Médecins de la Grande Guerre

Florence Nightingale, la véritable créatrice du métier d'infirmière.

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Florence Nightingale, la véritable créatrice du métier d'infirmière.

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Couverture du livre

Le père de Florence Nightingale.

Léa Hurst résidence d’été de Florence Nightingale en Derbyshire.

Emblay Park résidence d’hiver de Florence Nightingale en Sussex.

Florence et son premier malade.

Florence Nightingale vers 1845. (par Miss Hilary Banham-Carter)

Florence Nightingale avec son hibou. (1849)

Portrait de Florence Nightingale en 1856.

Les blessés de Crimée l’avaient très joliment surnommée : « La Dame à la Lampe ».

A Derby, le monument érigé à la mémoire de Florence Nightingale.

 Florence Nightingale

Introduction

Parler de Florence Nightingale décédée en 1910 dans un site consacré aux soins de santé durant la guerre 14-18 semble de prime abord étrange. Florence est cependant incontournable. Impossible de porter un regard complet sur le métier d’infirmière, à quelque époque que ce soit, sans se référer  à la véritable créatrice de ce métier. Florence représente pour le corps infirmier, ce qu’ Hippocrate représente pour les médecins. Aujourd’hui Florence a perdu sans doute de son aura et son existence  n’est plus que brièvement mentionnée aux élèves-infirmières de première année. Ce fait est sans doute regrettable : la vie de Florence mériterait d’être étudiée par chacun des futurs travailleurs qu’ils se destinent à l’art infirmier ou à la médecine. Les élèves trouveront dans sa biographie de multiples enseignements quant à leur vocation mais aussi des leçons remarquables  sur la complexité de l’âme humaine et surtout sur les difficultés qui peuvent entraver cette âme ou  au contraire la libérer en vue de  réaliser toutes ses potentialités. Florence ne fut pas une sainte, mais une femme entièrement dans son temps. Nous pouvons l’approcher dans toute sa complexité grâce à la multitude des notes qu’elle  tint journellement   depuis son enfance jusqu’au tard dans sa vieillesse. Florence écrivit aussi à ses amis un nombre absolument impressionnant de lettres dans lesquelles elle dévoilait très souvent ses sentiments. Ses écritures nous permettent d’appréhender Florence dans toute sa complexité. Aujourd’hui encore son œuvre écrite constitue une véritable mine de renseignements pour les chercheurs essayant de mieux appréhender la deuxième moitié du 19ème siècle. Il reste certainement beaucoup à exploiter dans l’œuvre écrite de Florence.

Pour ma part, je me suis contenté de lire la  biographie de Florence  écrite par Cecil Woodham en 482 pages. Quelles leçons inattendues s’offrent au lecteur! J’en cite quelques-unes.

Florence durant son enfance et son adolescence souffrait de troubles mentaux que l’on qualifierait aujourd’hui de Border-line ou de schizophrénie. Elle entendait des voix et souffrait d’épisodes qu’elle qualifiait elle-même de rêves éveillés qui la laissait dans un état d’épuisement complet. Florence se battit véritablement avec elle-même pour rester attachée à la réalité et elle y parvint avec l’aide de confidents commepar exemple sa tante Mai. Florence eut énormément de mal à accepter l’image de la féminité que lui donnait sa mère et qui reflétait celle qui régnait dans le milieu bourgeois de l’époque victorienne. Très jolie et très courtisée, Florence vécut cependant une adolescence marquée par une importante crise d’identité sexuelle dans laquelle se place la déception amoureuse qu’elle éprouva avec sa cousine. Ne voulant pas reproduire le modèle maternel basé sur les règles mondaines de la bourgeoisie de son temps, Florence parvint aux termes de beaucoup de souffrances à faire entendre sa propre féminité. On peut même s’avancer en disant qu’elle inventa une nouvelle manière d’être femme en créant le métier d’infirmière. Jamais Florence ne voulut participer aux combats des féministes qui voulaient les mêmes prérogatives que les hommes ; elle se battit par contre, pour que les femmes aient un « autre rôle » que celui dans lequel la société les confinait. Avec le recul du temps on peut considérer que Florence n’avait peut-être pas entièrement tort car, aujourd’hui conserver la complémentarité de la féminité et de la masculinité, de la paternité et de la maternité, complémentarités qui ont été fort mis à maldans le combatpour une société plus juste donnant les mêmes droits aux hommes et aux femmes. Le challenge des  générations futures pour éviter une civilisation terne et triste  sera sans doute, à tout point de vue, de conserver l’égalité entre les êtres humains tout en valorisant les différences. Florence cependant, si elle voulait  « une autre femme »  voulait aussi l’émergence d’ « un autre homme » : toute sa vie, elle rechercha et voua une grande admiration aux hommes animés d’un idéal de bonté ; à ce titre, on peut dire que Florence s’attacha à mettre en valeur la part féminine qui se trouvait au sein des hommes dans la société d’alors très machiste.

Florence fut certainement le grand charisme qui l’animait et lui permit, malgré ses défauts, d’avoir un ascendant extraordinaire sur des hommes et des femmes exceptionnels qui mirent leur énergie, leur temps, leur santé à son service. De ces personnalités très nombreuses qui se dévouèrent pour la cause de Florence et pour Florence elle-même, Sidney Herbert et tante Mai sont les représentants les plus typiques : sans leur aide, jamais Florence n’aurait pu réaliser son œuvre de réforme des soins de santé. Et finalement, en examinant les vies de Florence Nightingale et de Sidney Herbert, je ne sais pas qui de ces deux personnages est le plus méritant. Alors que Florence n’avait que sa vie à gérer, Sidney Herbert qui fut de tous les combats de Florence dut gérer sa vie de famille et d’énormes responsabilités politiques. Il mérite certainement autant, à mon humble avis, que Florence. Rappelons ici que Florence n’avait pas que des qualités : elle usait « jusqu’à la corde » ses collaborateurs bénévoles, n’excusait jamais leurs défections et souvent, ne leur marquait de la reconnaissance qu’après leur décès… Florence, finalement de façon parfois très égoïste, ne supportait aucun abandon pour quelle raison que ce fût, y compris les raisons de santé !

Florence devint de son vivant et, sans le désirer, une héroïne. Les modèles nous sont nécessaires mais nous ne devons pas oublier que toute gloire est vanité car en inondant de lumière une seule personne elle possède souvent la caractéristique très injuste de laisser inexorablement dans l’ombre les hommes et femmes pourtant véritablement remarquables qui se battirent aux côtés du héros.

Florence fut aussi une femme exceptionnelle car elle fut aussi une véritable chercheuse, un véritable savant et, fait remarquable, elle était autodidacte. Rappelons-le : elle fut la première personne à employer les statistiques pour étayer ses dires. Elle est la véritable fondatrice de l’épidémiologie et à ce titre elle mériterait certainement un prix Nobel.

En conclusion :

La vie de Florence est une leçon de courage : elle sut dépasser ses handicaps pour réaliser son idéal. Ses troubles psychiatriques et ses troubles psycho-somatiques n’eurent pas raison d’elle; elle sut sortir du carcan dans lequel la féminité de son époque la maintenait ; elle surmonta d’innombrables problèmes relationnels malgré la jalousie, les haines et des procès; elle vécut d’intenses sentiments d’échecs mais guérit de longues périodes dépressives. Malgré toutes les épreuves qui se présentaient à elle, Florence continua toujours à travailler et à lutter même pendant les longues périodes de sa vie où elle se tint alitée. Le monde dur dans laquelle elle combattit aigrit fortement son caractère mais dans le dernier tiers de sa vie sa vieillesse, elle sut retrouver la douceur, la joie et le pardon : elle se réconcilia avec elle-même et avec ceux qui l’avaient fait souffrir ou qu’elle avait fait souffrir.

Allez, Florence tu étais une fameuse femme !! J’en connais aujourd’hui bien d’autres : certes, elles sont moins connues ; mais ce qu’elles ont fait ou font de leur vie, c’est du même ordre que le « bel ouvrage » que tu as réalisé avec la tienne.

A Bernadette, Isabelle, Sabrina, Micheline, Marie-Jeanne, tante Sophie, tante Thérèse, Soeur Gaby, Sœur Elisabeth, Ute, Immaculata, Caroline, Madeleine 

                                    Dr Loodts.P        

La vie de Florence Nightingale

(Auteurs : Loodts Patrick et Rico Ariza Immaculada)

Florence, une  petite fille aisée mal dans sa peau

Florence était issue d’une famille privilégiée tant du côté de sa mère  que de celui de son père  provenaient de la haute bourgeoisie. Fanny, sa maman avait grandi dans un milieu de fêtes perpétuelles sans autre souci que son  plaisir et ses  aises.  Quant au  père de Florence, William, intelligent mais assez indolent et que tout le monde appelait par ses initiales «  W.E.N. »  il  avait hérité  à l’âge de 21 ans  d’une fortune très considérable. A l’âge de 24 ans, il s’était marié avec Fanny qui comptait trente printemps !

Florence naquit  en 1820 au cours du  très long  voyage  de noce  que ses parents Fanny et William Edward Nightingale effectuèrent à travers le continent européen. Alors que le jeune couple se trouvait en Grèce, Fanny donna d’abord naissance à  son premier enfant qui fut baptisée du nom de Parthenope. L’année suivante, ce fut en Italie, à Florence,  que  Fanny  accoucha de sa deuxième fille qui fut à son tour baptisée du nom de la cité  dans laquelle elle vit le jour…

Le long périple du couple en Europe se termina quand Parthe fut âgée de trois ans et sa sœur cadette,    Florence de deux ans !   A leur retour, les Nightingale  firent alors construire une imposante demeure  dans le Derbyshire.  Mais « Lea Hurst », ainsi s’appelait cette maison, se révéla l’hiver  trop humide pour la santé des deux enfants. Les Nightingale décidèrent alors de la considérer comme une résidence d’été et ils allèrent bâtir à Embley Park dans le Hampshire une deuxième demeure  beaucoup plus confortable mais aussi  plus grande (« Lea Hurst »  ne comptait que 15 chambres à coucher !) La vie de la famille se partagea entre ces deux demeures et leur hôtel de  Londres dans lequel la famille séjournait deux fois par an au printemps et en Automne ! 

La petite Florence  avait à sa disposition tout ce qu’un enfant pouvait rêver : des  parcs dans lesquels elle pouvait s’ébattre, des poneys à monter et une collection de chiens, de chats, d’oiseaux à soigner !  Pourtant  elle  ne semblait pas être  heureuse : dans une note autobiographique Miss Nightingale raconta que tout enfant, l’obsession de ne pas être comme tout le monde, d’être même  un monstre, la tourmentait terriblement. Ainsi, elle redoutait de  devoir descendre à dîner persuadée qu’elle se trahirait en accomplissant des actes bizarres à l’aide de son couteau et de sa fourchette ! A ce premier sentiment d’être anormale, se mêla  vers l’âge de six ans un dégoût de l’existence qu’elle menait à Embley et à Lea Hurst.  Florence qui était très imaginative prit alors la mauvaise habitude de fuir la réalité en se réfugiant dans des longs moments de  « rêves éveillés ».

Florence ne trouva pas dans sa mère le modèle de femme à qui elle voulait  ressembler, par contre elle possédait un père qui l’enchantait véritablement. Son papa, W.E.N., était curieux de tout,  comprenait la plaisanterie et surtout prenait le temps d’instruire lui-même ses filles. Il leur enseignait grec, latin, allemand, français, histoire et philosophie ! W.E.N. était un homme solitaire, assez oisif, mais il trouvait un véritable plaisir à voir s’éveiller l’intelligence de ses filles. Entre le père et ses filles, l’accord était plus  profond avec Florence qu’avec  sa sœur aînée Parthe qui  refusait d’apprendre le grec. Parthe  devint  alors jalouse du temps  plus important que W.E.N. consacrait à sa soeur!   En quelques années, une répartition de la famille s’opéra assez  naturellement: Flo travaillait avec W.E.N. dans la bibliothèque tandis  que Parthe secondait Fanny au salon… Les différences de caractère entre les deux sœurs pèseront très fortement sur leurs relations mutuelles et cela pendant toute leur vie. Florence se réfugiait souvent dans le rêve et dans l’écriture pour éviter ou fuir les conflits. Elle décrivait ses sentiments sur tout ce qui lui tombait sous la main : papier buvard, envers de calendrier, marge de lettres. Grâce aux multiples écrits qu’elle laissa  depuis son enfance, nous la connaissons extrêmement bien. Dans une de ses notes, elle écrivit : « Le 7 février 1837, Dieu m’a parlé et m’a ordonné de le servir ». Il ne s’agissait pas d’une simple révélation intérieure. Comme Jeanne d’Arc, elle entendait une voix et cette voix parlait le langage des hommes. Elle avait à peine 17 ans et elle vivait souvent dans un monde imaginaire qui lui paraissait plus tangible que le monde réel. Ce ne fut pas là qu’un épiphénomène d’adolescence. Quarante ans plus tard, elle écrira en 1874 que « ses voix » lui avaient parlé quatre fois. Le 7 février 1837, date à laquelle elle se sentit appelée pour la première fois ; en 1853 lorsqu’elle prit la direction de l’institution charitable de Harley Street ; avant son départ pour la Crimée en 1854 et une dernière fois en 1861, après la mort de son ami et collaborateur  Sidney Herbert.

Le contraste entre les deux parents de Florence était très marqué ; Fanny  était une femme ambitieuse mais  son mari n’aspirait qu’à une vie de « calme et d’ombre ». Par compensation, Fanny reporta  toutes ses ambitions familiales sur ses deux filles qui se devaient d’être parfaites dans tous les domaines en vue d’une vie mondaine et d’un  mariage idéal ! Il semble bien que Florence ait très tôt dans son enfance refusé  le rôle que sa mère lui destinait. Son père lui avait par contre  donné  le goût d’une vie où la curiosité intellectuelle occupait un  rôle majeur… Cette situation conflictuelle perturba certainement l’adolescence de Florence.  C’est sans doute pour échapper à ce conflit fondamental, qu’elle se réfugia à nouveau comme  dans sa  tendre enfance dans des « rêves éveillés ». Ce mécanisme psychologique la protégea  mais aurait pu aussi la faire sombrer dans une forme définitive de schizophrénie.  Il  faut rappeler que les femmes qui refusaient inconsciemment le rôle très étroit qui leur était alors attribué par la société,  n’avaient pas d’autres ressources que de refouler leurs désirs sans même pouvoir en parler. Leur désir refoulé  se manifestait  alors (selon leur éducation et leurs prédispositions)   dans le  rêve, parfois à la limite de la psychose, ou dans un  langage corporel incompréhensible des autres, se manifestant  par  d’impressionnants  phénomènes hystériques.   

Un voyage merveilleux pour Florence

Parthe et florence avaient respectivement  dix-sept  et seize ans quand leurs parents jugèrent  que leur demeure d’Embley  était devenue indigne de leur condition. La décision fut prise de la rénover en  y ajoutant six chambres à coucher, en construisant  des nouvelles cuisines, sans oublier de refaire l’extérieur et de revoir la décoration intérieure. Fanny proposa que toute la famille s’échappât sur le continent pendant toute la durée des travaux. Pour Fanny, ce voyage à l’étranger devait aussi  être l’occasion de parfaire l’éducation de ses  filles en leur donnant la possibilité  de perfectionner leurs connaissances en langues et plus pragmatique … de compléter leurs garde-robes à Paris ! Au mois d’ septembre 1837, les Nightingale quittèrent leur résidence. Ils ne passèrent pas inaperçus : leur berline de voyage  dessinée par W. E. N. était un véritable  monument roulant. Cinq ans plus tard, lorsque la berline fut prêtée à la sœur de Fanny, cette dernière voyagea avec six de ses filles, un précepteur et une femme de chambre ! Des sièges étaient disposés sur le toit pour les serviteurs et pour les membres de la famille qui désiraient, les jours de beau temps, respirer l’air frais et admirer le paysage. Six chevaux, montés par deux postillons, tiraient la berline. C’est dans cette apparence  véritablement princière qu’ils  traversèrent la France et arrivèrent le 15 décembre à Nice, ville dans laquelle ils séjournèrent trois semaines avant de rejoindre l’Italie. Les Nightingale s’attardèrent longtemps à Florence  et assistèrent  de nombreuses fois aux représentations de son opéra renommé qui ravit les Nightingale. Après l’Italie, W. E. N. décida de  séjourner à Genève qui  regorgeait à cette époque   de nombreux réfugiés Italiens très particuliers. La plupart d’entre eux étaient en effet des intellectuels et des artistes qui avaient fui la domination autrichienne à laquelle était soumise l’Italie. Parmi ceux-ci se trouvait un homme assez exceptionnel du nom de Sismondi. Ce monsieur était, paraît-il, très laid  et petit mais sa conversation constituait  un véritable enchantement pour ses auditeurs. Sismondi était réputé pour sa douceur  et il ne pouvait supporter de voir souffrir un être vivant. Chez lui en Italie, devant sa maison  se trouvait en permanence une foule de 350 mendiants qui campaient là en toute sécurité ! Florence eut l’occasion de  fréquenter cet homme remarquable ainsi que l’ami de ce dernier,  un certain monsieur Confalioneri, qui avait vécu plus de 15 ans emprisonné dans les geôles autrichiennes avant de retrouver sa  libéré. Ces rencontres avec des hommes hors du commun marquèrent Florence.

A Paris, une femme exceptionnelle : Mary Clark

Le séjour des Nightingale  en Europe se termina  en apothéose par un séjour à Paris. W.E.N. avait retenu pour une durée de quatre mois un appartement place Vendôme  fort somptueux.  Florence fréquenta dans la capitale française une certaine Miss Mary Clarke qui allait beaucoup compter pour elle. Mary Clark était une des femmes les plus célèbres  de Paris par le salon qu’elle tenait chaque vendredi soir. Ne possédant ni beauté, ni fortune, elle avait su rassembler par son charme  toutes  les personnalités qui comptaient dans la vie politique, artistique et intellectuelle. Miss Clarke avait été lancée dans le monde par Madame Récamier qui l’avait engagée vers 1830 pour servir de dame de compagnie à sa mère  malade. Madame Récamier avait à cette époque 54 ans et passait son temps à distraire Chateaubriand qui souffrait de l’ennui comme d’une maladie incurable. Mary Clarke invita donc la famille Nightingale à un de ces fameux vendredis  et se prit d’amitié pour Florence qui eut ainsi l’occasion de rencontrer Chateaubriand mais aussi   le célèbre médiéviste Claude Fauriel et   l’orientaliste  Julius Molh  qui apporta plus tard un très grand soutien aux entreprises de Florence.

Florence fut certainement impressionnée par le renom d’une femme comme Mary constamment entourée  d’hommes  qui lui témoignaient des sentiments très amicaux. Elle acquit par cet exemple la conviction que des liens très étroits autres que l’amour pouvait  unir  hommes et femmes. Florence plus tard, suivant en cela l’exemple de Mary, saura  à son tour s’entourer d’hommes de très grande valeur qui l’aidèrent à réaliser son idéal tout en  lui vouant une véritable admiration.

En 1839, la famille repartit pour Londres. La période des jours heureux était terminée. Les scrupules, la culpabilité envahirent à nouveau Florence. Elle se mit à réfléchir à nouveau sur son passé et son avenir.  Deux années avaient passé depuis que Dieu lui avait parlé. Pourquoi n’entendait-elle plus sa voix ? Pour Florence, la réponse allait de soi : elle n’en était pas digne. Toute au plaisir des bals et des opéras, et dans la vanité de se faire admirer, elle avait oublié Dieu. Elle aimait trop les distractions, le monde et il lui fallait apprendre à s’en priver ! Cette nouvelle résolution désespéra sa mère Fanny qui avait repris espoir  d’un grand avenir mondain pour sa fille en constatant le succès  qu’elle avait remporté sur le continent ! En réalité,  Florence commençait à livrer un de ses plus durs combats intérieurs qui allait durer 14 ans !  Pendant cinq ans, Florence s’interrogea douloureusement avant d’arriver  à la certitude que sa vocation était de se consacrer au soulagement des souffrances des malades.  D’amers dissentiments l’opposèrent ensuite à sa famille, et neuf années s’écoulèrent encore avant qu’elle fût en mesure de réaliser son rêve !

Les tourments d’une  passion  pour son amie Marianne.

Dans les premiers mois qui suivirent son retour, Florence s’obligea à accepter une certaine  vie mondaine qui était celle de sa classe sociale. Au cours des multiples réceptions  auxquelles elle participa, Florence tomba folle d’admiration pour sa cousine Marianne Nicholson, jeune fille  d’une éblouissante beauté et qui était passionnée de musique. Le frère de Marianne s’éprit de Florence qui  n’osa décourager  ses  avances pour rester très proche de sa grande amie. Ce comportement  irrationnel à cause de son adoration pour Marianne lui infligea de gros tourments et  sa santé s’en ressentit considérablement ! Ce fut la sœur de W.E.N.  , tante Mai qui vint au secours de Florence.  Les liens entre Tante Mai et Florence étaient très profonds. Attirée par des problèmes métaphysiques et transcendantaux, il y avait quelque chose de mystique dans l’amour de tante Mai pour Florence. En dépit de la différence d’âge, elle éprouvait pour sa nièce l’adoration d’un disciple pour son maître. C’est dira aussi l’ascendant que florence pouvait avoir sur les autres. En janvier 1840, tante Mai parvint à persuader Fanny que sa fille « Flo » avait besoin d’un changement et Florence obtint l’autorisation de séjourner à Londres chez sa tante Mai.

Florence aima les mathématiques !

 C’est pendant ce séjour que Miss Nightingale résolut d’étudier les mathématiques sous les conseils de sa tante. Cette dernière avait perçu chez sa nièce une intelligence hors du commun qui demandait absolument à être employée ! Etudier les mathématiques pour une fille n’était pas dans l’air du temps comme le montre la réaction de  sa mère Fanny. Perplexe, elle  écrivit à tante Mai  qu’elle ne voyait pas en quoi les mathématiques pouvaient  servir à Florence étant donné que la destinée de sa fille était - elle l’espérait de tout cœur – de se marier !  Tante Mai  put cependant obtenir de Fanny un compromis. Elle appela à son aide un homme très érudit, monsieur Octavius Smith et dont l’épouse venait d’être très malade. Mrs Smith demanda que Florence, dont les talents pédagogiques étaient déjà bien connus, fût autorisée à s’occuper de ses enfants et Fanny y consentit. Pendant une partie d’avril et de mai 1840, Florence put alors séjourner dans cette famille et grâce à la ruse de tante Mai, elle bénéficia deux fois par semaine de leçons de mathématiques dans la bibliothèque des Octavius. Hélas, quand elle repartit pour Embley, il ne fut plus jamais question pour elle  d’études sérieuses.

Ces leçons particulières, son goût pour les mathématiques devaient cependant lui être très utiles car, nous le verrons plus loin, Florence devint  véritablement  une pionnière dans le domaine des statistiques  (celles-ci  lui furent très précieuses pour argumenter ses propositions révolutionnaires dans le domaine de la santé publique). On oublie trop souvent  que si Florence  fut une femme extraordinaire par son charisme, elle fut a aussi une des premières femmes  qui se consacra à la science et cela de façon autodidacte!

Florence, brillante jeune fille, veut réprimer son désir de briller dans le monde

Florence passa les fêtes de Noël  à Waverley, la demeure des Nicholson : un bal masqué monstre se prolongea jusqu’à cinq heures du matin et fut suivi le lendemain d’une représentation théâtrale. Florence se montra gaie, brillante, et parfaite danseuse !  A 22 ans,  elle était devenue une personnalité remarquée dans les cercles intellectuels. Florence se reprochait cependant  amèrement son succès, se rappelant sans se lasser que «  si elle voulait mériter de se voir révéler son chemin  par Dieu, il lui fallait dominer son désir de briller dans le monde ».

La famine de 1842 fait réfléchir Florence

L’année 1842 fut une année terrible pour le peuple d’Angleterre. Le pays était sous le joug d’une famine qui passa dans l’histoire sous le nom tristement célèbre de « the hungry forties », dans les villages, on ne voyait que disette, travail forcé, ignorance et crasse. De cette époque date ces notes significatives écrites par  Florence  « Je ne puis me détacher mon esprit des souffrances humaines ; cette pensée m’assaillit de toute parts…Les vers qu’écrivent les poètes à la gloire de ce monde me paraissent faux. Tous les malheureux que je vois sont dévorés par les soucis, la pauvreté, la maladie ».

Au automne, elle rendit visite à la famille  Bunsen. Les Bunsen unissait l’intelligence, la bonne éducation et la fortune. Le chevalier Bunsen avait la réputation d’être le premier égyptologue du monde. Il avait une affection particulière pour Florence à qui il prêta de nombreux livres d’archéologie et de religion et qu’il appelait « sa préférée et très admirée Miss Nightingale ».  Ce fut  à ce confident que Florence posa la question qui la tourmentait à peu près en ces termes : « Que peut faire un être humain pour alléger la souffrance des malheureux et des déshérités ? »

Bunsen lui parla alors du travail admirable  qu’accomplissaient  le pasteur Fliedner et sa femme à Kaiserwerth-sur-le-Rhin. Là, en Allemagne, des diaconesses protestantes qui se destinaient aux soins des malades nécessiteux  recevaient sous leur direction un enseignement adapté à leur vocation  comme il n’en n’existait nulle part ailleurs !

Florence à nouveau en détresse avec des pensées délirantes et un amour impossible

A la fin juillet 1843, les Nightingale partirent une fois de plus pour leur résidence de Lea Hurst et Florence s’appliqua à aider les pauvres et les malades du village proche d’ Holloway et dans lequel résidaient bon nombre d’ouvriers de filature. Elle sollicita sans cesse de sa mère des médicaments, de la literie et des vêtements.  De retour à Londres en automne, Florence relata dans une de ses notes intimes qu’elle prenait conscience de l’esclavage auquel la réduisit l’habitude de ce qu’elle appelait « rêver tout éveillée ». Florence tombait  en effet en pleine vie quotidienne dans des « états de transe » ! Miss Nicholson, tante Hannah pour les Nightingale, une femme paisible mais à l’esprit profondément religieux s’aperçut de la détresse de Florence et passa de nombreuses journées à discuter avec elle où à lui écrire. Finalement, au cours du printemps 1844 soit sept ans après son « appel »,  Florence, âgée de 24 ans acquit la certitude que sa vocation était de se consacrer aux malades dans les hôpitaux. Cependant il se passa encore de très nombreux mois avant qu’elle puisse entrevoir la manière de débuter sa vocation. Elle mit d’abord un peu d’ordre dans ses sentiments. Henry Nicholson la demandait en mariage et elle refusa  net. Les parents d’Henry accusèrent Florence, non sans raison, d’avoir cependant encouragé leur fils dans ses avances ! Marianne, la sœur d’Henry apprenant cette rupture mit  fin à son amitié pour Florence qui éprouva alors d’intenses sentiments de désespoir et de culpabilité : « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonnée ? » Pas un mot de blâme pour son amie, elle n’accusa qu’elle même : « Je n’étais pas digne d’elle. Je ne me suis montrée loyale ni envers elle, ni vis-à-vis de moi, ni envers notre amitié. Je la craignais, voilà la vérité. »

Florence se découvre la  vocation de soigner «  autrement »

Florence parvint peut à peu à remonter la pente. Ce qui l’aida certainement  fut  de pouvoir se consacrer à sa grand-mère malade et puis à la vieille nurse de la famille qui s’éteignit en serrant les mains de Florence. Ces deux épisodes apportèrent à Florence une certaine assurance et il devenait difficile de lui interdire maintenant de prodiguer des soins aux malades alors qu’elle avait soigné avec tant de compétences  sa grand-mère et sa nurse.

 A l’automne, elle aida donc activement à soigner les malades du village de Wellow ; elle fit alors un nouveau pas capital pour le déroulement de sa vocation en comprenant la nécessité absolue de posséder un bagage  scientifique.   « J’ai vu une malheureuse femme mourir, cet été, sous mes yeux, entourée d’idiotes qui l’empoisonnaient aussi sûrement que si elles lui donnaient de l’arsenic » écrivit-elle en décembre 1845.

Lorsqu’en 1844, elle comprit pour la première fois que sa vocation l’appelait auprès des malades des hôpitaux, Florence  n’envisageait pas encore  de les soigner véritablement ! Elle  pensait que les qualités propres à soulager les misères des malades étaient la douceur, la sympathie, la bonté et la patience. Sa courte expérience venait de lui démontrer que de solides compétences et de réelles capacités intellectuelles  devaient nécessairement  s’allier aux qualités humaines pour arriver à un soulagement efficace des souffrances entraînées par les maladies et la misère.

L’idée d’aller en stage dans un hôpital suscite un ouragan familial qui fait  plonger Florence dans la dépression grave

Florence décida alors de vivre la vie d’hôpital pendant trois mois à Salisbury. Cet hôpital était tenu par le Dr. Fowler un vieil ami de la famille. En décembre 1845, elle exposa son plan à sa mère ce qui donna lieu à  véritable orage familial. Sa mère Fanny  accusa sa fille d’entretenir « un amour honteux », un secret attachement « pour quelque vulgaire et grossier médecin ».  Quant à son père W.E.N.,  il se montra morose, parla de filles ingrates et gâtées et prédit l’avenir le plus sombre « à une race tombant à la merci des jeunes filles modernes ». Fuyant la tension familiale, W.E.N. alla se réfugier à Londres, laissant sa fille Florence seule, vaincue et déprimée. « Je ne vois pas quel avantage j’ai à continuer de vivre », écrivait-elle, excepté que je deviens chaque année un peu moins une jeune fille du monde. Vous ririez de moi, ma chérie, si vous saviez quels plans je dresse. Seule la mère d’une idée encore dans son enfance peut savoir à quel point cet enfant lui est cher ni combien l’âme souffre entre l’abandon d’une idée et l’adoption d’une autre. Je ne réaliserai jamais rien. Je ne suis que cendres et poussière…Oh qu’un événement survienne qui rejette dans le passé cette vie méprisable ! »

Le lecteur du 21ème siècle doit cependant garder de l’indulgence pour les parents de Florence. Il n’est en effet pas étonnant que ceux-ci aient été  frappés d’horreur par les projets de leur fille quant on sait les conditions affreuses qui régnaient à cette époque dans les hôpitaux. Florence les décrivit d’ailleurs de façon fort parlante : « Les commodités les plus simples faisaient défaut. Les planchers, faits de bois blanc, rarement nettoyés s’imprégnaient de matières organiques. Lorsqu’on les récurait, ils dégageaient une odeur qui ne rappelait en rien l’eau et le savon. Murs et plafonds, de plâtre grossier, étaient saturés de crasse. Un unique poêle, placé  au fond de chaque salle, en assurait le chauffage. Pour retenir la chaleur, on laissait les fenêtres fermées pendant des mois. Dans certains hôpitaux, la plupart des fenêtres étaient aveuglées  de planches pendant l’hiver. Au bout d’un certain temps l’odeur devenait nauséeuse. On y remédiait par de fréquents grattages et chaulages, mais les ouvriers qu’on employait à cette tâche, tombaient sérieusement malades. Les patients venaient de taudis, véritables trous à rats, de bouges, de caves où régnait le choléra. On introduisait en fraude dans les salles, du gin et de l’eau de vie. Des scènes d’horreur se déroulaient. Des malheureux, à demi morts, roulaient ensemble sur le sol ou se tordaient en proie au delirium tremens. Dans  certains hôpitaux, il n’était pas rare de faire appel à la police pour rétablir l’ordre.  En général les infirmières ne nettoyaient pas les malades. Elles ne leur lavaient jamais les pieds. Ce n’est qu’avec peine, et en grand hâte, qu’elles pouvaient de procurer un peu d’eau, de quoi leur humecter le visage et les mains. Les lits mêmes étaient crasseux. Il était d’usage courant de mettre un nouveau malade dans les draps qui avaient servi au dernier occupant. Les matelas  bourrés de laine, n’étaient jamais nettoyés. On préférait recruter les soignantes parmi les femmes de réputation, autrement dit, les filles-mères. Il était courant, pour celles-ci de dormir dans la salle dont elles avaient la charge, même  si leurs malades étaient des hommes ; les infirmières dormaient dans des cages de bois situés sur les paliers, à la porte des salles. Seules les femmes de mauvaise vie pouvaient accepter une chose pareille. Les gardes de nuit se reposaient durant le jour dans ces trous sans air ni lumière, si bruyants qu’elles ne pouvaient trouver le sommeil.

Le véritable fléau aussi bien pour les gardes que pour les malades était l’alcool. En 1854, l’infirmière-major d’un hôpital de Londres disait à miss Nightingale  qu’au cours de sa longue carrière, elle n’avait pas connu d’infirmière qui ne fût alcoolique, et que la plus grande licence régnait jusque dans les salles, ce dont elle me donna d’affreux exemples ».

Kaiserwerth : une institution modèle      

Florence  eut besoin  de longues périodes d´attente  pour commencer à  réaliser  son oeuvre : dés sa première révélation  en 1837 à la manifestation des ses intention de soigner les malades, huit ans passèrent et il faudra encore  huit ans de souffrances pour qu’elle obtienne  sa « liberté » : huit années pendant lesquelles, son sentiment de culpabilité envers les siens la tint éloignée de ce qu’elle avait envie de faire tout en la faisant «  rêver éveillée » dans des moments de profonde dépression!

Devant l’impossibilité de travailler en hôpital  à cause de l’autorité parentale et suivant la suggestion de Lord Ashley, Florence  se mit à étudier en secret les Livres Bleus et les Rapports sur les Hôpitaux, elle s´intéressa aussi à ce qui se passait à l’étranger et son plus grand trésor devint l’ Annuaire des Institutions des Diaconesses de Kaiserwerth (elle rêvait à visiter cet endroit). 

Toutes les déceptions, les obstacles rencontrés par Florence finalement lui servirent à réaliser son œuvre. Les quelques cours de mathématiques qu’elle reçut, la lecture des rapports sanitaires dont elle dut se contenter  à défaut de travailler directement au chevet des malades et même son expérience de maîtresse de maison qui lui avait été à cette période imposée sa mère (Florence avait dû accepter de gérer les réserves de l’office et la lingerie de la maison familiale) lui servirent plus tard à mettre au point la réforme des soins en Angleterre.

A l´automne de 1847, Florence  était cependant  extrêmement désespérée .Elle  fut sauvée par un jeune couple, les Bracebridge, qui s’aperçut de sa profonde détresse et qui  en partance pour Rome lui proposa de l’emmener avec eux. C’est grâce à cette famille qu´elle put faire connaissance 1848 de Sidney Herbert qui à cette époque se trouvait  dans la ville éternelle en voyage de noces. Sidney Herbert deviendra une personnalité politique et philanthropique  extraordinaire et tiendra  une place très importante tout au long de la vie de Florence. De retour en Angleterre  en avril 1848, Florence  retrouva Sidney à Londres et ayant perçu  son intérêt pour une réforme des hôpitaux, elle lui donna un rapport  extrêmement détaillé sur tout ce qu’elle avait lu sur les hôpitaux durant  plus de cinq ans !

Florence n’était cependant pas encore aux bouts de ses tourments. Une  tentative pour aller visiter les diaconesses de  Kaiserwerth  échoua lamentablement. Elle continuait d’autre part à  s’attirer les foudres de ses parents en  soignant les pauvres des alentours  et, scandale supplémentaire pour sa mère Fanny, elle  avait refusé de  se marier avec un nouveau prétendant, le poète Richard Molckton Miles ! La situation à la maison restait donc extrêmement tendue.

Ce furent à nouveau les Bracebridge qui la tirèrent hors de son milieu familial oppressant. Ils lui proposèrent de repartir avec eux en voyage, cette fois, pour la Grèce et l´Egypte. En janvier 1849, durant ce périple, Florence écrivit  plusieurs fois dans son diary  « Dieu m´a parlé ».  Un peu plus loin dans ses notes, on retrouve de nombreuses phrases exprimant des sentiments de culpabilité et des « envie de dormir » qui n’auguraient rien de bon pour Florence malgré tous les efforts entrepris par des Bracebridge pour la distraire.

Sigma Bracebridge remarqua que l’état dépressif de Florence  ne s’améliorait guère. Elle  prit alors  la résolution d’ organiser le retour en Angleterre  de façon à ce que Florence  puisse enfin  accomplir  le   rêve de sa vie : passer quinze jours  à visiter l´ Institution  de  Kaiserwerth.  Cet organisme modèle  était doté d’une structure tout à fait révolutionnaire pour l’époque car on  offrait aux malades des soins effectués non plus par des gardes-malades incompétentes et  le plus souvent alcooliques  mais par un personnel dévoué, idéaliste et sélectionné !  Suite à son séjour à Kaiserwerth, Florence publiera plus tard un pamphlet anonyme adressé aux femmes que la société  anglaise maintenait en « une diligente inactivité »

En 1850, Florence à   Lea Hurst  ne trouvait toujours  personne capable de comprendre ses aspirations et capable de partager son  émerveillement pour les idéalistes de  Kaiserwerth !  Ses parents l’avaient chargé de s’occuper activement de sa sœur Parthe  qu’il fallait distraire ! Florence dut aussi affronter les conséquences de ses choix : Richard Molckton Miles s’était finalement  marié après avoir vainement attendu un changement de décision de Florence durant  neuf années !

Ce fut à cette époque  que Florence  fit la connaissance du  docteur Blackwell  une des premières femmes médecins  anglaises (elle avait effectué ses études aux Etats-Unis). La doctoresse lui décrivit la détresse des malades dans les hôpitaux, ce qui confirma Florence dans ses idées et dans sa  vocation.

C’est à cette époque que Florence arriva peu à peu  à se  libérer de l’emprise de son milieu. On observe un changement de ton dans ses notes à partir de 1851. Voici comment elle décrivit ses proches :

« Je ne puis attendre d ´eux ni aide ni sympathie .Il me faut prendre certaines choses ; juste ce qu´il me faut pour pouvoir vivre. Je dois les prendre car elles ne me seront pas données … ».

Florence pu alors commencer  de vivre mieux car son  cœur  s’allégeait  progressivement  du poids des  sentiments de culpabilité et de doute !

Grâce à l´ influence des familles qui éprouvaient  de l’admiration et de l’affection pour elle, les Herbert, Bunsen et les Bracebrigde, elle obtint de ses parents, avec le prétexte d´accompagner sa mère et sa sœur pour une cure à Carlsbad, la possibilité de faire un stage à Kaiserwerth. L’institution  sera ainsi étudiée sous toutes ses coutures par Florence qui nota tous ses aspects positifs et mais ce qu’il  convenait d’encore améliorer. Florence n’obtint cependant aucune compréhension auprès de sa mère et de sa sœur pour le travail intellectuel qu’elle effectuait. En  Octobre 1851, la mère et ses deux filles  de retour en Angleterre retrouvèrent leurs habitudes et obligations Florence se défoula alors en écrivant   « Casandra », un pamphlet (« Rien n´égale la mesquine et usante tyrannie  d une bonne famille anglaise »), dans lequel elle  critiquait la répression des filles de la bonne société.

En 1852 l’assurance de Florence a fait un bond et  à l´occasion de son anniversaire, elle affirmait : « Je suis heureuse de penser que ma jeunesse est passée, qu´il ne reviendra jamais ce temps d´inexpérience et de déceptions, ou l´homme ne possède rien, même pas lui –même. »

Son père n’était pas étranger à cette amélioration car il s’était peu à peu rapproché de Florence. Profitant d’être  accompagné par celle-ci lors d’une cure de santé qu’il effectuait  à Londres, il présenta  sa fille au le cardinal Manning qui maintenait une  étroite relation avec les institutions de soins catholiques tenues notamment par les Sœurs de la Miséricorde à Dublin et les Sœurs de la Charité à Paris.

Florence en étant à nouveau plus proche de son père, elle fut à nouveau jalousée par  sa mère et sa sœur. Parthe se sentit si mal qu’elle sombra même dans la dépression. Pauvre W.E. N. ! On dut faire intervenir le médecin traitant et le Dr Clark recommanda fermement  la séparation des  deux sœurs. On convint de faire partir Parthe  pour une cure de santé en Ecosse et  Florence  pour  Dublin afin qu’elle puisse  demander  aux  Sœurs de la Miséricorde la  permission d’effectuer un séjour dans leur hôpital de Paris. Florence  obtînt l’autorisation mais dut  postposer  son séjour en France pour se rendre auprès de sa tante Evans qui, malade, réclamait sa présence! Retournée au sein de l’environnement familial qui lui était  défavorable, Florence  affronta à nouveau la jalousie maladive de sa  sœur Parthe !

Enfin un peu de chance pour Florence

Ce fut  en avril  1853, que Florence rejoignit  à Paris  avec l´intention de  visiter  hôpitaux et hospices et de réaliser une  étude comparative  de ces institutions. Florence envoya de multiples questionnaires aux institutions mais  à nouveau un contretemps l’empêcha de mener à bien son projet. Alors  qu’elle se réjouissait de  rentrer comme stagiaire aux Sœurs de la Providence, elle fut rappelée  en Angleterre  pour assister à nouveau un membre de sa famille. Cette fois c’était sa grand-mère qui se mourrait.

L’interruption de son séjour à Paris ne lui fut cependant pas dommageable car elle revint en Angleterre au moment précis où l’ «  Institution Charitable pour dames de bonne famille, malades et sans ressources » recherchait une directrice. La sachant de retour, on fit appel à elle. C’était évidemment pour Florence l’occasion rêvée de pouvoir exercer une  fonction dans son domaine de prédilection et malgré la virulente opposition familiale, Florence s’empressa d’accepter le poste vacant. Elle prit en même temps  la courageuse et douloureuse décision de s’éloigner des siens en allant  habiter au sein de l’institution au  nº 1 Harley Street.

Florence réforma l’institution dans laquelle elle se trouvait. Elle eut à faire face au conseil d’administration et exigea que l´institution soit ouverte à tous et soit  non confessionnelle.

Florence solutionna  en priorité les questions d´ordre pratique et d´organisation plutôt que de rester des nuits entières au chevet des malades. En six mois, elle put se faire une réputation et cela malgré sa jeunesse.

Il faut noter que, bien que sa sœur et sa mère continuaient à s´opposer à ses activités, Florence pu compter sur leur générosité pour acquérir quantité  de produits et  de matériel utiles à son institution. Les malades adorèrent rapidement Florence qui éprouva cependant rapidement le besoin d’élargir son champ d’action. En Janvier de 1854, elle entreprit de visiter de nombreux  hôpitaux pour étayer sa proposition de  réforme des conditions de vie des gardes-malades. Ce fut  à cette époque que sa correspondance avec Sidney Herbert devint quasi quotidienne.

Florence, volontaire au Middlesex hospital

Au cours de une épidémie de cholera que se déclara à Londres durant  l´été de 1855, elle s’engagea comme  volontaire au Middlesex Hospital  et y  organisa les soins. On possède des témoignages de cette période durant laquelle Florence  créa une vive impression  d’efficacité.  « Il y a tant de douceur dans sa voix, dans ses gestes, dans ses manières, que ceux qui l’approchent ne peuvent deviner sa nature inflexible, son étonnante force de caractère » témoignera Mrs. Gaskels

Florence part en Crimée

Les qualités d’organisation de Florence allaient bientôt lui servir sur une bien plus  grande échelle. En mars 1854 l´Angleterre et la France  déclarèrent la guerre à la Russie qui venait de s’emparer de la Crimée au détriment des Turcs.

Les Anglais envoyèrent un corps expéditionnaire en Crimée pour déloger les Russes mais une série de catastrophes transforma l’expédition en déroute.

Quatre Commissions parlementaires furent crées pour  enquêter sur la cause de ce désastre : trois furent  envoyées sur place et une  siégea à Londres. Toutes ces enquêtes firent l’objet de rapports multiples publiés dans une série de « Livres Bleus ».

Un premier désastre se passa à Silistra en Roumanie en  juin 1854 quand une épidémie de cholera éclata et transforma l´armée britannique en une armée d’invalides. Les Alliés se mirent cependant  en route pour attaquer le véritable objectif de cette guerre qui était la base navale russe de Sébastopol.

Plus de 30. 000 hommes s’embarquèrent à Varna pour traverser la Mer Noire mais comme  les moyens de transports  étaient insuffisants, on décida de ne pas embarquer  le matériel sanitaire. C’était le 14  Septembre. Une semaine plus tard, Français et Anglais remportèrent  durement la bataille de l´Alma car les blessés payèrent très chèrement  le prix de la victoire parce qu’il manquait de matériel sanitaire. Le choléra de plus continuait à faire des ravages et plus d’un millier de soldats qui avaient survécu au combat furent contaminés par le terrible bacille. Ils furent  expédiés à Scutari, une base britannique sur la rive asiatique du Bosphore, à côté de Constantinople. A Scutari, les conditions sanitaires étaient déjà effroyables. Dans cette localité, les Turcs avaient cédé aux Anglais une énorme  caserne d´artillerie ainsi que  l´hôpital qui y était attaché. Les Anglais avaient considéré cette dernière bâtisse comme un « hôpital général » mais le manque de prévision, la désorganisation, l´insuffisance des moyens en personnel et matériel aboutit à un véritable désastre. L’hôpital, qui  avait déjà fait son plein avec les malades du cholera, se trouva tout à fait dépassé quand  s´ajouta  le contingent  de cholériques et de blessés  qui, après la bataille de l’Alma,  étaient parvenus à joindre Scutari  dans les épouvantables  navires-hôpitaux  qui n’avaient de médical que leur nom ! Sur le Kangaroo par exemple, on entassa entre 1200 á 1500 malades quand sa capacité était prévue  pour 250 ! Les malades et blessés roulaient véritablement les uns sur les autres dans les ordures et le sang et ne recevaient ni soins ni vivres.

Toutes ces horreurs seraient  restées secrètes sans les révélations d’un correspondant du guerre du « Times »,  W.H.Russell  qui  avait été autorisé à suivre l´Armée britannique en campagne : ses reportages sur les souffrances des malades et blessés marquèrent  tout le peuple anglais. Dans une de ses dépêches, il dénonça le manque de personnel soignant  en faisant une comparaison avec l´armée française bien mieux fournie. Cette nouvelle prit l’allure d’un véritable scandale en Angleterre.

Sidney Herbert qui avait été nommé ministre de la Guerre en 1852  décida d´agir de sa propre initiative puisque  les autorités militaires continuaient à  refuser la réalité dénoncée par le journaliste du « Times ». Sidney Herbert  donna carte blanche à Lord Stratford, l´ambassadeur britannique a Constantinople pour acheter tout le matériel indispensable pour secourir les blessés et malades et le 15 octobre il écrivit à Miss Nightingale pour lui demander si elle était  disposée à partir pour Scutari á la tête d´un groupe d´infirmières avec l´assentiment du Gouvernement. Curieusement  cette lettre  croisa celle de Miss Nightingale qui s’offrait de partir au plus vite. La lettre de Sir Herbert constituait  une véritable charte, établissant clairement  la mission pour laquelle on lui confiait l´organisation mais aussi le choix des infirmières. De plus cette lettre  reconnaissait les aptitudes de Florence : « Vos aptitudes personnelles, votre expérience, vos sens de l´administration, ainsi que votre rang et votre situation dans la société vous désignent pour cette mission plus que personne au monde……….et nous aurons détruit un préjugé et crée un précédent dont les bienfaits ne feront que  s´amplifier avec le temps… ».

Dans sa lettre, Sir Herbert  faisait aussi part de sa  décision d’envoyer une Commission enquêter sur l´état des hôpitaux et les conditions des malades.

Le 19 octobre, Miss Nightingale était nommée par le Cabinet  de la Défense Directrice Générale du Corps d´Infirmières des Hôpitaux Généraux Militaires Anglais en Turquie.

Comme on pouvait s’y attendre, cette nouvelle  fit sensation dans la famille Nightingale et, pour la première fois, les parents de Florence s’emplirent d’orgueil à la pensée de Florence! Les fidèles amis de Florence, les Bracebridge,  ne  laissèrent pas Florence seule devant d’aussi grandes responsabilités et, merveilleux acte de dévouement, décidèrent de partir avec elle.

Pour la première fois dans l´histoire britannique des  femmes  étaient officiellement  attachées aux hôpitaux de  l’Armée. La sélection des « nurses » se révéla difficile car à cette époque elles  n’avaient quasi pas de formation et souffraient souvent elles-mêmes d’une série de maux  dont l’alcoolisme faisait souvent partie! Finalement Florence  engagea quatorze nurses laïques et vingt–quatre autres appartenant à différentes communautés religieuses. On comptait :

 Provenant de l’église catholique (sélectionnées par avec l’aide du Cardinal Manning) :

-5 sœurs du orphelinat de Noorwood (dévouées mais incompétentes)

-5 Sœurs de Berdmonsey (devinrent les plus précieuses de la mission. La supérieure devint  une des amies plus chères  de Miss N.)

Provenant d’autres églises :

-6  dames de la St John House, institution High Church

-8  dames  de la fondation anglicane de Miss Sellon : les Sellonites

On peut imaginer aisément les difficultés qu’un tel regroupement de « confessions différentes »  entraîna !

Le 21october 1854, le groupe des « nurses » atteignit  Marseille, via Boulogne et Paris.  Leurs arrivées dans les villes françaises  furent chaque fois saluées comme un grand événement souvent ovationné.

Le 3 novembre, Florence et ses infirmières  débarquèrent  à Constantinople et furent reçues par Lord Napier, secrétaire de l´Ambassade. Elles se rendirent  ensuite à l´hôpital de Scutari où on attendait des blessés de la bataille récente de Balaclava. L’histoire dit qu’en s´approchant à la caserne- hôpital Miss Nightingale pensa au  verset de Dante à  propos de l´enfer : « Vous qui entrez, abandonnez toute espérance »

L’arrivée à Scutari

A mesure qu´elles s´approchaient de la caserne-hôpital, isolée malgré sa proximité a Constantinople, la terrible réalité se faisait de plus en plus évidente : aucun quai mais un ponton branlant et une pente escarpée qui menaient dans  un village de soldats dans lequel  la plus grande  promiscuité régnait (deux cents femmes avaient obtenu la permission de suivre l´armée et il y avait une cantine où l’on servait des boissons alcoolisées). Tout était ruisselant d´humidité, d’ordures et de saleté, ce qui faisait de l’hôpital  un endroit  véritablement meurtrier. Après la guerre, on  constata que le taux de mortalité pour chaque régiment était proportionnel au nombre d’hommes  envoyés à Scutari !

L´état sanitaire de l´Armée dépendait de trois Services : l´Intendance, l´Economat , et le Service de Santé. Il y avait une  indétermination des compétences et de complexes  relations entre ces services qui étaient  lents, absurdes et évidemment très prolifiques en formulaires. Les « bons », « autorisations » et « rapports » multiples décourageaient  initiatives et responsabilités. Un seul exemple : pour la  question vitale concernant l’approvisionnement,  la complexité administrative avait comme résultat  le plus fréquent le retard ou la  paralyse des livraisons indispensables au bon fonctionnement de l´hôpital : Mr Benson Maxwell membre de la Commission des Hôpitaux se déclara d’ailleurs incapable de distinguer les fonctions respectives de l´Intendance et de l´Economat !

Les fonctionnaires avaient l´ordre de ne pas soulever des difficultés et de dépenser le moins possible.   Les responsables n´osaient pas  faire la moindre suggestion au commandant en chef  au sujet de l´état sanitaire de l´armée. « On m’aurait trouvé impertinent » déclara le docteur  Andrew, chef de le Service de Santé à la Commission Roebuck. Pour couronner cette incurie, les officiers n’éprouvaient aucune considération pour le sort de leurs soldats. Quelques autorités sanitaires allèrent jusqu’à considérer comme un « luxe insensé » la soupe chaude, les draps  propres et les vêtements !

La caserne-hôpital de Scutari témoignait de la façon la plus dramatique de  cette organisation catastrophique.

Inutile de préciser que Miss Nightingale tomba comme un cheveu dans la soupe à Scutari. Elle n’était  vraiment pas la bienvenue : les  uns se méfiaient des capacités d’une dame de la haute société dans cette  affaire de soldats, d’autres la considéraient tout simplement comme  une espionne du Gouvernement. Rien n’était le bienvenu dans cette chasse gardée pas même l’argent rassemblé par le « Times » pour soulager les souffrances des soldats ! Le Dr Menzies qui était le médecin-chef de Scutari en apprenant que l´aide destinée à combler  les  déficiences de l´administration militaire provenait des fonds civils réunis par le célèbre journal, ne l’accepta pas de peur de devoir admettre que les choses allaient mal tandis que Lord Standford, l´ambassadeur d’Angleterre,  profita  de ces mêmes fonds pour ses propres intérêts !!

Miss Nightingale  dut montrer une incroyable détermination  pour installer les quarante personnes de la mission sanitaire  dans les cinq petites pièces que l’on voulu bien lui donner ; dans une de celles-ci se trouvait  encore le cadavre d´un général russe dont  personne ne s’était encore préoccupé ! Les infirmières furent  d’abord complètement ignorées par les médecins pour qui,  accepter de l´aide de civils, signifiait la reconnaissance de leur incompétence. Florence eut la grande intelligence de comprendre qu’il  fallait à tout prix préserver l’amour-propre des  médecins et que dès lors il  était primordial  d’attendre patiemment  que les médecins eux-mêmes  fissent appel à son équipe. Cette attitude très bien réfléchie ne fut pas comprise par une partie de ses  infirmières, qui ne comprenaient pas pourquoi l’on  devait attendre si longtemps avant de commencer à soulager la misère des soldats. Florence fut  alors obligée  de diriger son équipe d’une manière très ferme pour arriver à maintenir son autorité dans ces circonstances très difficiles.

Le 6 Novembre, les navires- hôpital amenant les blessés de Balaclava accostèrent. Comme d´habitude, rien n´avait été prévu et les souffrances des hommes furent atroces, mais l´ordre de Miss Nightingale était d´attendre les ordres des médecins. Les infirmières étaient inemployées et  passaient leur temps à  inventorier et stocker leur matériel, à coudre du linge ou à  fabriquer des pansements. Pendant ce temps 2500 malades  croupissaient dans l’hôpital. L’eau manquait, la nourriture était quasi immangeable et  la famine régnait !

La bataille de Balaclava, malgré la victoire anglaise, montrait la puissance de l’ennemi russe qui    bientôt serait secondé par un hiver éprouvant une armée isolée et sans réserves.

Le débarquement d’un si grand nombre de  malades et de blessés provenant de  Balaclava  fut tellement inattendu que  les médecins  consentirent enfin à se tourner vers Florence et ses dames.

« Comme .Godolphin Osborne s´agenouillait  pour recueillir les messages des mourants, le papier qu´il tenait à la main se couvrit d´une épaisse couche de poux. L’hôpital ne disposait pas d’oreillers et de couvertures. Les hommes gisaient les bottes sur la tête, enveloppés dans la couverture ou la capote raide de sang et d’ordure qui pendant plus d’une semaine, avait été leur seule protection (…) Selon l’estimation de Miss Nightingale, l’hôpital abritait plus d´un millier de malades atteints de diarrhée aigue et ne disposait que de vingt vases de nuit. Les latrines étaient inutilisables et les blessés ne possédant ni pantoufles, ni chaussures devaient patauger dans l´ordure, ce qui fit que peu à peu, ils renoncèrent de se rendre aux latrines. On avait alors disposé de grands baquets dans les salles et les couloirs. On ne les vidait qu’une fois par jour La viande destinée aux hommes croupissait à côté des baquets…La puanteur que dégageait l´hôpital se répandait au delà des murs de l´enceinte. On vit les hommes changer, racontait Mr Macdonald. Toute différence entre les blessés et les malades d’effaça. Les blessés qui semblaient se rétablir normalement contractèrent les fièvres, « tout signe de gaîté s’éteignit dans les salles, et les hommes, ramenant leur couverture par-dessus leur tête mouraient en silence ».

Le sommet de la misère fut atteint quand on apprit qu’une tempête au Bosphore avait détruit plusieurs navires dont « le Prince » qui transportait dans ses cales vêtements chauds et ravitaillement !

L´administration de l´hôpital s´ effondrait complètement, paralysée par la peur d´ assumer ses responsabilités ou de dépasser les attributions  budgétaires (le nettoyage urgent des latrines fut refusé à cause des frais qu’il aurait occasionné).

L´unique personne capable de réagir fut finalement Miss N. qui disposait en plus de son matériel, de fonds  (personnels et de sources variées) qui lui était permis de disposer à sa guise. Elle entreprit de faire nettoyer et d’entretenir les latrines à ses frais. Elle fit nettoyer les salles, loua une maison et employa les femmes des soldats dans la lingerie. Ces premiers changements  entraînèrent immédiatement  une première grande amélioration dans  l’hôpital.

Au début de Décembre 1854, 800 nouveaux malades arrivèrent  et Miss Nightingale  entama la réhabilitation d’une aile du bâtiment qui se trouvait déjà fort endommagé avant l´arrivée des Anglais ;  Florence  essaya d’obtenir  la collaboration de l’épouse de l’ambassadeur pour obtenir des fonds destinés à réaliser ces travaux de rénovation mais Lady Standford  se montra aussi décevante que  son mari : les ouvriers durent donc  être  payés uniquement avec ses propres fonds qui servirent aussi à équiper  les nouvelles salles de malades. Les nurses étaient récompensées par les paroles des soldats. « Nous nous sentions au paradis »  reconnaissait un soldat !

A la fin de Décembre de 1854, Miss Nightingale était devenue de façon involontaire, la véritable intendante de l´hôpital. Le respect pour sa personne s’était accru considérablement. Florence ne perdit cependant pas de vue  que l’objectif de sa mission était de prouver que des femmes formées aux soins médicaux avaient un rôle irremplaçable à tenir dans la lutte contre la maladie et la misère. Cela n’alla pas sans mal : les nurses étaient parfois une source d’importants tracas pour Miss Nightingale. Certaines d’entre elles ne comprenaient pas les mesures de discipline instaurées. Il y eut de grands mécontentements  pour de simples questions d’uniformes. D’autres nurses  jalousèrent et détestèrent leur chef et, comme rien n’était simple, Miss Nightingale avait  aussi  à corriger  les erreurs diplomatiques commises par des infirmières trop bavardes. L’erreur commise par  Sœur Elisabeth Wheeler est à ce sujet exemplaire. Cette religieuse décrivit, dans une lettre  à un des ses proches, les horreurs de l´hôpital et l´inhumanité des médecins. Cette lettre fut  publiée par le Times et faillit réduire à néant tous les efforts entrepris par Florence  dans le but de  conquérir la  confiance des médecins militaires. Malgré toutes les difficultés rencontrées  dans la conduite de  son équipe et dans ses rapports avec l’autorité, Miss Nightingale réalisa le travail considérable qu’elle détailla comme ci-dessous  le 4 décembre à  Sidney Herbert :

-La cuisine de « régime ».

-Nettoyage des salles.

-Fourniture de 2000 chemises de coton et flanelle, dont  le  blanchissage est prévu

-Les bases dune maternité.

-Les femmes et veuves de soldats arrachées à leur bagne et soignées par nous.

-Longues heures de soins quotidiens aux blessés avec pansements des plaies et des fractures compliquées, par les plus compétentes d’entre nous.

-Supervision et impulsion à différents services, en accord avec les autorités médicales militaires

-Remise en état d´une aile pouvant abriter 800 blessés qui sans nous serait restée inhabitable

Les difficultés pour Miss Nightingale n’étaient pas pour autant terminées. Florence connut une immense déception quand  elle apprit   la nouvelle  qu´ une nouvelle mission d’infirmières  comprenant plus de quarante membres et  dirigée par son ancienne amie, Mrs Stanley, marchait vers Scutari pour se mettre, non sous sa direction, mais sous celle du Dr Cunning ! C’était pour Miss Nightingale  une sorte de désaveu qui la poussa à écrire une  lettre cinglante le 15 décembre à Sidney Herbert et dans laquelle elle suggérait sa démission tout en  reprochant à son ami  le manque de considération qu’il semblait montrer  envers elle. Pour Florence, loger et s’occuper de quarante six nouvelles nurses non entraînées constituait une pure folie qui n’améliorerait en rien la situation sanitaire  à Scutari. Mieux eût  fallu  renforcer sa propre équipe par quelques femmes sélectionnées en fonction de leurs compétences.

A vrai dire, l’entreprise de Florence était  devenue un enjeu en Angleterre et chacun se disputait pour avoir droit de figurer à ses côtés. Une sorte de compétition s’était manifesté  et chacun jouait de ses influences. Mrs Herbert et Mary Stanley avaient dû écouter le cardinal Manning qui se  lamentait qu’auprès de Florence le nombre de nurses appartenant à l’église catholique n’était pas assez élevé. 

La nouvelle mission contestée par Florence se composait de neuf dames, de quinze religieuses irlandaises qui  ne reconnaissaient aucune autre autorité que celle de leur supérieure, la Mère Brigdeman, et de vingt-deux  nurses, la plupart sans aucune expérience. Un docteur et un assistant complétaient ce staff. Cette mission, comme l’avait prédit Florence, se révéla vite un échec.

Le 15 décembre, les nouvelles infirmières arrivèrent à Constantinople et furent reçues fort mal. Miss Nightingale  refusa  de prendre la responsabilité d´une mission qu´elle n´avait pas demandée et malgré une entrevue qu’elle tînt avec Miss Stanley, chacun resta sur ses positions.

Pendant ce temps la situation à  Sébastopol ne cessait de s’empirer. Entre le 17 décembre et le 3 janvier, arrivèrent à  Scutari 4000 nouveaux blessés et le taux de mortalité ne cessait de monter. Miss Nightingale arriva finalement à un compromis avec Mary Stanley : elle emploierait à la caserne- hôpital un certain nombre des religieuses irlandaises  et renverrait  en Angleterre quelques Sœurs blanches de Norwood.

De misérables disputes éclatèrent cependant  sans cesse dans son entourage. Florence devait affronter  de multiples intrigues favorisées par le  sectarisme religieux entretenu fortement par la presse. Florence  fut ainsi  fort critiquée d’avoir renvoyé  deux infirmières presbytériennes. La presse voulut voir dans cet événement une discrimination religieuse alors que tout simplement elles  avaient été  trouvées en état d´ébriété !

Vers la mi-janvier 1855, elle reçut la réponse réconfortante de Sidney Herbert qui faisait son mea culpa et la suppliait de ne pas donner sa démission. La mission de Mary Stanley se dispersa dans les  différentes institutions : onze infirmières  partirent pour l´hôpital général de Balaclava  avec à leur tête Elisabeth Davis qui détestait  Miss Nightingale ; Miss Stanley avec la Mère Bridgeman et dix de ses religieuses allèrent s’occuper  de l’ Hôpital de Koulali et les  cinq autres acceptèrent de  rester avec Florence. Tout cela ne se fit pas sans douleurs et ressentiments comme l’exprime si bien florence dans une lettre à Sir Herbert « Je proteste donc contre le plan Koulali et son esprit mondain. Cela n´aboutit qu´a un flirt spirituel parmi dames et soldats. J´ai trop vu cela ici. On choie quelques hommes en particulier, on n´aboutit a rien en général …de plus ces dames se querellent entre elles. Les médecins se moquent de leur incapacité, mais aiment à  se entourer  de présences féminines, ce qui est bien naturel mais ne répond pas à notre objectif (…) ».

Miss Stanley fut  accusée d’incapacité professionnelle, de malversation de fonds  et de prosélytisme catholique. Elle perdit l’appui  de l´ambassadrice dont le mari était un fervent protestant et au mois de mars elle  fut renvoyée en Angleterre. La position de Miss Nightingale se trouva alors un peu meilleure.

La reine Victoria suivait de très près le travail de Florence. Elle s’adressa personnellement  aux soldats par l’intermédiaire de Sidney Herbert et, le 14 décembre, elle transmit des cadeaux  pour la troupe ainsi qu’un  message personnel pour Miss Nightingale. Florence répondit à la Reine et manifestant son esprit très pragmatique profita de l’occasion pour l’informer de plusieurs problèmes non résolus comme l’insuffisance des  soldes  que touchaient les soldats et la nécessité de revoir les concessions des cimetières militaires de Scutari. Cette lettre fut suivie d’effets  car  la Reine employa son autorité pour améliorer la situation.

En janvier 1855 la souffrance de l’armée  devant Sébastopol  atteignit un niveau effroyable. Les troupes ne recevaient plus de  matériel ni de  ravitaillement pour des raisons souvent ridicules. D’énormes quantités de marchandise disparaissaient  dans les douanes turques ou pourrissaient  au fond des cales à cause des  carences administratives…

Le 2 janvier, 12.000 malades arrivèrent à Scutari. Il ne restait plus que 11.000 hommes  valides pour faire le siège de Sébastopol, soit moins que la moitié de l’effectif prévu. Selon Florence, 85% des malades  présentaient des symptômes de scorbut. Ce fut pour cette raison qu’elle se métamorphosa par nécessiter en logisticienne. Devant la carence alimentaire, Soigner les malades était la moins importante de mes attributions écrivait à cette époque  Florence.

Il est extraordinaire de constater que  l’activité épistolaire de Miss Nightingale ne diminua jamais au cours des jours de tragédie en Crimée. Malgré les catastrophes, les découragements, les conditions de travail incroyables, Florence n’arrêtait jamais d’écrire. Ses multiples rapports étaient caractérisés par leurs aspects  très  scientifiques. A partir de son vécu, des statistiques relevées par elles et d’une documentation très soigneusement rassemblée, Florence réalisa des opuscules sur de nombreux sujets concernant la santé publique. Elle dressa même  un plan pour  une organisation systématique des hôpitaux basé sur un principe de centralisation et  qui  nécessitait  la création d’un corps d´infirmières sanitaires. Les innombrables rapports et lettres de Florence  servirent au Ministère de la Guerre de documents de  base pour l’établissement des futures réformes au sein du service de santé de l´armée.

Au  mois de Janvier une  épidémie de typhus éclata et son ampleur fut telle que  les cadavres restèrent sans sépulture : on ne trouvait plus de soldats ayant suffisamment de force pour creuser des fosses ! La nouvelle de l’épidémie parvint en Angleterre et remua l’opinion publique. Le 26 janvier le député Roebuck demanda la nomination d’une Commission pour enquêter sur  les conditions de vie dans l’armée  ainsi que pour  examiner les responsabilités. Le Gouvernement tomba et  Lord Palmerston qui était un  vieil ami de Florence devint premier ministre. Lord Panmure, le nouveau Ministre de la Guerre,  reçut comme instruction de tenir compte de l’avis de Florence.

A la fin du mois de février fut envoyé sur place  une Commission de Hygiène chargée d´enquêter. Celle-ci déclara que Miss Nightingale avait sauvé l´armée britannique et ses commissaires prirent des décisions dont l´effet se fit sentir rapidement : le taux de mortalité commença à diminuer. Il était grand temps si l’on en croit Florence :

…. Les infirmières avaient remarqué que certains lits portaient malheur. Tout malade qu´était couché ne tardait pas à mourir .Tout se expliqua lorsque on constata que ces lits étaient placés près de l´entrée des latrines et recevaient directement les émanations de gaz empoisonnés. La réserve d´eau était également empoisonnée et insuffisante .Les commissaires firent ouvrir le conduit par lequel passait l´eau qu´alimentait la presque totalité de l´hôpital et l´on y découvrit le cadavre en putréfaction d´un cheval ! On avait construit dans la cour intérieure des réservoirs pour les réserves d´eau, mais ils étaient  placés près des latrines temporaires édifiées au moment ou les hommes souffraient de dysenterie …La cour intérieure était d´une saleté répugnante et …..tenait lieu  de refuge aux rats qui pullulaient dans l´hôpital.

La Comission McNeil et Tulloch suivit de peu  la commission d’hygiène et  enquêta sur les approvisionnements de l´armée en Crimée. Le printemps s´approchait et amenait avec lui l’espoir que jamais plus on ne revivrait des jours tels que ceux de l’hiver de 1854-1855.

La dame à la lampe

On peut diviser la mission de Miss Nightingale en Crimée  en deux périodes :

L´hiver 1854 – 1855 pendant lequel Florence parvint à imposer ses idées et la période s’étalant du printemps 1855 jusqu´à son retour  en Angleterre pendant  l’été 1856.  Durant cette deuxième période, la jalousie des fonctionnaires succéda à  la gratitude et  Florence  souffrit de l´impression d’avoir échoué. Seuls les soldats, les « sans grades », continuaient naturellement  à l’adorer. C’était bien compréhensible ! Florence avait  montré une activité extraordinaire aux chevets des blessés et avait respecté la promesse qu’elle avait faite de ne jamais laisser mourir un homme seul. Méprisant les risques de contagion  pour elle-même, elle assista plus de deux mille mourants au cours de ce terrible  hiver !

Par son continuel et incroyable apostolat au sein de la troupe, Florence réussit aussi à influencer positivement le moral des soldats en les empêchant de boire, en les encourageant à correspondre avec   leurs femmes et en  les aidant à  accepter la souffrance avec une certaine sérénité. Cette attention  continuelle aux soldats ne constituait pas pour Florence  un fardeau. Le pire, dira- t-elle, était le travail administratif ! Il n´y avait en effet  personne pour  tenir efficacement son secrétariat et l’aider dans  sa  très volumineuse correspondance journalière. Non seulement il y avait les multiples rapports qu’elle se faisait un devoir de rédiger mais il y avait aussi toutes les lettres qu’elles écrivaient au nom des  soldats et infirmières illettrés ainsi que le courrier de remerciements et de demandes destiné à l´oeuvre du Don. Les donations  privées  amenaient  une tâche administrative supplémentaire à Florence  qui ne put refuser le  contrôle de la distribution de dons souvent  inutiles  ou inadéquats. Jamais donc, comme les soldats eux-mêmes le constatèrent, la lampe de Florence ne s’éteignait soit  qu’elle était  assisse à son bureau ou bien au chevet de ses soldats !

Ce fut avec  le Dr John Hall, chef du Service De Santé du Corps Expéditionnaire que Florence éprouva  les plus grandes difficultés. Florence écrivit à ce propos « On a beaucoup parlé de nos sacrifices  et de notre héroïsme .La véritable humiliation, la véritable épreuve, Cher  Mr Herbert, c´est d´ avoir affaire avec des hommes qui ne sont ni des gentlemans, ni des hommes d´affaires, ni des hommes de cœur et dont l´unique but est éviter tout blâme ».

Déjà, elle avait écrit à Lord Ranglan en décembre 1854 « je ne peux pas m´empêcher de penser que le Dr Hall considère nos offres d´assistance comme une insulte à sa compétence ». Le Dr Hall avait été blâmé pour un scandale sur les mauvaises conditions du transport des blessés et avait était forcé de relever son collaborateur le Dr Lawson qui était premier médecin sanitaire de Balaclava, mais peu de temps après, les intrigues aidant, le Dr Lawson fut nommé médecin en chef de la caserne - hôpital.

Malgré la mauvaise administration, les activités de la Commission de Hygiène se firent sentir et la nourriture s’améliora grâce à  un chef de cuisine passionné de diététique, Alexis Soyer, qui débarqua à Scutari avec son assistant en mars 1855. C’est Florence qui avait demandé le renfort d’un diététicien à son équipe de soignants. Saluons au passage l’esprit absolument novateur de Florence.

Florence se rend à Baclava

Florence  décida se rendre en Crimée à la suite de bruits qui circulaient  sur le comportement fâcheux des infirmières. Le Dr Hall considérait cependant  qu´elle n´avait aucune autorité sur la Crimée  étant donné qu´elle avait été nommée « Directrice Générale du Corps d´Infirmières des Hôpitaux Généraux en Turquie » et que la Crimée ne faisait pas partie de la Turquie! Quelques infirmières qui contestaient son autorité ainsi que Mr David Fitzgerald s´allièrent aussi contre elle.

Malgré cette opposition, son  débarquement, le 5 mai, dans le port de Balaclava fit sensation : « Le spectacle étonnant d´une amazone traversant Balaclava en compagnie d´une foule de gentlemen dont plusieurs en uniformes étincelants, produisit un effet extraordinaire …de vibrants hourras s´élevèrent ». Le lendemain, elle fut reçue avec hostilité et même grossièreté à l´Hôpital Général de Balaclava. Au Château-Hôpital, elle considéra les nouveaux plans pour les cuisines puis décida le  remplacement des infirmières responsables. Ce fut durant cette visite que  Florence  se sentit subitement  indisposée et s´évanouit. On diagnostiqua la fièvre de Crimée et elle fut transportée au bateau. Pendant plus de deux semaines, Florence oscilla entre vie et mort. La nouvelle de son état critique se répandit  et entraîna  inquiétude et consternation parmi  les soldats. La réaction en Angleterre ne fut pas moindre. Lord Ranglan se rendit à son chevet et télégraphia ensuite à la reine Victoria le bulletin de santé de Florence.

Les autorités médicales lui proposèrent de rentrer en Angleterre mais Florence refusa et décida de se reposer à Scutari. On voulut alors la renvoyer sournoisement en Angleterre. La ruse fut éventée par Mr Bracebridge. Celui-ci découvrit que le bateau, choisi par les Dr Hall et Dr Hadley médecin en chef du Château Hôpital, ne faisait pas escale à Scutari mais se rendait directement en Angleterre ! Florence dut finalement solliciter l’aide de Lord Ward qui accepta que son yacht la reconduise à Scutari où elle parvint dans un grand état de faiblesse.

Florence s´installa alors dans la jolie demeure de Mr Sabin, à côté du Bosphore. Pendant les semaines qui suivirent, elle se reposa au milieu d’amis qui essayèrent  de la distraire le mieux possible.

Malheureusement, au cours de sa convalescence,  Lord Ranglan mourut, et fut remplace par le général Simson homme intransigeant  qui considérait  qu’il était indigne dans  sa situation de s´occuper des affaires hospitalières. Les instructions données par Miss Nightingale ne lui furent donc pas soumises et ce fut ainsi que les dernières recommandations de Florence ne furent pas suivies. L’état des  cuisines de Balaclava ne fut pas amélioré et le Dr Hall au lieu de relever l ´incompétente Miss Weare, la nomma même  directrice du Monastère-Hôpital !

Nouveau moment difficile pour Florence, ses fidèles amis, les Bracebrigde décidèrent de retourner en Angleterre. Le 28 juillet, ils partirent en même temps que Florence retournait travailler à  la Caserne–Hôpital.  Florence conserva la gérance de  la maison de Mr Sabin qui fut utilisée  comme maison de repos pour ses infirmières qui, à tour de rôle, vinrent  s’y reposer. Les autorités ne  firent pas bon accueil à  Florence. Celle-ci constata rapidement que l’on avait négligé pendant sa maladie la gestion de son équipe qu’il fallait reprendre en mains. L’équipe d’infirmière souffrait de défections de plus en plus nombreuses : des infirmières s’enivraient, d’autres abandonnaient leur engagement pour se marier. Lady Alicia Blackwood raconta à ce propos qu’un jour, six des meilleures infirmières de Miss Nightingale entrèrent dans son bureau, suivie de six caporaux ou sergents, pour lui annoncer leur prochain mariage. Cette situation était encore aggravée par de malheureux décès (Miss Clough, Mrs Drake…).  Mais le pire était cependant encore à venir…

Florence avait engagé une certaine Miss Salisbury pour s’occuper de l’œuvre du Don. Cette dame profita de sa position dans  son unique  intérêt et ensuite calomnia Miss Nightingale en  envoyant des lettres diffamatoires en Angleterre. Ce courrier parvint à Mary Stanley. Florence parla de cette affaire avec le général Storks, nouveau comandant en chef  et  Miss Salisbury, malgré ses suppliques, fut renvoyée en Angleterre. Ce renvoi  ne fit qu’aggraver la situation car une fois retournée au pays, Miss Salisbury contacta Mary Stanley et s’en alla avec celle-ci déposer  une plainte officielle contre Florence au Ministère de la Guerre.

Tante Mai au secours de sa nièce

Un grand réconfort aida cependant Florence : sa chère  Tante Mai vint la rejoindre  à Scutari le  16 décembre. Tante Mai  fut horrifiée par « le réseau d’  intrigues partisanes, la constante opposition, les sources d’irritation, le manque de courtoisie dans lesquels Florence  était obligée de vivre ».

Au début de octobre Florence se rendit à nouveau en Crimée où  la  Mère Supérieure Bridgeman avait, sans autorisation, abandonner l’ Hôpital de Koulali pour prendre la direction de l’ Hôpital Général de Balaclava. Elle prétendait de plus emmener quatre infirmières de sa communauté qui travaillaient à Scutari. Le Dr Hall prenait évidement parti pour la Mère Supérieure Bridgeman. Toutes ces intrigues religieuses  discréditaient l’ensemble des œuvres de charité entreprises par Miss Nightingale. Comme si cela n’était pas suffisant, Mr Bracebridge, à son retour à Londres, donna une conférence maladroite qui n’améliora pas la situation. Cette conférence constituait en fait une violente diatribe peu diplomatique contre les autorités militaires et sanitaires. Pour confirmer ses dires, Mr Bracebridge  alla même jusqu’à rendre publique des choses que Florence  lui avait confiées sous le sceau de la confidentialité. Evidemment  le Times relata la conférence, ce qui rendit Florence aux yeux du docteur Hall encore plus haïssable.

Florence  retomba  malade et dut rester au Château-Hôpital. Après une semaine de repos, elle retourna au travail. Le  Dr Hall la regardait sans respect comme si  elle n’était qu’une aventurière, et la Mère Bridgeman, selon  Florence, la traitait  «  ni comme une chrétienne, ni comme une dame , ni même une femme » . Tout ce que florence  réussit à  faire en Crimée fut  d’accélérer la construction des cuisines avant de  partir pour Scutari où une nouvelle épidémie venait de se déclarer.

Florence entre dans la légende

Malgré toutes les difficultés Florence tint bon dans son entreprise car elle savait que le pays était avec elle. Une légende vivante était née en Angleterre : la sienne, celle de  l’odyssée de la « dame  à la lampe » à  la Caserne- Hôpital. Malgré ses efforts pour passer inaperçue, de toute part, on  réclamait son portrait (on inventa ses portraits car jamais Florence ne se  prêta à la pose !)

Sur elle  circulaient poèmes et chansons et  elle figurait  déjà représentée en cire au Musée Toussaud. Un Comité  se forma, créé par son ancien prétendant, Mr. R. Monckton Milnes, et par Sidney Herbert, afin que Florence puisse bénéficier d’une reconnaissance officielle de son pays. Comme l’argent affluait de toutes parts, on décida de créer une «  Fondation Nightingale »  dont Florence  s’occuperait dès que possible. La reine Victoria décora Florence de la croix de Saint George, ce qui emplit de joie et  d’orgueil  sa mère et sa sœur !

Toutes ces marques de  louanges  et de reconnaissances n’avaient cependant pas beaucoup de signification pour l’intéressée qui avant tout désirait que sa position en Crimée soit mieux définie. Son objectif principal était la réforme des conditions de vie du soldat et pas seulement l’amélioration des soins aux malades militaires. Florence se considérait véritablement  comme la mère de 50.000 enfants !

Dans cette optique, elle était parvenue à ouvrir une petite salle de lecture (mai 1855) et se battit pour pouvoir disposer d’un instituteur pour les soldats  illettrés. Elle arriva à obtenir des autorités la mise en place de procédures qui permettaient aux soldats envoyer de l’argent en Angleterre et  en septembre 1855 elle ouvrait, grâce à des fonds privés, des foyers récréatifs. La promiscuité et l’ivresse avaient  disparu au prix d’un travail véritablement  titanesque.

Florence cependant, si elle avait réussi  d’améliorer les conditions de vie des soldats, essuyait des échecs en ce qui concernait ses idées médicales : le successeur du Dr MacGrigor réduisit  les fonctions des infirmières, le dépôt ne fût plus employé et pour compliquer le tout, deux infirmières furent accusées d’immoralité. Les responsables du désastre de l’hiver 1854-55 furent même promus et cela juste avant que la Commission d’enquête McNeill et Tulloch ne  présenta clairement  ses conclusions : le désastre dû  à  l’indifférence, à la stupidité, à l’incurie et à l’amour de la paperasserie, aurait pu être évité !

D’autre part, l’intendant Général, Mr Fitzgerald, rédigea  un rapport confidentiel sur Florence rempli d’accusations. Florence ne put pas se défendre car on ne lui donna pas accès à  l’original de ce rapport.

La coterie Hall-Fitzgerald –Bridgeman étaient donc sur le point de gagner son combat contre Florence mais in extremis, grâce aux démarches en Angleterre du Colonel Lefroy qui avait été envoyé  en octobre 1855 en mission secrète pour enquêter sur la situation de Florence en Crimée, Florence obtint une claire définition de ses responsabilités dans les Instructions Générales publiées le 16 mars 1856. Ce fut  une grande victoire morale pour Florence  mais celle-ci survenait tardivement  et  jusqu’à la fin de la guerre le 29 avril 1856  et cela  malgré les Instructions Générales, le docteur Hall et l’intendant  Fitzgeral continueront à faire de sa vie un enfer par de continuelles mesquineries, grossièretés et calomnies.

Le retour de Florence

Quand on commença à rapatrier les troupes, Florence s’occupa personnellement du rapatriement de ses infirmières et elle leur demanda de ne faire aucune déclaration à la presse lors de leur retour. En  juillet, le dernier patient quitta la Caserne-Hôpital.

Le retour de Florence se passa dans l’ombre malgré que le désir de la nation qui voulait passionnément lui rendre hommage. Du côté britannique, elle constituait en effet la seule grande figure qui émergeait d’une guerre sans gloire. Cependant, découragée, hantée par tout ce qu’elle avait vu et vécu (73% de huit régiments balayés en six mois), elle refusa tout accueil bruyant. Florence quitta Scutari le 28 juillet et voyagea incognito avec tante Mai pour regagner son  foyer de  Lea Hurst.

«  Des figures héroïques émergent de la guerre de Crimée :le soldat et  l’ infirmière. Pour l’un comme pour l´autre une transformation s’opéra à  leur égard dans l’opinion publique et pour l’un comme pour l’autre ce fut l’œuvre de Miss Nightingale. Plus jamais le soldat britannique ne serait considéré comme une brute avinée, la lie de la terre. Il était désormais le symbole du courage, de la loyauté et de l’endurance. Elle enseigna  aux officiers, et aux fonctionnaires à traiter les soldats comme des chrétiens. Jamais plus l’infirmière ne serait représentée sur les traits d’une mégère éméchée et peu farouche. Miss Nightingale avait marqué la profession d’infirmière de son sceau. Jane Evans et son buffle, la Mère Bridgeman et son prosélytisme, les dames de Mary Stanley et leurs prétentions, les mégères et leur gin, appartenaient désormais au passé. L´infirmière qui émergeait de la guerre de Crimée , énergique , charitable, maîtresse d´elle-même devant la douleur, détachée de toutes considérations de sexe ou de classe, était à l´image même de Miss Nightingale. Celle-ci gardait de la guerre de Crimée une impression d´échec. En réalité au milieu du désordre et de l´ordure, des souffrances et des défaites elle avait accompli une révolution (Cecil Woodham-Smith)».

Florence, on l’oublie trop souvent, changea  l’image du soldat anglais qui, pour les officiels, n’était qu’une brute intraitable et alcoolique. Elle enseigna par son exemple aux officiers et fonctionnaires « à traiter les soldats comme des chrétiens ».   

Florence continue de se battre en Angleterre

Après avoir vécu cet enfer, toute joie humaine lui était étrangère. Florence s’attaqua à ce qu’une telle tragédie (75% de mortalité en six mois dans les troupes de Crimée) soit dans le futur désormais impossible. Elle exigea  donc une réforme du système sanitaire de l´armée britannique. Sa volonté de fer, son scrupuleux sens de l´honneur, et sa persévérance  s’accrûrent aux détriment des traits doux de son caractère qui  disparurent peu à peu. Peu importait finalement car  Florence  n´aspirait plus à la sympathie et acceptait une certaine  solitude.

Consciente que sa  position à la fois de femme et d’héroïne nationale rendait difficile ses rapports avec les autorités, elle chercha à tout prix l´anonymat. Ayant toujours devant ses yeux le but à atteindre, elle évita de paraître en public pour essayer volontairement  de mettre fin à son aura de star afin que les autorités puissent se tourner vers elle en vertu de ses seules compétences scientifiques en matière de santé.  

Elle trouva à nouveau un précieux allié dans son ami Sidney Herbert. Le plan de Florence pour obtenir une réforme du service de santé était  d’abord d’obtenir  la  constitution d’une Commission d´Enquête dont les futurs membres auraient été choisis parmi ses amis et collaborateurs en Crimée (Ulloch , McNeill , Lefroy…)

Le 21 septembre Florence fut invitée à  Balmoral pour s´entretenir avec la Reine. La Reine recommanda Miss Nightingale au duc de Cambridge qui commandait l’armée et provoqua un entretien avec Lord Panmure, Ministre de la Guerre, homme de caractère mais qui avait horreur des complications. L’´entretien se fit le 5 de octobre avec assez bien de bonheur puisque Lord Panmure succomba au charme de Florence. Le projet de Florence  fut accepté et on nomma une Commission d´Enquête qui devait suivre des instructions inspirées  par  Miss Nightingale. D’autre part, il fut convenu de demander à Miss Nightingale un rapport confidentiel comprenant ses suggestions pour l’aménagement de l´Hospital de Netley, hôpital militaire en construction.

Elle quitta Ecosse pour se rendre à sa demeure londonienne de l´hôtel Burlington, et se mit tout de suite à dresser sa liste de candidats pour la Commission d´Enquête :

- Le Dr Farr, véritable pionnier de la science statistique, Dr Sutherland, grand expert en hygiène, ami intime et médecin personnel de Florence.

- Du côte militaire : Sir Henry Storks, Colonel Lefroy, Dr Ballfour, le précieux Dr Alexander

et surtout son cher Sidney Herbert qui accepta la présidence de la Commission.

Le champ d´action de la Commission devait être général et détaillé, englober le Service de Santé de l´Armée, ainsi tout ce que concernait l´hygiène des soldats dans la métropole et les colonies. La mise en place de la Commission tarda cependant et Florence tout en maintenant une grande pression sur Lord Panmure, se mit directement à inspecter les travaux déjà bien avancés de l’hôpital de Netley. Sa visite se termina  par un rapport très négatif sur tout ce que concernait cet hôpital. Lord Palmerston étant informé par Florence écrivit à  Lord Panmure une lettre cinglante mais celui-ci, consterné face à la perspective de futures explications à  fournir à la Chambre, accepta  l´hôpital  comme prévu !

Florence connut là une nouvelle période de découragement jusqu’à ce qu’enfin on autorise la commission à siéger pour la première fois le 5 mai 1856.

Un rapport capital 

L´effort qu´elle dû fournir fut énorme : elle travaillait jour et nuit pour la Commission de Enquête et elle transforma son ´rapport confidentiel¨ en une œuvre monumentale qui parut six mois plus tard sous le titre : « Notes sur l´état sanitaire de l´armée britannique, le fonctionnement et l’administration de ses hôpitaux »

Dans ce travail, Florence examinait les causes du désastre de Crimée en citant des faits, des chiffres alignés dans des tableaux et des diagrammes et en démontrant que l´hôpital s’était avéré plus meurtrier que le champ de bataille. Mais la partie plus importante de son travail résidait dans ses considérations sur les conditions sanitaires en temps de paix et dans son analyse statistique des différences  entre les soins dont jouissaient les civils et militaires.

Elle visita des institutions civiles et militaires en prenant tous les moyens de transport inimaginables jusqu’à se rendre à pied, ce qui était considéré comme très inhabituel pour une femme de sa condition ! 

L´activité de Florence était extraordinaire: elle coordonnait les faits, les classifiait et en tiraient des conclusions qu’elle communiquait à  ses interlocuteurs. De nombreuses personnes témoignèrent de la force et de la clarté qui animaient son intelligence, de sa puissance de  travail ainsi que de ses autres qualités.

À la tête de ce « petit ministère de la guerre » se trouvaient Florence, Sidney Herbert et le Dr Sutherland. Ce dernier avait fait la connaissance de Florence en Crimée et depuis lors était devenu un véritable partisan de Florence au point de lui consacrer énormément de temps et de renoncer à sa carrière. Il travailla à ses côtés pendant toute la durée de la Commission Sanitaire et cela sans aucune rétribution. Florence pourtant se comportait avec lui assez durement et lui manifestait fréquemment son irritation  pour son peu de ponctualité et son désordre. Les  exigences de Florence n´avaient pas de bornes, mais tous ceux qui l´entouraient lui pardonnaient sans doute en raison du charisme qui émanait d’elle !

Florence exigeait plus encore de son ami de toujours Sidney Herbert. Elle alla jusqu’à minimiser les plaintes de santé de celui-ci et qui malheureusement se révélèrent être les symptômes d´une maladie mortel. Sans doute Florence qui se trouvait en grand état de faiblesse exigea-t-elle des autres ce qu’elle exigeait d’elle-même : la ténacité dans le travail quoi qu’il en coûte.

 Le 7 août 1857, Sidney Herbert écrit à Lord Panmure en lui recommandant prendre des mesures destinées à protéger le Gouvernement en remédiant à certaines choses avant que le Rapport n’ arrive devant la Chambre. A cet effet, il lui proposa de créer quatre sous- commissions dont il  serait l´unique président et qui auraient  le pouvoir de

- Remédier à l´état sanitaire des casernes.

- Fonder un département de statistiques de l´armée.

- Créer une école de médecine sanitaire.

- Rénover le service sanitaire de l´armée, réviser le régime des hôpitaux , et promulguer un nouveau décret relatif à la promotion des médecins sanitaires.

Toutes ces sous-commissions augmentèrent encore le travail de Miss Nightingale qui s’occupait aussi  de la Fondation Nightingale. Elle devait aussi réagir constamment aux comportements possessifs à son égard de sa mère et de sa sœur. Surchargée physiquement et émotionnellement, Florence tomba malade et partit pour une cure à Malvern. Cet effondrement du mois d´août de 1857 donna finalement un certain avantage pour Florence en la rendant consciente de ses limites. Dorénavant, elle invoquera sa faible santé pour se protéger de sa famille.

Quand le mois Février 1858, mère et sœur menacèrent de venir à  Londres pour toute la saison, elle dut cependant avoir recours à une crise de nerfs pour qu´elles renoncent à leur projet.

La pression familiale  sur Florence diminua  peu après parce que Parthe s’était fiancée et allait devenir Lady Verney. La préparation de cet événement occupa l’esprit de ses proches et permit à Florence de profiter d’un peu de solitude.

Tante Mai à nouveau au secours de Florence

Tante Mai pour aider Florence qui avait du mal à retrouver sa santé s´installa à Burlington avec son genre Mr Clough qui devint le servant et messager de Florence. Tante et nièce s´adoraient véritablement. En Novembre 1857, Florence se sentit si mal en point qu’elle donna des instructions sur son enterrement car elle désirait être ensevelie en Crimée.

Elle se remettra peu à peu mais, toujours faible, elle travaillera étendue dans son divan. Comme les travaux des sous-commissions n’aboutissaient pas à des mesures pratiques, Florence utilisa les médias en envoyant des projets d’articles aux journalistes qui les faisaient paraître sous leur propre signature.

En février 1858, le Gouvernement tomba et avec lui Lord Palmerston et Lord Panmure. Ce dernier fut remplacé  par le Général Peet qui nomma le Dr Alexander directeur général du Service de Santé Britannique. Le Dr Andrew ayant pris sa retraite et le Dr Hall avait été éloigné, la coopération allait donc pouvoir remplacer l´obstruction, ce qui relança le travail des sous-commissions.

Au printemps 1858 Florence  trouva un nouveau collaborateur dans la personne du capitaine Douglas Galton , brillant officier du Génie, expert en infrastructures, et époux de Marianne Nicholson, sa cousine qu’elle avait autrefois tant chérie.

Pendant tout l´été 1858 Florence  resta à  Burlington qu´elle quitta seulement pour des cures de santé ponctuelles. 

Elle interdit à Harriet Martineau, féministe radical et éditorialiste du Daily News de se servir de ses notes pour ses articles.

Quand en 1857 éclata en Inde la révolte des Cipayes, Sidney Herbert empêcha Florence de s'engager. Florence entreprit alors, suite à la lecture de rapports inquiétants au sujet des conditions sanitaires de l´armée en Inde, de demander à ce qu’une autre Commission fût créée.

Lord Stanley, son admirateur et ami, fut nommé Ministre pour les Affaires d´Inde en 1858, et la Commission  pour l’armée des Indes se constitua. A nouveau, on demanda à Sidney Herbert d’en être le  président.

En août 1858 Alexis Soyer, le brillant diététicien qui avait accompagné Florence en Crimée, mourut. Il avait collaboré à la sous-commission concernant les casernes et un de ses derniers gestes fut d’inaugurer, le 28 juillet, sa cuisine modèle à la caserne Wellington.

Le courageux  Sidney Herbert en voit de toutes les couleurs

Sidney Herbert n´allait pas bien du tout, et Florence se montra peu sensible à ses souffrances. Dès le mois de janvier, il s’était mis à souffrir de névralgies et de douleurs dans les tempes et Miss Nightingale lui recommanda d’imbiber un morceau d’ouate de chloroforme et de camphre et de l’inhaler profondément. Il suivit ses prescriptions, en abusa et s’en rendit malade ! En fait, jamais  Miss Nightingale n’éprouva de considérations pour les souffrances de ses collaborateurs car elle même était persuadée d’être très malade et de travailler sur son lit de mort ! Florence ne témoigna aucune admiration à  Sidney Herbert de son vivant ; par contre après sa mort,  elle en fit un véritable dieu qu’elle regretta et  chérira jusqu’à la fin de sa propre existence.

Sidney accepta  à contrecœur le Ministère de la Guerre qui lui fut proposé par Lord Palmerston qui gagna à  nouveau les élections générales du mois de mars. Le 13 juin il écrivit à Florence : « Je vous envoie ce billet pour vous annoncer que j’ai accepté le Ministère de la Guerre. Je l’ai accepté parce que j’estime que dans certaines branches de l’administration, je pourrais faire du travail utile, mais je ne me dissimule pas la lourdeur de la tâche, ni le fait que je crains de ne pas être de taille à l’assumer. Mais je sais que mon acceptation vous fera plaisir. (…) »

Malgré toutes les victoires des « réformistes », l´absurdité de l´organisation du ministère de la Guerre rendait les  changements  impossibles. Sidney et Florence s´attaquèrent donc d’abord  à la réforme des procédures : définition des fonctions et responsabilités dans les différents services.

La tâche écrasante provoqua durant l’été de 1859 une nouvelle dépression  chez Florence malgré le grand dévouement de Tante Mai et de son neveu Clough. Tante Mai se trouvait depuis deux ans auprès de Florence pour la soigner et le mari de tante Mai et son mari réclamait sans cesse son retour !! Il en était de même pour son neveu Clough qui servait de secrétaire à Florence et dont l’épouse restait seule la semaine pour s’occuper de ses enfants.

Florence étend son travail aux hôpitaux civils

En 1859, son travail s’étendit aussi aux hôpitaux civils. Elle avait une expérience inégalée dans ce domaine car Florence  avait visité au cours des treize années une multitude d’hôpitaux situés non seulement en Angleterre mais aussi sur le continent. Elle décrivit en détail les nouveaux principes qui devaient guider la construction d’un hôpital dans un livre: ´Notes sur les hôpitaux´, et y développa la thèse, alors révolutionnaire, que le taux élevé de mortalité dans les hôpitaux était évitable. Pour enrayer la mortalité dans les hôpitaux, il ne suffisait pas de prier ou d’offrir sa vie en sacrifice. Il fallait une meilleure aération, d’autres égouts et un plus haut degré de propreté.

Suite à sa publication, des plans sur la construction des nouveaux hôpitaux lui furent soumis en  pas seulement pour l´Angleterre. La princesse de Prusse, la reine de Hollande et le roi de Portugal demandèrent son avis.

Florence continua son étude sur les hôpitaux en écrivant  des rapports sur toutes les nouvelles techniques dans le domaine des adductions d’eau et du chauffage. Elle écrivit des centaines de lettres à des plombiers, ingénieurs, entrepreneurs. Elle rédigea des nouveaux  formulaires qui devaient servir de modèles et servir de manière unifiée à tout hôpital permettant ainsi de faire des études comparées.

L’unique délassement de Florence consistait à  écrire  ses pensées philosophiques. Elle publia ´Suggestions for Tough´à la fin de l’année 1859. Ce fut un échec littéraire mais ses écrits lui apportèrent l´amitié et l’abondante correspondance de Benjamin Jowett, célébrité pleine d’originalités, qui essaya  même d’épouser Florence !

L’école d’infirmière de l’hôpital Saint Thomas

Florence influença les projets de  construction d’un  nouveau Hôpital Saint Thomas dont  le médecin en chef, Mr Withefield et l´infirmière- major devinrent  ses fidèles amis. Les 45.000 livres de la fondation Nightingale étaient toujours à sa disposition pour la création d’une école d’infirmière, mais Florence n’avait pas encore découvert l’endroit rêvé. C’est dans l’hôpital Saint-Thomas que Florence  décida d’installer cette école après avoir reçu toutes sortes des  suggestions  extravagantes ou  ridicules sur son emplacement, l´admission des infirmières, les uniformes, la filiation religieuse, etc.…

En 1859, elle publia  un autre livre ´Notes sur l´art de soigner´, pour instruire les femmes sur la santé de leurs enfants et leur maisonnée. Cette fois, l’ouvrage  connut un  succès retentissant et on le traduisit  en plusieurs langues. Ce livre  ne traitait pas seulement des soins physiques, hygiène et nutrition mais  aussi des aspects psychologiques et sociologiques du nursing. C’est dans ce livre que Florence régla leur compte à quelques idées bien ancrées dans la société victorienne. « Aucun homme, pas même un médecin, ne trouve de meilleurs qualificatifs pour définir ce que devrait être une infirmière que ceux-ci : docile et dévouée. Cette définition conviendrait aussi bien à un porte-faix ou même à un cheval. Elle serait insuffisante pour un policeman ».

«  L’idée semble communément acceptée, par les hommes et même par les femmes, qu’il suffit d’avoir éprouvé un chagrin d’amour et de se sentir incapable de faire autre chose pour devenir une bonne infirmière »

 Florence  cependant  refusa toujours de figurer dans le rang des  ´féministes´.  Elle s’attaqua même dans ses « Notes sur l’Art de Soigner » au « jargon sur le droit des femmes » :

« Gardez-vous des deux  jargons actuellement à la mode » écrit-elle, « le jargon sur les droits des femmes qui les presse d’égaler les hommes en tout, y compris dans les professions médicales et autres, simplement parce que ce sont des professions d’hommes, sans se soucier de savoir si elles conviennent aux femmes ; et le jargon qui presse les femmes de ne rien entreprendre de ce que font les hommes, simplement parce qu’elles sont des femmes et qu’il faut leurs rappeler à leurs « devoirs de femmes », et parce que « ceci est un travail de femme » et ceci un « travail d’homme » et qu’il y a » des choses qu’une femme ne devrait pas faire », affirmations toutes gratuites, rien de plus. »

Créer  l´Ecole de Infirmières ne fut une tâche facile. Il fallut vaincre l’opposition du chirurgien-chef du Saint Thomas, Mr J F South. D’autre part, bien que Florence était l´instigatrice et l’organisatrice de la future Ecole, elle en  refusa la direction  car elle se trouvait en trop mauvaise santé et  « invalide ». La direction fut alors confiée à Mrs Wardroper qui resta pendant vingt-sept ans à ce poste et contribua pour une grande part au succès remporté par cette institution.

Le 24 juin 1860, l´Ecole Infirmières Nightingale débutait avec 15 candidates.

Florence était au courrant de tout ce qui se passait et supervisait personnellement les rapports mensuels de Mrs Wardroper qui consistaient en des « notes morales et techniques »´ très détaillées. Florence alla même jusqu’à demander le journal que chaque élève était tenue de rédiger.

En sortant de cette école, les infirmières s´engageaient à ne pas accepter de situations privées mais  à  occuper des postes dans les hôpitaux dont elles s’efforceraient de relever le niveau tant du point de vue des soins que du point de vue moral.

A la fin de 1861, on créa aussi avec les fonds de la Fondation Nightingale un Centre de Formation de Sages-femmes à King´s Collège.

En février 1860, un grand collaborateur de Florence, le Dr.Alexander, mourut brusquement d’une hémorragie cérébrale. Cette mort était due en partie à la constante opposition qu’il avait rencontré pour mener à bien les recommandations de la Commission d’enquête. Il élaborait de nouveaux statuts du Service de Santé de l’Armée, lorsqu’il décéda  et sa disparition compromit gravement les résultats déjà obtenus.

Florence, une personnalité pas toujours facile !

Au début de l´été 1860, tante Mai décida que c´était son devoir retourner dans sa famille. Cette décision fut accueillie avec une profonde amertume par Florence. Pourtant en 1857, Tante Mai était venue l’assister parce que Florence se considérait comme mourante et elle était  restée auprès de sa nièce  pendant deux ans ! Malgré ce grand dévouement, Florence  ne pardonna pas son départ ! Tante et nièce ne se revirent plus avant quarante ans et toute correspondance entre elles cessa ! Ce fut  Hilary Bonham Carter qui remplaça tante Mai à  partir du Juin 1860. Miss Nightingale se sentait cependant toujours très affaiblie et passait ses journées au lit. Sidney Herber venait chaque soir lui rendre visite. Sidney n’était pourtant pas bien et endurait un vrai calvaire : « chaque jour où j’additionne le Ministère de la Guerre et la Chambre des communes est un jour retranché de ma vie » disait-il. Les médecins diagnostiquèrent une incurable maladie des reins et on lui conseilla d’abandonner ses fonctions. Pour sauvegarder l´oeuvre qu´il avait commencée  avec Florence, il garda  finalement le Ministère mais cette décision dut lui être véritablement arrachée. Miss Nightingale n’était pas tendre pour ses collaborateurs et elle semblait considérer « la maladie » comme son monopole. Il ne fut pas  étonnant dans ce contexte qu’elle se retrouva à un certain moment  seule : Hilary, surmenée, la quitta tandis que son fidèle Clough  tomba malade en avril 61 et partit se reposer en Grèce.

La mort du courageux Sidney Herbert

En Janvier de 1861 le projet de réforme du Ministère de la Guerre était au point mais suscita de vives polémiques entre réformistes et bureaucrates ce qui ne facilita pas le travail de Sidney qui se mourait debout ! Après sa mort qui survint deux mois plus tard, l’autopsie montra que le mal était si avancé que c’était un miracle qu’il eût pu travailler au cours de sa dernière année. 

Sidney Herbert mourut le 2 août, et son dernier murmure fut « pauvre Florence, notre tâche reste inachevée »… 

Florence fut anéantie par le chagrin car la base de son existence s’effondrait. « Il emporte ma vie avec lui » dira t-elle ! Florence ne montra cependant pas la moindre trace de remords, elle qui s’était cependant comportée si durement avec Sidney ! Sa douleur, son deuil avait des caractéristiques pathologiques car elle prit à l’égard du défunt une attitude possessive à tel point qu’elle se refusait à admettre qu’une veuve pût être plus à plaindre qu’elle !

Florence demanda à Mr Gladstone de continuer la tâche de Sidney mais celui-ci ne s’engagea à rien et, déprimée, Florence quitta Burlington et se retira à Hampstead.

Sidney Herbert a laissé peu de traces. A l’époque où il fut au pouvoir se dessinaient de grandes promesses qui n’aboutirent à presque rien. Bien des années devaient se passer avant de voir les réformes proposées par Miss Nightingale et par lui devenir des réalités. Une partie de son œuvre fut sabotée par ses successeurs et bien des améliorations proposées devinrent avec le temps dépassées ou soit oubliées. Cependant le nom de Sidney Herbert est indissociablement lié à l’œuvre de Florence Nightingale. Cette personnalité hors du commun mériterait certainement qu’une école d’infirmiers porte son nom !

Florence reste très écoutée  

La mort de Sidney Herbert lui fermait la porte du monde officiel et son activité en faveur de l´armée prenait fin, mais d´autres champs d´action attendaient encore Florence. Malgré ses crises d’évanouissements, d’extrême faiblesse, et de nausées à la vue de toute nourriture, on lui demanda son aide pour l’organisation des hôpitaux et des soins aux blessés dans le conflit américain  qui allait plus tard s’appeler guerre de Sécession. Florence entretint alors une importante correspondance avec les Etats du Nord  en réponse à  leurs demandes.

En novembre 1861, elle accepta d’abandonner sa maison de Hampstead pour la maison de South Street propriété de  son beau frère, mais elle s ´obstina à vouloir vivre seule. Le 12 du même mois, monsieur Clough mourait à Florence et la famille de celui-ci reprocha à Florence  d’avoir trop  exigé de son secrétaire.

Vers la fin du mois de Novembre, l´Angleterre fut sur le point de rentrer en Guerre avec les Etats-Unis et Lord de Grey pria Florence de l´éclairer sur les dispositions sanitaires à  prendre  pour le corps expéditionnaire (elle s´informa de la vitesse moyenne des transports par traîneau et calcula le temps qu´il faudrait pour faire franchir aux malades les grandes distances. Elle dressa des plans pour l´établissement de relais  contenant les réserves nécessaires. Elle étudia également la question de l´équipement et recommanda de distribuer aux soldats des peaux de buffle à la place de couvertures…)  Grâce à l´intervention du prince consort, la guerre fut finalement évitée.

La douleur et le chagrin qui habitaient Florence se transformèrent en une furie de mépris et de dégoût pour son propre sexe qu’elle qualifiait de frivole, stupide et égoïste. Elle se plaignait de n´avoir pas rencontré une femme qui ait changé un iota à sa vie pour l’amour d’elle ou de ses opinions au contraire d’hommes qui avaient su consacrer leur vie à sa cause !  

A Noël 1861, elle se trouva fort malade mais elle se rétablit à nouveau. Sa solitude l’éprouve : « Je crois que ce dont j’ai le plus souffert au cours de ces derniers trois mois d’extrême faiblesse, c’est de ne pas avoir auprès de moi un être qui m’adresse une parole de réconfort , ou qui puisse même me citer un fait intéressant. Je suis heureuse de voir se terminer un  jour qui ne reviendra plus, plus heureuse encore de voir s’achever une nuit, et plus encore d’arriver à la fin d’un mois. »

Florence retrouva une partie de son influence au sein du Ministère de la Guerre lorsque Lord de Grey   devint Ministre de la guerre en 1863. Au cours des quatre années qui suivirent, tous les problèmes ayant trait à l’hygiène et à l’administration de l’armée britannique furent soumis à Miss Nightingale , bien qu’elle fût, non seulement une femme, mais une invalide qui ne sortait jamais de chez elle. Son génie de gestion financière était énorme et elle mit au point un système de compte des charges pour le service de santé qui fut mis en application entre 1860 et 1880 et était encore en vigueur 80 ans plus tard. Miss Nightingale fut aussi impliquée fortement à cette époque dans la controverse qui fit rage au sein du Ministère pour diminuer le taux très élevé de syphilis au sein de l’armée. Alors que les autorités militaires et sanitaires  proposaient  la mise en carte (une surveillance policière et sanitaire) des prostituées, Florence  essaya de démontrer qu’il fallait plutôt agir sur les causes du vice à l’armée qui résultaient selon elle de trois facteurs: des locaux malpropres et surpeuplés, l’ivrognerie, l’ignorance et le manque d’occupations. Le combat qu’elle mena pendant de nombreux mois sur ce thème n’aboutit pas et finalement la Chambre des Communes légiféra en 1864 sans tenir compte de son expertise. Cet échec atteignit profondément Miss Nightingale.

Florence  à nouveau dans un combat capital pour améliorer l’état de santé de l’armée des Indes

On se souvient que Sidney Herbert avait laissé un terrible héritage en créant une Commission sanitaire aux Indes. Le projet d´amélioration des conditions sanitaires de l´armée aux indes prit une part de plus en plus grande dans les activités de Florence car elle s’aperçut qu’il n’existait à ce sujet aucune documentation fiable. 

Déjà, au début de 1859, pour avoir de données et informations de première main sur lesquels pouvoir travailler elle élabora un questionnaire et envoya une ´Circulaire d´Enquête¨ dans  tous les postes militaires aux Indes. Elle demanda aussi toute la réglementation locale au sujet de hygiène et de l’administration sanitaire de chaque poste. A mesure que les réponses arrivaient, Florence assistée des docteurs Farr et  Sutherland, dépouillait les informations. Toute cette documentation avait une immense valeur parce que aucune inspection officielle n’avait jamais été faite aux Indes. Quand le dépouillement fut terminé, Florence  rédigea ses remarques sous le titre ¨Observations par Miss Nightingale´

Les données statistiques étaient effrayantes et prouvaient le sacrifice d’une compagnie par régiment tous les  vingt mois  aux Indes´ soit une mortalité de 69 /1.000.

On l´attribuait cette mortalité au climat, mais ce n’était qu un facteur mineur ajoutés  aux conditions désastreuses dans lesquels se trouvaient les camps : aucun système d´égouts, aucune système de potabilisation de l’eau, de trop  rares installations sanitaires, l´alcoolisme, pas des foyers récréatifs ou sportifs, des latrines effrayantes. Les baraquements étaient surpeuplés car l’on considérait que l’on pouvait sans réel inconvénient entasser 300 hommes par chambrée. Généralement pendant la saison chaude, les soldats étaient consignés au quartier de 8 h00 du matin à 5 heures du soir et ils n’avaient rien à faire, rien à lire, aucun but. En outre, les soldats dissimulaient leurs maux de crainte d’être envoyés à l´infirmerie car celle-ci n’était souvent qu’un simple toit posé sur des pieux. Les malades étaient lavés et soignés par un coolie payé quatre roupies par mois et qui s’empressait de prendre la fuite lors d’une épidémie de choléra. Quant au matériel, il était tout à fait insuffisant : il n’y avait qu’un  tub et une cuvette pour 100 hommes !

Florence proposa sans succès que l’on crée un Département d´Hygiène chargé d’élaborer et d’appliquer les réformes nécessaires au sein du Ministère de l´Inde. En 1863, elle fut beaucoup plus écoutée par le fait que le nouveau vice-roi des Indes, Sir John Lawrence, devint son ami. Florence qui n’avait jamais été en Indes devint une spécialiste des questions indiennes tant elle possédait le prodigieux pouvoir d’absorber, de retenir, de comparer la masse énorme de faits qu’elle avait patiemment obtenus en envoyant son questionnaire détaillé à chacun des postes militaires de l’Inde !

En janvier 1864, assistée de Dr Sutherland et du Dr Farr et de l´ingénieur Rawlison, Miss Nightingale rédigea ses ¨Suggestions concernant les travaux sanitaires nécessaires à  l´amélioration des conditions de vie dans les postes militaires aux Indes¨, c´etait le premier statut sanitaire apporté a l´Inde.

Malheureusement ses suggestions ne se transformèrent pas rapidement en réalisations concrètes sur le terrain ce qui fit à nouveau sombrer Florence dans des crises de ressentiment et de désespoir. Pour la première fois de sa vie elle commençait  à douter d’elle-même et se sentiment la montrait quelque fois humble et troublée. Ecrivant à Madame Clarkey en mai 1885, elle se compare même à un vampire qu aurait sucé le sang de Sidney Herbert et de Clough.

Florence déménagea  au 35 de South Street et c’est dans cette demeure qu’elle apprit le  6 septembre  1865 la nouvelle de la  mort de son amie Hilary Bonham Carter.

Le caractère de Florence devint plus amer. Elle était clouée au lit depuis quatre ans et souffrait de douleurs dorsales intenses. La lecture de la littérature qu’elle avait recommencée,  l´étude du grec et la compagnie de ses chats lui apportaient quelques consolations. Florence travaillait avec un chat enroulé autour de son cou et jusqu’à six de ces bêtes circulaient dans sa chambre!  

Au cours de l´automne 1865, Florence se disputa avec son collaborateur, le Dr Sutherland, l’accusant  d’être moins disponible en ayant accepté d’effectuer des missions de surveillance du choléra à Alger, Malte et Gibraltar. Florence admirait les capacités de ce collaborateur mais elle lui reprochait  ¨le vague de ses pensées et l´insouciante de sa conduite ¨. Pour Florence, le docteur Sutherland n’était pas assez ponctuel et disponible et de surcroît  désordonné ! Elle était en outre, irritée par sa surdité. Le docteur Sutherland, malgré les reproches, se montra toujours très patient envers Florence et jamais il n’éprouva de rancune envers elle.

En 1866, au moment où  le Parlement se mit en vacances, Florence quitta Londres pour visiter ses parents. Florence n´était plus retournée chez elle depuis neuf ans. Un appartement de six pièces fut mis à sa disposition. Florence travailla sans arrêt, ne voyait personne et ne sortait de sa chambre que pour se rendre auprès de sa mère avec qui elle restait fort critique.   

Quand elle revint à Londres, Florence dut faite face à une nouvelle qui l’humilia : Sir Lawrence avait accepté  le projet de loi qui prévoyait de faire de l’administration sanitaire des Indes un Sous-Département du département des prisons !

En 1867, Florence occupa une grande partie de son temps à rédiger  un rapport  pour Sir John  Stafford Northcote résumant  le travail effectué  par  la Commission Sanitaire aux Indes depuis 1854. Elle en profitera pour donner aussi ses instructions et recommandations. A son grand étonnement, ses suggestions furent acceptées en totalité et l’on créa un véritable  Département  de santé publique au sein du Ministère des Indes.

Mais le prix dont elle dut payer ce succès fut élevé. Les treize mois qu’elle avait passés, enfermée à South Street à travailler nuit et jour la laissaient plus souffrante que jamais.

Monsieur Rathbone, Agnès Jones et Florence dans leur combat pour une réforme des soins dans les hôpitaux pour indigents

En 1861, Mr William Rathbone, armateur , négociant de Liverpool, altruiste et compatissant, grand philanthrope qui en 1859 avait fondé à ses frais l´Assistance aux Malades et Indigentes, demanda l´aide de Florence pour réaliser son projet. Il s’agissait de former à ses frais  un corps d´infirmières qui soigneraient les pauvres à  domicile. Florence obtint de l´Hôpital Royal de Liverpool la création d´une école pour former des infirmières dont un certain pourcentage serait réservé à Hôpital.

D’autre part, monsieur Rathbone voulut aussi aider  l´Hôpital de l´Asile de Liverpool. Comme dans tous les hôpitaux de ce genre, les quelques soins que l’on donnait aux malades étaient administrés par des indigentes à peu près valides, pour la plupart des prostituées et des ivrognes.

Le 31 janvier de 1864, monsieur Rathbone  fit un premier geste en faveur de la réforme pour les hôpitaux d´indigentes : il demanda à  Miss Nightingale de convaincre le Conseil de Paroisse, qui  gérait l’hôpital de l’asile, d’accepter une équipe d’infirmières diplômées dirigée par une infirmière-major. Après de longues discussions, l’autorisation fut accordée  en mars 1865 et, deux mois plus tard, seize infirmières arrivèrent avec à leur tête comme  infirmière- major Miss Agnès Jones qui était « la meilleur et la plus chère disciple de Miss Nightingale ». Miss Agnès, jeune, riche, spirituelle et bien élevée, avait voulu suivre les pas de Florence qu’elle admirait. Elle se montra une femme exceptionnelle et parvint à améliorer les conditions de vie et les soins des 1300 malades de l’hôpital.  En 1868, Miss Nightingale plaça  dans son livre « Good Woods » un récit du travail accompli par Agnes Jones sous le titre de « Una et le lion ». Le lion symbolisait  les malades indigents que devait soigner Agnes, « ces malades plus difficiles à apprivoiser que des lions » écrivit-elle. Agnès avait déjà travaillé dans les plus grands hôpitaux de Londres mais elle avoua qu’avant d’arriver à Liverpool, elle ignorait ce qu’étaient le vice et le péché ! A Liverpool, les salles de l’hôpital de l’Asile étaient un véritable enfer et les hordes d’indigents malades semblaient vivre comme des bêtes. L’ivrognerie était générale, les malades portaient la même chemise pendant sept semaines, la literie n’était changée et lavée qu’une fois par mois…

C’est suite à l’expérience de Miss Agnès Jones que Florence s’efforça de faire changer la législation sur l’assistance publique. Oeuvrant toujours selon la même procédure, elle rédigea des formulaires reprenant un questionnaire complet qui furent envoyés en février 1865 à tous les hôpitaux et infirmeries des hospices du district métropolitain de Londres. Ayant collecté les résultats, elle réalisa alors un projet de réforme.

Le plus urgent était pour Florence de pouvoir changer l´état d’esprit qui rendait possible la misère dans les hôpitaux d’hospice. Miss Nightingale essaya donc de convaincre la société anglaise de considérer les indigents en mauvaise santé comme des malades méritant le respect : ´devant la souffrance il n´y a plus ni bien ni  mal, ni valeur ni non- valeur, ni ami ni ennemi. Celui qui souffre a atteint une région au delà de toute classification humaine et tout jugement moral, et sa souffrance même lui donne tous les droits.¨

Administrativement, son projet de réforme était basé sur trois points essentiels :

a)      Les malades, fous, incurables et enfants doivent être soignés séparément dans des institutions spécialisées.

b)      Nécessité d´une administration centrale unique.

c)      L´organisme administratif doit jouir d´une existence autonome et de fonds fournis par des taxes générales et non par des fonds paroissiaux.

Après de nombreuses tergiversations, le projet de Florence fut traduit partiellement en un décret  le 8 février sous le titre « Loi d´Assistance Publique Métropolitaine ».

Le regard critique de Florence  sur les soins aux accouchées

Florence comme à l’habitude ne se reposa pas sur ses lauriers. Au cours de l´été de 1867, elle se replongea dans les questions sanitaires aux Indes et parallèlement à ce travail elle s’attela aussi à découvrir les causes de la mortalité infantile dans l’école de sages-femmes du Kinsg´s Collège. Une épidémie de fièvre puerpérale s’était déclarée et avait nécessité la fermeture provisoire de l’institution. Florence découvrit à cette occasion qu’il n’existait aucune statistique de mortalité à la naissance et à nouveau elle entreprit de réaliser une grande enquête. Les institutions se montraient peu disposées à collaborer mais il sembla à Florence que les taux de mortalité était plus élevés dans les maternités qu’à domicile et cela même lorsque les futures mamans accouchaient dans des endroits extrêmement misérables. Le travail de Florence donnera lieu à un livre qu’elle éditera sous le titre « Notes préliminaires sur les maternités ». Miss Nightingale était arrivée à la conclusion que l’emploi de petites salles séparées était la meilleure défense contre une mortalité trop élevée chez les femmes en couches. A l’époque où elle écrivit cette plaquette, il s’en fallait encore de dix ans avant que survienne l’ère des grandes découvertes en bactériologie.  

La mort d’Agnès Jones

La mort de la précieuse Agnès Jones, en février 1868, à la suite d´une épidémie de typhus à l´Hôpital de l´Asile de Liverpool fut une catastrophe pour Miss Nightingale. Agnès Jones s’était littéralement usée au travail ; elle n’était jamais couchée avant une heure et demie du matin et elle se levait à cinq heures et demie.

Florence s’occupe d’irrigation et ordonne de laisser les fenêtres ouvertes en Inde

En mars 1868, les libéraux reprirent le pouvoir, et l´ascension de Mr Gladstone au ministère de la guerre réduisit quasi à néant l’influence de Florence. Cependant Lord Napier, devenu gouverneur de Madras, fut un ami enthousiaste et adepte des propositions de Florence. Sous ses directives, on parvint à faire accepter des infirmières dans les hôpitaux indiens. Comme à l’accoutumée Florence essaya de percevoir les conditions premières nécessaires à une bonne santé publique. Ce fut ainsi qu’elle étudia et encouragea l’irrigation à grande échelle pour permettre aux Indiens de manger à leur faim ! Beaucoup de recommandations de Florence furent appliquées mais parfois il arrivait qu’elle se trompât car, n’étant jamais allée aux  Indes, ses connaissances étaient malgré tout théoriques! L’exemple le plus frappant d’une de ses méprises fut quand elle demanda de laisser les fenêtres ouvertes la journée pendant la saison chaude. Ce fut dans l’Inde un grand éclat de rire car chacun savait d’expérience que fermer les persiennes était la seule manière de garder un peu de fraîcheur vitale à l’intérieur.  

Avec les années, Florence apprit à vivre dans une atmosphère moins fiévreuse et vers les années 1870 elle décida de restreindre ses activités et de se consacrer à l’organisation de son école dans l’hôpital St.Thomas. A partir de 1872, elle se fit une règle de connaître personnellement chaque élève ! Elle dut aussi se consacrer à ses parents alors âgés et souffrants.  En 1874, son père mourut et Florence dut s’occuper nuit et jour de sa maman  devenue aveugle dans sa propriété de Lea Hurst.

Les années septante de Florence furent endeuillées par la perte de tous ses amis qui avaient lutté auprès d’elle. Elle trouva de la consolation chez Miss Paulina Irby qui depuis son enfance avait été inspirée par Miss Nightingale et qui avait passé toute sa vie à adoucir les souffrances des populations de Bosnie et d’Herzégovine, luttant pour échapper à la domination turque. Florence parvint cependant toujours à conserver la haute main sur son institution. Lorsqu’elle se rendait à Londres, elle entretenait de constants rapports avec les infirmières et les stagiaires et surtout elle leur écrivait constamment. Lorsqu’une jeune fille devenait une de ses élèves, elle ne l’abandonnait pas même au terme de ses études. Par exemple, lorsque Miss Torance fut nommée directrice de l’hôpital de Highgate, Miss Nightingale lui écrivit une centaine de lettres au cours de la première année et reçut  à peu près  le même nombre de réponses. Jamais elle ne cessait, dans ces lettres de rappeler à ses infirmières l’angle spirituel de leur vocation, d’insuffler en elles, non seulement le sens élevé de leurs devoirs, mais celui de la présence de Dieu. 

Florence puisait un grand réconfort en compagnie de ses jeunes élèves et infirmières. Le spectre d’une vieillesse solitaire, « d’une affreuse solitude » la hantait, et dans le « torrent d’infirmières » venant dîner, dormir, prendre le thé, lui demander conseils et lui exposer leurs difficultés, elle retrouvait cette chaleur humaine dont elle avait été privée. Le 2 février 1880, la maman de Florence s’éteignit paisiblement à l’âge de 92 ans. Florence s’était dévouée à son chevet  pendant plus de cinq années, cinq années qui semblèrent à Florence comme étant  les plus difficiles de sa vie. Miss Nightingale avait connu beaucoup de ressentiments face à sa mère et à sa sœur Parthe. Les années passées à soigner Fanny lui enlevèrent peu à peu ces pénibles ressentiments. Un changement se fit en elle et sa bonté, la parfaite bonté qui l’animait pendant sa jeunesse, lui revint. En 1881, elle se réconcilia avec sa tante Mai et elle retrouva des liens normaux avec sa  sœur qui lui réservait en permanence une  chambre dans sa demeure de Claydon. C’est peu après que Miss Nightingale retrouva encore une fois encore de l’influence au Ministère de la Guerre lors de l’institution d’un nouveau comité d’enquête sur les soins aux Armées suite aux manquements constatés durant la campagne d’Egypte. Florence se remit à nouveau au travail en recommençant le combat qu’elle avait déjà si durement mené auparavant : « Qu’il reste peu de choses de tout le travail accompli pour l’armée des années 1856 à 1861 » écrivait-elle en février 1881 ».

L’obstination de Miss Nightingale  portait  cependant des fruits d’années en années des fruits toujours plus abondants et en  1885, le gouvernement soutint de toutes ses forces le corps infirmier qui accompagna  le Corps Expéditionnaire parti délivrer le général Gordon encerclé à Khartoum. Ce fut une grande satisfaction pour Florence qui, par ailleurs, au cours des dernières années de sa vie retrouvait un meilleur état de santé.    

La vieillesse de Miss Nightingale

Si la vie n’avait pas toujours été très douce pour Miss Nightingale, elle lui offrait dans sa vieillesse des compensations. On la traitait avec une déférence presque religieuse et pour des millions de femmes du monde entier  elle était devenue le symbole d’une ère nouvelle. A partir de 1896, elle ne quitta plus sa maison de South Street  et se cantonna dans sa chambre à coucher mais son intelligence restait vigoureuse : le ministère de la guerre la consultait encore et elle conservait  des relations avec l’Inde en correspondant avec le vice-roi Lord Elgin !

En 1898, elle relut Shakespeare et prit de nombreuses notes malgré sa vue qui faiblissait. En 1901, l’obscurité se referma sur elle. Elle se rattacha à la vie en se faisant lire le Times chaque jour ou encore un chapitre d’un de ses livres préférés « La vie difficile » de Théodore Roosevelt. En 1906, elle ne fut plus capable d’apprécier les lectures ou récitations et elle  restait pendant des heures immobile, ses mains croisées paisiblement sur la couverture.  Et alors qu’il n’était plus au pouvoir du monde de lui plaire ou de la blesser, une pluie d’honneurs se répandit sur elle… Miss Nightingale s’éteignit le 13 août 1910. Elle s’endormit vers midi et ne se réveilla pas. Elle avait vécu 90 ans et trois mois. Dans son testament, elle offrait son corps pour la dissection ou l’examen post-mortem, dans l’intérêt de la science !

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Bibliographie

Cecil Woodham-Smith. Florence Nightingale .Traduit de l’anglais par Jane Fillion. Albin Michel, 1953.

Dr Krebs Japy. Florence Nightingale, sa vie et son œuvre. Préface de Mlle Chaptal. A. Poinat, Editeur, 4 rue Antoine Dubois, 1932, Paris

Marie De Vivier. La dame à la lampe, collection marabout junior, série mademoiselle, N°8



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