant tout le monde.

J’explique :

 a) Couché sur son lit, bâillant, s’étirant : mauvais à tout point de vue ;

 b) Ne bûchant pas sa théorie tout haut, demandant tout haut à l’un  des renseignements sur un tel mouvement, sur tel paragraphe. Les autres disent : « Quelle scie d’avoir ces savants-là avec nous ! »

 Ne montant pas et ne démontant pas toute la journée son fusil (…).

 Résultat : la veille d’une revue d’armes on te versera de l’eau dans le canon ;

 c) N’aimant pas chanter, discuter bruyamment, à se battre avec l’un ou l’autre, pour rire, mais restant assis sur son lit, tranquille, digne, calme, toujours souriant ;

d) Oh ! C’est là le grand point : il faut être le petit serviteur de tous c’est le moyen radical (mais surtout pas de bassesses, pas de flatteries ! Oh ! Non, non jamais, surtout ne dégringole pas de  là ! : L’un va aux pommes pendant que tu fais une corvée : «T ‘as pas un couteau ? Tiens prend le mien ! »

e)Tu remontes ton fusil et tu te trouves à côté d’un envieux, qui se fait du mauvais sang parce que tu es plus instruit que lui, mieux éduqué, que sais-je ? « Dis donc, vieux, comment remonte-t-on la tête mobile ? Je ne sais plus comment faire. » L’autre sera tout étonné de voir que tu as recours à ses bons offices

f) En patrouille : ton camarade de combat reste empêtré dans des ronces. Attends, fils je viens. Et tu dégages ...etc. Surtout de la patience, et de la bonne humeur et pas de rancune. Etre condescendant.

Les conseils donnés à Jo sont pathétiques. Ils reflètent sa dure expérience ! A leur lecture, on s’interroge  sur le nombre de  souffrances  que dut subir Michel avant de parvenir  à être accepté  de ses compagnons puis  à représenter pour eux un exemple à suivre ! Michel Carlier décrit à son frère  de façon magistrale   comment passer du statut d’harcelé à celui de guide ! Renoncements héroïques, charité envers et contre tout, bonne humeur mais fermeté lui permirent au bout de nombreux mois d’apprivoiser les petits tyrans de sa chambrée ! Pareille attitude n’est certes pas à portée de tout le monde  mais quelle leçon !


Le père Maxime Carlier.

Deux ans de service militaire ! Deux ans d’épreuve !  Malgré son bon caractère ; Maxime est souvent puni et privé de permission. Il profite néanmoins de ces heures d’isolement pour écrire et méditer…

Comme la solitude me fait du bien ! Je suis tout heureux d’être seul. Sans doute j’aimerais mieux me trouver en famille, mais pour le moment, ma situation est la plus belle que je puisse rêver au régiment. Plus personne autour de  moi, ni chefs, ni camarades.

Parfois cependant le découragement pointe…

 Je suis dégoûté de voir qu’en faisant ce que peux, je suis encore puni. Aussi pourquoi ne pas dire : « j’ai fait mon devoir ; maintenant, on peut me punir, ça m’est égal », plutôt que de penser comme je faisais jusqu’ici : « j’ai fait mon devoir, mais je pourrais peut-être bien être puni tout de même pour ceci ou cela. Que faire pour que ça n’arrive pas ? »

Parfois un évènement  vient casser la routine militaire, comme par exemple, le pèlerinage à Valencienne en l’honneur du Saint Cordon. Cette coutume vaut la peine d’être expliquée. Depuis près de mille ans dans cette ville, on célèbre un miracle qui mit fin à une   terrible épidémie de peste. En septembre 1008, la Vierge en effet  à la vue de milliers d’habitants  apparut se tenant immobile au-dessus de l'antique oratoire bâti par Charlemagne, une Reine entourée d'une auréole étincelante, mais si douce qu'elle fortifie le regard sans l'éblouir. Une troupe d'anges et de bienheureux formaient son cortège. Elle tenait à la main un immense cordon écarlate. Un ange en prit une extrémité, et fit le tour de la ville dans la circonférence de deux lieues, en laissant tomber sur son passage le précieux cordon qui bientôt environna la cité comme une ceinture protectrice. Le circuit terminé, la vision s'évanouit ; à l'instant même, la contagion cessa et ceux qui étaient atteints furent guéris. (Voir : Le miracle du Saint-Cordon )

Michel  s’arrangea pour être libéré un jour afin d’accomplir le pèlerinage. Chapelet à la main, il fit pieusement le  parcours traditionnel des douze kilomètres autour de la ville avant de rejoindre le lendemain matin sa caserne.

Michel tint le cap  parce qu’il appréciait la solitude  et parce qu’il savait se  transporter par l’imagination dans son foyer bien aimé :

 Dieu fasse que vous n’ayez pas à Saint Saulve le même temps qu’ici ! L’orage danse autour de nous : éclairs, coups de tonnerre sans arrêter…(…) Je vois d’ici père et Cécile jouant des petits duos au salon ; bonne-maman lisant la semaine religieuse ; m ère, les Mémoires de l’oncle Caillou ;Jo bûchant son devoir de grec ; Simone, sabine et Ghislaine se demandant ce que monsieur cornichon a bien pu dire à Madame citrouille. (…) Quant à 1319 (c’est lui-même) il regarde l’eau qui tombe et se dit, peut-être pour la vingtième fois aujourd’hui, toujours la même chose en substance : « du service militaire et des jours de consigne, délivrez-moi vite seigneur !

Enfin le temps de la délivrance vint !

 Deo gratias ! Enfin ça y est. Quelle épreuve ! C’était nécessaire ; c’était voulu par le bon dieu ; il fallait obéir. Mais je ne peux m’empêcher de bien me réjouir que ce soit fini.

La trappe

Le rêve de Michel  se réalise : il rentre comme novice à la trappe de Chimay. 

On le revêt de la robe blanche des novices, Michel perd son nom et devient le frère Marie-Maxime. Il se donne  à Dieu et se met sous la protection de Notre-Dame des sept douleurs :

 Mettre sous la protection de Notre-Dame des sept douleurs cette première année de noviciat ; la supplier de demander à Jésus que je fasse sa sainte volonté.

Son enthousiasme est sans limite mais toujours trop  scrupuleux, il considère qu’il n’en fait jamais assez …Sa piété intérieure se nourrit de la vie de sainte Gertrude  qui va lui servir de guide :

Ce qui m’a profondément saisi dans cette vie de sainte Gertrude, c’est son abandon  plein de confiance en Jésus.

Peu à peu il  découvre  le sens profond de sa vocation :

 Se dire que notre vie religieuse, ce n’est pas quelque chose mais quelqu’un : c’est Jésus, à servir.

Vivre dans un regard habituel sur Jésus est son  but  et le faire sous la conduite de la Sainte vierge, protectrice de l’Ordre de Cîteaux. Le biographe de Michel Carlier, Octave Daumont décrit ci-dessous très bien la dévotion des Cisterciens à Marie :

A l’heure du couchant, on les revoit encore à leurs stalles, debout maintenant et visage tourné vers l’autel. L’heure des adieux de la prière, et c’est toujours cette même vierge bénie qu’ils implorent tendrement par l’émouvant Salve Regina. Oh ! Ces trainées lentes et graves des voix qui montent de toutes ces coules blanches immobilisées dans l’ombre…Mélodieux reflet des soirs mystiques, ce chant comme un beau cri de contemplation et d’amour, emporte dirait-on jusqu’au cœur de Marie le cœur ravi de ses enfants. Suprême hommage à la Reine en même temps qu’à la Mère, car elle fut autant, je pense, la Reine que la Mère des enfants de Cîteaux. A travers les vicissitudes et les malheurs des temps, elle eut toujours à la main son sceptre  et au front son diadème ; et les cœurs qui s’étaient promis à elles, lui restèrent fidèles.

Frère Marie-Maxime recevra, pendant les deux ans de noviciat, ses parents une à deux fois par an pour une journée de retrouvaille. Ah, les bonnes journées passées au milieu des bois sauvages environnant la Trappe ! Que de bonheur de revoir ses parents et sa Bonne-maman avec laquelle il entretenait des liens privilégiés.

Lors d’une visite, les moines offrirent de délicieuses omelettes à toute la famille et  Michel, interrogea sa bonne-maman

-Est-ce bon ? Bonne-maman ?

 Meilleur que le corbeau ?

Tout le monde se rappela alors la blague que Michel avait faite à sa grand-mère quelques mois auparavant quand, lors d’un séjour à Malo-les-bains avec sa famille, il tirait sur les  mouettes et autres oiseaux marins  qui rasaient les flots  à  portée de son fusil. Il se fit qu’un jour il n’abattit qu’un corbeau et qu’il complota avec son frère et ses sœurs de le faire passer à table comme une jeune mouette ! Ainsi cuit et recuit à la sauce voulue, le corbeau fut mangé et apprécié particulièrement  par la bonne-maman dont on savait l’horreur qu’elle avait pour les corbeaux. On imagine sans peine, l’émotion de la grand-mère lorsque, à la fin du repas, on révéla la véritable identité du volatile ! Michel aimait rappeler à sa grand-mère sa fameuse blague…Elle était devenue le symbole de leur complicité !   Une complicité qui se marquait aussi par la correspondance abondante qu’ils échangeaient.

Michel, dans sa recherche de Dieu, a opté pour l’humilité  mais malheureusement, c’est une humilité déformée par son caractère scrupuleux qu’il poursuit. Le jeune novice a en effet la fâcheuse tendance à se sous-estimer et même à  rechercher  le  mépris des autres. Ses supérieurs se montrent-ils indulgents à son égard, il leur fait entendre qu’ils ne le connaissent pas et qu’on le prend pour meilleur qu’il n’est !  Son souci d’humilité est si grand qu’il échangerait bien sa bure blanche de moine de cœur contre la bure grossière des frères convers !

C’est par les humiliations qu’on avance en Dieu écrivait-il. Humiliée l’âme se sent devenir petit enfant ; il lui est plus facile alors de prier.

Cette recherche de l’humilité, il l’a pratique de manière inadéquate et  obsessionnelle avec de grands moments d’insatisfactions, de frustrations, de mésestime de lui-même… Se sentant toujours misérable, il avait toujours besoin d’un appui, d’un conseil, d’une main qui l’orientât. Ses supérieurs lui firent remarquer ses défauts, lui cherchait à y remédier mais, laissé  à lui-même pour se décider sur les moyens à prendre, son esprit s’agitait  en se demandant avec anxiété s’il accomplissait suffisamment bien son devoir !  Son questionnement incessant lui valut un jour un discours dur de son Père-abbé  qui déclara devant toute la communauté qu’il était « le novice qui avait causé le plus de peine à ses supérieurs ! »

Cependant ; à  force de conseils, de volonté et parfois de réprimandes, Michel parvint cependant à maîtriser son caractère trop tracassier. Il  devint plus serein et fut autorisé le 8 décembre 1913 à prononcer  ses vœux solennels. En prenant  rang dans l’Ordre, on  le nomme désormais « Mon Père ». Il s’apparaît moins petit à lui-même. Pendant les huit mois qui  précèderont  la déclaration de la guerre, le Père Maxime  va témoigner d’un zèle toujours grandissant. Son bonheur : il se voyait  en songe  moine  vieillissant à Chimay comblé dans son désir d’union avec Jésus…comblé aussi dans le contact qu’il avait à Chimay avec la nature. Ah ! Quel bonheur que ces mois d’été à l’abbaye où le travail de la fenaison demandait la participation de tous les moines ! Grâce à Octave Daumont, le biographe de Michel, il nous est aisé d’imaginer   l’ambiance particulière qui saisissait La Trappe de Chimay durant la belle saison :     

C’était une chose peu banale de voir se répandre au large des prairies cet essaim de robes blanches ou brunes armés de fourches et de râteaux. On suivait d’abord les longues lignes des andains laissés par la faucheuse ; puis on les mettait en « veillottes », en « fanettes », comme l’on disait ; puis les lourds chariots passaient et on les chargeait les uns après les autres. Tout cela se faisait sans bruit. Au-dessus de ces mille agitations silencieuses, dans l’azur profond, les alouettes se grisaient de chant et de soleil…Et les moines s’arrêtaient parfois à un signal, pour se reposer quelques instants et se recueillir plus intimement en dieu. Ah ! Que les heures se déroulaient vite à travers ces besognes successives. Limpides et légères, on eût dit qu’elles se laissaient tomber à si peu de distances les unes des autres de ce petit quadrant de clocher perdu là-bas dans son rideau de cyprès. Entretemps le ciel avait pâli…Au couchant, il prenait ses belles clartés roses qui flottaient un moment au-dessus des bois tandis que les lointains de la terre s’estompaient peu à peu dans le brouillard montant de la rosée du soir.  Et les moines, à la file, d’un pas grave, mêlant à cet hymne de la nature le divin chant de leur âme, les moines rentraient.

Changement de destin pour un jeune moine : la guerre éclate

Une nuit, un messager  apporte la nouvelle de la déclaration de la guerre ! Un bon nombre de novices et de jeunes moines sont rapidement  rappelés sous les drapeaux ! C’en est fini de la vie idéale que menait le   Père Marie- Maxime avec tant de joie ! Il est un des premiers à partir !

2 août 14

 Mon Dieu, quel souvenir ! Après le dernier repas en communauté, les Grâces à l’église. Je sonne et tout en récitant le « Miserere », je sens que les larmes montent…en quittant l’église, j’eus le pressentiment que j’y étais venu pour la dernière fois !

Le Révérend Père accompagne le Père Maxime jusqu’à la halte du tramway. A genoux dans le fossé, quand le tram est en vue, une dernière bénédiction clôt la séparation !

La Campagne de Belgique

Le sergent Michel Carlier reprend contact avec sa famille avant de  rejoindre la caserne. Quelques heures ensemble et à nouveau on se fait des adieux émouvants après une prière que la famille réunie fait  à l’église!

Vers 4 heures du matin, j’entends le pas discret de ma chère bonne-maman. Elle me trouve sur pied. « Déjà prêt ? » - et la porte se referme. Pauvre Bonne-maman ! Quelle triste nuit d’insomnie, je suis bien sûr !! Quelques minutes plus tard nous étions tous à l’église : Bonne-maman, Papa, Maman, mon frère Joseph, mes cinq petites sœurs, ma tante Marguerite, ses quatre fils et moi ! Il n’y avait pas de messe à cette heure si matinale, mais tous nous avions grand besoin de forces. Et puis à en juger les autres d’après ce que je ressentais en ce moment, il semblait que c’état la cène suprême, que nous faisions nos adieux pour l’éternité devant le Notre-Seigneur lui-même (…). Que de recommandations maternelles pendant le trajet jusqu’à la gare de Valenciennes !  

Ce n’est pas l’accueil du lieutenant  à son arrivée à la caserne de Lille qui met un peu de baume sur son cœur ! L’officier est tout simplement glacial.

Quelques jours de préparation et le 43ème est dirigé vers la Belgique.

Michel n’est pas apprécié par  son  sous-lieutenant :

 Le sous-lieutenant B…, jeune Saint-Cyprien de 19 ans, fraîchement nommé à la déclaration de guerre. Tout feu, toute flamme, comme nous disions, il voulait l’exacte discipline du rang. Aussi ne me voyait-il pas de bon œil ; il ne s’en cachait pas, car, disait-il, j’étais trop bon pour les hommes.et il me répétait qu’essayer de prendre ma troupe par la douceur était pure folie et qu’il fallait rudoyer ses hommes sous peine de n’en rien obtenir. 

Ses hommes pourtant  le respectent :

Les relations avec les hommes étaient souvent très cordiales. Souvent ils venaient me trouver, quand j’étais seul, pour me parler des leurs, de la mort imminente, de Dieu. Pour bon nombre, c’était un être spécial qu’un trappiste.

La frontière belge est rapidement  franchie  mais à l’arrivée à Saint-Gérard,  on sonne déjà  la retraite vers la Marne ! La soif, la fatigue, les défaillances contribuent à transformer ce repli en   un véritable calvaire. Les sacrifices endurés par certains soldats  cumulent en héroïsme :

 J’admirais profondément le grand courage d’un de mes hommes, étudiant en droit, malheureusement incroyant, mais dont la force d’âme était superbe. Cela m’a toujours été un problème qu’une âme si droite, si honnête, si pure n’ait pas senti le besoin de se jeter vers Dieu. Pourtant il devait bien avoir des aspirations vers un idéal, sentir qu’il y avait un au-delà. Comment donc pouvait-il souffrir tout ce qu’il souffrait, sans plaintes, sans ostentation ? Il avait ses pieds en sang, ses jambes flageolaient ; il pouvait à peine respirer. Plusieurs fois je lui dis :

 - Mon ami, voyons arrêtez-vous !

 - Oh ! Un peu encore, sergent, si vous voulez bien.

 Et il avançait clopin-clopant, s’appuyant sur mon épaule. Enfin, il s’arrêta. Jamais plus je ne l’ai revu. Ses parents n’en n’ont plus reçu de nouvelles, je crois. On a dit qu’il avait voulu suivre de loin la compagnie et qu’il avait été blessé. Oh Jésus ! Est-ce que ce malheureux-là ne sera pas venu à vous sur la fin de sa vie ? Il était si droit, il était si réservé dans ses conversations ! Croyez-vous que si vous lui aviez fait la grâce de lui montrer votre lumière il ne s’y serait pas jeté, seigneur ?...S’il avait reçu toutes les grâces que j’ai reçues, quel saint vous auriez peut-être, mon Dieu ! 

La retraite est interrompue durant  quelques heures pour Michel et ses hommes qui arrivés à Marle doivent remonter  en contre-attaque  vers Guise. C’est le premier combat   sérieux pour Michel. Il doit avec sa section  dévaler d’une crête et donner l’assaut aux Allemands qui tiennent le fond de la vallée. Michel a l’impression que son heure est venue, tant l’assaut paraît suicidaire!  On le voit  se mettre à courir, les bras étendus pour assurer la direction de ses hommes,  tout en criant : 

-Maman !...Maman !...Bailleul ! N’allez pas si vite ! 

Inconsciemment, c’es le nom de « maman » qui est prononcé, crié et même hurlé au milieu des encouragements et des ordres donnés à ses hommes !  Michel est étonné de ce cri sorti droit de son cœur, étonné aussi de se retrouver en vie au bout de cette course folle dans la mitraille :

Comment en sommes-nous revenus sains et saufs ? Dieu l’a voulu. C’était terrible ! Combien de milliers de balles ont sifflé autour de nous ! La terre volait sous nos pieds. Près de mon oreille, près du pied, des éclats de fer tourbillonnaient. De pauvres camarades s’affaissant en poussant de grands cris. Enfin nous gagnons le pli du terrain. Que Dieu soit loué ! En ces moments critiques, il ne me restait plus guère qu’une pensée, surnageant : Notre seigneur parle par la voix des chefs : ils ont commandé : en avant ! Si je suis tué, ce sera en obéissant !

Michel et ses hommes atteignent finalement  le village de Glanlieu. Malgré ce beau succès, le matin venu, il faut se replier et continuer la retraite  jusque la Marne.  Le 5 septembre, la retraite prend fin et l’offensive peut enfin reprendre. Michel occupe le hameau de Ceu, en arrière d’Estenay. Le bataillon   doit repousser l’ennemi jusque Montmirail et il faut organiser des reconnaissances vers l’avant. Michel s’offre de remplacer un sergent marié depuis quatre mois. A plusieurs reprises il  échappe  à la mort et quand il rejoint sa compagnie, à la nuit tombante, de tous ses amis, il ne trouve plus que le vieux sergent G…Tous les autres ayant été soit tués soit blessés.

La bataille de Montmirail

Le 6 septembre, la marche en avant se poursuit. La compagnie de Michel cantonne le soir  dans le hameau de Montrobert à côté du village de Rieux occupé par les Allemands. A 4 heures du matin, l’assaut est donné au village.

-Carlier, portez-vous en avant, à la lisière du champ d’avoine !

-15ème et 16ème escouades, attention ! En avant ! Tous debout, mais à peine quelques mètres étaient-ils faits que je suis tout ébloui par un éclair blanc : un obus éclatait à trois mètres de ma tête, je crois. Et mes deux voisins de droite et de gauche roulent à terre en se tordant, en poussant des cris déchirants. Avec le reste de la troupe je continue à courir. On aurait dit que nous nagions dans le fer et dans le feu ! Combien d’obus et balles nous ont frôlés pendant les 20 ou 30 mètres de bond ? (…) Enfin, nous gagnons le champ et nous voilà tous à plat ventre dans les épis. C’est alors que la situation devint véritablement un enfer.

Le champ est devenu la cible des obus et des balles de mitrailleuses. Des rangées d’épis sont coupées comme par des faux. Le lieutenant commande de régler  le feu à 800 mètres et cela sous un déluge de mitrailles. Tout d’ un coup, Michel s’aperçoit que le sang perle sur son visage :

Pour moi, je croyais que j’allais mourir. La terre devenait toute rouge et je n’aurais pas su me bander. Fracture du crâne, c’était bien cela. Encore quelques minutes probablement. Alors je me dis : où est la volonté de Jésus sur moi maintenant ? Ou est mon devoir ? Sergent, je dois commander mes hommes. Et je tâchais, en criant comme un sourd, sans rien voir, de leur faire viser juste, de les renseigner sur l’objectif. Mais surtout je pensais à la mort (…). Adieu mon père, et ma mère si tendrement aimés ! Adieu Tous ! C’est pour vous Jésus, pour la gloire de votre Père, par les mains de Marie ma mère. Oh ! Avec quelle confiance alors je me jetais entre les bras de la Sainte vierge ! Jamais autant alors je n’avais éprouvé que Marie était ma mère. Et enfin, je m’abandonnai tout à elle, me défendant de penser encore à quoi que ce fût pour rester tout à elle !

Comme par miracle, Michel avec l’aide de son sous-lieutenant  est cependant  ramené sauf à l’arrière. Les deux hommes parviennent à courir à découvert jusqu’à un arbre. Là, reposait  un blessé atteint de trois balles dans le flanc que l’on dût abandonner à son sort :

Quelle douleur de le laisser là ce pauvre gars, mais que faire pour lui ? Le sous-lieutenant ne veut rien savoir : l’ennemi monte, les balles arrivent maintenant comme une grêle.

Michel sauvé, est finalement  transporté par convoi à l’ambulance de la Roche-sur-Yon. Guéri de sa plaie crâniale, il est envoyé en convalescence dans l’hôpital militaire de La Chaize-le-Vicomte.

A l’hôpital de Chaize-le-Vicomte

L’hôpital se trouve en Vendée. Le paysage campagnard inspire le calme et la sérénité qui conviennent à Michel.  Il y passe un mois délicieux :

Je suis dans un petit hôpital dirigé par les sœurs de la sagesse. Jugez du tableau ! Pas d’officier. Je suis commandant en chef des 40 blessés qui sont hospitalisés ici. Petite chambre à deux, Henri P et moi (Henri P…, vous savez bien, que j’ai connu au collège et qui se destine au théâtre ; il fait des vers tout le long du jour). Nous sommes entourés de tous soins. La Bonne Mère arrivait hier nous apporter des livres de piété, grappes de raisins, tasses de thé et le reste... Pour comble, il y a parc, étang, promenades. Pensez si je m’en donne ! Journées de pêche (fructueuse s’il vous plaît), lectures plein d’intérêts, et qui mieux est, adorations à la chapelle, communion tous les jours. C’est le rêve. Dieu le veut. Je l’accepte en le remerciant. J’ai fait mon devoir de soldat, j’aurais voulu le faire sans arrêt. Le bon Dieu m’a arrêté en route. C’est très bien. Je suis content. 

La vie oisive des convalescents convient aux soldats sortis de l’enfer.  

 Sais-tu quelles sont nos nobles occupations l’après-midi ? Écoute-moi ceci, tu seras édifié. Pour les uns, de 11h30 à 1h, jeu de cartes ; de 1h à 5h, lecture, couchés sur leur lit ; de 5 à 6 h, on fume la pipe en se disputant sur les mouvements des troupes, la ligne de repli des Allemands. Après le souper, on fume pendant une demi-heure, une heure, et puis coucher. Comme c’est relevé en fait d’occupations ! Pour les autres, l’après-midi se passe à dormir et fumer, puis à aller boire dans le village jusqu’au souper. Et on est si content « quand on a bien bu ! ».  Je demande l’autre jour ce qu’on a fait au village :

 – Oh ! On a bien vi (vécu) sergent. On a bu quatre litres de vin, un litre de rhum et du café à nous quatre !

En ce qui concerne Michel, il est ravi d’aller pêcher dans  le petit étang des sœurs. Là, il était tranquille et trouvait l’endroit idéal pour méditer et prier. Michel est un soldat  mais aussi un moine et quand cela se sait au village, tout le monde veut lui rendre visite. Il est obligé de recevoir le  Maire contre son gré tant sa timidité le met mal  l’aise !

Que c’est donc pitoyable d’être timide comme je le suis. C’est surtout, il me semble, depuis mon entrée en religion. Monsieur le Maire vient d’arriver me voir. Je me sens passer par toutes les couleurs en parlant, je n’ose lever les yeux sur lui. Je le gêne ; il doit partir bien vite. De même pour bien du monde. Que c’est donc sot !  

Evidemment les bonnes Sœurs  lui font parler de la vie d’un moine à La Trappe ! En retour, il reçoit de celles-ci  de nombreuses gâteries :

 La bonne-M ère est aux petits soins pour nous deux. Ce matin elle me dit comme en secret qu’elle a mis cinq bonnes petites pommes bien juteuses dans notre armoire. Elle m’a réservé un tricot superbe pour retourner au feu.

Malgré les soins des sœurs, Michel connaît des moments de spleen et d’angoisses qu’il arrive cependant à surmonter en  s’imaginant chanter  le Salve Regina dans son cher monastère de Chimay :

 …Toujours j’ai les oreilles qui bourdonnent, j’entends les balles sui sifflent, j’entrevois les blessés qui s’écroulent, les maisons qui s’enflamment ; je me sens partir tête baissée, dévalant la côte en hurlant comme un démon pour entraîner mes hommes ; et par-dessus tout cela, dominant le bruit de la bataille ; l’air si doux que vous connaissez bien : (la-sol-la-sol-ré). Ne fût-ce que ce petit bout de salve, vous ne sauriez croire comme il ravigote quand je pense tout d’un coup à l’air que je fredonne sans attention, distraitement… Je me désespérais de mon inaction, j’avais le « spleen » et me voilà transporté au jubé de N-D de saint-Joseph, le pied sur l’expression, les doigts sur le clavier, dans la demi-obscurité, au-dessus de tous ces moines blancs aux voix graves, à quelques pas du bon dieu : « sa-a-lve

Le dépôt de Limoges

Du petit paradis de La Chaize-le-Vicomte, Michel est muté dans un terrible purgatoire : le Dépôt de Limoges. C’est l’ennui le plus complet  dans une ambiance de caserne !  Une consolation, Michel, a retrouvé la trace de son Père Abbé Anselme avec qui il commence une  correspondance  assidue qui durera  presque trois ans ! Il promet à son supérieur de lui écrire chaque jour et il tiendra promesse ! Dom Anselme, attaché à l’ambulance de Compiègne finira par retrouver la trace de tous ses moines mobilisés et éparpillés dans toute la France ! Une  communauté virtuelle est ainsi reconstituée  et fonctionnera si heureusement que Michel écrira  à son R.P.Abbé :

 Il me semble que je suis plus votre fils, et que je suis plus attaché à tous mes frères que je ne l’ai jamais été. 


Le lieutenant Michel Carlier.

Décembre 1915 : A nouveau sur le front  tout près du village de Chavonne

Vers la fin décembre 1915, voilà  Michel à  nouveau en ligne sur la rive droite de l’Aisne à  200 mètres du village de Chavonne  occupé par l’ennemi !

Quand  Noël arrive, il  bivouaque avec ses hommes en arrière des lignes, dans la ferme de Beauséjour. Puis c’est à nouveau le retour dans les tranchées de l’avant, à l’endroit surnommé « l’enfer de Dante ». Ces tranchées venaient d’être prises à l’ennemi par les soldats marocains au prix de furieux combats.

Voici comment Michel découvrit la première fois ces lieux  qui témoignaient du courage des soldats ennemis qui avaient tenté une contre-attaque pour  reprendre leurs tranchées :  

 Nous pénétrions vers 9 heures du soir dans ces corridors de deux mètres de profondeur, de quelques cm de large, enchevêtrement inextricable de souterrains, de boyaux de communication avant d’arriver à la ligne des tranchées proprement dites où se trouvent les créneaux pour le tir. Chacun marche lentement dans le long dédale. La pluie a détrempé le sol crayeux ; c’est une boue « café au lait » dans laquelle on s’enfonce jusqu’au dessus de la jambière en certains endroits. Le matin venu, quel spectacle inoubliable ! Nous étions au sommet d’une des pentes d’un ravin profond. A perte de vue, des lignes blanches montaient, descendaient, serpentaient partout. Personne, ou plutôt pas d’êtres vivants. Il y avait bon nombre de cadavres allemands devant nos fils de fer. Les malheureux avaient été d’un courage héroïque ; ils étaient venus en rampant cisailler nos réseaux et puis allumant brusquement, au milieu de la nuit, des bottes de paille qu’ils avaient apportées, ils les lançaient sur nos chevaux de frise pour montrer à leurs camarades à quels endroits la route était libre. Les malheureux étaient tombés, foudroyés à quelques mètres. 

Michel, on le sait, est un grand timide mais avec ses hommes ce défaut  ne pose aucun problème :

 L’adjudant était stupéfait de voir que sans élever la voix je me faisais obéir et que, semblant être si timide, tout en rougissant dès qu’on m’adressait la parole, je ne reculais  pas devant les missions périlleuses.

Après un certain nombre de jours passés aux tranchées, c’est le retour au cantonnement. Mais celui-ci est infâme :une cabane recouverte d’un toit de pailles et de terre avec l’impossibilité de se chauffer. Beaucoup d’hommes tombent malades.

« Si j’allais trouver le capitaine, il disait que tout le monde était plus ou moins malade, et c’était la vérité. Mais quel triste spectacle que celui de ces malheureux ne comprenant pas le pourquoi de leurs souffrances, et se répandant en injures contre leurs chefs, maudissant le patriotisme, protestant contre la barbarie des mœurs. (…)

Un jour que nous venions de relever pour trois jours un autre régiment, il faisait un froid rigoureux. La pluie était tombée en abondance ; nous avions de l’eau dans  certaines tranchées jusqu’au genou. Et voilà que pendant la nuit la gelée nous glace à tel point que, ne pouvant nous mouvoir, sous peine de rester enlisés dans le fond vaseux des boyaux, obligés de rester à nos emplacements de tir respectifs, nous nous retrouvons le matin venu dans les positions les plus étranges : l’un était accroupi, les genoux et les mains sur son havresac ; l’autre était endormi, assis sur un tertre, les jambes dans l’eau glacée jusqu’aux genoux ou à peu près, et il était tellement engourdi par le froid qu’il ne voulait plus quitter sa place. Beaucoup avaient les pieds gelés et pleuraient de douleur, ne pouvant plus remuer. Un  sergent s’avancer dans une fondrière jusqu’à la ceinture et il faut quatre hommes armés de pelles et de pioches pour le dégager !

Après quelques temps de ce régime, Michel perdit à son tour  ses forces au point de ne plus savoir marcher. Il dut se résigner à quitter son poste pour voir le médecin et ce dernier l’envoya se rétablir à Biarritz !

Biarritz

Cie d’hôpital en face de la mer mais quelle différence avec le séjour chez les bonnes sœurs de La Chaize-Le-Vicomte. Ici, si loin du front, le personnel médical  semble frivole et préoccupé du paraître et les conversations  légères peinent Michel.

« Je suis ici comme si je vivais seul, je ne parle guère et je ne me sens pas du tout dans mon milieu : leurs conversations, leurs plaisirs, leurs craintes, leurs sentiments quels qu’ils soient ne sont pas les miens. »

Un seul évènement marquant dans la vie de Michel à Biarritz : il vient d’apprendre que son frère, son petit frère Joseph qu’il appelle tendrement  Jo, s’est engagé  sous les armes !  Jo, garçon  affectueux et très sensible tracasse Michel qui tente de le réconforter le mieux qu’il le peut par de nombreuses et longues lettres !

 Sois fort dans la souffrance ; loin de toi le découragement. Pas de faiblesse. J’ai fait mon devoir ; advienne que pourra, je suis entre les mains de Dieu. Courage ! C’est dans la souffrance que s’affirme la force d’âme du chrétien, souffrance physique, souffrance morale. Tu as les deux. C’est que Dieu juge que  tu es de taille, avec sa grâce, à les supporter vaillamment pour sa plus grande gloire. Ne te laisse surtout pas abattre mon frère chéri. « Mon Dieu, vous le voulez, que ce soit comme cela, que votre volonté soit faite. 

Michel est de retour au front  à Craonne quand il apprend la mort de son frère Joseph.

En juillet, les lettres de Jo qui combat en Argonne  cessent brusquement de parvenir à Michel. Pour Michel, le sort funeste de son frère ne fait pas de doute !

 Aucune nouvelle de mon petit frère Joseph. Il lui est arrivé quelque chose j’en suis sûr. De longs moments d’adoration…Je fais et refais le sacrifice. Ce sera dur. Seigneur, donnez-moi la force, la résignation. Pauvres parents !...

Effectivement, il apprendra ultérieurement la manière dont Jo à succomber. C’était à Bagatelle par une chaude après-midi de Juillet. L’attaque avait été menée rudement à la baïonnette. Jo était parti avec les autres à son premier combat. Le soir, sur le terrain conquis, on avait ramassé son cadavre troué de balles !

La douleur de Michel est immense mais  il pourra la transformer en un nouveau défi !

 Moi qui ai reçu ses dernière confidences, je peux dire que ce qui était vraiment merveilleux, c’était cette volonté ferme, inébranlable de faire toujours et en toutes choses le devoir du moment. (….). Je pense à petit Jo jour et nuit. Je me recommande à lui, ainsi que mes soldats. Je tâche de le prendre pour modèle et de faire mon devoir comme il l’a fait….

Le sacrifice ultime de Michel

Pendant les deux années qui vont suivre, Michel est sur tous les fronts. Moine et soldat il a dû harmoniser ces deux états si opposés par nature ! Il a réussi à les faire marcher de pair malgré les difficultés :

 J’ai vu un pauvre boche qui enfonçait des clous et je n’ai pas su tirer. Mr l’aumônier m’a blâmé, mais il ne m’a pas convaincu. N’est-ce pas indigne d’un moine, une sorte d’assassinat ? 

Pauvre moine ! Tout le monde sait qu’il est le meilleur tireur du régiment. Et c’est vers lui que l’on se tourne quand on aperçoit une cible dans les tranchées d’en face !  Le fait d’être bon tireur le tourmente ! Les réflexions de ses hommes n’arrangent rien : Ah! Sergent, on vient de nous raconter que vous avez encore « descendu » un boche. N’aurez-vous pas de remords plus tard ? Dieu n’a-t-il pas dit : tu ne tueras point ?

Mais la souffrance des tranchées, le froid, la faim, le danger, le spleen…il  en fait des moyens pour imiter son Jésus.

Moine donc,  il le restera jusque dans les pires combats comme le rappelle le vœu d’obéissance qu’il renouvelle régulièrement  à son Père Abbé   avant de remonter à l’assaut !

Mon Révérend Père,

Quelques heures avant l’assaut…Dans un tohu-bohu inexprimable, au fond d’une carrière, en disant à Jésus et à Marie tout mon amour, je réitère de toute mon âme et une dernière fois si Dieu me veut, les promesses que j’ai faites entre vos mans : « Reverende Pater, promitto tibi obedientiam secundum Regulam Sancti Bendicti Abbatis usque ad mortem !

Votre fils très aimant 

Le 16 janvier 1916, il est cité à l’ordre du jour :

Le 16 janvier 1916, commandant provisoirement sa section en un point des plus dangereux et à quelques mètres de l’ennemi, au cours d’un torpillage violent et prolongé, où deux hommes furent tués à ses côtés, a fait preuve d’un sang-froid remarquable et a pris, sous le feu, les dispositions les plus utiles. Montre d’une façon constate une bravoure et une activité exemplaires (une blessure).

En fait après avoir inspecté un poste d’écoute qui venait d’être torpillé (un mort et un soldat devenu fou), Michel a rejoint  dare-dare sa première ligne et découvre qu’elle a été abandonnée et qu’il est maintenant  le seul à la défendre !

 Je me suis donc installé au point que je savais le plus praticable pour l’ennemi. J’au ramassé un fusil abandonné et je suis resté là. Toutes les deux ou trois minutes peut-être, j’entendais bien loin le coup  de départ, la torpille montait, puis redescendait sur moi. Ce que voyant, je me suis installé à l’intersection de deux boyaux perpendiculaires l’un à l’autre et suivant que la torpille tombait en avant ou en arrière, à droit ou à gauche, je me jetais derrière tel ou tel parapet. Il y avait peut-être une demi-heure que durait ce petit jeu, et j’étais bien inquiet de me trouver ainsi tout seul ; qu’aurai-je bien pu faire en cas d’attaque ? Aussi entre deux torpilles, je suis revenu en arrière chercher du renfort ; j’ai remmené un homme avec qui je suis resté un moment. Mais le voilà assoiffé dans toute cette poussière ; une fois même nous avions été quasi recouverts de terre ; il s’en va donc chercher à boire, mais ne se fait-il pas tuer en route ? Ne le voyant pas revenir, je vais voir et au détour d’un boyau je manque de marcher sur lui. Dans l’éboulis des terres, je ne voyais plus qu’une tête blanche, du sang et un équipement en morceaux. Tout horrifié que je fusse, il a bien fallu que je saute par-dessus cette tête qui s’agitait encore convulsivement et que j’aille chercher d’autres hommes. Et enfin le bombardement a pris fin…

Sous-officier, Michel montre une activité intense et un grand esprit d’initiative :

J’ai organisé la défense de toute ma position, sans avoir reçu d’ordres, et de ma simple initiative privée, j’ai fait creuser les tranchées, exécuter les travaux de défense d’après les plans que j’avais –conçus, au point que le capitaine m’a nommé « duc et prince » de cette position stratégique. Des officiers d’Etat-major sont venus visiter ; on m’a laissé l’honneur de les guider partout.

Une nouvelle blessure l’envoie à l’hôpital de Saint-Malo

A la suite d’un combat le 5 septembre 1916 dans le bois Lavage, il est surpris par un bombardement qui provoque une effroyable hécatombe dans sa compagnie. Michel est touché par un éclat d’obus qui le renversa et lui cassa net le bras droit. Envoyé à Saint-Malo, il  apprécie la mer et la vision des  îles au large l’inspirent :

 Je me lamente devant Notre-Seigneur, en voyant les îlots tout solitaires au large. Il me semble que j’y serais si bien, loin du monde, avec des livres et un crucifix !

Son bras guéri, il bénéficie d’un mois de convalescence à Sainte-Marie-du Désert puis rejoint le front. A la fin de l’année 1916, il est nommé observateur du bataillon, poste qui lui permet d’être souvent seul dans la nature. En  Janvier 1917, le sergent Carlier est muté  au 73è. Il sera tantôt à Verdun, et, pour finir, en Flandre, à l’Yser.

Nommé officier en mai 17,  il doit apprendre à monter à cheval et …à jouer au bridge ! Son ordonnance, Dupont lui est extrêmement dévoué et Michel lui rend hommage :

Jamais je n’ai vu un bon type de ce calibre-là. Le matin, ponctuellement, à l’heure dite, il vient m’éveiller pour la messe ; le dimanche nous y allons ensemble. Au point de vue rétribution, il n’y a rien à faire, ce qui m’ennuie assez ; il ne veut absolument rien recevoir. En tranchées, il faisait ses 14 km pour aller voir s’il y avait des lettres arrivées pour moi. Je suis confus, moi, quand je vois tant de dévouement désintéressé, et des âmes si droites, marchant si bien leur chemin, encore que peu éclairées ! Et je me demande où j’en suis moi-même qui ai  été prévenu de tant de grâces du bon Dieu, qui ai reçu plus d’instruction religieuse qu’eux tous, moi qui suis bien loin d’être aussi conséquent qu’ils sont avec leurs principes.

Sur l’Yser, le nouvel officier  participe à une offensive  soutenue par près de mille pièces de canon disposées sur un front de trois km. L’assaut des lignes ennemies est effroyable et le gain des tranchées ennemies se paie avec de nombreuses pertes. Les officiers de sa compagnie sont cependant  tous épargnés. Un véritable miracle ? En tout cas, ébahis par ce fait, ils organisent une messe d’action de grâce à laquelle ils participent en grande tenue. La  ferme où Michel cantonne après le combat  appartient à une famille paysanne  à la foi vive:

 Ces Flamands me plongent dans l’admiration. La vieille hôtesse vient me faire de longues causeries et toujours sur le même sujet. Quel esprit de foi ! Et je me souviens toujours en l’entendant, de ce mot pieux : « Celui-là est saint est parfait qui voit la main de dieu en toutes choses ». La ferme a été incendiée, mais toutes les statues de la sainte Vierge ont été retrouvées intactes. Les assiettes représentant en peinture les stations du chemin de la Croix ont été à peine ébréchées.

Le 14 septembre 1917, la mort  sur l’Yser       

C’était un jour de relève. Le sous-lieutenant Carlier avait retardé sa permission afin de finir complètement  le séjour aux tranchées avec ses hommes. Maintenant que ceux-ci allaient rejoindre le cantonnement, Michel s’apprêtait à partir en permission. Il n’en eut pas l’occasion. Alors qu’il passait les consignes à la troupe de la relève, un violent bombardement éclata. L’un des premiers obus frappa l’abri dans lequel il se trouvait et foudroya Michel.

Conclusion

Michel est mort pour avoir retardé sa permission afin de rester aux tranchées tant que ses hommes y étaient. Mort pour avoir voulu partagé jusque bout les souffrances des hommes qu’il commandait !  Soldat malgré lui, on admire la force de caractère de ce jeune homme ! Timide, introverti, obsessionnel, il dût vaincre ces défauts  qui handicapaient gravement  sa vie sociale et qui  en faisaient un souffre-douleur pour les autres. Que ce soit à l’école, dans sa vie de novice  où à l’armée, on découvre grâce aux nombreuses lettres que Michel écrivit  combien il souffrit patiemment de la dureté à son égard de ses compagnons. Son caractère obsessionnel faisait de lui un être d’une sensibilité exacerbée, toujours inquiet et  jamais satisfait de lui-même. Ne discernant pas l’essentiel de l’accessoire, il énervait son entourage. Mais à côté de ces défauts qui constituaient pour lui un véritable   handicap, que de qualités cachées ou en germes ! Ce garçon « mal dans sa peau »  ne répondit jamais  aux railleries par la méchanceté ou l’agressivité. C’est par la douceur qui émanait de sa personne qu’il conquit patiemment, jour après jour, ses condisciples, ses supérieurs, ses soldats. Un programme édifiant !  Etre le mal aimé certes, mais prouver à tous que cette souffrance  n’empêchait nullement, lui, le timide, de continuer à aimer sans aucun  ressentiments  ses compagnons ! Répondre par la douceur à la méchanceté, répondre par la patience à l’incompréhension, être le dernier s’il le faut  mais conserver une serviabilité exemplaire, tels furent les moyens employés à Michel pour conquérir son prochain !

 Michel, aidé par son immense Foi, à force de patience et  de courage, à force de continuer à aimer malgré  des périodes  de  brimades intenses  que nous appellerions aujourd’hui   « harcèlement », put  véritablement  se « transfigurer » et  acquérir l’aura d’un chef véritable, attentionné, aimé  et respecté !

Plutôt que de vouloir changer les autres, Michel Carlier  résolut de  se changer lui-même en utilisant  les épreuves que le destin lui faisait traverser ! Cette attitude fut  incontestablement un succès !  Le  jeune  homme timide et d’une méticulosité obsessionnelle devient en quelques années un extraordinaire  modèle pour ses compagnons d’armes puis pour ses subalternes quand il combattit comme  sous-officier puis comme  officier.

La vie de Michel Carlier nous enseigne  que garder sa dignité devant  la méchanceté, les moqueries ne résulte pas seulement des mesures que l’on est parfois obligé de  prendre pour se défendre. En ce domaine, notre attitude intérieure devant les souffrances endurées est aussi primordiale. Comme Michel l’a montré merveilleusement, il est possible de ne pas devenir aigri par l’épreuve  et de l’utiliser  pour devenir meilleur, plus tolérant, plus humain  au point de devenir une personne de référence, un véritable chef !       

Michel Carlier, en religion le Père Marie-Maxime repose aujourd’hui dans le cimetière des moines de  Chimay. Citoyen français mais  éduqué en Belgique, moine en Belgique puis combattant pour la France et finalement  mort au combat  en Belgique, Michel fut incontestablement un « transfrontalier » admirable préfigurant une  Europe sans frontières !    

Dr Loodts. P

  

 

 

 

 

 

   

 

 

 

 

 

    

         



[1] Source : Octave Daumont, « Une Ame Contemplative », à la Trappe, à la Guerre, le P. Maxime Carlier, moine, lieutenant, chevalier de la Légion d’honneur. 399 pages, Editions de l’abbaye de la Trappe, Chimay, 1921  

 



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